Question de M. GONTARD Guillaume (Isère - CRCE-R) publiée le 09/05/2019

M. Guillaume Gontard attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la situation précaire des mineurs étrangers non accompagnés.

Le décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019, censé « mieux garantir la protection de l'enfance et lutter contre l'entrée et le séjour irrégulier des étrangers », vient au contraire durcir la procédure d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille.

Il renforce une logique sécuritaire et de répression au lieu de garantir et d'organiser une protection de l'enfance efficace. Les difficultés d'accès aux mesures de protection de l'enfance, au droit à l'hébergement, à la formation et la scolarisation conduisent parfois à des situations de maltraitance dans les prises en charge de ces jeunes comme il a pu le dénoncer en saisissant le Défenseur des droits de graves dysfonctionnements constatés dans un centre d'hébergement pour mineurs à Saint-Clément-les-Places dans le Rhône.

Quand les départements n'arrivent plus à assurer leurs missions, il revient au Gouvernement de garantir un accueil et un accompagnement dignes pour ces enfants et adolescents, en conformité avec la loi et les engagements internationaux de la France.

Il l'interroge sur cette situation qui ne saurait perdurer.

- page 2468


Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'intérieur publiée le 03/07/2019

Réponse apportée en séance publique le 02/07/2019

M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d'État, depuis l'adoption de la loi Asile et immigration du 10 septembre 2018, les mesures de répression se sont renforcées pour tenter d'éloigner toujours plus les personnes étrangères de notre pays. Parmi les dispositions les plus choquantes, on trouve le doublement de la durée maximale de rétention, passant de 45 à 90 jours : aucun gouvernement français n'avait jusque-là proposé une telle durée de privation de liberté pour décourager les demandeurs d'asile.

Plus grave encore, cette politique répressive s'applique également aux mineurs. Depuis 2017, ce sont plus de 500 mineurs étrangers innocents qui ont été enfermés dans des centres de rétention administrative en France métropolitaine – un chiffre qui fait froid dans le dos.

Dans cette folie sécuritaire, le Gouvernement semble avoir oublié un principe fondamental : avant d'être des étrangers, des exilés, il s'agit d'enfants que nous devons protéger comme nos enfants.

La France se rend ici coupable d'une violation caractérisée des droits de l'enfant, comme en attestent les six condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'homme depuis 2012 à l'endroit de notre pays pour des mesures d'enfermement de mineurs.

Nous pourrions pourtant faire le choix d'un accueil digne, le choix de la fraternité, et accueillir dignement ces enfants en leur apportant un accès rapide et effectif à leurs droits, en faisant de la protection de l'enfance une priorité et en aidant les départements à renforcer les moyens dédiés à l'aide sociale à l'enfance, aujourd'hui à bout de souffle.

Ces difficultés d'accès aux droits conduisent parfois à des situations dramatiques de maltraitance caractérisée. J'ai pu le dénoncer récemment, en saisissant le Défenseur des droits sur les graves dysfonctionnements constatés dans un centre d'hébergement pour mineurs dans le département du Rhône.

Monsieur le secrétaire d'État, comment comptez-vous protéger ces enfants dans le respect de nos droits fondamentaux ? Comment comptez-vous garantir à ces enfants et adolescents un accueil digne, une information sur leurs droits, un hébergement, un accès aux soins et à la scolarité, en conformité avec la loi et les engagements internationaux de la France ? Comment comptez-vous répondre aux difficultés soulevées par les institutions chargées de la protection de l'enfance, confrontées à une lourdeur administrative doublée d'un manque de moyens criant pour mettre à l'abri et accompagner ces enfants ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, le nombre de personnes évaluées comme mineurs non accompagnés et confiés aux services de protection de l'enfance a fortement augmenté ces quatre dernières années, passant de 5 590 en 2015 à 17 022 en 2018.

Toutefois, ces chiffres ne rendent qu'imparfaitement compte de la situation. Ainsi, en 2017, les départements ont estimé avoir procédé à 54 000 évaluations de minorité pour moins de 15 000 personnes en besoin de protection, la plupart des demandeurs étant évalués comme majeurs, je tiens à le rappeler. La quasi-totalité des départements ont fait part de la saturation de leurs dispositifs d'évaluation et de prise en charge, avec des incidences sur la qualité du service rendu par les services de la protection de l'enfance.

Un dialogue entre l'État et les départements a permis d'aboutir, le 17 mai 2018, à un accord qui renforce l'engagement financier et opérationnel de l'État à leurs côtés. Ainsi, l'État apportera une aide financière concentrée sur la phase d'accueil et d'évaluation, avec 500 euros par jeune à évaluer. S'y ajouteront 90 euros par jour pour l'hébergement pendant quatorze jours, puis 20 euros du quinzième au vingt-troisième jour.

L'État apportera également un appui à l'évaluation de la minorité, dont vous n'avez absolument pas parlé dans votre question, monsieur le sénateur, alors que c'est le cœur du problème. À cette fin, le décret du 30 janvier 2019, pris après avis public de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, prévoit un traitement de données biométriques des personnes se déclarant mineures. Cet outil permettra ainsi de lutter contre les personnes majeures se présentant dans différents départements. Le dispositif présente toutes les garanties de nature à protéger les données personnelles des personnes concernées.

La procédure d'évaluation sera fiabilisée et les délais seront réduits pour accélérer le placement des mineurs et éviter le détournement de la protection de l'enfance, afin de recentrer les moyens sur ceux qui en relèvent effectivement.

L'État mène les actions nécessaires pour traiter la problématique de manière globale, de la lutte contre les filières à l'admission au séjour des jeunes qui sont pris en charge. Chaque personne évaluée mineure bénéficie d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance pour faciliter son intégration dans la société française.

Enfin, l'État organise une répartition des étrangers reconnus mineurs. Il apporte un financement complémentaire dans le respect de la politique décentralisée de la protection de l'enfance.

Tels sont les éléments de réponse que je pouvais vous apporter, monsieur le sénateur. Pour répondre à l'une de vos interrogations, je vous rappelle – mais vous ne pouvez l'ignorer – que les conditions de rétention des mineurs sont extrêmement encadrées et que cette rétention demeure tout à fait exceptionnelle.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d'État, je me suis rendu sur place pour évaluer les conditions d'encadrement des mineurs dont vous parlez.

Pour l'instant, la seule réponse apportée par l'État est une fermeté aveugle destinée à durcir de manière abusive les procédures d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, procédures invalidées à plusieurs reprises par les tribunaux, lesquels mettent en évidence le caractère douteux des méthodes utilisées, notamment les tests osseux.

Monsieur le secrétaire d'État, il est temps que la France fasse vivre la devise de sa République et se conforme aux engagements de la Convention internationale des droits de l'enfant. C'est simple : il suffit d'interdire l'enfermement des mineurs et de garantir un accès effectif à leurs droits. En effet, hormis la communication gouvernementale, on distingue mal ce qui différencie votre politique de celle qui est conduite de l'autre côté des Alpes…

- page 10652

Page mise à jour le