EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

L'article 1 er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».

Dans la lignée de ce principe de valeur constitutionnelle, le législateur a adopté de nombreux textes visant à rendre effective l'égalité des droits, tels que la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations et, plus récemment encore, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

L'action politique doit en effet se donner pour objectif d'offrir à tous les mêmes chances, c'est-à-dire d'assurer à chaque citoyen une liberté réelle égale.

Après les violences urbaines du mois de novembre 2005, l'égalité des chances, déclarée grande cause nationale de l'année 2006, constitue une priorité de l'action des pouvoirs publics.

Le développement et l'aggravation de certaines inégalités représentent aujourd'hui une menace pour la cohésion sociale. Ces inégalités ne tiennent pas seulement à des différences de revenus, mais à la fragilisation des liens fondamentaux qui font de chaque personne un élément du corps social, tels que l'éducation ou l'accès à l'emploi.

Quand de tels liens sont menacés, voire dissous, l'égalité des droits risque d'être perçue comme une simple déclaration de principe.

Comme l'analysait le Conseil d'Etat en 1996, lorsque l'égalité est compromise par la précarisation d'une partie de la population et particulièrement de la jeunesse, elle ne peut être confortée que par une conception plus active de la solidarité 1 ( * ) .

Aussi le Sénat est-il appelé à examiner en première lecture, après déclaration d'urgence, le projet de loi pour l'égalité des chances 2 ( * ) , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, troisième alinéa, de la Constitution, le 9 février 2006.

Ce texte a été renvoyé, pour son examen au fond, à la commission des affaires sociales qui a désigné notre collègue Alain Gournac en qualité de rapporteur.

Votre commission des lois a décidé de se saisir pour avis des dispositions relatives à la protection des libertés publiques, aux compétences des collectivités locales et au droit pénal, qui relèvent de son champ de compétence. Les commissions des finances, des affaires économiques et des affaires culturelles se sont également saisies pour avis de certaines dispositions de ce projet de loi.

Sont ainsi examinés dans le présent rapport :

- les articles 19 à 22 , tendant à renforcer les pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ainsi qu'à consacrer le « testing » comme mode de preuve des comportements discriminatoires ;

- les articles 24 et 25 , relatifs au contrat de responsabilité parentale ;

- les articles 26 et 27 , visant à renforcer les pouvoirs des maires dans la lutte contre les incivilités.

*

Après avoir rappelé la spécificité des comportements discriminatoires, et dressé un bilan d'étape de la lutte contre les discriminations dans notre pays, quatorze mois après l'adoption définitive de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), votre rapporteur présentera les dispositions du projet de loi pour l'égalité des chances dont votre commission des Lois s'est saisie pour avis, ainsi que les amendements que votre commission soumet au Sénat.

*

* *

I. BILAN D'ÉTAPE DE LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS EN FRANCE

La discrimination n'est pas une simple atteinte au principe d'égalité. Celui-ci peut en effet admettre des différences de traitement fondées sur des différences de situation concrètes ou justifiées par des motifs d'intérêt général, en rapport avec l'objet ou le but de la loi ou du règlement qui l'établit 3 ( * ) .

La discrimination est une différence de traitement arbitraire, illégitime et contraire au droit .

A. DES COMPORTEMENTS RÉPANDUS, SOUVENT DÉNIÉS

1. Des comportements répandus

Les phénomènes discriminatoires sont ténus et parfois imperceptibles, mais bien réels. Ils peuvent être identifiés dans nos activités les plus quotidiennes.

Ainsi, M. Arnaud de Broca, conseiller technique de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), membre du comité consultatif de la HALDE, a indiqué à votre rapporteur que l'on ne voyait jamais une personne handicapée participer à un jeu télévisé en France, alors que cela arrivait couramment en Italie.

Par ailleurs, l'étude conduite par Mme Nora Barsali sur l'insertion professionnelle des apprentis 4 ( * ) issus de l'immigration montre que les discriminations sont souvent déniées, voire acceptées , le directeur d'un centre de formation par l'apprentissage considérant par exemple que « cela fait partie du paysage ».

Mme Nora Barsali a indiqué à votre rapporteur que le discours institutionnel récusant les présomptions de discrimination tendait à reprendre les arguments avancés par certaines entreprises, réticentes à recruter un apprenti issu de l'immigration au prétexte du racisme ambiant ou de comportements inappropriés d'un ancien employé, ou parce que cela ne plairait pas à sa clientèle.

A cet égard, votre rapporteur souligne que nous ne mesurons sans doute, par exemple par le nombre de saisines de la Haute autorité 5 ( * ) , qu'une part infime des phénomènes discriminatoires dans notre pays.

M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, a d'ailleurs déclaré devant votre commission que le nombre de ces saisines reflétait moins la fréquence des discriminations, que le nombre de personnes se percevant comme victimes de discriminations.

La perception des discriminations pose par ailleurs le problème de l'« invisibilité statistique » 6 ( * ) des populations qui en sont potentiellement victimes et, en particulier, des « minorités visibles ». En effet, si des statistiques permettent de montrer les disparités entre les hommes et les femmes, ou entre les personnes handicapées et les personnes valides dans le monde du travail, de telles données font défaut pour apprécier l'impact des discriminations à raison de l'origine ou de l'appartenance ethnique.

Les travaux conduits par un nombre croissant de chercheurs permettent cependant de mesurer progressivement l'ampleur des discriminations.

Ainsi, selon une donnée statistique établie en 1996, le taux de chômage des jeunes âgés de 22 à 29 ans dont les deux parents sont nés en Algérie s'élève à 42 % pour les hommes contre 11 % en moyenne pour l'ensemble de la population 7 ( * ) .

En outre, une étude fondée sur l'enquête « génération 98 » réalisée par le Centre d'Etudes et de Recherches sur les qualifications (CEREQ) en 2001 8 ( * ) , montre qu'à cette date :

- le taux d'accès à l'emploi était de 80 % pour les jeunes d'origine française et de 64 % pour ceux d'origine maghrébine ;

- chez les hommes, l'écart entre les taux d'accès à l'emploi était de 15 points en faveur des français d'origine ;

- chez les femmes, l'écart entre les taux d'accès à l'emploi était de plus de 17 points en faveur des françaises d'origine ;

- le taux d'accès au CDI parmi les populations d'actifs occupés s'élevait à 73,7 % pour les jeunes d'origine française et à 60,7 % pour ceux d'origine maghrébine.

La société française a longtemps refusé de considérer l'ampleur des phénomènes discriminatoires qui touchent, en particulier dans le monde du travail, les personnes d'origine immigrée « et plus généralement tous ceux, français ou étrangers, que la couleur de leur peau distingue, aux yeux de la majorité, du français «de référence» » 9 ( * ) .

Votre rapporteur souligne que, comme le montrent les études conduites par l'Observatoire des discriminations, la discrimination à raison de l'origine se double souvent d'une discrimination à raison du lieu de résidence, fondée sur les mêmes représentations.

Lors de son audition devant votre commission, M. Jean-François Amadieu, directeur de cet observatoire, a par ailleurs souligné que beaucoup d'employeurs, y compris de grandes entreprises, et les cabinets de conseil en recrutement, ignoraient souvent les dispositions sanctionnant les discriminations, et pour la plupart exposaient leur politique discriminatoire dans des documents écrits, tels que des offres d'emploi mentionnant des conditions d'âge. Il a estimé qu'il était dès lors difficile d'appliquer brusquement des sanctions pénales, tout en soulignant l'effectivité d'une information pédagogique effectuée auprès de tels employeurs.

* 1 Conseil d'Etat, rapport public 1996, Le principe d'égalité, La documentation française, p. 49.

* 2 Déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 11 janvier 2006.

* 3 Selon un considérant classique, le juge constitutionnel estime en effet que le principe d'égalité « ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façons différentes des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » ; cf. notamment les décisions n° s 87-232 DC du 7 janvier 1988, considérant 10, et 91-302 DC du 30 décembre 1991, considérant 6.

* 4 Nora Barsali, L'égalité des chances : un défi à relever dans l'apprentissage - Etude réalisée pour le FASILD (Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations), la DPM (Direction de la population et des migrations) et l'AFCI (Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie), juin 2005.

* 5 Ce nombre s'élevait à 1.377 réclamations au début de février 2006.

* 6 Laurent Blivet, L'entreprise et l'égalité positive, note de l'Institut Montaigne, octobre 2004. Cette étude présente notamment l'intégration de données relatives à l'appartenance ethno-raciale dans le recensement aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada.

* 7 Michèle Tribalat, Jeunes d'origine étrangère en France, Futuribles, décembre 1996.

* 8 Arnaud Dupray, Stéphanie Moullet, L'insertion des jeunes d'origine maghrébine en France. Des différences plus marquées dans l'accès à l'emploi qu'en matière salariale ; mai 2004. L'enquête Génération 98 a porté sur 55.000 jeunes sortant du système éducatif en 1998, tous niveaux et toutes spécialités de formation confondus ; les chercheurs ont choisi de fonder l'origine maghrébine des personnes sur le pays de naissance du père, quand celui-ci ne s'est pas déclaré français d'origine (les fils et filles de pieds noirs sont en effet français d'origine).

* 9 Rapport de M. Roger Fauroux sur la lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi, juillet 2005.

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