II. LA RÉFORME DE LA POLITIQUE COMMUNE DE LA PÊCHE ET SES SUITES

A. LE CONTENU DE LA RÉFORME

1. La politique commune de la pêche avant réforme

Si les jalons de la PCP ont été posés dès les années 70 en ce qui concerne les structures et les marchés, l'« Europe bleue » a véritablement pris naissance le 25 janvier 1983 avec l'adoption d'un règlement de base instaurant un régime communautaire de la pêche et de l'aquaculture , aujourd'hui entièrement intégré. Quatre volets peuvent être distingués au sein de la PCP :

- la gestion de la ressource . Elle repose sur le principe de liberté d'accès aux eaux et aux ressources, encadré cependant par des règles permettant de garantir un équilibre durable entre les ressources et leur exploitation, à travers la définition des TAC, de mesures techniques de conservation et de dispositifs de contrôle ;

- la commercialisation des produits . La PCP s'est fixée, en la matière différents objectifs, tels que le soutien des revenus des pêcheurs, la stabilisation du marché ou encore la régulation d'une offre de produits de qualité. Pour parvenir à les atteindre, elle s'est dotée de divers instruments comme les normes communes de commercialisation des produits, le système de prix communs et un régime unique d'échange avec les pays tiers ;

- le soutien structurel . Des subventions publiques, cofinancées par un fonds communautaire (l'IFOP) sur une base pluriannuelle, permettent notamment d'adapter les capacités de la flotte de pêche aux ressources halieutiques disponibles et de moderniser les équipements de l'ensemble de la filière pêche ;

- le volet externe . Il se traduit par la présence de l'Union européenne au sein des enceintes internationales en charge de la gestion des ressources halieutiques et par la conclusion d'accords de pêche avec des pays tiers afin de permettre aux navires communautaires d'accéder à leurs zones économiques exclusives.

2. Le contexte de la réforme

Le règlement (CEE) 3760/92 du 20 décembre 1992 instituant un régime communautaire de la pêche et de l'aquaculture prévoyait que la Commission présenterait au Parlement et au Conseil, le 31 décembre 2002 au plus tard, un rapport sur la situation de la pêche dans l'Union européenne et sur la mise en oeuvre dudit règlement. Sur la base de ce rapport, le Conseil déciderait, avant le 31 décembre 2002, de tout ajustement nécessaire à la politique commune des pêches.

C'est sur cette base que la Commission a publié, en mars 2001, un Livre vert mettant en évidence les problèmes auxquels se trouvait confrontée la politique communautaire conduite en matière de pêche depuis une vingtaine d'années :

- état alarmant de nombreux stocks halieutiques sur un plan biologique ;

- surcapacité des flottes de pêche au regard de la ressource disponible ;

- médiocre rentabilité des entreprises et diminution de l'emploi ;

- fermeté insuffisante dans l'application et le contrôle du dispositif.

Partant de ce constat, la Commission a élaboré un projet de réforme de la PCP qu'elle a publié en mai 2002 et qui était censé répondre à ces problèmes de la façon la plus rapide et la plus générale possible.

3. Les mesures adoptées

A l'issue de négociations très serrées, marquées par l'adoption de nombreux amendements, le Conseil des ministres a adopté en décembre 2002 les trois projets de règlement que la Commission avait présentés quelques mois plus tôt.

Le premier concerne la conservation et l'exploitation durable des ressources halieutiques . Il introduit un nouvel instrument de régulation des captures en concurrence avec le système des TAC et des quotas : l'« effort de pêche », c'est-à-dire la durée d'activité des navires.

Il s'applique obligatoirement pour les stocks dont l'état biologique justifie un plan de reconstitution. Ces plans sont en cours d'élaboration progressive pour les espèces dont la biomasse se situe très en deçà du seuil limite scientifiquement admis. Ils font appel à une gamme très large d'instruments tant en matière de régulation des captures (TAC, quotas, effort de pêche ...) que de mesures techniques (maillage, cantonnement ...). Trois stocks (cabillaud, merlu et sole) ont pour l'instant été identifiés pour faire l'objet de tels plans, en ce qui concerne les pêcheurs français.

L'effort de pêche constitue en revanche un instrument facultatif , en complément des TAC et des quotas, pour les stocks non soumis à un plan de reconstitution. Ces derniers feront l'objet de plans de gestion pluriannuels visant à limiter les variations d'une année à l'autre des possibilités de pêche et à établir le niveau des TAC sur la base d'objectifs de gestion à long terme adoptés par le Conseil.

Ces dispositifs rénovés de gestion de la ressource s'accompagnent d'une politique de contrôle plus rigoureuse et plus coopérative entre les différents Etats membres, source d'une gestion plus durable des ressources et d'une plus grande égalité de traitement des pêcheurs, quelque soit leur nationalité.

Les deuxième et troisième projets de règlement adoptés modifient dans deux directions le règlement (CE) 2712/99 du 17 décembre 1999 définissant les modalités et conditions des actions structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche.

Ils suppriment :

- l'ensemble des aides publiques à la construction des navires de pêche à partir du 1 er janvier 2005 ;

- les plans d'orientation pluriannuels (POP) et la segmentation des flottilles qui y était rattachée. L'encadrement de la flotte de chaque Etat membre se fait désormais globalement, les niveaux de référence (en kilowatts et unités de tonnage brut) établis au 1 er janvier 2003 constituant des limites infranchissables, réduites automatiquement du montant des capacités de sorties avec aides publiques.

En outre, afin d'accompagner socialement les plans de reconstitution, le troisième règlement autorise les Etats membres à majorer de 20 % les primes maximales de sortie de flotte pour les navires qui verraient leur activité réduite de plus de 25 %.

Ces trois premiers textes ont par ailleurs été complétés par la publication par la Commission de documents supplémentaires concernant l'aquaculture, la pêche en méditerranée, les avis scientifiques et la politique de contrôle.

4. La position française

Dès le Livre vert de la Commission présenté, le Gouvernement français avait fait connaître, lors du Conseil des ministres de juin 2002, ses plus grandes réserves sur le projet de réforme.

La France avait certes reconnu que le diagnostic de la Commission était juste, tant il est vrai que le secteur de la pêche se caractérise dans l'Union européenne par d'importantes surcapacités au regard des ressources halieutiques disponibles, tout en considérant que cette disproportion provenait d'un certain laxisme dans l'application et le contrôle des règlements.

Le Gouvernement s'était toutefois alarmé du déséquilibre existant dans le projet de réforme entre l'objectif -légitime- de protection de la ressource et les dimensions sociale, économique et territoriale de la pêche. Il avait également reproché à la Commission de s'être montrée « provocante » vis-à-vis des professionnels concernés et de vouloir faire preuve d'une trop grande brutalité dans la mise en oeuvre des solutions proposées.

En parvenant à rallier à elle les pays du sud de l'Europe (Espagne, Portugal, Italie et Grèce) ainsi que l'Irlande, la France a réussi à maintenir jusqu'au bout de la négociation une forte « minorité de blocage » qui lui a permis de préserver ses intérêts en faisant en sorte que :

- les règles de gestion des stocks halieutiques reconnaissent le principe de la pluriannualité et la distinction des stocks réellement en difficulté sur le plan biologique de ceux connaissant une situation satisfaisante ;

- le transfert de compétences du Conseil vers la Commission en matière de fixation des autorisations de capture et des mesures techniques soit rejeté du fait du caractère éminemment politique de ces décisions ;

- la date du 1 er janvier 2003 soit abandonnée au profit du 1 er janvier 2005 pour la suppression des aides publiques, tant nationales que communautaires, à la construction et à la modernisation des navires de pêche ;

- les besoins spécifiques ressentis dans les départements d'Outre-Mer, ainsi que ceux exprimés dans les pêcheries méditerranéennes, soient pris en considération.

5. Les conséquences de la réforme sur la pêche française

La restructuration de la flotte de pêche française en cours et à venir n'est pas seulement la conséquence de la réforme de la PCP. Elle trouve en effet son origine dans une réalité économique et biologique que notre pays partage avec bon nombre d'Etats membres : une surcapacité structurelle des équipements de pêche par rapport à la disponibilité des ressources halieutiques. Aussi le plan ambitieux de modernisation de la flotte de pêche lancé par le Gouvernement vise t-il autant à remédier à cet état de fait qu'à transposer en droit interne la réforme européenne.

Afin de tirer le meilleur parti de cette nécessaire restructuration, le Gouvernement a incité à la sortie de flotte des navires pêchant principalement sur les stocks pour lesquels notre pays dispose des marges de manoeuvre les plus faibles en termes de quotas (cabillaud, merlu, baudroie, sole et langoustine). Cette politique permettra en outre à nos pêcheurs d'alléger les contraintes découlant de la mise en place des schémas d'effort de pêche prévus dans les plans de reconstitution.

Il reste cependant évident que la suppression, à terme, des aides publiques, tant nationales que communautaires, à la construction et à la modernisation des navires de pêche -principale nouveauté introduite par la réforme de la PCP- aura des effets structurels importants dans un pays comme la France où la tradition interventionniste est extrêmement prégnante. Si des inquiétudes sont exprimées à ce sujet chez les professionnels de la pêche, peut-être ces mesures inciteront-elles au moins ces derniers à éviter de coûteux surinvestissements dans un contexte de raréfaction des ressources halieutiques.

S'agissant de la gestion des ressources , la mise en place des plans de gestion et de reconstitution permettra de disposer en la matière d'une vision à moyen et long terme, au lieu d'enfermer Commission et Conseil dans des négociations annuelles souvent centrées sur le court terme. Ils obligeront par ailleurs le Conseil à clarifier les objectifs de gestion de la ressource sous-jacents aux règles de fixation des TAC. Ainsi, pour chaque stock, les objectifs de gestion établiront clairement le niveau de biomasse et le taux d'exploitation qu'il serait souhaitable de maintenir en vue d'une exploitation durable de la ressource.

Parallèlement à cette clarification des objectifs, va se trouver accrue la concertation des professionnels du secteur à travers les conseils consultatifs régionaux , instances créées afin de recueillir l'avis des acteurs concernés dans le cadre de la préparation des prises de décision communautaires. Les professionnels français devraient ainsi pouvoir s'approprier davantage les éléments de la PCP réformée et s'impliquer plus encore dans les procédures de discussion et de décision.

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