B. L'AMORCE D'UNE RÉFORME DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE : UNE NOUVELLE LOGIQUE POUR LA VALIDATION DES ACQUIS

Le projet de loi de modernisation sociale a pour objet de permettre aux actifs de faire valider les acquis de leur expérience sans avoir à les compléter par une formation.

Une telle validation des acquis devrait permettre d'acquérir un diplôme de l'éducation nationale ou un titre homologué par un ministère, par une chambre consulaire ou une branche professionnelle : on rappellera que les diplômes et titres délivrés chaque année selon ces diverses modalités représentent respectivement 70 %, 24 %, 5 % et 1 % du total.

Votre commission tient à rappeler que cette extension du droit à la validation des acquis faisait déjà l'objet d'une des propositions du rapport de Virville sur la réforme de la formation professionnelle, dont M. Jacques Barrot, ministre chargé du travail, avait passé commande en 1996.

La validation des acquis de l'expérience, et plus seulement professionnelle, a été présentée par le gouvernement comme un volet essentiel de la réforme de la formation professionnelle qui est notamment justifié par les considérations suivantes :

- plus du tiers de la population active ne bénéficie que d'une formation initiale très insuffisante ;

- le niveau de formation initiale des actifs n'est aujourd'hui plus en mesure de répondre aux mutations de plus en plus rapides de l'emploi et aux ruptures fréquentes de la vie professionnelle ;

- les compétences acquises au titre de l'expérience ne sont pas suffisamment prises en compte et reconnues par un titre ou un diplôme susceptible de consacrer l'insertion professionnelle et la promotion des intéressés.

Alors que selon notre tradition académique, l'école a vocation à délivrer un savoir, que ce savoir est officialisé par un diplôme, et que ce diplôme donne accès à un métier, le système proposé tend à inverser cette dialectique traditionnelle en reconnaissant, sous des conditions strictes, que les métiers, et l'expérience professionnelle, sont également sources de savoirs qui peuvent être sanctionnés par des titres et diplômes.

Sans méconnaître l'enjeu social et professionnel de la validation des acquis de l'expérience, qui répond aux besoins de l'individu et de l'entreprise, on mesurera la portée, et aussi les incertitudes, d'un dispositif qui se propose de valider, non pas des capacités professionnelles, mais des connaissances à partir de la seule expérience.

1. La validation des acquis : de la VAP à la VAE

Présentée à l'Assemblée nationale par la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle comme " une petite révolution qui va modifier le paysage même de la formation professionnelle dans le pays ", la validation des acquis est aussi, selon elle, " un outil central du droit individuel à la formation " qui fait l'objet des controverses sus rappelées entre les partenaires sociaux.

a) La validation des acquis professionnels (VAP) : un droit existant mais aujourd'hui peu exercé

Votre commission rappellera d'abord que le droit à la validation des acquis professionnels n'est pas nouveau puisque la vénérable loi du 10 juillet 1934 fixait déjà, de manière certes limitée, les conditions de délivrance et d'usage du titre d'ingénieur diplômé, en permettant sous des conditions strictes de délivrer ce titre à ceux qui ont exercé ce type de fonctions pendant une durée de cinq ans.

(1) Le décret du 23 août 1985 : l'accès à l'enseignement supérieur par la VAP

La première véritable reconnaissance de la validation des acquis professionnels résulte du décret du 23 août 1985. Celui-ci autorise des candidats à s'inscrire dans des formations universitaires sans posséder les titres ou diplômes normalement requis pour y accéder, après dispenses accordées par des commissions pédagogiques prenant en compte les études antérieures et l'expérience professionnelle des candidats.

Le décret du 23 août 1985 précise ainsi les conditions de validation des études, expériences professionnelles ou acquis personnels permettant aux intéressés d'accéder à certains niveaux de l'enseignement supérieur ; il autorise la validation des actions de formation, de l'expérience professionnelle acquise au cours d'une activité salariée ou non, d'un stage ainsi que les connaissances et aptitudes acquises hors de tout système de formation.

Dans ce cadre, seuls les acquis de la formation permettaient d'accéder au diplôme, l'expérience professionnelle ne pouvant être à elle seule reconnue.

(2) La loi du 20 juillet 1992 : l'obtention d'une partie d'un diplôme ou titre de l'enseignement supérieur ou de l'enseignement technologique par la VAP

La loi du 20 juillet 1992 relative à la validation des acquis professionnels pour la délivrance de diplôme et portant diverses dispositions relatives à l'éducation nationale , a institué un régime de validation des acquis professionnels en vue de la délivrance d'une partie d'un diplôme de l'enseignement supérieur ou d'une partie d'un titre ou diplôme de l'enseignement technologique.

Ce dispositif de 1992, complété par un décret du 27 mars 1993 était plus ambitieux que celui de 1985 puisqu'il accordait aux candidats à l'obtention de diplômes de l'enseignement supérieur et technologique une possibilité de dispense d'une partie des épreuves.

Cette dispense devait être délivrée par un jury prenant en compte l'expérience professionnelle du candidat, dont la durée devait être d'au moins cinq ans. La formation n'était donc plus un passage obligé pour une partie au moins du diplôme.

(3) Des dispositifs en fait peu utilisés

Force est d'observer que le dispositif initial de 1992 est passé presque inaperçu en dépit de la " révolution culturelle " qu'il constituait pour la population active, mais aussi pour l'éducation nationale. On peut d'ailleurs s'étonner que la loi de 1992 n'ait pas davantage été utilisée au cours des années de crise économique, ce qui aurait pu contribuer à faciliter le maintien en activité ou le retour à l'emploi d'une population active peu ou pas diplômée, exerçant souvent des responsabilités intermédiaires dans des entreprises, et ayant acquis souvent plus de vingt ans d'expérience professionnelle, qui aurait sans doute pu largement être validée par un diplôme.

En raison des conditions strictes posées pour l'obtention de titres ou de diplômes, ce double dispositif de validation n'a que faiblement réduit le quasi monopole de l'éducation nationale en matière d'acquisition des connaissances : les modestes résultats obtenus s'expliquent notamment par le fait que la validation des acquis professionnels, dans ce système, n'était ouverte qu'au terme de cinq années d'activité professionnelle, et n'était que partielle, puisqu'elle maintenait la nécessité de suivre le cursus d'une formation minimale au sein du système éducatif.

A titre d'exemple, on rappellera que seulement 10 900 salariés, en 1999, ont obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur ou professionnel grâce aux dispositifs de validation instaurés en 1985 et en 1992 : pour atteindre cet objectif, il leur a fallu suivre une formation " académique " supplémentaire et justifier de cinq ans d'expérience salariée pour obtenir des dispenses d'épreuves.

Dans la pratique, afin notamment de répondre à l'évolution rapide des technologies, la plupart des candidats ont préparé un diplôme supérieur court, BTS ou DUT, après avoir obtenu un baccalauréat professionnel par la VAP.

En revanche, s'agissant des salariés les moins diplômés, le recours à la validation des acquis a été beaucoup moins utilisé ; la difficile formalisation des expériences professionnelles à bas niveau de qualification, l'établissement d'un dossier privilégiant l'écrit et l'abstraction, les épreuves dites " fondamentales ", constituent autant de difficultés pour les candidats qui ne bénéficient pas d'un accompagnement suffisant de la part de l'éducation nationale.

En 1998, pour les diplômes de l'enseignement professionnel, seuls 3 000 candidats ont bénéficié des dispenses d'épreuves d'examen.

En dépit de ces résultats modestes, votre commission considère que la philosophie qui avait inspiré la loi de 1992 doit être préservée, notamment celle consistant à octroyer un droit individuel à la validation des compétences acquises qui répond à un besoin de promotion individuelle mais aussi aux besoins de l'entreprise, à une logique de gestion et de fluidité des ressources humaines.

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