B. QUEL PROJET DE LOI ET POURQUOI?

1. Une autonomie à consolider

Comme il a été vu, le décret du 10 mai 1985 relatif à l'IEP de Paris octroie des pouvoirs importants au conseil de direction, et son article 5 précise que ce dernier fixe notamment les conditions d'admission des élèves et l'organisation des études.

Une telle habilitation réglementaire est cependant fragile et susceptible d'être contestée au regard des dispositions législatives de l'ancien article 14 de la loi de 1984, désormais codifié à l'article L. 612-3 du code de l'éducation : en effet, au terme de cet article, les modalités de la sélection pour l'accès à certains établissements sont arrêtées par le ministre chargé de l'enseignement supérieur.

On rappellera pour mémoire que le premier alinéa de l'article L. 612-3 dispose que « le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat ... et que son troisième alinéa précise : « Les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection. Toutefois, une sélection peut être opérée, selon des modalités fixées par le ministre chargé de l'enseignement supérieur, pour l'accès aux sections de techniciens supérieurs, instituts, écoles et préparations à celles-ci, grands établissements au sens du titre I et du livre VII, et tous établissements où l'admission est subordonnée à un concours national ou à un concours de recrutement de la fonction publique ».

L'exposé des motifs du projet de loi indique que, « afin de donner une plus grande sécurité juridique à ce dispositif », il est proposé d'affirmer par la loi la compétence du conseil de direction de l'Institut en ajoutant un article L. 621-3 aux dispositions du code de l'éducation relatives aux missions respectives des instituts d'études politiques et de la Fondation nationale des sciences politiques.

Dans un souci de sécurisation, il est ainsi demandé au Parlement d'inscrire dans la loi l'article 5 du décret du 10 mai 1985, en tant que ses dispositions donnent compétence au conseil de direction de l'IEP de Paris pour fixer les conditions d'admission des élèves.

a) La reconnaissance législative de la spécificité de l'IEP de Paris

Le paragraphe I de l'article 12 conduit ainsi à faire une place singulière à l'IEP de Paris au sein de la catégorie des grands établissements, compte tenu notamment de son histoire, alors que la loi en vigueur ne prévoit des dispositions spécifiques que pour la FNSP, qui est chargée d'assurer la gestion financière et administrative de l'IEP, de déterminer ses moyens de fonctionnement et les droits de scolarité pour ses propres diplômes.

L'article 12 tend donc à reconnaître au plan législatif la spécificité de l'IEP en insérant dans le code de l'éducation un nouvel article L. 621-3, qui déroge aux dispositions du 3 e alinéa de l'article L. 612-3, et qui reconnaît une compétence générale au conseil de direction pour fixer les conditions et modalités d'admission aux formations propres à l'institut : ledit conseil déterminerait ainsi les critères et les procédures destinées à assurer la sélection et le recrutement des élèves appelés à suivre la scolarité de l'IEP, sanctionnée par le diplôme ou par le certificat d'études politiques délivré par l'IEP de Paris ; la compétence du conseil de direction ne s'étendrait pas, en revanche, à la définition des conditions d'admission spécifiques pour les étudiants souhaitant poursuivre des études sanctionnées par un diplôme national.

En outre, et conformément à l'article 5 du décret de 1985, cette autonomie de principe serait également reconnue au conseil de direction pour l'organisation de l'ensemble des études, de la première année jusqu'au doctorat.

b) La validation des procédures existantes de recrutement

L'article 12 du projet de loi prévoit ensuite que le conseil de direction peut adopter des procédures d'admission selon des modalités particulières afin de diversifier le recrutement de l'Institut parmi les bacheliers.

Afin de « sécuriser » au plan juridique les multiples procédures d'admission différenciées mises en place depuis plusieurs années, y compris en faveur des étudiants étrangers, l'article 12 consacre le droit pour l'Institut de conclure des conventions avec des établissements d'enseignement secondaire ou supérieur, français ou étrangers, la finalité de ces conventions étant d'associer les établissements visés au recrutement de leurs élèves ou étudiants par l'IEP de Paris.

c) La validation de nouvelles procédures d'admission

L'article 12 du projet a également pour objet, dans son paragraphe II, d'autoriser le conseil de direction de l'institut à adopter des procédures d'admission spécifiques destinées à diversifier le recrutement des élèves : comme il a été dit, il prévoit la possibilité de passer des conventions avec des établissements d'enseignement secondaire et supérieur, français et étrangers, pour les associer au recrutement de leurs élèves par l'IEP de Paris.

Il se propose ainsi de valider les délibérations du conseil de direction du 26 mars 2001, instituant une procédure d'accès supplémentaire pour les candidats à l'admission en première année, ouverte aux lycéens d'établissements classés en zone d'éducation prioritaire (ZEP), au réseau d'éducation prioritaire (REP), ou d'établissements présentant des caractéristiques socio-culturelles analogues.

Selon l'exposé des motifs du projet, une telle validation garantirait la poursuite du dispositif qui a été engagé et permettrait aux premiers étudiants bénéficiant de cette nouvelle procédure d'être admis à l'IEP dès la rentrée d'octobre 2001.

2. La justification de l'ouverture de Sciences Po aux bacheliers méritants de l'« éducation prioritaire »

a) La position du conseil de direction de l'IEP de Paris
(1) En dépit d'efforts réels de diversification

Longtemps considérée comme une école parisienne, Sciences Po a considérablement diversifié son recrutement depuis plusieurs années : aujourd'hui, plus du quart de ses étudiants sont étrangers et plus de la moitié de ses étudiants français viennent de province.

Ayant élargi l'éventail de ses voies d'accès, l'IEP de Paris recrute désormais aussi bien des jeunes bacheliers, que des étudiants à bac + 1, des diplômés d'écoles de commerce et d'ingénieur ou des diplômés de l'université. Ces étudiants chevronnés coexistent avec les bacheliers ayant obtenu une mention « très bien » et avec ceux admis dans le cadre d'un accord avec une université partenaire.

Il convient enfin de rappeler que les étudiantes sont désormais majoritaires à Sciences Po.

(2) ... et d'aides financières non négligeables

Alors que les droits annuels s'élèvent à 6 200 francs par an, le quart des étudiants est exonéré de ces droits, le niveau de ressources par foyer en dessous duquel ces exonérations sont accordées est de 200 000 francs par an. Outre ces exonérations de droits et les bourses d'Etat, Sciences Po attribuent des aides financières à ses étudiants dont le montant est passé de 1,3 million de francs en 1994-1995 à 3,1 millions de francs pour l'année universitaire en cours.

Par ailleurs, un fonds de mobilité internationale permet aux étudiants de troisième année de partir à l'étranger pour une année d'étude : 1,3 million de francs seront consacrés à cette action en 2001-2002.

Au total, 7,8 millions de francs seront destinés aux étudiants lors de la prochaine année universitaire, contre 5 millions de francs en 1994-1995.

En dépit de cette volonté affirmée et de ces efforts réels de démocratisation, force est de constater qu'un « barrage social » perdure à l'entrée à Sciences Po.

(3) Les catégories sociales favorisées encore très majoritaires à l'examen d'entrée

Une enquête de 1998 montre notamment que la population des candidats à Sciences Po est marquée par des inégalités encore plus fortes qu'au sein des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE).

Elle révèle que sur les 2 303 étudiants ayant tenté leur chance au concours d'entrée en première année, 54 % étaient des candidates, 98 % étaient français, 50 % provinciaux, 20 % parisiens, 26 % franciliens.

Les candidats sont pour leur très grande majorité des bacheliers généraux, issus de la filière L (31,5 %), ES (37 %) et S (31 %).

Plus de 80 % des candidats ont obtenu une mention au baccalauréat : mention assez bien (38,5 %), mention bien (35,5 %), mention très bien (6 %), ces derniers bénéficiant d'une procédure d'accès particulière.

Les candidats issus des classes préparatoires publiques représentent plus d'un tiers de l'effectif, alors que les « prépas » privées représentent 9 % des candidats ; les hypokhâgnes option Sciences Po représentent 24 % des candidats. Par ailleurs, 7,5 % des candidats sont passés par une hypokhâgne et 6 % par une « prépa » HEC, tandis que les étudiants justifiant d'une première année de DEUG représentent 8,5 % des effectifs.

Il reste que le profil des candidats admis à l'examen d'entrée en première année révèle par ailleurs une large prédominance des catégories socio-professionnelles favorisées, aussi bien par la fortune, que par le savoir ou la culture : celles-ci représentaient en 1998 quatre admis sur cinq (81 %) comme en témoigne le tableau ci-après :

RÉPARTITION DES ADMIS SELON LA PROFESSION DU CHEF DE FAMILLE

- Cadres et professions intellectuelles supérieures : 56 %

- Professions intermédiaires : 7,5 %

- Professions de l'enseignement : 15,5 %

- Artisans et commerçants : 2,5 %

- Chefs d'entreprise : 9,5 %

- Employés : 2 %

Ouvriers : 6,5 %

Autres : 6,5 %

Total 81  %

Total 19 %

(4) Un concours qui accentue les inégalités

Le tableau ci-après fait apparaître clairement que les candidats n'ont pas les mêmes chances d'être admis et que le concours accentue globalement les inégalités sociales :

ORIGINE SOCIALE DES CANDIDATS ET DES ADMIS AU CONCOURS D'ENTRÉE À SCIENCES PO (1998)

Candidats

Admis

Artisans et commerçants

4,5 %

2,5 %

Chefs d'entreprise

11,5 %

9,5 %

Cadres et professions intellectuelles supérieures

53,5 %

56 %

Professions de l'enseignement

10,5 %

15,5

Professions intermédiaires

8,5 %

7,5 %

Employés

4 %

2 %

Ouvriers

1,5 %

0,5 %

Autres, agriculteurs, retraités, militaires

6 %

5,5 %

Ce tableau révèle que les candidats issus de milieux de l'enseignement, et ceux dont les parents sont cadres ou exercent une profession intellectuelle supérieure, qui représentent à eux seuls 64 % des candidats, représentent 72 % des admis.

Alors que le rapport entre la probabilité de réussite de l'ensemble des candidats est de 12,5 %, plus un étudiant vient d'un milieu modeste, plus ses chances de réussite diminuent : les enfants des professions de l'enseignement et des cadres et professions intellectuelles supérieures, avec des taux respectifs de réussite de 19,5 % et de 13,5 %, ont plus de chances de réussir que la moyenne des candidats.

Force est donc de constater que les enfants issus de familles à fort capital économique et/ou culturel sont favorisés au détriment des candidats d'origine plus modeste.

Si le concours remplit incontestablement son rôle en sélectionnant les meilleurs étudiants, compte tenu de leur mention au baccalauréat, il convient aussi de souligner que les étudiants ayant intégré les CPGE ont le plus de chances de réussir.

Au total, et au-delà de certaines variables qui sont susceptibles d'avoir un effet non négligeable sur la réussite au concours (mention, itinéraire scolaire, type de préparation, ...) un constat général s'impose : le concours d'entrée à l'IEP de Paris pénalise incontestablement les étudiants d'origine modeste.

b) La comparaison avec les autres filières de l'enseignement supérieur

Si l'évolution démographique de ces dernières décennies s'est traduite par une plus grande démocratisation de l'enseignement supérieur, de grandes inégalités de chances persistent entre les filières et Sciences Po n'a pas le monopole de l'homothétie sociale.

(1) La mesure de la démocratisation à l'université, dans les classes préparatoires et dans les filières courtes professionnalisées

Les catégories sociales « défavorisées » se retrouvent en effet surtout dans les filières universitaires courtes et techniques tandis que les étudiants plus favorisés sur le plan culturel ou économique ont davantage accès aux filières longues et générales.

Si les ouvriers représentent encore 20 % de la population française, leurs enfants ne constituent que 10 % de la population étudiante, alors que les cadres, professions libérales et enseignants représentent moins de 10 % de la population globale, mais 33 % de la population étudiante.

Le tableau ci-après retrace l'origine socio-professionnelle des étudiants dans les principales filières de l'enseignement supérieur :

(en pourcentage)

Total

Université

Sciences Po 1 ( * )

CPGE

STS

IUT

Agriculteurs

1,87

2,14

-

1,97

2,81

3,27

Artisans, commerçants, chefs d'entreprise

4,60

7,04

12

6,93

8,38

8,16

Professions libérales, cadres supérieurs, enseignants

9,04

32,81

71,5

52,26

14,23

26,23

Professions intermédiaires

14,35

16,53

7,5

15,69

17,31

20,20

Employés

21,46

12,67

2

8,99

16,61

15,18

Ouvriers

19,76

10,98

0,5

5,77

24,63

16,13

Retraités, inactifs

28,93

9,77

-

7,03

12,63

7,33

Indéterminé

-

8,6

5,5 2 ( * )

1,35

3,40

3,50

Ce tableau fait apparaître que les enfants de cadres et de professions intellectuelles sont deux fois plus nombreux à Sciences Po qu'à l'université, soit 64 % des candidats contre 32,4 % des étudiants de 1 er cycle universitaire, et qu'ils représentent 53,2 % des effectifs des classes préparatoires aux grandes écoles.

Par ailleurs, les enfants des artisans, commerçants et chefs d'entreprise sont également sur-représentés par rapport à l'université et aux CPGE (16 % des candidats contre 7,2 % des élèves de classes préparatoires et 8,5 % des étudiants de premier cycle) ; on notera toutefois que les enfants de chefs d'entreprise représentent 11,5 % des candidats contre 4,2 % pour les enfants d'artisans et de commerçants.

S'agissant des étudiants dont les parents appartiennent à des professions intermédiaires, ces derniers sont deux fois moins nombreux dans la population des candidats du concours d'entrée (8,4 %) que dans celle des étudiants des premiers cycles universitaires (18,8 %) et ne représentent que 6,1 % des élèves des CPGE.

Enfin, si environ 15 % des enfants d'employés sont représentés à l'université et dans les CPGE, ils ne représentent que 4 % des candidats à Sciences Po ; quant aux enfants d'ouvriers, ils ne représentent que 1,5 % des candidats, contre 14,5 % des étudiants à l'université et 8,7 % des élèves des CPGE.

(2) L'évolution du recrutement social dans les grandes écoles

Le constat qui vient d'être rappelé sur la situation de Sciences Po au regard des inégalités sociales peut être comparé avec l'évolution du recrutement social de l'élite scolaire en France au travers d'une étude menée auprès de quatre grandes écoles prestigieuses : l'École Polytechnique, l'École normale supérieure, l'ENA et HEC 3 ( * ) .

Cette étude montre que la proportion des jeunes d'origine « populaire » (père paysan, ouvrier, employé, artisan commerçant) dans les quatre grandes écoles a diminué de manière sensible depuis 40 ans : environ 29 % des élèves étaient d'origine populaire au début des années 50 contre 9 % au début des années 90. Cette évolution doit être mise en relation avec l'évolution de la structure sociale constatée en France depuis le milieu du siècle dernier.

Les auteurs de l'étude concluent que les quatre grandes écoles étudiées ne se sont pas fermées aux couches populaires, et même se seraient plutôt ouvertes, mais moins que le reste de notre système éducatif, et notamment que l'université.

Cette étude est également intéressante en ce sens qu'elle rappelle que le nombre de places offertes dans les quatre grandes écoles a augmenté à un rythme voisin de celui du nombre de jeunes en âge de les intégrer : au début des années 90, comme au début des années 50, ces quatre écoles « distinguent » une élite de même ampleur, soit environ un jeune sur 1000.

Si l'on s'en tient aux seuls chiffres, le nombre des élèves d'origine populaire dans ces écoles a été divisé par trois en quarante ans : 21 % des élèves de Polytechnique, de l'ENA et de l'ENS étaient d'origine populaire entre 1950 et 1955 contre 7 % en 1990.

Cette baisse très sensible doit cependant s'apprécier au regard de la diminution de la part des jeunes d'origine populaire dans l'ensemble de la génération correspondante, qui est tombée pour la période de 91 % à 68 % : il est donc logique que l'on dénombre aujourd'hui moins de jeunes d'origine populaire dans les grandes écoles.

Dans la réalité, la baisse du recrutement populaire des quatre grandes écoles traduit non pas un accroissement de l'inégalité d'accès à ces écoles, mais une stabilité car cette baisse est à peu près parallèle à celle de l'importance des milieux populaires dans la société française : il y a 40 ans, un jeune d'origine populaire avait 24 fois moins de chances qu'un autre d'entrer dans une de ces quatre grandes écoles ; en 1990, il en avait 23 fois moins...

Sans tenir compte d'HEC, qui a toujours été une grande école plus ouverte, notamment pour les enfants d'artisans et de commerçants, on constate qu'un jeune de milieu populaire avait 37 fois moins de chance qu'un autre en 1950 d'entrer à l'Ecole Polytechnique, à l'ENA et à l'ENS, alors qu'il en avait 28 fois moins en 1990 : alors qu'il y a 40 ans, le recrutement de ces grandes écoles était deux à trois fois moins populaire que celui de l'université, en 1990, il l'était cinq à six fois moins.

Cette étude montre que le recrutement dans les quatre grandes écoles étudiées est plutôt moins inégalitaire qu'il y a trente ou quarante ans : on constate une réduction continue des inégalités à l'Ecole Polytechnique, une réduction suivie d'une augmentation préoccupante entre 1975 et 1990 à l'ENS et à l'ENA, dont l'accès reste toutefois moins inégalitaire en 1990 qu'au début des années 50.

c) A la recherche d'un recrutement plus diversifié

Afin de favoriser la diversification sociale de ses élèves, l'IEP de Paris a décidé de mettre en place à la rentrée 2001, une nouvelle voie d'accès à la première année : celle-ci est destinée aux meilleurs élèves de lycées classés en zone d'éducation prioritaire (ZEP), en réseau d'éducation prioritaire (REP), en zone sensible ou d'établissements présentant des caractéristiques socioculturelles analogues.

(1) Quelques rappels sur « l'éducation prioritaire » : le principe d'une discrimination positive

Lancée en 1981 par Alain Savary, ministre de l'éducation nationale, la politique de discrimination positive engagée en faveur des élèves des zones d'éducation prioritaire (ZEP) est fondée sur un constat : une relation directe entre l'échec scolaire et l'environnement socio-économique, aussi bien dans le domaine du travail que des loisirs, de l'habitat et de la sécurité.

Cette politique a été prolongée au début des années 90 par une circulaire de mai 1990 définissant la notion de zone sensible.

Enfin, la carte de l'éducation prioritaire a été redéfinie à la rentrée 1999, et a été complétée par une nouvelle notion, celle de réseau d'éducation prioritaire (REP) : les établissements concernés doivent mutualiser « leurs ressources pédagogiques et éducatives ainsi que leurs innovations au service de la réussite scolaire des élèves ».

On notera que si l'éducation prioritaire concerne aujourd'hui 1,7 million d'élèves de l'enseignement secondaire, rares sont les lycées d'enseignement général et technologique à bénéficier de ce classement ZEP, soit une cinquantaine sur l'ensemble du territoire national.

Le classement relève de l'initiative de chaque rectorat : l'académie de Versailles détient la palme en ce domaine et a obtenu le classement en ZEP de 24 lycées d'enseignement général ou polyvalents, alors que l'académie de Créteil ne compte que deux lycées classés ZEP mais onze classés en « zone sensible ».

(2) Une voie d'accès expérimentale à Sciences Po pour certains bacheliers méritants relevant du dispositif de l'éducation prioritaire

A côté de la procédure traditionnelle d'entrée en première année par examen, l'IEP de Paris a souhaité mettre en oeuvre, pour une période expérimentale de dix ans, une nouvelle voie d'accès.

Préparée avec les académies de Créteil, de Nancy-Metz et de Versailles, cette expérimentation a conduit l'Institut à retenir sept lycées pour la première année d'application : Jean Zay (Aulnay-sous-Bois), Auguste Blanqui (Saint-Ouen), Maupassant (Colombes), Félix Mayeur (Creutzwald), Saint-Exupéry (Fameck), Poncelet (Saint-Avold), l'Essouriau (Les Ulis).

Les critères de sélection retenus ont été les suivants :

- établissements classés en ZEP, appartenant à un REP, situés en zone sensible ou présentant des caractéristiques socioculturelles équivalentes ;

- forte présence d'élèves boursiers ou issus de catégories sociales défavorisées, ou très défavorisées, dont la part dans l'établissement dépasse de 20 points la moyenne nationale ;

- volontariat des proviseurs et des équipes pédagogiques d'établissements engagés depuis plusieurs années, avec succès, dans des politiques volontaristes.

(3) La procédure de sélection des candidats

Cette nouvelle procédure, en deux étapes, vise à associer les lycées concernés, via une convention passée avec l'IEP, à la sélection de leurs candidats méritants et motivés :

- un jury présidé par le proviseur et constitué d'un collège d'enseignants procède d'abord, par délégation de Sciences Po, à une présélection des candidats : celle-ci est fondée sur l'examen du dossier scolaire du candidat, depuis la classe de seconde, complété par une épreuve orale au cours de laquelle les lycéens pressentis doivent présenter des travaux de recherche effectués de manière autonome. Pour cette première expérimentation, les candidats doivent constituer un dossier de presse sur un thème de leur choix, complété par une note de synthèse et une réflexion personnelle ;

- la procédure d'admission proprement dite consiste en un entretien approfondi avec un jury dans les locaux de l'Institut ; cet entretien repose sur le dossier de presse présenté par le candidat. Constitué de deux enseignants et d'un représentant de la direction, le jury d'admission rend sa décision à la suite de l'entretien, en s'appuyant également sur le dossier scolaire et sur les résultats au baccalauréat du candidat, celui-ci devant être obtenu dès le premier tour pour prétendre à l'admission.

D'après les indications fournies à la commission, et pour la première année d'expérimentation, l'IEP de Paris sélectionnerait une vingtaine de candidats, effectif qui serait multiplié par trois en régime de croisière pour chaque promotion, sans qu'il soit envisagé de définir un quota spécifique : les lycéens retenus viendraient s'ajouter aux effectifs d'étudiants de première année.

(4) Des mesures particulières d'accompagnement pédagogique et financier

Les candidats sélectionnés bénéficieraient d'une période d'intégration au cours de l'été précédant la rentrée et d'un suivi pédagogique assuré par des étudiants parrains de deuxième ou de troisième cycle et par des enseignants dits référents jouant le rôle de tuteurs.

Ces étudiants bénéficieraient d'une bourse de mérite d'un montant annuel de 40.000 francs, allouée sur critères sociaux par l'éducation nationale, ainsi que d'une aide au logement de 20.000 francs accordée par les régions.

Une évaluation de la procédure est prévue au cours de la période d'expérimentation, cette procédure devant être étendue dès 2002 à d'autres lycées et d'autres académies que les trois initialement concernées.

3. Une procédure contestable : la validation législative des décisions du conseil de direction de l'IEP prises antérieurement

L'article 12 a été introduit dans le projet de loi à la suite d'un recours contentieux portant sur la nouvelle procédure d'admission consistant à mettre en place un système dérogatoire d'accès à l'Institut en faveur d'un « quota » de lycéens issus de sept lycées situés en ZEP et discrétionnairement choisis par la direction de l'IEP.

a) L'origine du contentieux

Le 8 mars 2001, M. Richard Descoings, directeur de l'IEP de Paris a présenté un projet de conventions entre Sciences Po et des lycées classés en ZEP, en REP, en zone sensible ou de lycées présentant des caractéristiques socio-culturelles analogues.

Cette présentation a suscité une violente réaction du syndicat étudiant, l'UNI, qui a dénoncé pêle-mêle « l'hypocrisie de la direction parlant avec condescendance de zones d'excellence pédagogique mais envisageant parallèlement une voie d'admission dérogatoire, une procédure d'admission sur quotas et sans concours fondée sur l'appartenance supposée à une catégorie sociale et non sur une véritable exigence de niveau, qui ne peuvent à terme qu'entraîner la dévalorisation du diplôme de Sciences Po ». Lancée le 13 mars 2001 à l'initiative de l'UNI, une pétition a rassemblé plus de 400 signatures sur les 2 500 étudiants présents sur le site.

b) Les deux résolutions adoptées par le conseil de direction de l'IEP de Paris du 26 mars 2001

Ces résolutions 4 ( * ) portent sur les conventions passées entre Sciences Po et des lycées classés en ZEP, en REP, en zone sensible, ou de lycées présentant des caractéristiques socio-culturelles analogues.

- La résolution 1

Le conseil de direction décide d'instituer une procédure de sélection supplémentaire, à caractère expérimental et devant faire l'objet d'une évaluation annuelle, pour les candidats à l'admission en première année de l'IEP de Paris.

Par amendement, le conseil de direction a précisé que « cette expérimentation s'inscrit dans une réflexion plus globale sur les voies et moyens de limiter les biais sociaux inhérents à tout système sélectif, et constatés de manière générale à Sciences Po. Cette réflexion devra aboutir à des mesures concrètes afin de favoriser l'ouverture sociale de Sciences Po. »

La procédure comporterait deux étapes :

La constitution d'un jury dans chaque lycée concerné réunissant notamment des représentants de la direction et des équipes pédagogiques ;

- examen des résultats scolaires du candidat obtenus depuis la classe de seconde et du résultat à une épreuve individuelle dont le contenu est arrêté chaque année conjointement par Sciences Po et les lycées ;

- à la fin de leur année de terminale, le jury statue sur l'admissibilité des lycéens candidats.

L'épreuve d'admission organisée par et à l'IEP de Paris prendrait la forme d'un entretien oral avec un jury composé par le directeur de l'Institut et qui ne pourrait inclure des représentants des lycées partenaires.

Le jury prendrait souverainement la décision d'admettre ou non les candidats déclarés admissibles par les lycées partenaires, et seuls les candidats bacheliers pourraient être déclarés admis.

- La résolution 2

Le conseil de direction de l'IEP de Paris autorise son directeur à passer avec des établissements d'enseignement secondaire classés en ZEP, REP, zone sensible ou des établissements présentant des caractéristiques socio-culturelles analogues, des conventions de partenariats, celles-ci étant renouvelables tous les cinq ans par reconduction tacite, l'IEP et les établissements concernés se fixant un objectif initial de dix ans.

Ces conventions devront comporter des stipulations relatives à l'information sur l'IEP de Paris diffusées aux élèves de ces lycées, au soutien méthodologique apporté aux élèves intéressés, à l'épreuve spécifique co-organisée par des enseignants de ces lycées et l'IEP et destinée à mieux évaluer les élèves intéressés ; elles devront également préciser les conditions dans lesquelles les lycées décideront de l'admissibilité des élèves candidats, ainsi que celles dans lesquelles des représentants des lycées partenaires participeront à la commission de suivi de la mise en oeuvre de ces conventions.

c) La requête de l'UNI à l'origine de l'article 12 du projet de loi

Par une requête du 3 avril 2001, l'Union nationale universitaire (UNI), syndicat étudiant, a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération, en date du 26 mars 2001, par laquelle le conseil de direction de l'IEP de Paris a approuvé deux résolutions relatives à cette nouvelle procédure.

L'UNI a également engagé un référé suspension en vue d'obtenir un sursis à exécution de cette délibération, que le tribunal administratif de Paris a rejeté le 20 avril 2001.

La direction de l'IEP a estimé que ce tribunal pourrait faire droit à un argument invoqué à l'appui de cette requête, faisant valoir que la délibération attaquée serait dépourvue de base légale, notamment s'agissant des compétences du conseil de direction : un risque d'annulation pesait ainsi non seulement sur les conventions entre l'IEP et les lycées classés en ZEP ou assimilés, qui sont à l'origine du contentieux, sur la procédure d'admission spécifique qui devait entrer en vigueur à la prochaine rentrée universitaire, mais aussi sur tout le système de sélection de l'IEP de Paris qui serait ainsi privé de base légale si le juge administratif retenait le moyen de l'exception d'illégalité invoqué par l'UNI à l'encontre de l'article 5 du décret de 1985.

En conséquence, le projet de loi propose dans le paragraphe II de l'article 12 de valider les décisions du conseil de direction du 26 mars 2001, ainsi que la sécurité juridique des décisions prises dans le passé en application de l'article 5 du décret de 1985 qui attribue notamment audit conseil compétence pour fixer les conditions d'admission des élèves.

d) Les validations législatives : un cadre contraint

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, depuis la décision du 22 juillet 1980 (n° 80-119 DC), une validation législative ne peut viser des décisions de justice passées en force de chose jugée, sauf à attenter au principe de la séparation des pouvoirs et à l'autorité judiciaire et ne saurait méconnaître le principe de non rétroactivité de la loi pénale.

Par ailleurs, la validation doit répondre à des motifs d'intérêt général, avoir un caractère limité et son objet doit être précisé : c'est manifestement le cas pour les décisions prises dans le passé en application de l'article 5 du décret de 1985 qui attribue notamment au conseil de direction compétence pour fixer les procédures d'admission des élèves. La stabilité des situations juridiques des élèves admis à Sciences Po constitue évidemment un motif d'intérêt général.

Enfin, le juge constitutionnel doit vérifier que l'acte validé n'est pas contraire à un principe de valeur constitutionnelle, comme par exemple le principe d'égalité.

e) La défense de Sciences Po

En réponse à la « guérilla juridique » engagée par l'UNI, Sciences Po estime que son dispositif n'introduit pas une rupture d'égalité entre l'ensemble des bacheliers, notamment pour la détermination des lycées concernés qui reprend le principe de la discrimination positive, fondement du classement en ZEP, qui associe les rectorats au choix des établissements, et répond à un objectif d'intérêt général : plus grande intégration des jeunes provenant de milieux socio-éducatifs défavorisés, souci de démocratisation ou de diversification de Sciences Po.

L'IEP de Paris soutient également que son dispositif, qui fait l'objet de la validation, ne constitue pas une rupture d'égalité entre les bacheliers issus de lycées ayant passé des conventions avec l'Institut, et les autres bacheliers issus de lycées présentant les mêmes caractéristiques, mais non conventionnés avec Sciences Po.

Il considère qu'une discrimination provisoire est inévitable dans le cadre d'une première expérimentation, qui exige de passer des conventions avec certains établissements, ce conventionnement n'exigeant d'ailleurs pas une reconnaissance législative, en dépit de la différence de traitement qu'il introduit nécessairement entre les lycées.

Enfin, cette expérimentation n'aurait qu'une durée de dix ans et une évaluation du dispositif serait effectuée chaque année.

*

* *

* 1 Chiffres Sciences Po 1998

Les autres chiffres concernent l'année universitaire 1999-2000

* 2 Sont visés les agriculteurs, les retraités, les inactifs et les militaires

* 3 Le recrutement social de l'élite scolaire en France - Evolution des inégalités de 1950 à 1990 - Michel Euriat et Claude Thélot - DEP - Revue française de sociologie XXXVI, 1995.

* 4 Elles ont été adoptées par 26 voix pour, 2 contre et une abstention

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page