C. UN EFFORT À ACCENTUER POUR UN DOMAINE STRATÉGIQUE

Indépendamment de la continuité à assurer pour nos capacités en matière d'observation et de télécommunications, il ne paraît pas envisageable de laisser l'Europe à l'écart d'autres applications militaires de l'espace telles que l'écoute, la détection des tirs de missiles balistiques ou la surveillance de l'espace.

Le lancement, par la France, de plusieurs démonstrateurs, est une première étape, mais il est nécessaire de la prolonger par des programmes à vocation opérationnelle.

1. De nouvelles applications limitées à la réalisation de démonstrateurs expérimentaux

La part des études-amont consacrées à l'espace s'élèvera en 2006 à 12,6 % des autorisations d'engagement et à 10,2 % des crédits de paiement. Sur l'ensemble des crédits de recherche et technologie, la part du spatial représente plus de 15 % des crédits si l'on intègre la contribution importante (plus de 70 % des transferts au BCRD), destinée au Centre national d'études spatiales (CNES). Il faut se féliciter sur ce point de la création au sein du CNES d'une « équipe défense », intégrant des responsables du ministère de la défense, en vue de créer une véritable synergie entre les deux parties.

On le voit, l'effort de recherche dans le domaine spatial est loin d'être négligeable. Il se traduit par le lancement de plusieurs démonstrateurs destinés à valider les technologies pour l'accès à de nouvelles applications militaires de l'espace .

Le premier de ces domaines est celui de l' écoute électromagnétique , qui se subdivise elle-même en deux volets : l'écoute des signaux techniques (ELINT) émis par exemple par les radars ou les systèmes d'armes, et l'écoute des communications humaines (COMINT). Deux développements exploratoires avaient déjà été effectués avec le lancement, en même temps que les satellites Hélios I, des deux micro-satellites Cerise et Clémentine, qui ont été exploités durant quelques années. Sur la base des mesures ainsi acquises ont été développés dans le cadre du programme Essaim quatre micro-satellites d'écoute électronique qui ont été lancés fin 2004 en passagers du satellite Helios II. L'exploitation du démonstrateur est prévue sur 3 ans. Le Centre électronique de l'armement (CELAR) assure la programmation des missions et l'exploitation des données acquises. Ce démonstrateur ne porte pas, à ce stade, sur l'écoute elle-même, mais sur la détection, la localisation et l'identification des émissions électromagnétiques radar . Les moyens satellitaires sont particulièrement adaptés à la détection d'indice d'alerte, révélateurs d'une menace naissante. Il faut souligner que depuis le retrait des DC 8 Sarigue, la France ne dispose plus en la matière de capacité d'écoute électromagnétique aéroportée.

En matière d' alerte spatiale, aux fins de détection des tirs de missiles balistiques pendant leur phase propulsée et de détermination de leur trajectoire, un démonstrateur Alerte est en cours de développement. Il sera constitué de deux micro-satellites dotés d'un instrument d'observation infrarouge. Le lancement pourrait intervenir en 2008.

Un troisième domaine en cours d'étude concerne les liaisons laser. Le développement du démonstrateur Lola (liaison optique laser aéroportée) qui a pour objet d'expérimenter une liaison laser entre un drone d'observation et un satellite, a été lancé. L'objectif étant de rapatrier en temps réel les informations recueillies pour réduire la « boucle » de transmission. La démonstration devrait débuter en 2006.

Enfin, la surveillance de l'espace constitue une quatrième application, destinée à repérer et identifier des véhicules spatiaux de toute nature, à l'aide de dispositifs optiques (télescopes) et micro-ondes (radars) installés au sol. Ces capacités n'existent pas pour l'instant en Europe alors que la dépendance croissante de nos sociétés à l'égard des moyens satellitaires justifierait l'acquisition d'outils de contrôle. Pour l'instant La France dispose du radar expérimental Graves qui devrait fournir un service opérationnel à compter de 2005, mais sur une couverture très partielle de l'espace, limitée aux satellites qui survolent le territoire métropolitain.

Le lancement de ces démonstrateurs traduit l'effort réalisé en matière de recherche et de technologie dans le domaine spatial, mais aucun horizon n'est fixé pour l'acquisition de capacités opérationnelles .

2. La nécessité d'un effort européen plus soutenu

Le ministre de la défense a régulièrement souligné sa conviction que l'espace jouerait durant les prochaines années un rôle aussi stratégique que le nucléaire durant la guerre froide.

Ce constat est largement partagé et les investissements massifs de l'ordre de 20 milliards de dollars par an réalisés par les Etats-Unis dans le domaine spatial militaire ne laisse aucun doute à ce sujet.

Il reste désormais à définir comment cette conviction peut se traduire par des inflexions concrètes dans notre politique de défense.

Le ministre de la défense a créé en octobre 2003 un groupe d'orientation stratégique de politique spatiale de défense (GOSPS) dont le mandat était de déterminer, en partant d'une analyse de l'évolution du contexte stratégique, les capacités spatiales de défense et de sécurité, clés d'une autonomie stratégique nationale. Les conclusions du groupe ont été remises au ministre de la défense en septembre 2004 et devraient être intégrées dans les réflexions préalables à l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire. Il a été précisé à votre rapporteur que le rapport du groupe d'orientation stratégique abordant des sujets particulièrement sensibles, comme les besoins de nos services de renseignement, ses conclusions ne pouvaient pas être communiquées à ce stade.

Il est toutefois intéressant de se reporter aux observations formulées par le président du groupe d'orientation stratégique , M. François Bujon de l'Estang. Celui-ci considérait 3 ( * ) les capacités spatiales françaises étaient loin d'être insignifiantes mais restaient « incomplètes et, dans certains domaines, embryonnaires ou inexistantes ». Il déclarait également : « l'avenir des filières n'est pas assuré, l'enchaînement des démonstrateurs et des programmes opérationnels n'est pas planifié. Au fil de la décennie 1990, le budget spatial militaire s'est trouvé en termes réels diminué de plus de moitié. Aucun programme nouveau, faute de décision dans les années passées, faute aussi d'une organisation défendant les couleurs de l'espace dans les armées, n'est prévu au-delà de 2010 ».

Considérant qu'il était plus que temps de réagir, M. Bujon de l'Estang estimait que « les besoins sont avérés, et les moyens de les satisfaire ont été identifiés et sont à la portée de l'Europe ». Votre rapporteur rappelle ici que la plupart des experts, et en dernier lieu le groupe Space & security qui a rendu un rapport à la Commission européenne le 24 mars dernier, estiment que pour couvrir les besoins liés à la sécurité, les budgets spatiaux qui y sont consacrés dans l'Union européenne devraient passer de 1 milliards d'euros actuellement à 2 milliards d'euros en 2012, soit 1 milliard d'euros supplémentaire d'ici sept ans pour l'ensemble des 25 pays européens .

Dans cette perspective, M. Bujon de l'Estang plaidait pour une « approche nouvelle ... combinant une approche nationale et une approche européenne, et ... recherchant l'effet multiplicateur de la dualité civile-militaire ». Il concluait en appelant à une forte volonté politique et budgétaire, la France se devant de montrer l'exemple pour légitimer l'appel à un effort commun.

Votre rapporteur partage pleinement cette analyse étayée par les travaux menés une année durant au sein du groupe créé par le ministre de la défense.

* 3 Politique spatiale stratégique : le temps des décisions - M. François Bujon de l'Estang - Le Monde, mardi 14 juin 2005.

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