B. LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS EN SITUATION DE FRAGILITÉ

Le retour de la croissance entraînant une augmentation importante de la consommation a quelques peu occulté la persistance des problèmes d'exclusion sociale d'une frange de la société française. Ces situations de détresse demeurent. C'est pourquoi la politique de la consommation doit continuer à protéger les consommateurs en situation de fragilité.

1. La mise en oeuvre de la réforme du dispositif de lutte contre le surendettement

La mise en oeuvre de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, qui a réformé la procédure de traitement des situations de surendettement, tente de répondre, sur ce point, aux préoccupations de votre commission et de son rapporteur pour avis.

Les dernières statistiques annuelles disponibles confirment la poursuite de la croissance du nombre de ménages en situation de surendettement.

En 1999, les commissions de surendettement ont été saisies de 142.223 demandes d'ouverture de la phase amiable de la procédure, chiffre en augmentation de 21 % par rapport à l'année précédente. De 1994 à 1999, le nombre de dossiers déposés devant la Commission de surendettement est passé de 68.883 à 142.223, soit une croissance de plus de 50 %.

BILAN NATIONAL DE L'ACTIVITÉ DES COMMISSIONS DE SURENDETTEMENT PAR ANNÉE CIVILE

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Cumul depuis le 1 mars 1990 à fin 1999

Dossiers déposés en phase amiable

68 863

68 608

70 112

86 999

95 756

117 854

142 223

872 494

Dossiers recevables

57 003

59 000

56 400

71 588

80 161

94 349

107 062

705 190

Plans conventionnels

32 934

37 280

32 131

43 357

55 971

62 677

67 599

418 232

Constats de non-accord

19 618

22 065

16 549

19 606

19 350

20 697

22 586

205 903

Taux de réussite

63

63

66

69

74

75

75

67

Dossiers clos

9 317

8 895

6 847

10 865

12 859

14 118

18 554

112 288

Dossiers traités en phase amiable

68 472

73 930

60 307

79 555

94 842

104 954

117 228

805 012

Taux de traitement en phase amiable

98

106

85

91

99

89

82

91

Stock restant à traiter en phase amiable à la fin de l'année

21 568

17 612

28 170

35 616

36 550

49 430

74 425

Demandes de recommandation

-

-

9 381

16 262

15 798

16 799

17 952

76 192

Recommandations élaborées

-

-

4 135

17 064

16 408

15 921

17 130

70 658

Recommandations homologuées

-

-

1 062

11 246

11 131

11 321

11 314

46 074

Recommandations restant à traiter à la fin de l'année

-

-

5 125

3 488

2 244

2 703

3 154

Source : Bulletin de la Banque de France - n° 76 (avril 2000) Outre cette aggravation quantitative du surendettement, on assiste, comme l'a souligné le rapport du groupe de travail du Sénat sur le surendettement 7 ( * ) , à un changement de nature du phénomène.

Les personnes visées par la loi de 1989 étaient essentiellement ce qu'on appelle parfois des " surendettés actifs ", c'est-à-dire des ménages qui s'étaient endettés au-delà de leur capacité de remboursement.

Or, depuis 1993, le nombre de " surendettés passifs ", c'est-à-dire de ménages surendettés à la suite d'une chute de leur revenu tend à augmenter. Cette croissance du " surendettement passif ", qui révèle la fragilité de certains de nos concitoyens face au chômage et aux accidents de la vie, explique la proportion croissante de situations désespérées, caractérisées par l'absence durable de capacité de remboursement et plus généralement de ressources.

En 1999, cette tendance s'est poursuivie malgré le retour de la croissance. Faute de revenus suffisants de la part des débiteurs, les commissions de surendettement ont dû recourir de plus en plus fréquemment à la procédure de moratoire. Or, compte tenu du peu de cas d'amélioration des situations des débiteurs, les moratoires une fois écartés, les dossiers difficiles ont, comme les années précédentes, été déposés de nouveau auprès des commissions qui n'ont guère eu d'autre solution que de proposer un nouveau moratoire.

Dans ces conditions, le stock de dossiers restant à traiter n'a fait que croître, passant de moins de 21.568 en 19932 à 74 425 en 1999.

L'augmentation du nombre de dossiers en instance en 1999 et 2000 est partie liée aux effets des dispositions d'effacement des dettes fiscales décidées par le Gouvernement en septembre 1999.

Il convient de rappeler que l'effacement des dettes fiscales est réservé à des personnes au chômage. " La situation de chômeur peut n'avoir affecté que l'un des époux dès lors que les revenus de l'intéressé concourent de façon significative aux ressources du ménage " 8 ( * ) . La situation de chômeur doit par ailleurs être " effective au jour de la demande et justifiée ". Deuxième condition : les personnes doivent avoir saisi une commission de surendettement avant le 1 er janvier 2000 et des mesures de règlement doivent avoir été arrêtées. Si un plan ou un moratoire est mis en place, tous leurs arriérés d'impôts seront automatiquement effacés. Les services fiscaux se réservent toutefois la possibilité d'écarter les personnes qui disposeraient d'un patrimoine autre que l'habitation principale et celles qui ne sont pas de bonne foi (contribuables ayant commis des irrégularités fiscales pour lesquelles la mauvaise foi a été retenue).

Il reste que l'engorgement des commissions de surendettement pourrait illustrer les limites de la réforme adoptée en 1998, dont le bilan s'avère par ailleurs positif.

Cette réforme a essentiellement permis aux débiteurs dont les ressources sont notoirement insuffisantes de bénéficier de mesures plus adaptées. Les principales modifications portent sur les points suivants :

- une modification de la structure des commissions de surendettement . Cette modification a introduit parmi les membres des commissions les directeurs des services fiscaux du département, dont la présence facilite la prise en compte de la situation du débiteur surendetté au regard de ses dettes fiscales, dans l'élaboration des projets de plans d'apurement des dettes.

- le maintien d'un minimum vital au débiteur surendetté. La loi du 28 juillet 1998 a donné une nouvelle définition des modalités d'évaluation de la part des ressources du débiteur nécessaire aux dépenses générées par une vie décente. Elle institue également une quotité insaisissable du salaire, égale au montant de ressources dont disposerait le salarié s'il ne percevait que le revenu minimum d'insertion. La part des ressources du débiteur devant être laissée à sa disposition pour lui permettre de faire face aux dépenses de la vie courante devra ainsi donner lieu à une mention dans le plan conventionnel de redressement. Il devrait en résulter une amélioration de la situation des surendettés durant le déroulement de la période d'apurement de son passif et un plus grand réalisme des plans de redressement.

- une information de la commission par le débiteur surendetté. Est également ouvert pour le débiteur surendetté le droit de demander à être entendu par la commission de surendettement. Ces dispositions améliorent l'information de la commission et facilitent la communication entre le débiteur et celle-ci. Il est ainsi possible audit débiteur, à sa demande, d'expliquer sa situation et l'origine de celle-ci, autrement que par les mentions portées sur la déclaration de surendettement qu'il aura remplie lors de la saisine de la commission.

- une organisation des contestations des dettes du débiteur et une vérification des créances. La loi d'orientation contre l'exclusion a introduit dans le code de la consommation plusieurs dispositions organisant le droit de contestation du débiteur surendetté. En premier lieu, la commission doit informer celui-ci de l'état du passif qu'elle a dressé, au vu des éléments produits par les parties. A compter de cette information, le débiteur dispose d'un délai de vingt jours pour lui demander de saisir le juge de l'exécution aux fins de vérification de la validité des titres de créance et du montant des sommes réclamées, en indiquant les créances contestées et les motifs qui justifient sa demande. La connaissance plus complète de l'état du passif du débiteur surendetté résultant du dispositif mis en place permet l'élaboration de plans de redressement plus rigoureux et opposables à tous.

- une suspension des procédures d'exécution en cas d'urgence. La loi du 26 juillet 1998 introduit la possibilité pour le président de la commission, son délégué, le représentant local de la Banque de France et le débiteur de saisir le juge de l'exécution aux fins de suspension des procédures d'exécution diligentées contre ce dernier. Ces nouvelles dispositions permettent dans certains cas un prononcé d'ordonnances de suspension de procédure d'exécution dans des très brefs délais.

- La prise en compte des situations les plus graves pour les débiteurs insolvables, dont l'absence de ressources ou de biens saisissables fait obstacle à l'apurement de tout ou partie de la dette. La loi prévoit le prononcé d'un moratoire, puis à l'expiration de celui-ci, le prononcé éventuel d'une mesure de réduction ou même d'effacement des créances du débiteur. Principale modification introduite par la loi du 26 juillet 1998, cette nouvelle procédure permet au débiteur de reprendre pied sur le plan économique et d'éviter les impasses auxquelles le dispositif précédent conduisait les personnes les plus démunies.

Votre rapporteur estime que cette réforme ne pourra pleinement porter ses fruits que si on met un terme à l'engorgement des commissions de surendettement. Elle invite les pouvoirs publics à trouver des solutions pour renforcer les moyens de ces commissions et simplifier les procédures.

2. La prévention du surendettement

Votre commission avait souligné l'année dernière combien il était nécessaire de mettre en place des actions de prévention du surendettement en direction des publics en situation de fragilité.

Dans ce domaine, il lui apparaît également utile d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de mieux encadrer le recours aux crédits renouvelables.

L'examen des dossiers de surendettement fait, en effet, apparaître combien les comptes renouvelables sont, pour les personnes en difficulté, un facteur de risques. Ces consommateurs ont parfois du mal à saisir les caractéristiques et les conséquences financières de ces crédits de trésorerie, alors même que ceux-ci peuvent être obtenus très rapidement sur un simple appel téléphonique.

Votre commission des affaires économiques partage le point de vue des associations de consommateurs qui réclament une amélioration de l'information sur le fonctionnement des crédits renouvelables. Elle souhaite également que la reconduction annuelle de ce type de crédit ainsi que l'ouverture de nouvelles tranches de crédit fassent l'objet d'une approbation formelle du consommateur et soient l'occasion d'une information détaillée des clients sur les conséquences financières des choix effectués et sur la possibilité de refuser ces nouveaux crédits.

Dans cette perspective, votre commission se félicite de l'adoption par le CNC, dont elle souhaite souligner la qualité des travaux, d'un avis sur la publicité en matière de crédits à la consommation et de crédits renouvelables. Il est, en effet, indispensable que les professionnels et les consommateurs s'accordent sur la nécessité de mieux informer les détenteurs de crédits renouvelables.

3. Les négociations en cours sur le service bancaire de base

La protection des consommateurs en situation de fragilité passe également par la définition d'un service bancaire de base gratuitement accessible à tous.

La définition de ce service de base est l'un des objectifs du comité consultatif des usagers des services bancaires présidé par Benoît Jolivet et mis en place l'automne dernier, à la demande des pouvoirs publics.

La réglementation actuelle sur les dépôts à vue et les services bancaires ne pouvant être maintenue avec l'introduction de l'euro, le groupe présidé par Benoît Jolivet, Président du comité Consultatif du Conseil National du Crédit et du Titre, et composé de représentants des consommateurs et de la profession bancaire, devait définir une nouvelle relation entre les banques et les clients.

Les travaux du groupe ont d'abord concerné l'analyse des relations entre les banques et les consommateurs dans leurs dimensions juridique, économique et financière. Le groupe a souhaité également intégrer dans sa réflexion les évolutions technologiques, notamment celles relatives au développement des services de la société de l'information, et l'évolution du cadre juridique communautaire.

Au terme de ce travail d'analyse extrêmement riche, le groupe s'est engagé, à la fin de l'année 1999, dans une phase de négociation effective. Le débat s'est ainsi porté sur le cadre juridique des relations entre banques et clients, les consommateurs demandant l'application de trois articles du code de la consommation ne s'appliquant pas encore aux banques : article L 113-3 relatif à l'obligation d'affichage des prix et des conditions de vente, article L 121-35 relatif à l'interdiction des ventes avec primes et article L 122-1 portant sur le refus de vente et l'interdiction des ventes liées.

La concertation au sein du groupe s'est poursuivie en 2000 à propos du service bancaire de base. L'abandon de la gratuité pour tous les comptes courants, qui semble actuellement envisagé, risque d'accroître le problème de l'accès des plus démunis de nos concitoyens et de leur intégration financière dans notre société.

En effet, les difficultés qu'ils rencontrent pour obtenir des prestations bancaires de base vont se trouver aggravées quand il leur faudra, en plus, payer pour pouvoir prétendre en bénéficier. Même une faible contribution est en effet de nature à obérer les comptes de personnes dont la vie quotidienne est parfois gérée au franc près.

La loi contre l'exclusion de 1998 a, certes, instauré un dispositif visant à faire participer tous les établissements financiers à l'accueil des plus pauvres. Ce dispositif ne vise que les personnes dépourvues de compte, et suppose que toute personne à qui l'ouverture d'un compte aura été refusée saisisse la Banque de France pour se voir attribuer une banque.

Dans ces conditions la définition d'une service bancaire de base est devenue une nécessité. L'UFC-Que Choisir et les associations de consommateurs (AFOC, CLCV, CNAFAL, CSF, Familles de France, Familles rurales, ORGECO, UFCS et UNAF) ont cependant quitté le groupe de travail en avril dernier devant le refus de principe des banques sur la mise en place d'un service bancaire de base gratuit pour tous. Cette demande était notamment justifiée par l'obligation qu'ont les consommateurs de disposer d'un compte bancaire pour y déposer leurs revenus. Les banques proposent non seulement un service de base bancaire payant, y compris pour les plus démunis (allocataire du RMI par exemple) mais elles excluent également de son contenu la mise à disposition de moyens de paiement courants (chèque et carte de paiement). Confrontées à ces refus, les associations de consommateurs n'ont pas souhaité cautionner la future politique tarifaire de banques où tous les services seront payants.

Le débat s'est déplacé au Parlement, où de nombreuses propositions de loi définissant le service bancaire de base ont déjà été déposées.

Notre collègue Gérard Larcher a, entre autres, présenté une proposition de loi instaurant un service universel bancaire garantissant la fourniture gratuite des prestations bancaires de base. Il en fait reposer le financement sur l'ensemble des établissements offrant ces prestations au public.

Cette proposition ouvre ce service universel à tous, sans le limiter aux plus démunis, dans le but, d'une part, de ne pas engendrer des phénomènes de " ghetto financier " et, d'autre part, de ne pas construire un mécanisme trop complexe à gérer.

Elle cantonne le service universel bancaire aux prestations indispensables à l'intégration financière de toutes les catégories de la population afin d'en limiter l'intérêt aux seules personnes qui en ont réellement besoin et d'en garantir un coût de fonctionnement raisonnable.

Elle refuse d'y inscrire les chèques autres que ceux dont le paiement est garanti par l'établissement émetteur (chèque de banque) pour, là encore, éviter d'en accroître inutilement le coût mais, aussi et surtout, pour ne pas favoriser l'emploi d'un " moyen de paiement à risque " par des personnes exposées à des difficultés financières.

Votre commission se félicite de ce que cette proposition de loi ait pu être adoptée lors de la discussion du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques sous forme de trois amendements de MM. Gérard Larcher, Pierre Hérisson, François Trucy et Louis Althapé, qui reprennent l'essentiel de ses dispositions.

Votre rapporteur pour avis, quant à elle, regrette que le dispositif adopté ait été limité aux seuls titulaires du RMI, de l'allocation spécifique solidarité, du minimum vieillesse ou de l'allocation adulte handicapé. Elle souhaite que l'Assemblée Nationale et le Gouvernement saisissent l'occasion de ces amendements pour définir dans la loi un service universel bancaire gratuit.

* 7 Groupe de travail commun à la Commission des lois et à la Commissions des Finances, chargé de dresser un bilan de l'application de la législation sur le surendettement des particuliers et des familles. Rapport d'information n° 60 (1997-1998) par MM. Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant : " Surendettement : prévenir et guérir ".

* 8 Instruction du 13 octobre, Bulletin officiel des impôts n°190, 14 octobre 1999.

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