IV. LA QUESTION DES POPULATIONS SENSIBLES

La politique de régulation des flux migratoires ne peut recueillir l'assentiment le plus large que si elle s'exerce avec humanité. A cet égard, cette politique doit toujours faire la preuve qu'elle prend en compte la situation des plus faibles, en particulier des mineurs isolés et des étrangers malades.

Concernant les mineurs isolés, il convient de rappeler que la France est signataire de la Convention internationale du 26 janvier 1990 sur les droits des enfants (Convention de New-York) . L'article 3 de cette convention dispose notamment que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

A. LE PROBLÈME DES MINEURS ISOLÉS

1. L'arrivée des mineurs isolés sur le territoire national

a) Une évaluation imprécise du nombre de mineurs isolés

Les outils statistiques actuels ne permettent pas de recenser au niveau national les mineurs isolés s'étant présentés à la frontière . En revanche, les mineurs, isolés ou non, ayant fait l'objet d'une mesure de non-admission, sont comptabilisés par le logiciel PAFISA depuis janvier 2006. Par ailleurs, il existe des données pour l'aéroport ROISSY-Charles de Gaulle, principal point d'entrée sur le territoire.

En 2008, 1.116 mineurs au total n'ont pas été admis en métropole. A l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, 1 000 étrangers se sont déclarés mineurs isolés en 2008 contre 822 en 2007 (818 étaient âgés de plus de 13 ans et 182 étaient âgés de moins de 13 ans). Sur ces 822 personnes s'étant présentées en 2007, 680 ont été déclarés réellement mineurs après examen ; parmi ces derniers, 455 avaient plus de 13 ans, et 225 moins de 13 ans. En outre, 424 sur 680, c'est-à-dire 62 %, ont été effectivement admis, à des titres divers, sur le territoire.

b) Un régime juridique qui diffère peu de celui des adultes

Pour l'essentiel, le Code de l'entrée du séjour des étrangers et du droit d'asile traite de la même manière les majeurs et les mineurs. Ainsi, le mineur peut rester jusqu'à 20 jours dans la zone d'attente - appelée ZAPI 3 à l'aéroport de Roissy. La loi n°2002-305 du 4 mars 2002 (article L.221-5 du CESEDA) relative à l'autorité parentale, complétée par le décret du 2 septembre 2003, a cependant prévu la mise en place d'un administrateur ad hoc au profit des mineurs étrangers isolés . Le parquet des mineurs de Bobigny, averti par la police aux frontières, est chargé de la désignation de cet administrateur. Celui-ci a pour mission, d'une part, d'assister le mineur étranger isolé durant son maintien en zone d'attente et de le représenter dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien, ainsi que dans toutes celles afférentes à son entrée sur le territoire national, d'autre part, d'assister et de représenter ce mineur dans le cadre de procédures relatives à la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié qu'il aura pu former. Sur 1.000 mineurs déclarés en 2008, un administrateur ad hoc a été désigné à 905 reprises, soit dans environ 90 % des cas, contre environ 87 % en 2008 et 77 % en 2007.

En cas de doute sur son âge réel, les services de la police aux frontières requièrent les services hospitaliers aux fins de réaliser un examen osseux permettant d'estimer l'âge de l'intéressé. En tout état de cause, le procureur de la République est informé des faits. Le résultat de cet examen lui est communiqué et il lui appartient d'apprécier si l'étranger doit être considéré comme majeur ou mineur et si la procédure de désignation de l'administrateur ad hoc est ou non applicable.

La mission de l'administrateur ad hoc, que seule la Croix-Rouge Française assurait auparavant, a été partagée au profit d'une deuxième association (Famille assistance), à partir du second semestre 2008. Votre rapporteur souligne qu'il est nécessaire de tendre le plus rapidement possible vers un taux de 100 % de désignation. En effet, la présence de cet administrateur ne doit pas s'interpréter comme un droit supplémentaire ou une procédure destinée à entraver l'activité des services de police, mais comme le corollaire indispensable de la minorité des individus, qui les rend juridiquement incapables.

Pour le moment, si l'administrateur n'est pas entré en contact avec le mineur au bout de quatre jours, le juge des libertés et de la détention considère ce fait comme une atteinte majeure aux droits du mineur isolé, et celui-ci accède de facto au territoire national. Il arrive cependant très souvent que le mineur soit expulsé avant ce délai de quatre jours . En outre, l'administrateur ad hoc n'intervient en général qu'après le placement en zone d'attente. Cette situation est préjudiciable dans la mesure où, pour prétendre au bénéfice du jour franc interdisant tout refoulement dans les 24 heures de l'arrivée de l'étranger, ce dernier doit expressément en faire la demande. Il convient donc qu'il soit informé immédiatement de ce droit.

c) Un traitement matériel spécifique

Sur le plan matériel, les mineurs isolés font l'objet d'un traitement particulier, selon leur âge. Les mineurs de moins de treize ans sont ainsi hébergés dans un hôtel, sous la surveillance d'une assistante maternelle. Ces placements sont pris en charge par la compagnie aérienne qui a acheminé les enfants. Par ailleurs, il est prévu, au sein de la zone d'attente existante (ZAPI 3), l'aménagement d'une zone dédiée aux mineurs de moins de treize ans . La gestion de cette structure spécifique a été confiée à la Croix Rouge française par voie de convention. Les travaux sont en cours de réalisation. Les mineurs de plus de treize ans seront quant à eux logés dans la structure d'hébergement de la zone d'attente.

d) La création d'un groupe de travail interministériel

Le 11 mai 2009, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a installé un groupe de travail interministériel sur la situation des mineurs étrangers isolés . Ce groupe est composé à la fois d'acteurs institutionnels appartenant à différents départements ministériels et de représentants du secteur associatif. Il a pour mission, après avoir élaboré un diagnostic partagé de la situation de ces jeunes, de formuler des propositions d'amélioration du dispositif existant, dans les différentes séquences de la procédure, y compris s'agissant de sa prise en charge en cas d'admission sur le territoire national.

La synthèse des travaux de ce groupe de travail, qui permettra sans doute au ministre de proposer certains aménagements aux dispositions concernant les étrangers mineurs isolés, est, au moment de la rédaction de ce rapport, en cours d'élaboration. Elle n'aboutira pas, en tout état de cause, à la fin de la régulation du flux des mineurs isolés, dans la mesure où le contrôle reste dissuasif pour les filières d'immigration illégale, même s'il n'aboutit qu'à rejeter un tiers ou un quart des demandes.

2. Les mineurs isolés présents sur le territoire français

Dès lors que des mineurs sont admis sur le territoire national ou qu'ils réussissent à y pénétrer irrégulièrement se pose la question de leur prise en charge par les autorités et de leur devenir à leur majorité.

a) La dispense de titre de séjour jusqu'à la majorité

Les étrangers mineurs ne sont pas assujettis à la possession d'un titre de séjour . Les étrangers mineurs isolés qui ont été admis à entrer sur le territoire, ou qui ont franchi illégalement une frontière française sans être contrôlés, bénéficient ainsi de cette dispense, ainsi que d'une protection contre l'éloignement, en vertu de l'article L.511-4 du CESEDA.

Une fois sur le territoire, le juge des enfants (saisi par le juge des libertés, le parquet des mineurs, l'administrateur ad hoc ou agissant d'office), peut décréter, en application du critère de danger de l'article 375 du Code civil, une mesure d'assistance éducative. Cette décision du juge doit prévoir le placement du mineur soit dans un établissement de droit commun (services départementaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou direction de la protection judiciaire de la jeunesse, soit dans d'autres services associatifs spécifiques comme le CAOMIDA- spécialisé dans l'accueil des mineurs isolés demandeurs d'asile- ou le LAO- conçu comme un centre de premier accueil des mineurs en provenance de l'aéroport de Roissy).

Cette absence d'obligation de titre de séjour rend difficile la tenue de statistiques fiables sur le nombre d'enfants isolés présents sur le territoire . De ce fait, ce sont plutôt les services de l'aide sociale à l'enfance de chacun des conseils généraux qui disposent des éléments permettant de connaitre le nombre de mineurs étrangers isolés dans leur département respectif. Aucune consolidation nationale n'est effectuée.

Toutefois, il est aussi possible de consulter le nombre de titres de séjour portant la mention « vie privée et familiale » délivrés à des étrangers atteignant 18 ans, qui ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de 16 ans. De juillet 2008, date à laquelle l'outil statistique du fichier national des étrangers a été mis à jour, à décembre 2008, 118 jeunes majeurs ont reçu un titre de séjour sur ce fondement.

Par ailleurs, la protection judiciaire de la jeunesse estime chaque année à environ 2.500 le nombre de mineurs étrangers isolés ayant un contact avec l'autorité judiciaire, et à 1 500 le nombre de ceux qui sont pris en charge.

b) La majorité du jeune isolé : une question toujours sensible

La question de l'admission au séjour de ces mineurs isolés autorisés à résider sur le territoire national se repose lors de leur accession à la majorité.

Selon l'article 21.12 du Code civil, le mineur étranger pris en charge par les services de l'ASE peut demander la nationalité française par déclaration avant d'atteindre sa majorité. Avant 2003, les seuls documents à fournir par le mineur isolé étaient sa preuve d'identité et la décision judiciaire d'assistance éducative. Depuis la loi du 26 novembre 2003 11 ( * ) , le mineur étranger qui souhaite demander la nationalité française par cette voie doit justifier d'une période minimale de trois ans sous protection de l'ASE.

Jusqu'en 2005, il n'existait pratiquement aucune autre possibilité de régularisation et, en conséquence, une grande majorité des mineurs placés à l'ASE après l'âge de 15 ans risquait d'être en situation irrégulière dès leur majorité.

Pour permettre à ces mineurs d'accéder facilement à des formations professionnelles, des modifications ont été apportées au code du travail par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, complétée par une circulaire du 2 mai 2005. La loi du 24 juillet 2006 a ensuite pérennisé le dispositif, en introduisant une nouvelle disposition offrant la possibilité d'admission au séjour à l'article L.313-11 2° bis du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Désormais, une carte de séjour au titre de la vie privée et familiale est délivrée de plein droit à l'étranger qui a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance depuis l'âge de 16 ans et qui justifie être inscrit dans un parcours d'insertion.

La loi précitée du 24 juillet 2006 permet ainsi de régler plus facilement le cas de ces mineurs isolés en leur délivrant un titre de séjour. En revanche, les mineurs arrivés après l'âge de 16 ans ne disposent pas, pour le moment, d'un droit au séjour, sauf situation particulière relevant de l'appréciation du préfet. Leur situation fera peut-être l'objet de propositions du groupe de travail interministériel (voir ci-dessus).

* 11 Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

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