Question de M. MÉDEVIELLE Pierre (Haute-Garonne - UC) publiée le 01/03/2018

M. Pierre Médevielle interroge Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la crise sanitaire grave qui s'annonce dans certains territoires.

Pour répondre à la crise sanitaire que subissent nos territoires, le Gouvernement propose quatre axes de travail : redonner du temps médical au soignant, mettre en place la révolution numérique, coordonner les professionnels de santé entre eux, enfin, mettre en place une nouvelle méthode, fondée sur la confiance et le dialogue au niveau de chaque territoire.

Si ce plan peut permettre d'engager des avancées, il ne répond pas à la véritable exigence de la situation : l'installation de médecins libéraux sur les territoires abandonnés. Plus de trois millions de personnes peinent à trouver un médecin généraliste. Les professionnels installés dans ces zones ne peuvent pas répondre à la demande des patients et la plupart d'entre eux sont épuisés par les cadences imposées.

La démographie médicale est aujourd'hui le problème fondamental et la seule création de maisons de santé pluridisciplinaires, si celles-ci correspondent à la volonté des professionnels de santé d'exercer en groupe, ne permet pas de répondre au manque criant de médecins et notamment de certaines spécialités : dermatologie, gynécologie, ophtalmologie...

Par exemple, dans le département de la Haute-Garonne, sur le territoire de Saint-Gaudens, il y a actuellement 78 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Cette dotation est liée à l'activité de médecins qui cumulent activité et retraite. Dans les cinq ans à venir, nous compterons 42 médecins pour 100 000 habitants.

Si la population est désormais habituée à effectuer plus de 30 kilomètres pour pouvoir bénéficier d'une visite chez un généraliste, plus de 100 km pour une visite chez un spécialiste ou attendre plus de douze mois un rendez-vous pour des soins spécialisés, la situation qui s'annonce est très inquiétante.

Aujourd'hui le phénomène s'étend. Il s'amplifie en zone rurale, se développe sur de nouveaux territoires et engendre des dysfonctionnements dans les établissements de soins (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes - EHPAD et hôpitaux) qui subissent un accroissement d'activités ne relevant pas de leurs missions.

L'installation équilibrée des médecins généralistes sur l'ensemble du territoire permettrait d'assurer la protection des populations les plus vulnérables, de libérer l'activité des établissements de soins qui pourront se concentrer sur leurs missions initiales et de garantir à l'ensemble des citoyens un égal accès aux soins.
Dans certaines professions (pharmaciens d'officine, infirmiers libéraux), les règles imposées ont prouvé leur efficacité. La répartition équilibrée sur le territoire national répond à l'intérêt des malades et non pas aux caprices du corporatisme médical.

Face aux légitimes inquiétudes des professionnels de santé installés sur ces zones qui doivent faire face à un afflux trop important de patients, des élus locaux qui n'ont pas les moyens de répondre aux attentes de la population fatiguée par ces délais et ces déplacements interminables, il lui demande quelles mesures d'urgences elle entend mettre en œuvre pour permettre l'installation des médecins libéraux dans ces zones en souffrance qui vont bientôt couvrir la presque totalité du territoire national.

- page 899


Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée le 21/03/2018

Réponse apportée en séance publique le 20/03/2018

M. Pierre Médevielle. Je vous rejoins, madame la ministre, pour constater que vos prédécesseurs n'ont pas beaucoup anticipé les différentes crises. Mais, le Pyrénéen étant têtu, je souhaite vous alerter de nouveau sur la crise sanitaire grave que traversent nos territoires.

Pour y répondre, vous proposez quatre axes de travail : redonner du temps médical au soignant, mettre en place la révolution numérique, coordonner les professionnels de santé entre eux, mettre en place une nouvelle méthode, fondée sur la confiance et le dialogue au niveau de chaque territoire.

Ce plan permet d'espérer quelques avancées, mais il ne répond pas à l'urgence de la crise. La crise, ce n'est pas demain : c'est aujourd'hui !

Plus de trois millions de personnes peinent à trouver un médecin généraliste. Les professionnels installés dans ces zones ne peuvent pas répondre à la demande des patients, et la plupart d'entre eux sont épuisés par les cadences infernales imposées. La seule création de nouvelles maisons de santé ne résoudra pas tout – encore faudra-t-il les remplir…

Je prends l'exemple d'une sous-préfecture de Haute-Garonne, Saint-Gaudens. Malgré les chiffres erronés de l'Agence régionale de santé, la triste réalité est bien là : pour 14 000 habitants, 28 généralistes en 2000, 15 aujourd'hui et 8 en 2020. La situation qui s'annonce est très préoccupante !

L'installation équilibrée des médecins généralistes sur l'ensemble du territoire permettrait d'assurer la protection des populations les plus vulnérables, de libérer l'activité des établissements de soins, qui pourront se concentrer sur leurs missions initiales, et de garantir à l'ensemble des citoyens un égal accès aux soins.

La régulation, loin de la coercition, a prouvé sa grande efficacité dans le maillage territorial de nombreuses professions libérales. Les syndicats de généralistes, devant la gravité de la situation, sont de moins en moins hostiles à cette mesure.

Face aux légitimes inquiétudes des professionnels de santé installés sur ces zones, qui doivent faire face à un afflux trop important de patients, et des élus locaux, qui n'ont pas les moyens de répondre aux attentes de la population fatiguée par ces délais et des déplacements interminables, j'aimerais connaître, madame la ministre, les mesures d'urgence que vous entendez mettre en œuvre pour permettre l'installation des médecins libéraux dans ces zones en souffrance, qui couvriront bientôt tout le territoire national.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Médevielle, en effet, tous les territoires ne bénéficient pas du même niveau de couverture de leurs besoins. La répartition inégale des professionnels de santé explique en partie cette différence. Les disparités pratiques peuvent également expliquer une part des difficultés d'accès aux soins.

Comme je l'ai indiqué précédemment, la solution ne peut pas venir d'une mesure unique – je pense au conventionnement territorial dont on sait qu'il n'a pas fonctionné dans les pays qui l'ont mis en œuvre, notamment l'Allemagne et le Canada – mais, bien plutôt, d'un ensemble d'outils innovants, souples, totalement adaptés au niveau local, et qui tiennent compte des exigences en matière de qualité des soins et de prévention.

Je voudrais ensuite revenir sur quelques chiffres.

S'agissant de la répartition des médecins dans leur ensemble sur le territoire, le niveau des inégalités est aujourd'hui semblable à celui de 1983. Dans son rapport relatif à l'inégalité d'accès aux soins, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la DREES, précise que la répartition des médecins est aussi homogène que celle des pharmaciens, une profession que vous connaissez bien et qui constitue une référence, puisque l'installation des pharmaciens est régulée.

En réalité, nos problèmes d'accès aux soins sont avant tout le fait de territoires où l'offre de soins est présente, mais est insuffisante pour répondre à la demande.

Aujourd'hui, nous accélérons les transferts de compétences pour mieux réguler les files d'attente et faire face à la diminution annoncée de la démographie médicale jusqu'en 2025. Nous cherchons à redonner du temps médical aux médecins par une meilleure coopération avec les professionnels de santé paramédicaux et des délégations de tâches. Nous faisons également en sorte d'optimiser notre système de soins en organisant les territoires en réseaux, en filières de prise en charge.

Tous les projets de santé doivent s'adapter aux besoins des territoires. Or chaque territoire est différent : c'est la raison pour laquelle le plan mis en place s'appuie avant tout sur la capacité des professionnels de santé à coopérer sur le territoire. Les réunions de concertation sont aujourd'hui animées par les agences régionales de santé, les ARS, en lien avec les élus locaux.

Nous devons bien sûr prendre à bras-le-corps cet enjeu, car il constitue une urgence pour nos concitoyens. Simplement, il nous faut, plutôt que des mesures coercitives, adopter une vision d'ensemble stratégique.

Cette vision stratégique a notamment été mise en place dans votre région, monsieur le sénateur. Je pense en particulier à la médecine de second recours : plus de 84 postes d'assistants partagés ont été déployés sur votre territoire pour répondre aux problématiques d'accès aux soins et plus de 70 postes sont attendus à compter du mois de novembre 2018.

Nous pensons organiser les parcours de prise en charge et accroître la qualité de ces parcours, afin d'améliorer durablement notre système de santé. La transformation de celui-ci impliquera évidemment de s'attaquer à la répartition territoriale entre médecine hospitalière et médecine libérale, qu'elle soit publique ou privée.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Madame la ministre, je vous entends. Nous avons certes fait des progrès en matière de pluridisciplinarité, de coopération entre médecins hospitaliers et médecins libéraux, mais cela ne suffit pas.

L'ARS me semble avoir une vision très administrative de la situation sur mon territoire. J'ai encore pu le vérifier vendredi soir lors d'une réunion où étaient présents les médecins hospitaliers de Saint-Gaudens, des médecins généralistes, des spécialistes, ainsi que des professionnels paramédicaux comme des kinésithérapeutes ou des infirmiers.

La création de postes d'assistants partagés s'est hélas ! concentrée sur l'hôpital, ce qui est un peu dommage. (Mme la ministre hausse les épaules.) Oui, madame la ministre, on manque vraiment de postes, c'est la réalité ! Nous sommes dans un domaine qui touche au régalien : ne l'oublions pas, c'est la sécurité de nos concitoyens qui est en jeu !

Aujourd'hui, des mesures d'urgence sont nécessaires. Je sais bien que leur mise en œuvre n'est pas facile et que les médecins supportent mal les contraintes, mais le préfet dispose d'un pouvoir de réquisition, qu'il a mis en œuvre concernant la profession pharmaceutique. La réalité, c'est que les gardes ne sont plus assurées aujourd'hui !

Plus de généralistes, qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que les pharmacies disparaîtront également. Cela ira d'ailleurs beaucoup plus vite qu'on ne le pense, puisqu'elles sont totalement dépendantes des prescriptions médicales. Et qui dit plus de pharmacies signifie plus de gardes demain. En effet, la profession pharmaceutique maintient heureusement un maillage territorial complet – j'en ai encore eu confirmation il y a peu auprès des deux principaux syndicats du secteur – et permet d'assurer des gardes pour les personnes qui ne parviennent pas à trouver de médecin.

Même si les pharmaciens travaillent alors sans ordonnance et agissent ainsi selon des modalités qui ne correspondent pas tout à fait aux règles ou aux usages en vigueur, l'essentiel reste quand même d'apporter une solution à ces personnes qui parcourent la campagne pendant toute une soirée à la recherche de médicaments pour leurs enfants ou des personnes âgées. Et encore, ils n'ont pas toujours de moyen de transport !

Quand on voit l'évolution de la situation depuis trente ans, on ne peut que dresser un constat d'échec, dont vous n'êtes d'ailleurs pas responsable, madame la ministre, car beaucoup de ministres vous ont précédée !

L'urgence aujourd'hui, c'est de prendre des mesures à destination des médecins retraités. J'en connais moi-même trois qui exercent toujours leur activité et qui cotisent à la CARMF, la Caisse autonome de retraite des médecins de France. Si on veut les encourager,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Médevielle. … il faudrait peut-être les inciter…

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Est-ce vraiment la priorité ? (Sourires.)

M. Pierre Médevielle. Ils ont tout de même un rôle à jouer, madame la ministre : ils sont tellement désolés de la situation qu'ils travaillent de six heures du matin à dix heures du soir !

Mme la présidente. Je remercie Mme la ministre des solidarités et de la santé de sa présence et je souhaite la bienvenue à Mme la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, ainsi qu'à M. le secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

- page 2406

Page mise à jour le