C. DEUX DÉBATS À LA FRONTIÈRE DES DOMAINES DE LA FAMILLE, DE LA SANTÉ ET DE LA BIOÉTHIQUE

1. L'accès à l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes

La France est l'un des pays qui, dans le monde, a adopté le plus précocement un cadre légal pour l'assistance médicale à la procréation (AMP). Alors que la plupart des pays ont légiféré sur cette question dans les années 2000, le législateur français s'en est emparé dès 1994 15 ( * ) . Ce cadre légal a ensuite été modifié à deux reprises, en 2004 et 2011 16 ( * ) .

Les conditions d'accès à l'AMP sont définies à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique , qui dispose, dans la rédaction issue de la loi n° 2011-914 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, que :

« L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué.

L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. »

A ce jour, l'accès à l'AMP est donc réservé aux seuls couples composés d'un homme et d'une femme et qui, pour des raisons médicales, ne peuvent concevoir un enfant .

Avec l'ouverture, par le présent projet de loi, de la filiation adoptive aux couples de personnes de même sexe, la question de l'extension aux couples de femmes de l'accès à l'AMP se pose logiquement .

En procédant à des comparaisons internationales, on constate que tous les pays qui ont ouvert le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe permettent aussi le recours à l'AMP par les couples de femmes ; c'est le cas de la Belgique, du Canada, du Danemark, de l'Espagne, des Etats-Unis, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède. L'Angleterre n'a pas encore légalisé le mariage entre couples de personnes de même sexe, mais autorise l'adoption par les couples homosexuels ainsi que l'accès à l'AMP pour les couples de femmes.

Votre rapporteure est favorable à l'extension de l'AMP aux couples de femmes et ce, pour trois raisons.

Au nom, tout d'abord, de l'égalité des projets parentaux entre couples hétérosexuels et couples homosexuels . Aujourd'hui, un couple hétérosexuel infertile peut construire son projet parental sur l'accès à l'AMP. Pourquoi un couple de femmes, confrontées à la même situation d'infertilité - certes, d'origine différente -, ne pourrait-il pas recourir à la même technique pour voir aboutir son projet parental, si ce n'est à considérer que ce dernier est moins légitime que celui du couple hétérosexuel ?

Il y a ensuite une forme d'hypocrisie à valider par l'adoption intrafamiliale , permise par le présent projet de loi, les projets parentaux réalisés par AMP à l'étranger , sans permettre que ceux-ci puissent être réalisés en France. En d'autres termes, en permettant aux femmes d'adopter l'enfant de leur conjointe conçu à l'étranger via l'AMP, le projet de loi encourage le contournement de l'interdiction française.

Enfin, il est indispensable de mettre un terme aux risques sanitaires qu'induit la législation actuelle. Aujourd'hui, les femmes lesbiennes qui souhaitent avoir un enfant ont trois solutions : soit, si elles en ont les moyens financiers, elles recourent à une AMP à l'étranger, soit elles ont des relations sexuelles avec un homme, qu'il soit ou non de leur entourage, soit elles achètent du sperme sur internet et procèdent à une insémination « artisanale ». Dans tous les cas, des risques sanitaires existent, qui ne sont pas sans rappeler ceux qu'encouraient les femmes lorsque l'avortement était interdit en France.

Le Sénat s'est déjà prononcé pour l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes . Ainsi, lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique en avril 2011, le texte issu de ses travaux prévoyait une modification de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique consistant à remplacer les mots « l'homme et la femme formant le couple » par les mots « les personnes formant le couple » . Cette rédaction n'a toutefois pas été retenue dans la suite de la navette parlementaire.

Votre rapporteure tient à préciser que l'élargissement de l'accès à l'AMP aux couples de femmes supposera de répondre à trois questions :

- le mode d'établissement de la filiation entre l'enfant et la conjointe de la mère qui ne l'a pas porté (reconnaissance, présomption, adoption...) ;

- le degré de prise en charge d'un tel acte par l'assurance maladie. Actuellement, l'AMP est remboursée à 100 % en tant qu'elle constitue un traitement de la stérilité ;

- les conditions d'accès de l'enfant issu d'une AMP à ses origines, sans remettre en cause l'anonymat du don de gamètes.

2. L'accès à la gestation pour autrui

L'argument selon lequel l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes entraînerait inévitablement la légalisation de la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d'hommes, au motif que le principe d'égalité l'imposerait, n'est pas fondé.

Premièrement, ce lien soit disant automatique entre ouverture de l'AMP aux couples de femmes et légalisation de la GPA ne s'observe pas à l'étranger . Ainsi, parmi les pays qui permettent aux couples de femmes d'accéder à l'AMP, seuls l'Angleterre et certains Etats des Etas-Unis ont légalisé GPA. La Belgique et les Pays-Bas ne l'autorisent pas expressément : elle y est tolérée, mais pas réglementée. En revanche, la GPA est formellement interdite au Danemark, en Espagne, en Norvège, au Canada et en Suède.

Deuxièmement, des raisons à la fois éthiques et juridiques font obstacle à la légalisation de la GPA.

Sur le plan éthique, la question de la GPA se pose différemment de celle de l'AMP, dans la mesure où la GPA présente un risque de porter atteinte à l'intégrité de la personne humaine.

Sur le plan juridique, le Conseil d'Etat a rappelé, dans son étude sur la révision des lois de bioéthique de 2009 17 ( * ) , que l'interdiction de la GPA reposait sur deux principes juridiques :

- l'indisponibilité de l'état des personnes , c'est-à-dire l'impossibilité pour un être humain de disposer de sa qualité d'homme, de femme ou d'enfant ;

- l'indisponibilité du corps humain , qui rend illicite toute convention sur le corps humain, que ce soit en vue d'un prêt, d'une location ou d'un don.

Face aux risques que représentent l'instrumentalisation du corps de la mère porteuse et de sa possible marchandisation, votre rapporteure était initialement opposée à la légalisation de la GPA .

Toutefois, au regard de ce que l'on peut observer dans les pays ayant strictement encadré le recours à la GPA - comme l'Angleterre - ainsi que du souhait, bien réel et généreux, de certaines femmes de porter un enfant pour d'autres dans une logique non pas financière mais de don, sa position n'est pas fermée à ce jour .

A ce titre, elle a pris connaissance avec intérêt de l'intervention de l'historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco sur cette question et de la prise de position publique de la philosophe Elisabeth Badinter en faveur d'une « GPA éthique » . Elle souhaite que la réflexion et le débat sur la GPA puissent se poursuivre de manière sereine, contradictoire et constructive.


* 15 Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

* 16 Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique et loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

* 17 Conseil d'Etat, Etude sur la révision des lois de bioéthique, mai 2009.

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