Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE) publiée le 01/04/2021

M. Fabien Gay attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur l'incompatibilité du traité sur la charte de l'énergie (TCE) avec les objectifs climatiques de l'Union européenne.
En effet, le TCE protège les investisseurs, et notamment dans les énergies fossiles, des choix et des changements de politiques que peuvent opérer les États qui en sont signataires.
Or ce texte, comprenant 53 pays signataires, et dont font partie l'Union européenne ainsi que ses États-membres à l'exception de l'Italie, est entré en vigueur en 1998, dans un contexte géopolitique fort différent de celui que connaît l'Europe actuellement. L'objectif était alors la sécurisation de l'approvisionnement énergétique.
La conférence des Nations unies sur le commerce et le développement a depuis recensé 135 cas de litiges permis par le TCE, pour des compensations accordées par les États à hauteur de 55 milliards d'euros.
Cependant, le TCE n'intègre pas les objectifs climatiques et, à ce titre, et au regard de l'urgence climatique et environnementale auxquelles est confrontée la planète, il est aujourd'hui obsolète. Car les états membres de l'Union européenne, avec le « pacte vert », se sont fixé l'objectif de neutralité carbone pour 2050.
Fait d'autant plus inquiétant, le TCE prime sur les autres traités ou accords, qui ne peuvent être invoqués pour casser une plainte, ainsi par exemple l'Accord de Paris. Par ailleurs, pour réformer le TCE, l'unanimité est nécessaire.
En réponse à une question écrite d'un parlementaire, le commissaire européen au commerce n'excluait pas la possibilité de proposer la sortie de ce traité, sans pour autant aller vers une formulation proactive. Enfin, lorsqu'un État se retire de ce traité, il reste lié par ses engagements pendant encore vingt ans.
Il demande donc à ce que la France porte l'objectif de la sortie du TCE, à la fois en tant qu'État signataire, mais également au niveau de l'Union européenne, afin de permettre la pleine et urgente mise en œuvre de politiques visant à l'atteinte des objectifs en matière de lutte contre le changement climatique.

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 10/06/2021

La France partage les préoccupations relatives au Traité sur la charte de l'énergie (TCE) qui doit impérativement être réformé en profondeur. C'est le sens du processus de modernisation de ce traité engagé en 2018. La France s'est fortement impliquée dans l'élaboration du mandat qu'a adopté l'Union européenne (UE) pour ces négociations, à l'été 2019. Ce mandat est clair, le TCE doit être largement refondé et cette refonte doit porter sur deux priorités : - une modernisation de son mécanisme de règlement des différends investisseur-État, qui n'est plus en phase avec le modèle défendu par l'UE. La réforme de ce mécanisme, décrié par la société civile, doit consacrer le "droit de règlementer" de la puissance publique, en particulier dans le domaine de la transition énergétique. - l'indispensable alignement du TCE avec les exigences climatiques actuelles, en particulier celles de l'Accord de Paris. Le monde de l'énergie a profondément évolué depuis les années 1990, dominées par les énergies fossiles. L'Accord de Paris, conclu en 2015 et entré en vigueur en un délai record grâce à une ratification quasiment universelle, fixe un objectif clair de limitation de la hausse de la température mondiale d'ici la fin du siècle. Récemment, un nombre croissant de pays ont adopté un objectif de neutralité climatique, à la suite de l'UE qui avait montré la voie en décembre 2019. L'UE et ses États membres, qui représentent plus de la moitié des Parties au TCE, doivent défendre une ambition climatique accrue de ce Traité dans le processus de modernisation en cours. Cette ambition doit être cohérente avec le "Pacte vert" (Green deal) proposé par la Commission européenne et les objectifs renforcés de réduction des émissions que nous nous sommes fixés. Cependant, force est de constater que ce processus de modernisation n'a pas encore produit de résultats à la hauteur des attentes formulées par l'UE. Toutes les Parties ne partagent pas nos ambitions et le processus est marqué par des difficultés procédurales récurrentes (manœuvres dilatoires, niveau de représentation insuffisant, etc). Cinq cycles de négociations de modernisation ont déjà eu lieu, sans permettre de percée majeure. Prenant acte de ces difficultés, la France a envoyé, en décembre 2020, un courrier à la Commission européenne pour faire part de son insatisfaction quant au processus de modernisation en cours. Face à l'absence de perspective de conclusion satisfaisante de ces négociations à court ou moyen terme, la France a affirmé que l'option d'un retrait coordonné de l'UE et de ses États membres doit être évoquée publiquement et expertisée dans ses modalités. Cette option n'est pas encore majoritaire, et notre travail de conviction doit se poursuivre, en direction des autres États membres comme des institutions européennes. Nous pouvons compter sur le soutien du Parlement européen, qui s'est largement mobilisé sur ce sujet. Au sein du Conseil, l'Espagne a envoyé, en février dernier, un courrier à la Commission très proche de celui de la France, mentionnant l'option d'un retrait coordonné de l'UE et ses États membres. Cette forte convergence franco-espagnole s'est également illustrée lors du sommet bilatéral du 15 mars dernier. La France restera mobilisée au sujet du TCE, y compris par l'intermédiaire de son réseau diplomatique, afin de faire progresser ses vues dans les prochains mois.

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