Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE) publiée le 25/02/2021

M. Fabien Gay attire l'attention de M. le ministre des outre-mer sur les conséquences dramatiques de l'utilisation de produits phytosanitaires, dont la toxicité était pour certains connue comme le chlordécone, pour les ouvriers agricoles et leurs familles en Martinique et en Guadeloupe.
En effet, le chlordécone, principe actif de plusieurs marques de produits phytosanitaire, a été utilisé en Martinique et en Guadeloupe sur les plantations de bananes de 1972 à 1993. Or, l'État français est responsable de ne pas avoir interdit l'utilisation de ce produit, dont la toxicité était suspectée dès 1968 par la commission d'étude de la toxicité des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture qui préconisait son interdiction, et connue avec certitude dès 1976 aux États-Unis suite à un accident. Or, ce n'est qu'en 1990 que l'utilisation du chlordécone est interdite en France, avec dérogation d'utilisation pour les Antilles jusqu'en 1993.
L'utilisation de ces produits a entraîné une pollution massive des sols, pour une durée pouvant aller jusqu'à sept siècles, des nappes phréatiques et des rivières. La contamination s'est étendue aux eaux côtières, entraînant des interdictions de pêche et obligeant près de six cent marins pêcheurs martiniquais à aller pêcher au large. Elle est également responsable de pathologies chroniques et létales chez ceux qui y ont été exposés. En effet, la situation sanitaire est aujourd'hui dramatique pour les ouvriers agricoles et leurs familles. On ne compte plus les familles décimées par des cancers, principalement du sein ou de la prostate mais également de l'utérus ou encore des os, les maladies neuro-dégénératives, les insuffisances rénales, les polyarthrites-rhumatoïdes, les cas de prématurité du fait de l'action de perturbateur endocrinien du chlordécone, de stérilité, etc. Plus exactement, on ne les compte pas, puisque les tests de détection des molécules des produits phytosanitaires sont chers, de 72 à 140 euros pour une seule molécule, et ne sont toujours pas remboursés par la sécurité sociale. Les ouvriers agricoles touchent par ailleurs des retraites extrêmement faibles, notamment du fait d'une absence de déclaration sociale des grands propriétaires terriens, et sont donc confrontés à une très grande précarité.
Les quatre plans chlordécone, loin d'apporter réparation et prise en charge, ont complètement laissé de côté les premiers concernés par les effets de ce produit délétère, à savoir les ouvriers agricoles qui les manipulaient ou en subissaient directement les épandages par avion puis par hélicoptère, le tout sans aucun matériel de protection. S'ajoute à cela le fait que le chlordécone n'est pas la seule substance qui a été utilisée, et que des « cocktails » de produits étaient réalisés.
Il souhaite donc que les injustices criantes soient enfin reconnues et leurs effets, assumés, a minima par la prise en charge de tous les frais médicaux des ouvriers agricoles actifs ou retraités, ainsi que de leurs ayant-droits, la revalorisation de leurs retraites, la mise en œuvre d'une campagne de dépistage massive et l'interdiction totale de l'utilisation de produits phytosanitaires et tout autre produit toxique en Guadeloupe et en Martinique en raison de la pollution déjà extrême et de l'exiguïté des territoires.

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Réponse du Ministère des outre-mer publiée le 17/06/2021

La pollution par la chlordécone, pesticide utilisé en Guadeloupe et en Martinique de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon noir du bananier, constitue par son ampleur et sa persistance dans le temps un enjeu sanitaire, environnemental, social, agricole et économique pour les Antilles. À l'issue d'un processus de co-construction avec les acteurs locaux et d'une large consultation publique, le Gouvernement a adopté le plan Chlordécone IV 2021-2027. Il a été présenté lors des comités de pilotage locaux en Guadeloupe et en Martinique, les 24 février et 3 mars 2021.  L'ambition de ce plan est d'agir en commun – Etat, collectivités locales et société civile – pour protéger au mieux la population antillaise face à cette pollution, et pour prendre en charge les impacts liés à cette pollution. Il traduit également les engagements du président de la République lors de son déplacement aux Antilles en septembre 2018. Le plan Chlordécone IV vise ainsi à poursuivre et à renforcer les mesures déjà engagées pour réduire l'exposition des populations à la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, ainsi qu'à déployer des mesures d'accompagnement adaptées, tout en veillant à répondre aux besoins de la population. Pour cela, le budget prévisionnel du plan Chlordécone IV est inédit avec 92 millions d'euros, soit la somme des budgets mobilisés pour les trois plans précédents. Le plan Chlordécone IV s'articule autour de six stratégies permettant de couvrir l'ensemble des enjeux et priorités d'action. Plusieurs actions sont déjà engagées pour améliorer la prévention et la prise en charge des maladies professionnelles en lien avec l'exposition à la chlordécone et autres pesticides. Le fonds d'indemnisation est, à ce titre, ouvert depuis fin 2020 pour les salariés, exploitants agricoles actifs, retraités et enfants exposés de façon prénatale. Les ouvriers et exploitants agricoles atteints de la maladie de Parkinson et du lymphome non hodgkinien peuvent d'ores et déjà bénéficier de la présomption d'origine au titre des deux tableaux existant dans le régime agricole. De plus, les discussions ont commencé au sein des instances paritaires pour examiner l'inscription du cancer de la prostate dans le tableau des maladies professionnelles liées à l'exposition à la chlordécone. La consultation des partenaires sociaux sur la restitution des résultats de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail, est par ailleurs engagée au sein des commissions paritaires compétentes. Les partenaires sociaux doivent rendre leur avis sur la création d'un tableau des maladies professionnelles en 2021. La sensibilisation des professionnels de santé à la détection de l'origine potentiellement professionnelle des maladies sera amplifiée dès cette année. Les consultations médicales en toxicologie sont déjà ouvertes au centre hospitalier universitaire de la Martinique. Les travailleurs agricoles peuvent ainsi consulter leur médecin afin qu'ils les y orientent en cas de besoin. Les publics prioritaires au regard de leur vulnérabilité ou risque d'exposition à la chlordécone peuvent désormais bénéficier d'un dosage gratuit de la chlordécone dans le sang. Cette démarche prévoit un accompagnement et des conseils adaptés en fonction des résultats observés, pour réduire les expositions à la chlordécone.  Par ailleurs, le plan Chlordécone IV prévoit de poursuivre l'amélioration des connaissances globales sur les impacts de la chlordécone et d'autres pesticides, de promouvoir une alimentation locale saine et durable pour tendre vers le « zéro chlordécone » et d'accompagner les professionnels de la pêche et de l'agriculture. Une directrice de projet a été nommée pour veiller à la mise en œuvre de ce plan et à sa déclinaison en lien étroit avec les acteurs locaux. Elle rédigera chaque année un bilan adressé au Premier ministre et veillera à une information transparente du grand public sur les dispositions du plan et l'état d'avancement de sa mise en œuvre. Enfin, les territoires ultramarins sont pleinement impliqués dans la transition agro-écologique visant à réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques, déjà fortement réglementé, au travers du plan Ecophyto II+. Il s'agit de promouvoir auprès des agriculteurs ultramarins de nouvelles pratiques agricoles pour garantir aux populations l'accès à une alimentation locale, saine et durable.  

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