ANNEXE 1 :

ORIENTATIONS ET PROPOSITIONS
DU GROUPE DE RÉFLEXION, COMMUN
AUX COMMISSIONS DES AFFAIRES CULTURELLES,
DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DES FINANCES,
SUR L'AVENIR DE LA RECHERCHE

La « crise » de la recherche a eu le mérite de créer une double prise de conscience : celle de nos concitoyens sur le rôle central de la recherche dans le progrès économique et social du pays et sur la nécessité de lui consacrer d'importants moyens ; celle de la communauté scientifique, avec l'obligation de revisiter et réformer ses modes d'organisation et de fonctionnement.

Il faut mieux reconnaître la place et la mission éminente des chercheurs 8 ( * ) dans un pays développé comme le nôtre. Il faut aussi parallèlement que les chercheurs assument pleinement les responsabilités qui résultent de cette mission, et, à cette fin, s'engagent -avec les pouvoirs publics et l'ensemble des acteurs publics et privés concernés- dans la voie de l'amélioration du niveau de la recherche française.

Sortir des ornières budgétaires et administratives suppose l'implication de chacun. Comme tout organisme vivant, la recherche doit évoluer et s'adapter aux défis du monde d'aujourd'hui.

Le groupe de réflexion a ouvert un forum sur le site Internet du Sénat -qui a recueilli 370 messages- et organisé un certain nombre d'auditions.

A l'issue de ses travaux, il a dégagé quatre principes qui inspirent neuf priorités d'action, en vue de remettre la recherche au coeur de l'évolution de notre société de la connaissance et de notre économie.

Ces quatre principes pour revitaliser la recherche dans notre pays sont les suivants :

- s'inspirer systématiquement des exemples français et étrangers de réussite ;

- redonner de la souplesse au système français de recherche et aux carrières (recrutement, déroulement, évaluation...) ;

- diversifier les moyens de la recherche, publique et privée, afin notamment de les accroître ;

- favoriser la synergie entre les établissements d'enseignement supérieur (universités et grandes écoles), les organismes de recherche et les entreprises pour mieux assurer le continuum formation - recherche fondamentale - recherche appliquée, et aussi, bien entendu, entre recherche publique et privée. Encourager, dans cette perspective, l'expérimentation locale ou régionale.

Ces principes conduisent notre groupe de réflexion à formuler neuf priorités d'action :

1. Fixer des objectifs clairs ;

2. Mobiliser des ressources extra-budgétaires et programmer les moyens budgétaires sur une base pluriannuelle ;

3. Faire échapper les organismes publics de recherche à une tutelle excessive ;

4. Améliorer les modes de gestion et de gouvernance de la recherche publique ;

5. Organiser des réseaux de compétence et des pôles d'excellence ;

6. Réformer l'évaluation ;

7. Améliorer la situation des acteurs de la recherche ;

8. Renforcer le soutien à la recherche privée ;

9. Promouvoir le capital-risque et l'innovation.

I - FIXER DES OBJECTIFS CLAIRS

Réaffirmer l'objectif de Barcelone et rejoindre les pays de tête (USA, Japon) (au moins 3 % du PIB consacrés à la recherche d'ici 2010).

Créer un comité d'expertise stratégique ayant vocation à participer à la définition des priorités pour les grands programmes de recherche. Il s'agit à la fois de promouvoir la recherche fondamentale, de répondre aux attentes de nos concitoyens (qui marquent aujourd'hui une certaine défiance à l'égard des progrès scientifiques), de reconnaître le rôle de la communauté scientifique dans l'amélioration de la vie de chacun. Il s'agit aussi d'éclairer les décisions des responsables politiques à qui revient, in fine , la fixation des objectifs stratégiques et des moyens de notre politique de recherche et d'innovation.

Eviter dispersion et saupoudrage. La France ne peut pas tout faire et il convient, par conséquent, d'identifier les domaines où les efforts relèvent du niveau national et ceux où ils doivent être mutualisés au niveau européen.

Allouer des moyens significatifs aux projets les plus porteurs et aux équipes d'excellence .

Développer la recherche duale et sortir de la fracture recherche civile/recherche militaire, ce cloisonnement n'ayant pas de sens au plan scientifique.

Déclarer priorité nationale la diffusion de la culture scientifique et technique et améliorer l'image de la recherche auprès du grand public ; par exemple :

- développer les manifestations autour de la science et de l'innovation, sur l'ensemble du territoire (encourager les sciences-bus, internet-bus, « Train du Génôme » etc.) ;

- valoriser l'apport de la recherche dans les programmes scolaires et dans les médias.

II - MOBILISER DES RESSOURCES EXTRA-BUDGÉTAIRES ET PROGRAMMER LES MOYENS BUDGÉTAIRES SUR UNE BASE PLURIANNUELLE

Au niveau national :

- diversifier les sources de financement de la recherche, en particulier par le biais de moyens extra-budgétaires dont la gestion pourrait être confiée à une agence ;

- prévoir une programmation pluriannuelle des moyens budgétaires qui seront consacrés à la recherche ;

- déclarer prioritaires et « sanctuariser » les moyens consacrés à la recherche et éviter les politiques de « stop and go ». Le ministère des finances devrait, en conséquence, considérer désormais la recherche comme un investissement prioritaire pour le pays (et non comme une simple « dépense »).

Au niveau européen :

- défendre la non-comptabilisation des dépenses consacrées à la recherche pour l'évaluation du respect du Pacte de stabilité ;

- obtenir une modification radicale des procédures d'obtention de crédits européens qui s'avèrent trop lourdes et coûteuses, et qui éloignent les entreprises -petites et moyennes en particulier- des appels d'offre ;

- défendre le projet d'un emprunt de 150 milliards d'euros pour un soutien massif de la recherche européenne, auprès de la BEI (Banque européenne d'investissement), avec la garantie éventuelle des Etats membres.

III - LIBÉRER LES ORGANISMES PUBLICS DE RECHERCHE D'UNE TUTELLE EXCESSIVE

Rationaliser la programmation des dépenses des organismes (programmation pluriannuelle, mise en adéquation des autorisations de programme et des crédits de paiement...).

Substituer un contrôle financier a posteriori au contrôle a priori actuel.

Simplifier et alléger les procédures administratives.

IV - AMÉLIORER LES MODES DE GESTION ET DE GOUVERNANCE

Renforcer les pouvoirs des conseils d'administration et modifier, le cas échéant, leur composition.

Instaurer une véritable responsabilisation des chefs de laboratoires.

Rationaliser les modes de gestion et recruter les personnels compétents en la matière.

Mettre en place une comptabilité analytique.

Moderniser la politique de gestion des ressources humaines (gestion prévisionnelle des effectifs, motivation des personnels, ...).

S'agissant plus précisément des universités , celles-ci doivent pouvoir monter en puissance de façon progressive et différenciée. Il convient à cet égard d'agir en faveur :

- d'un accroissement de leur autonomie ;

- d'une amélioration des modes de gouvernance (renouvellement du mandat du président, composition du conseil d'administration, ouverture plus grande sur l'environnement socio-économique...) ;

- de l'adoption du budget global ;

- de l'expérimentation, en particulier dans le cadre de pôles d'excellence ou de campus de recherche (cf. V ci-après).

Il convient d'identifier parmi les nécessaires évolutions, celles qui relèvent de la loi, du décret ou d'une simple évolution des pratiques.

V - ORGANISER DES RÉSEAUX DE COMPÉTENCE ET DES PÔLES D'EXCELLENCE

Le groupe de réflexion estime nécessaire d'impulser progressivement une évolution de l'organisation de la recherche, en favorisant l'expérimentation.

A cet égard, il existe un consensus sur la nécessité d'une réforme, mais pas sur le niveau où arrêter le curseur.

Nous proposons de fonder cette évolution sur les principes suivants :

Accepter que tout l'appareil de recherche n'évolue pas à un rythme identique mais inciter l'ensemble des établissements de recherche et d'enseignement supérieur à s'intégrer au sein de réseaux de compétence afin de développer des synergies. Compte tenu de la nécessité de renforcer la visibilité internationale de notre système de recherche et d'enseignement supérieur et d'accroître son efficacité, il convient parallèlement d'encourager la constitution de pôles d'excellence, basés sur l'expérimentation . Sophia Antipolis ou Grenoble, par exemple, constituent autant de modèles d'inspiration.

Il convient de développer des expérimentations locales de coopération fortes et organisées, du type « campus de recherche ».

Les pôles d'excellence et campus de recherche devraient être les lieux privilégiés des expérimentations des établissements de recherche et d'enseignement supérieur (structures juridiques, coordination des stratégies, rémunérations, gestion harmonisée des ressources humaines et des comptabilités, assouplissements des procédures, ...).

Il s'agit d'adopter une démarche pragmatique, qui privilégie la souplesse sous tous ses aspects : dans les relations entre établissements de recherche et établissements de l'enseignement supérieur, entre ceux-ci et les entreprises et collectivités territoriales, ainsi qu'avec les partenaires étrangers.

VI - RÉFORMER L'ÉVALUATION

Il est essentiel de changer les modalités et le rôle de l'évaluation des programmes des laboratoires, ainsi que des chercheurs et enseignants-chercheurs.

Les méthodes d'évaluation doivent davantage s'inspirer des exemples étrangers et se fonder sur une expertise indépendante.

A cet égard, il conviendrait en particulier de mettre en oeuvre :

- une réforme du CONRS (Comité national de la recherche scientifique) (en effet, il n'appartient pas aux organisations syndicales d'évaluer les résultats de la recherche) ;

- l'évaluation par les pairs, intégrant plus largement des scientifiques étrangers ;

- des critères diversifiés d'évaluation en prenant en compte, en particulier, les différentes activités : recherche, enseignement, etc. ; s'agissant des enseignants-chercheurs, il serait utile d'introduire un système d'évaluation par les étudiants ainsi qu'une évaluation de l'encadrement des doctorants ;

- une évaluation individuelle, articulée avec celle de l'équipe ou du laboratoire ;

- une traduction concrète des évaluations des personnes et des programmes : introduire des primes au projet, à l'équipe et/ou à la personne concernée, en conjuguant statut et primes incitatives ; savoir réorienter ou arrêter un projet.

Il pourra être nécessaire de distinguer différents niveaux d'évaluation :

- un niveau européen, très largement ouvert sur la communauté scientifique internationale ;

- un niveau national, permettant de définir des axes prioritaires et de juger des résultats obtenus (Conseil national d'évaluation et de programmation) ;

- un niveau infranational de coordination/partenariat entre les différents organismes de recherche, et entre ces organismes et les universités ;

- un niveau régional d'évaluation des projets des équipes par les organismes ou les universités.

VII - AMÉLIORER LA SITUATION DES ACTEURS DE LA RECHERCHE

Sans aller jusqu'à un statut unique de chercheur enseignant, il convient de lever les obstacles qui nuisent à la mobilité entre chercheurs et enseignants-chercheurs (par exemple, les freins opposés par les comités d'autorisation internes aux universités), et rapprocher progressivement les statuts :

- valoriser la mobilité et favoriser le retour des chercheurs expatriés ;

- développer le nombre des postes d'accueil d'enseignants-chercheurs dans les EPST et EPIC, et dans le sens inverse, les contrats d'interface permettant aux chercheurs d'enseigner ;

- mieux gérer les décharges et l'accueil des personnels des universités dans les organismes de recherche.

Encourager la mobilité entre secteurs public et privé.

Il est nécessaire de réformer en profondeur les conditions d'emploi des post-doctorants. Il s'agit en particulier :

- d'alléger les procédures de recrutement (sortir du « localisme » et du « mandarinat » ; supprimer l'obligation d'entendre tous les candidats, accueillir davantage de chercheurs étrangers etc...) ;

- de prévoir des contrats de mission avec des conditions de rémunération et de travail réellement attractives ;

- de donner un cadre juridique à l'activité de tous les jeunes chercheurs et lutter contre la pratique actuelle des libéralités ;

- d'étendre les CIFRE (conventions industrielles de formation pour la recherche) au secteur tertiaire, aux administrations et aux associations.

VIII - RENFORCER LE SOUTIEN À LA RECHERCHE PRIVÉE

Développer l'outil du crédit-impôt recherche et faciliter son utilisation par les PME. Améliorer ses procédures et modifier la culture administrative de suspicion qui l'entoure et qui décourage les entreprises d'y avoir recours.

Retenir davantage le critère de l'innovation à l'occasion de la passation des marchés publics.

Favoriser la création d'entreprises par ou avec des chercheurs.

Développer la culture de la recherche dans les entreprises (y compris les entreprises publiques).

Assurer pour les entreprises innovantes issues de la recherche et des entreprises, le financement et l'accompagnement nécessaires (capital amorçage, capital-risque et réseaux de compétences).

Professionnaliser les structures d'incubation publiques.

Inciter la COFACE à soutenir les efforts d'exportation des jeunes entreprises innovantes.

Autoriser les dations d'entreprises leur permettant de consacrer une partie de leur impôt sur les sociétés à des travaux de recherche publique.

Encourager davantage les fondations et créer une « Journée du don aux fondations », ainsi que le propose notre collègue député Oliver Dassault (proposition de loi n° 1651, déposée le 8 juin 2004).

IX - PROMOUVOIR LE CAPITAL-RISQUE ET L'INNOVATION

Notre groupe de réflexion estime urgent de renforcer le potentiel de notre pays dans ce domaine. Il s'agit de :

mieux orienter l'épargne vers la recherche , en particulier en instituant un « quota amorçage » ; un faible pourcentage des contrats d'assurance-vie devrait ainsi être consacré aux jeunes entreprises innovantes de moins de huit ans (ainsi que l'avait proposé notre collègue sénateur Philippe Adnot à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2004) ;

d'autres produits d'épargne, par exemple ceux dont les mutuelles ont la gestion exclusive, pourraient également voir leurs avantages soumis à des conditions d'investissement minimales dans le capital risque ou l'innovation ;

permettre aux CHU (centre hospitaliers universitaires) de bénéficier des formules de valorisation de la recherche prévues par la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche ;

soutenir le projet de brevet communautaire.

* 8 Expression prise au sens large dans cette note : chercheurs et enseignants-chercheurs.

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