Question de Mme BENBASSA Esther (Paris - CRCE-R) publiée le 30/07/2020

Mme Esther Benbassa attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la situation hautement préoccupante subie par les Ouïghours, minorité musulmane habitant majoritairement dans la région du Xinjiang et qui est aujourd'hui sujette à des persécutions inacceptables de la part des autorités pékinoises.
Depuis la fin des années 1990, le parti communiste chinois entend lutter contre trois menaces : le séparatisme, l'extrémisme et le terrorisme. Dès 2014, l'État chinois accuse les Ouïghours de ces trois maux en raison de leur appartenance religieuse et de leurs pratiques culturelles. Justifiant son action par la nécessité de lutter contre l'islamisme radical, il construit des camps de « rééducation », visant à enfermer de manière préventive les populations ouïghoures, accusées de radicalisme politique et religieux.
Dans ces camps, les prisonniers se voient refuser le droit à la pratique de leur religion et doivent apprendre l'hymne chinois ainsi que des chants révolutionnaires communistes. Ils sont forcés à boire de l'alcool et manger du porc. S'ils refusent de se conformer à ces exigences, ils subissent des tortures corporelles et les femmes font l'objet de violences sexuelles. Victimes d'un véritable lavage de cerveau, la quasi-intégralité des personnes libérées de ces camps (98,8 % selon une étude chinoise) disent avoir « compris leurs erreurs et désirent changer de mode de vie ». La plupart des détenus avaient pourtant à l'origine été internés arbitrairement et sans motif.
La Chine utilise par ailleurs ces prisonniers comme une main-d'œuvre contrainte, qui permet à l'État chinois d'exploiter les ressources du Xinjiang. 130 organisations non gouvernementales (ONG) ont déjà dénoncé les dizaines de multinationales occidentales qui collaborent avec les autorités locales et participent de fait au travail forcé des détenus ouïghours.
Selon Human Rights Watch, entre 1 et 3 millions d'Ouïghours sont actuellement enfermés dans ces camps. Ces populations sont déportées dans des trains affrétés par les autorités gouvernementales chinoises. Plusieurs ONG parlent désormais de camps de concentration.
C'est une sinisation forcée quotidienne qui est à l'œuvre dans le Xinjiang. Tout est fait pour anéantir la culture ouïghoure par la destruction de leurs lieux de culte, l'interdiction de parler leur langue, de porter la barbe pour les hommes ou encore la prohibition pour les parents de donner un prénom musulman à leur enfant.
Il a par ailleurs été démontré que les autorités chinoises procèdent à des stérilisations forcées des femmes ouïghoures. Pour preuve, 80 % des stérilets posés en Chine le sont dans le Xinjiang.
Cette démarche est accompagnée d'une tentative d'assimilation de la région par Pékin, qui y a encouragé la migration massive de Chinois de l'ethnie han, majoritaire à l'échelle du pays. En 2018, le Xinjiang comptait plus de dix millions de Chinois han, contre seulement 20 000 en 1949. En raison de ce processus de peuplement, ils forment aujourd'hui 40 % de la population locale, pour 46 % d'Ouïghours. A terme et couplé à une campagne de stérilisation menée par l'État chinois à leur encontre, les Ouighours pourraient être mis en minorité dans la région et progressivement décimés.
L'objectif des autorités chinoises est clair : éradiquer l'identité ouïghoure par la rééducation, l'assimilation et la stérilisation. C'est à une épuration ethnique qu'on assiste ces dernières années. Face à cette atteinte inacceptable aux droits de l'homme, la France ne peut plus se contenter d'exprimer seulement sa désapprobation par le biais des Nations unies.
Ainsi, elle lui demande quels moyens diplomatiques la France compte utiliser, de manière unilatérale ou multilatérale, afin que ces exactions à l'encontre de la population ouïghoure prennent fin avant qu'on n'assiste à l'éradication de cette minorité ethnique et religieuse.

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 01/10/2020

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est particulièrement préoccupé par l'ensemble des témoignages et documents relayés par la presse sur les camps d'internement et le travail forcé au Xinjiang, et plus globalement sur le système répressif mis en place dans cette région. Le rapport d'Adrian Zenz faisant état de cas de stérilisation forcée a été examiné avec la plus grande attention. À chaque fois qu'elle en a eu la possibilité, la France s'est exprimée sur ce sujet, en particulier dans les enceintes de l'ONU, notamment au Conseil des droits de l'Homme (CDH) pour dénoncer cette situation, demander la fermeture des camps d'internement au Xinjiang et exhorter la Chine à y inviter le bureau de la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme et les experts des procédures spéciales. Lors de la 44ème session du CDH, la France a ainsi appelé la Chine à mettre fin aux détentions de masse dans les camps d'internement au Xinjiang et y permettre l'accès des observateurs indépendants internationaux, dont la Haute-Commissaire aux droits de l'Homme, et a signé la déclaration transrégionale prononcée par le Représentant du Royaume-Uni condamnant la politique de répression menée actuellement par la Chine au Xinjiang. La France rappelle aux autorités chinoises leurs engagements internationaux, y compris la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme, qui enjoint aux Etats parties de prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. La définition internationalement agréée de la traite des êtres humains, contenue dans le protocole à la Convention de Palerme, comprend explicitement le prélèvement d'organes, qui doit donc être réprimé par tous les États parties. Les contacts bilatéraux sont également l'occasion de soulever ces sujets auprès de nos interlocuteurs chinois. À ce titre, la situation des droits de l'homme en Chine a fait l'objet d'un dialogue franc lors de la visite du Président de la République en Chine du 4 au 6 novembre 2019, et lors des échanges du ministre de l'Europe et des affaires étrangères avec son homologue en 2020. Sur la question des sanctions, la France privilégie une approche unifiée au niveau de l'Union européenne.

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