2. Les principes de la loi du 3 mars 1968 se sont émoussés

a) Les régimes de protection existants

Pour pouvoir adapter la protection de la personne en fonction de ses besoins, le juge dispose aujourd'hui de quatre types de mesures qui se distinguent par le degré de contrainte qu'elles apportent à la liberté du majeur protégé.

? Les mesures de protection prévues par le code civil reposent sur trois principes :

- elles ne peuvent être prononcées qu'en présence d'une altération des facultés personnelles mettant la personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts, qui doit être constatée par un médecin ;

- la mesure doit être nécessaire et subsidiaire compte tenu de l'incapacité civile qu'elle entraîne et de sa légitimité au regard des libertés individuelles ;

- un rôle central est dévolu à la famille et la priorité doit lui être conférée dans l'attribution de la tutelle.

Trois régimes de protection sont prévus par la loi du 3 janvier 1968 :

- la sauvegarde de justice : il s'agit d'une mesure temporaire, médicale ou judiciaire, dont l'objectif est préventif. Elle permet à la personne de conserver l'exercice de ses droits mais les actes qu'elle passe sont susceptibles de révision a posteriori ;

- la curatelle : elle concerne les personnes qui, sans être hors d'état d'agir par elles-mêmes, ont besoin d'être conseillées ou contrôlées dans les actes de la vie civile. La personne sous curatelle peut accomplir seule les actes d'administration mais ne pourra effectuer d'acte qui engage son patrimoine sans l'assistance de son curateur. La curatelle peut, sur décision du juge des tutelles, être allégée ou aggravée ;

- la tutelle : elle est ouverte lorsque la personne a besoin d'être représentée de manière continue dans les actes de la vie civile. La personne sous tutelle est déchargée de l'exercice de ses droits (y compris le droit de vote) et ne peut plus passer aucun acte seule.

? Complément de ce dispositif, la tutelle aux prestations sociales n'est pas, sur le plan juridique, un régime d'incapacité. Cette mesure temporaire a un caractère éducatif et social : son objectif est l'amélioration, via un accompagnement social adapté, des conditions de vie du majeur. Elle permet de confier à une personne qualifiée la perception de tout ou partie des prestations sociales de l'intéressé, lorsqu'il ne les utilise pas lui-même dans son intérêt ou s'il vit dans des conditions d'alimentation, de logement ou d'hygiène précaires en raison de son état mental ou d'une déficience physique.

b) Des dérives unanimement constatées

Les dérives du dispositif de protection juridique des majeurs font l'objet d'un constat très largement partagé. Elles ont été particulièrement bien synthétisées par le rapport du groupe de travail interministériel présidé par Jean Favard en 2000 1 ( * ) , qui pointait particulièrement trois de ses failles :

? le critère légal d'altération des facultés personnelles de l'intéressé a d'abord été largement perdu de vue : l'obligation de présenter un certificat médical attestant de cette altération n'est pas universellement respecté, puisqu'en cas de saisine d'office du juge des tutelles, celui-ci n'est pas obligé d'en requérir l'établissement. Cette exception est d'ailleurs largement utilisée par les juges pour « repêcher » des saisines familiales qui, en l'absence de certificat, seraient déclarées automatiquement irrecevables.

Par ailleurs, les critères retenus par le juge pour ouvrir une mesure de protection s'éloignent parfois sensiblement de cette seule appréciation médicale. De plus, comme en témoigne le tableau suivant, les pathologies rencontrées sont souvent mal caractérisées.

Critères pris en compte par le juge pour l'ouverture
des mesures de tutelle et curatelle d'Etat

Altération mentale et/ou physique mal caractérisée

39,5 %

Surendettement, prodigalité

21,1 %

Troubles psychiques

15,8 %

Débilité légère ou profonde

15,8 %

Psychoses maniaco-dépressives

7,9 %

Démence sénile

5,3 %

Autres

7,9 %

Remarque : enquête portant sur un échantillon de deux cents dossiers de tutelle ou curatelle d'Etat. Le total dépasse 100 % dans la mesure où un cumul de qualification est possible.

Source : rapport sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs établi par l'inspection générale des finances, l'inspection des services judiciaires et l'inspection générale des affaires sociales, juillet 1998

Il convient notamment de souligner la forte proportion de mesures pour lesquelles la prodigalité, voire le simple surendettement, sont à l'origine de la demande : d'après cette enquête, une mesure sur cinq serait motivée, à titre principal ou subsidiaire, par ce critère.

? La priorité familiale dans la dévolution des mesures a été battue en brèche : les tutelles confiées à des mandataires professionnels atteignent aujourd'hui plus de 41 % des mesures ouvertes par les juges des tutelles.

Plusieurs motifs peuvent conduire le juge à écarter la famille, même lorsqu'elle existe : celle-ci peut être introuvable, rares étant les juges qui ordonnent des recherches approfondies dans ce but ; l'existence d'un conflit familial peut faire obstacle au bon fonctionnement de la mesure ; le juge peut également estimer que l'influence du milieu familial est nocive ; enfin, la famille elle-même peut refuser d'exercer la mesure.

S'agissant tout particulièrement des malades psychiques, il convient en outre de souligner la grande fréquence des certificats médicaux déconseillant l'exercice de la tutelle ou de la curatelle par la famille, pour des raisons liées à l'efficacité du traitement.

Il reste que, d'après le rapport des trois inspections de 1998, dans 45 % des cas, le juge ne motive pas les raisons qui le poussent à constater la vacance de la tutelle et donc à attribuer la mesure à un tiers.

? Enfin, le non-respect de la gradation des mesures conduit à des mesures mal adaptées aux besoins : cette situation s'explique particulièrement par le fait qu'aujourd'hui, rien n'oblige les juges des tutelles à réviser régulièrement les mesures qu'ils prennent. Plus les mesures sont anciennes, plus elles risquent d'être inadaptées. C'est notamment le cas pour les mesures concernant les jeunes adultes handicapés, dont la situation est susceptible de beaucoup d'évolutions. Le manque d'adaptation des mesures est sans doute l'une des raisons pour lesquelles la protection est mal vécue par les intéressés qui la ressentent comme abusive.

* 1 Rapport définitif du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs présidé par Jean Favard, remis au ministre de l'emploi et de la solidarité, au ministre de la justice et au ministre de l'économie et des finances, avril 2000.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page