Article 11 bis (nouveau) (article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques) - Neutralité des réseaux

Commentaire : cet article additionnel renforce, au profit du régulateur national des communications électroniques, les outils lui permettant de faire respecter par les différents acteurs concernés le principe de neutralité des réseaux.

La neutralité des réseaux, concept encore inconnu voici quelques années, fait l'objet d'une actualité inédite du fait de l'importance cruciale de ses enjeux, à la fois techniques, économiques et politiques.

Si un cadre normatif a minima existe aujourd'hui, notamment à travers le « paquet télécoms » et sa transposition en cours, il parait opportun, au regard de l'évolution prévisible des pratiques, de le renforcer. C'est l'objet du présent article additionnel.

A. Le triple enjeu lié à la neutralité des réseaux

Au coeur de cette problématique, de plus en plus médiatisée, se trouve un triple enjeu fondamental pour l'avenir des réseaux et, plus largement, pour l'échange d'informations au sein de nos sociétés.

Le premier enjeu est d'ordre technique ; il est relatif au bon fonctionnement des réseaux et dépend en grande partie des fournisseurs d'accès. L' accès à Internet étant un service dit « non managé » , les paquets de données parviennent à l'équipement terminal selon une vitesse fluctuante en fonction de la densité du trafic. L'utilisateur n'a, dès lors, aucune garantie sur le temps d'affichage d'une page web ou le délai d'acheminement d'un courriel. A l'inverse, la téléphonie et la télévision sur ADSL sont des services dits « managés », dont la qualité est gérée et garantie par les opérateurs.

Or, les flux sur Internet connaissent une double rupture aujourd'hui, qui fait craindre une congestion du réseau , surtout le réseau mobile :

- ils augmentent très rapidement en quantité : selon l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE), + 40 % par an d'ici 2013 pour la voix, et + 100 % pour les données d'ici 2014 ;

- leur nature évolue : les échanges asymétriques réseau vers les utilisateurs se développent de façon exponentielle, avec le streaming et la consultation de vidéo.

La nécessaire « gestion de la rareté » qui découle de ces évolutions s'accommode mal d'offres de services présentées comme « illimitées » par les opérateurs mobiles. Elle suscite l'impatience et l'incompréhension d'utilisateurs « surfant » sur l'Internet à des débits réels bien inférieurs à ceux annoncés en théorie, et pours lesquels ils ont rémunéré leur fournisseur d'accès.

L'enjeu de la neutralité du Net est également économique . L'écosystème numérique, qui représente aujourd'hui 6 à 7 % du PIB mondial, en constituera 20 % dans une dizaine d'années et structurera l'ensemble de l'économie mondiale. Afin que celle-ci poursuive son développement il importe que le Net continue de fonctionner de façon souple, fluide et transparente.

Or, ces dernières années, la valeur ajoutée s'est déplacée de l'amont (fournisseurs d'accès) vers l'aval (éditeurs de contenus) de la chaine de valeur. Les premiers ont ainsi investi le segment des seconds, et la frontière s'est brouillée entre les acteurs, avec des phénomènes de concentration verticale. D'où la tentation pour chacun, sur un marché donné, de favoriser ses services sur un autre marché par rapport à ses concurrents, et donc de restreindre à cet effet l'accès au réseau de ces derniers. Cette pratique, de nature discriminatoire, est contraire aux principes généraux de pertinence, de proportionnalité, d'efficacité, d'information préalable et de transparence ayant présidé à la naissance du réseau Internet.

Mais les problématiques liées à la neutralité du Net débordent largement le cadre des terminaux informatiques classiques pour concerner :

- les téléphones mobiles . L'accès peut y être favorisé pour certaines applications (ex : App store pour Apple), et certains logiciels au contraire écartés (ex : pas de technologie flash sur les Iphones) ;

- les moteurs de recherche . Le caractère objectif du référencement et de la présentation des résultats par ces derniers fait question. Surtout quand on sait que le moteur Google représente à lui seul les deux-tiers des recherches ;

- les télévisions connectées . Des partenariats entre constructeurs de télévisions et éditeurs de contenus (ex : Sony et Google) prévoient d'ores et déjà des clauses d'exclusivité, qui font craindre des modèles fermés préjudiciables aux consommateurs.

Enfin, la problématique de la neutralité des réseaux relève d'une dimension politique certaine . De nombreuses institutions, telles que la Commission européenne au niveau communautaire, ou les deux assemblées parlementaires, le Gouvernement, l'ARCEP ... se sont emparées du sujet et ont formulé des propositions de réforme du cadre normatif. Le Sénat , à l'initiative de ses groupes d'études « postes & communications électroniques », relevant de la commission en charge de l'économie, et « médias et nouvelles technologies », relevant de la commission en charge de la culture, a de son côté organisé, le 26 octobre 2010 , une table-ronde sur le sujet qui a réuni l'ensemble des acteurs concernés.

En effet, le réseau Internet est devenu un bien public stratégique , véhiculant des libertés aussi fondamentales que les libertés d'expression, d'information ou encore d'accès à l'information, auxquelles le Conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle .

Il résulte des différents travaux menés sur le sujet que ce réseau doit être gouverné par un principe général de neutralité, et que les mesures de gestion technique des réseaux prises par les opérateurs doivent impérativement être justifiées, proportionnées, non discriminatoires et transparentes.

B. Quel cadre de régulation pour assurer la neutralité des réseaux ?

Le cadre juridique national reconnaît déjà la liberté de communication (article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen), qui comprend la liberté d'accéder aux services en ligne (Conseil constitutionnel, 10 juin 2009).

Les opérateurs sont par ailleurs soumis à une obligation de neutralité (article L. 33-1 du CPCE).

Le ministre en charge des communications électroniques et l'ARCEP doivent prendre les mesures permettant d'assurer l'exercice de ces libertés (articles L. 32-1 et L. 34-8 du CPCE).

Ce cadre national est en passe d'être renforcé par le troisième « paquet télécoms » , qui comporte quatre dispositions permettant de mieux garantir le respect du principe de neutralité. On rappellera qu'il s'agit respectivement de :

- la reconnaissance du principe de neutralité , à la fois comme objectif des autorités de régulation nationales et dans une dimension sociétale ;

- la transparence sur les restrictions à l'accès aux réseaux de communications électroniques et les mesures de gestion de trafic pouvant être mises en oeuvre ;

- l'extension du pouvoir de règlement des différends de l'ARCEP aux litiges entre fournisseurs d'accès à Internet et prestataires de services sur l'acheminement du trafic ;

- le pouvoir donné à l'ARCEP de fixer des exigences minimales de qualité de service .

Parallèlement à ces avancées du droit positif, les institutions qui se sont saisies du sujet ont avancé des propositions de réforme, dont certaines préfigurent le contenu des avant-projets d'ordonnances auxquelles renvoie l'article 11 du présent projet de loi.

Le rapport gouvernemental sur la neutralité du Net, remis au Parlement début juillet, propose plusieurs pistes d'évolution règlementaire :

- obliger les opérateurs à informer clairement les fournisseurs et utilisateurs des conditions d'accès à Internet, et notamment de leurs pratiques de gestion du trafic ;

- fournir aux consommateurs un mécanisme de règlement des litiges avec leur opérateur relatifs à la neutralité du Net ;

- imposer aux opérateurs de se doter d'un médiateur indépendant chargé de régler ces litiges ;

- introduire un objectif de non-discrimination dans les relations opérateurs-fournisseurs de services pour l'acheminement du trafic ;

- demander à l'ARCEP de définir des lignes directrices encadrant les mécanismes et pratiques de gestion du trafic acceptables de la part des opérateurs.

Fin septembre, l'ARCEP a justement remis un rapport sur la neutralité du Net, dans lequel elle :

- recommande aux opérateurs et fournisseurs de services de ne pas différencier les modalités de traitement de chaque flux de données en fonction du type de contenu, de service, d'application, de terminal ou en fonction de l'adresse d'émission ou de réception ;

- ouvre la porte à des exceptions liées aux nécessites de gestion des flux, dont elle renvoie le contenu à des travaux entre différents acteurs concernés ;

- entend soumettre ces exceptions à des critères d'efficacité, de pertinence, de proportionnalité, de transparence et de non discrimination.

On notera que la Commission européenne doit remettre prochainement un Livre blanc sur le sujet.

Le Sénat a organisé, à l'initiative notamment de votre commission, une table-ronde sur le sujet, que votre rapporteur pour avis avait animé.

Enfin, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a mis en place, début octobre, une mission d'information sur la Net-neutralité, présidée par Laure de la Raudière, dont les conclusions devraient prochainement être publiées. La présidente de la mission, également rapporteure pour avis du présent texte à l'Assemblée nationale, a déposé un amendement lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale proposant de compléter l'article L. 33-1 du CPCE en vue de soumettre l'exploitation de réseau de communications électroniques ouverts au public au respect de conditions portant sur la neutralité dans ses aspects économique et politique.

Bien que précisant dans son exposé des motifs que des mesures législatives plus précises seraient proposées, le cas échéant, à l'issue du travail mené par la mission d'information qu'elle préside sur la neutralité de l'Internet et des réseaux, et que le pouvoir réglementaire déterminerait les mesures d'application nécessaires, l'auteure de l'amendement a finalement préféré le retirer , à la demande du Gouvernement, dans l'attente de la publication de ces travaux.

C. Les propositions de votre commission

Votre commission a bien pris acte des différents travaux menés ou en cours sur la problématique de la neutralité des réseaux. Elle estime cependant que le sujet, dont l'actualité et les enjeux sont croissants, est désormais suffisamment « mûr » pour compléter le dispositif communautaire par une mesure simple et consensuelle qui garantisse le principe de non discrimination comme un objectif de régulation .

En effet, si les quelques dispositions traitant du sujet au sein du « paquet télécoms » lui semblent devoir être accueillies favorablement, elles ne lui paraissent pas suffisantes , en revanche, pour donner réellement au régulateur national les moyens incontestables d'intervenir en cas de traitement différencié entre opérateurs et fournisseurs de contenus sur l'acheminement du trafic.

Aussi votre proposition vous propose, sans plus attendre, d'adopter un dispositif législatif aussi léger que souple, s'inspirant de propositions déjà avancées, de nature à prévenir ou empêcher de telles pratiques, et garantir ainsi un usage libre et neutre des réseaux. Ceci en modifiant l' article L. 32-1 du CPCE .

En l'état, cet article habilite le ministre chargé des communications électroniques et l'ARCEP à veiller à un certain nombre mission d'intérêt public. Parmi celles-ci, il est fait état de certains éléments ayant à voir avec le concept de neutralité des réseaux , soit :

- « la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence » (4°) ;

- « le respect par les opérateurs de communications électroniques (...) du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis (...) » (5°) ;

- « l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs » (9°).

Cependant, il n'est pas fait état d'un pouvoir explicite pour ces autorités, et plus spécifiquement pour l'ARCEP, d'intervenir en cas de non respect du principe de neutralité par les opérateurs ou par les fournisseurs de services de communications au public en ligne pour l'acheminement du trafic et l'accès à ces services.

C'est en vue de prévoir un tel pouvoir que la commission a adopté l'amendement créant dans cet article L. 32-1 créant un 4° bis à cet effet.

Votre commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.

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