III. LA POLITIQUE EN FAVEUR DE LA QUALITÉ DU DROIT

Votre commission exprime un attachement traditionnel et approprié à la qualité de la loi. Ne légiférer que si nécessaire et alors disposer du temps pour bien concevoir et rédiger une loi qui doit être concise, précise, sans ambiguïté, lisible par ceux qui auront à l'appliquer ou à la subir . Ces exigences font aujourd'hui trop souvent défaut au Parlement.

Votre rapporteur déplore que le Parlement ait à connaître trop souvent de projets de loi rédigés hâtivement ou manquant de cohérence, d'amendements déposés tardivement par le Gouvernement ou encore de textes examinés selon des délais que la procédure accélérée permet de réduire à néant. La précipitation et le manque de temps constituent deux des maux à l'origine de la mauvaise qualité et de la défaillance des lois.

Sans doute l'ère de la communication dans laquelle la démocratie est désormais pleinement entrée conduit-elle la loi à devenir un outil de communication des ministres alors qu'elle devrait demeurer un acte qui fixe des règles essentielles, qui autorise ou qui interdit. Aujourd'hui, toute difficulté soulevée dans la vie de notre société, y compris en matière de sécurité, est un appel à faire voter une nouvelle loi : légiférer plutôt qu'agir et légiférer sans véritablement réformer. Nous entrons dans le temps des « lois inutiles », dont Portalis disait, dans son discours préliminaire au code civil, qu'il n'en fallait point car « elles affaibliraient les lois nécessaires ». Comment le citoyen peut-il aujourd'hui connaître le sens de la loi et donc son utilité ? La transformation de la loi en « éléments de langage » ne peut que conduire le citoyen à la désillusion et à la défiance à l'égard de ceux qui conduisent les affaires de l'État.

L'amélioration de la qualité de notre droit nécessite d'en revenir, ne serait-ce que modestement, aux conditions essentielles de l'acte de légiférer : ne concevoir que des lois nécessaires, se donner le temps de les élaborer. Votre commission ne peut dès lors qu'inviter le Gouvernement à la vertu de tempérance législative.

A. LE CADRE JURIDIQUE DE LA POLITIQUE DE QUALITÉ DU DROIT

Dans sa circulaire du 18 mai 2007 relative à l'organisation du travail gouvernemental, le Premier ministre demandait aux membres du nouveau Gouvernement « d'attacher une importance toute particulière à la qualité de la règle de droit », en leur adressant les instructions suivantes, définissant ainsi une doctrine gouvernementale en matière de qualité du droit :

« Vous vous attacherez, en premier lieu, à lutter contre l'excès de législation ou de réglementation, d'une part, en recherchant, de manière systématique, s'il n'existe pas, pour parvenir au but recherché, de solution alternative à l'édiction de règles, et d'autre part, en mettant à profit la création de règles nouvelles pour simplifier ou rendre plus compréhensible le cadre normatif existant dans le domaine concerné.

« Vous veillerez donc, chaque fois qu'une réforme importante est envisagée, à préparer une étude des options envisageables pour régler le problème posé, parmi lesquelles l'option consistant à préparer un texte, législatif ou réglementaire. (...)

« Les réunions de programmation qui se tiendront sous l'égide du secrétaire général du Gouvernement et d'un membre de mon cabinet sur chaque projet de réforme prendront position sur la nécessité de modifier le droit existant et sur le périmètre de cette modification. Elles décideront de la réalisation d'études d'impact sur les aspects les plus importants des réformes envisagées, notamment en ce qui concerne leur coût et leurs conditions de mise en oeuvre. Vous rechercherez en toutes circonstances à simplifier les procédures existantes et à ne pas mettre en place des dispositifs complexes qui, n'offrant pas toute garantie d'application aisée, manqueraient leur objectif.

« Vous veillerez, en deuxième lieu, à ce que les ressources dont dispose votre ministère dans le domaine de l'expertise juridique et de la rédaction des textes soient pleinement utilisées lors de la préparation des projets de loi, d'ordonnance et de décret. Vous prendrez également les mesures de coordination requises pour faire en sorte que l'activité de vos différents services ne conduise à une multiplication de textes épars, contraire aux exigences de cohérence et de clarté.

« Vous vous efforcerez, en troisième lieu, d'apprécier, de façon concrète, les conditions dans lesquelles les nouvelles normes seront appliquées et les difficultés auxquelles leur entrée en vigueur pourrait donner lieu. A cet effet, vous susciterez les observations des personnes concernées, qu'il s'agisse des administrés ou des services, notamment déconcentrés, en charge de l'application de ces normes. Vous pourrez, le cas échéant, utiliser les possibilités offertes par l'internet pour procéder à une large consultation.

« Vous soutiendrez enfin l'effort entrepris en vue de la codification du droit existant, conformément à la méthodologie définie par la Commission supérieure de codification, et veillerez à ce que des moyens suffisants soient consacrés à cette entreprise. »

Les prescriptions de cette circulaire renvoient au cadre d'organisation du processus normatif français, selon lequel la rédaction et la préparation des textes législatifs et réglementaires appartiennent de manière décentralisée à tous les ministères et ne relèvent pas d'un organe administratif et juridique unique qui serait placé auprès du Premier ministre, comme cela peut être le cas dans d'autres démocraties parlementaires.

Cette même circulaire évoquait également la nécessaire participation des membres du Gouvernement aux travaux du Parlement :

« L'expérience montre clairement que le débat parlementaire contribue de façon décisive à l'élaboration de la loi. Aussi la qualité d'un texte est-elle indissolublement liée au bon déroulement des travaux parlementaires, ce qui impose un dialogue constant avec le Parlement et exclut toute précipitation. »

Une circulaire du Premier ministre du 6 juillet 2010 a institué un moratoire sur l'édiction de mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, considérant qu'il fallait « mieux maîtriser la charge résultant pour les collectivités territoriales, leurs groupements et établissements publics des règles de portée générale les concernant ». Le dispositif de ce moratoire s'appuie sur la commission consultative d'évaluation des normes, formation restreinte du comité des finances locales mise en place en 2008 et appelée à rendre un avis sur les projets de texte concernant les collectivités territoriales, et concerne « l'ensemble des mesures réglementaires (...) dont l'adoption n'est commandée ni par la mise en oeuvre d'engagements internationaux de la France, ni par l'application des lois ».

Par une circulaire du 17 février 2011 portant sur la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales, le Premier ministre a demandé aux ministres, à l'occasion de l'élaboration de toute norme nouvelle législative ou réglementaire, « de rechercher les solutions induisant la moindre charge pour les entreprises et les collectivités territoriales et d'écarter, dans la conception des mesures de transposition des directives européennes ou d'application des lois, toute mesure allant au-delà de ce qu'implique strictement la mise en oeuvre de la norme de rang supérieur ». Aussi instaura-t-il par cette circulaire une nouvelle procédure d'évaluation préalable systématique, sous la supervision du commissaire à la simplification placé auprès du secrétaire général du Gouvernement, dès le début de la préparation de toute mesure nouvelle concernant les collectivités territoriales et les entreprises (établissement d'une fiche d'impact selon un modèle précis). Le commissaire à la simplification veille ainsi à l'allègement des charges réglementaires pesant sur les entreprises et au moratoire sur les normes pesant sur les collectivités territoriales. Selon un premier bilan de cette circulaire fourni à votre rapporteur par le Gouvernement, à la mi-septembre 2011,  359 projets de texte avaient été soumis au commissaire à la simplification, avec une montée en charge rapide illustrant la sensibilisation des ministères, ce qui a permis un dialogue constructif avec les services initiateurs des textes.

Dans une circulaire du 7 juillet 2011 relative à la qualité du droit, le Premier ministre rappelait les avancées intervenues : « la réalisation d'une étude d'impact à l'appui de chaque projet de loi et des textes réglementaires concernant les entreprises et les collectivités territoriales, l'adoption régulière de trains législatifs de simplification, la diversification des méthodes de consultation sur les projets de réglementation, une nette amélioration des résultats obtenus dans l'application des lois et la transposition des directives européennes ». Pour amplifier ces efforts, la circulaire donne des instructions très précises, détaillées dans des annexes, pour l'organisation du « pilotage de la production normative » dans chaque ministère, insistant ainsi sur la notion de structure centralisée de coordination et de suivi déjà évoquée en 2007, et pour une meilleure programmation du processus pour les textes prioritaires. Elle ajoute que « l'intervention de règles de droit nouvelles doit être plus systématiquement subordonnée à l'examen de critères tirés des principes de proportionnalité et de cohérence de l'ordonnancement juridique », précisant une série de prescriptions pratiques (mise au point de versions consolidées des textes, généralisation de l'expérimentation consistant à accompagner la publication des textes réglementaires de notices explicatives...).

Votre rapporteur pourrait encore citer la circulaire du 22 septembre 2008 relative à la mise en place de la commission consultative d'évaluation des normes, concernant les collectivités territoriales, ou la circulaire du 23 mai 2011 relative aux dates communes d'entrée en vigueur des normes concernant les entreprises.

Ainsi, depuis 2007, pas moins de six circulaires du Premier ministre sont intervenues sur le thème de la qualité du droit. Pour autant, en dépit de cet engagement objectif et des progrès certes accomplis, votre commission peut-elle souscrire au jugement positif délivré par le Premier ministre dans sa récente circulaire de juillet 2011 ? Les maux dont souffre l'élaboration de la loi n'ont malheureusement pas faibli : précipitation, engagement fréquent de la procédure accélérée, législation sous l'effet de l'émotion et du fait divers, indigence parfois des études d'impact, qui souvent ne servent qu'à justifier a posteriori la décision de légiférer... De plus, la répétition de ces circulaires, toujours plus précises, conduit votre rapporteur à dresser le constat d'un relatif manque d'efficacité des consignes du Premier ministre en matière de qualité du droit, en raison d'une inertie des pratiques administratives 40 ( * ) et, sans doute, d'un manque de volonté politique.


* 40 La circulaire du 7 juillet 2011 affirme d'ailleurs, de manière révélatrice :

« [La] responsabilisation des directions productrices doit être regardée comme le corollaire nécessaire de la grande dispersion de la production normative qui caractérise le système français, par opposition aux États dotés de services spécialisés. ».

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