B. UN FORMAT RÉDUIT, PROPORTIONNÉ À SES OBJECTIFS

1. La nécessité d'un registre proportionné à son objectif de prévention du surendettement

Le registre dont la création est prévue par l'article 22 bis du présent projet de loi est d'un format plus réduit que celui imaginé par le rapport Constans . Afin d'assurer la proportionnalité du registre, le Gouvernement, suite à l'avis du Conseil d'État, en a effectivement allégé le format.

Cette question de proportionnalité avait été mise en avant par votre rapporteure pour avis et plusieurs de ses collègues dans son rapport précité sur la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers 23 ( * ) . Deux problèmes de proportionnalité avaient notamment été soulevés :

- la proportionnalité entre le coût et la lourdeur technique du fichier, d'une part, et les effets bénéfiques attendus, d'autre part ;

- la proportionnalité, surtout, entre, d'une part les atteintes à la protection de la vie privée pour une partie importante de la population et, d'autre part, l'utilité réelle du fichier en termes de prévention du surendettement pour une partie, nécessairement plus réduite, de cette même population.

Le rapport soulignait que cet enjeu était constitutionnel : en effet, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de censurer la création d'un fichier (le fichier d'identification biométrique) en considérant qu'il portait une atteinte au respect de la vie privée disproportionnée au but poursuivi 24 ( * ) .

2. Un registre des crédits à la consommation en cours d'utilisation

Dans ce contexte, votre rapporteure pour avis se félicite que le format du registre adopté par l'Assemblée nationale soit plus réduit et concentré sur les crédits à la consommation (prêts personnels amortissables, crédits affectés, crédits renouvelables, autorisations de découvert remboursables dans un délai supérieur à trois mois, location-vente ou location avec option d'achat), qui représentent l'essentiel du volume des dossiers de surendettement 25 ( * ) . Le registre présente en effet plusieurs caractéristiques :


Les crédits immobiliers n'y sont pas retracés . Comme le souligne le Gouvernement en réponse au questionnaire de votre rapporteure pour avis, « ceci permet à la fois de centrer le registre sur les crédits les plus pertinents en termes de prévention du surendettement, et de réduire la durée d'inscription au sein du registre des crédits (la très longue durée d'inscription liée aux crédits immobiliers était un des points de risque d'inconstitutionnalité) ». De plus, les charges, en particulier le loyer, n'étant pas non plus retracées par le registre, l'inscription des crédits immobiliers pourrait biaiser l'information fournie en défaveur des propriétaires.


Les autorisations de découvert classiques, remboursables dans un délai inférieur à trois mois, qui sont assorties à la plupart des comptes bancaires, ne sont pas considérées comme des crédits à la consommation et ne seront donc pas retracées dans le fichier . En revanche, les autorisations de découvert remboursables dans un délai supérieur à trois mois sont considérées comme des crédits à la consommation (article L. 311-42 du code de la consommation) et seront donc retracées par le registre.


Les crédits renouvelables ne seront enregistrés que pour les seuls crédits utilisés . Ainsi, un crédit ouvert mais non utilisé ne sera pas retracé par le registre. En revanche, dès lors qu'un crédit renouvelable est utilisé, il est intégralement retracé par le registre et non pour la seule partie utilisée : la consultation donnera ainsi une vision de l'ensemble de la facilité de trésorerie disponible, ce qui est indispensable pour permettre au prêteur d'apprécier le risque d'endettement de l'emprunteur.


Seuls les crédits en cours sont inscrits ; le stock, ou historique, des crédits n'est pas retracé . Outre qu'une telle reprise du stock serait techniquement complexe et problématique du point de vue des libertés publiques, elle ne semble pas nécessaire à l'efficacité du dispositif. Comme l'indique le Gouvernement dans sa réponse au questionnaire précité, « compte tenu de la durée relativement courte des crédits à la consommation - reconduction annuelle des crédits renouvelables - le registre des crédits recensera l'intégralité des crédits à la consommation en cours en quelques années seulement ».

Par ailleurs, il convient de souligner qu'une dérogation a été prévue pour les caisses de crédit municipal (qu'il s'agisse de l'obligation de déclaration ou de l'obligation de consultation), qui correspondent à un circuit de crédit spécifique, en présence d'un gage corporel.

Sur la base des statistiques fournies par l'INSEE, par l'Observatoire des crédits aux ménages sur la détention de crédits, par le rapport Athling de septembre 2012, et par celles mentionnées dans le cadre du comité de préfiguration, le Gouvernement estime qu'entre 10 et 12 millions de personnes seraient inscrites dans le registre . Par catégorie de crédits, étant entendu qu'une même personne peut détenir plusieurs types de crédits, le Gouvernement a fourni à votre rapporteure pour avis les estimations suivantes :

- prêts personnels amortissables : environ 8,7 millions de crédit, concernant environ 9 millions de personnes ;

- crédits renouvelables utilisés : 16,9 millions de crédits renouvelables actifs (sur 37,1 millions de comptes ouverts), concernant environ 4 millions de personnes ;

- crédits affectés ou liés : 3,5 millions de crédits, concernant environ 4,5 millions de personnes ;

- opérations de location-vente et de location avec option d'achat : 0,38 million de crédits, concernant 0,6 million de personnes.

Les autorisations de découvert de plus de trois mois représentent quant à elles un nombre marginal de personnes.

3. Une utilisation encadrée

L'encadrement de l'utilisation du fichier est tout d'abord assuré par le fait que seule la Banque de France est habilitée par l'article 22 bis à centraliser ces informations et, par conséquent, à gérer le fichier . Cependant, comme l'a indiqué le Gouvernement à votre rapporteure pour avis, « pour des questions de simplicité, d'efficacité et de coût, dans l'intérêt de tous, il n'est pas possible d'exclure a priori que certaines tâches liées au fonctionnement du registre - par exemple la conception du site internet pour l'exercice du droit d'accès en ligne ou bien la gestion des courriers - soit, comme cela se fait souvent y compris dans les services publics, confiées à des prestataires extérieurs spécialisés avec toutes les garanties nécessaires en termes de qualité et de protection des données ».

a) Les utilisations par les établissements de crédit

Afin d'éviter tout détournement, les possibilités de consultation du registre sont encadrées et limitativement énumérées par le présent article . De façon générale, le fichier a pour objet de fournir aux établissements de crédit, établissements de monnaie électronique et établissements de paiement « un élément d'appréciation de la solvabilité des personnes physiques qui sollicitent un crédit et, le cas échéant, des personnes physiques qui se portent caution ».

Tout d'abord, l'article 22 bis prévoit une obligation de consultation par les établissements de crédit « avant toute décision effective d'octroyer un crédit à la consommation » . Ainsi, la consultation du registre s'inscrit désormais dans les obligations liées à la vérification de solvabilité de l'emprunteur. Par extension, cet article prévoit également une consultation obligatoire pour tout renouvellement de crédit renouvelable, ainsi que dans le cadre de la vérification triennale de la solvabilité de l'emprunteur.

Par ailleurs, l'article 22 bis ouvre une possibilité de consultation, sans obligation, pour les établissements de crédit dans le cadre d'une offre de crédit immobilier ou de prêt viager hypothécaire, ainsi que pour les décisions d'attribution de moyens de paiement.

En outre, les établissements de crédit peuvent consulter le fichier « pour la gestion des risques liés aux crédits souscrits par leurs clients » . Cette consultation « en masse », non individuelle, devrait en effet permettre d'affiner la gestion prudentielle des risques en donnant une image précise du portefeuille de crédits ; la Banque centrale européenne, dans son avis sur le présent projet de loi, a souligné l'intérêt du registre à cet égard 26 ( * ) .

En revanche, l'article 22 bis dispose que « les informations contenues dans le registre ne peuvent pas être utilisées à d'autres fins » que celles qui viennent d'être exposées, « en particulier à des fins de prospection commerciale, sous peine des sanctions prévues à l'article 226-21 du code pénal », soit cinq ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende. L'utilisation du fichier dans le cadre du démarchage commercial est donc légitimement exclue et sanctionnée. Afin d'éviter toute possibilité de contournement de cette interdiction, votre commission des finances a adopté un amendement, à l'initiative de votre rapporteure pour avis, visant à prévoir que cette interdiction vaut non seulement pour l'utilisation des informations, mais également pour leur simple consultation .

Soulignons que cette interdiction ne remet pas en cause l'utilité du registre du point de vue de la concurrence : il permettra en effet aux établissements de mieux connaître la clientèle, mais seulement sur une base individuelle à l'occasion d'une demande de crédit, et non sur une base collective, à l'occasion d'une prospection commerciale.

b) Les autres utilisateurs

L'article 22 bis prévoit également que les acteurs de la procédure de surendettement peuvent, dans le cadre de leurs missions respectives, utiliser les informations contenues dans le registre . Il s'agit en particulier des commissions de surendettement, afin de dresser l'état d'endettement du débiteur, ainsi que les greffes des tribunaux. Dans ses réponses au questionnaire de votre rapporteure pour avis, le Gouvernement a souligné que cette utilisation pour dresser l'état d'endettement du débiteur, qui est une faculté et non une obligation, « ne se substitue pas à l'appel éventuel aux créanciers ni à la procédure contradictoire d'établissement de l'état définitif du passif ».

Surtout, toute personne peut, à sa demande, se voir remettre une copie des informations contenues dans le registre la concernant, dans le cadre de leur droit d'accès et de rectification. Les conditions d'exercice de ce droit d'accès et de rectification sont renvoyées à un décret en Conseil d'Etat.

En revanche, l'article 22 ter modifie l'article 22-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, afin d' interdire aux bailleurs de demander au candidat à la location de fournir une copie des informations contenues dans le registre . Cette disposition est essentielle pour prévenir toute diffusion des informations du registre au-delà du cercle auquel elles doivent être confinées.

4. L'intégration du FICP au sein du nouveau registre

L'actuel FICP serait intégré au sein du nouveau registre, dans une section spécifique. Ainsi, le registre contiendrait une partie « positive » et une partie « négative », qui serait la reprise de l'actuel FICP . La fusion du registre positif avec le FICP faisait d'ailleurs partie des préconisations du groupe de travail sur le répertoire national des crédits aux particuliers auquel votre rapporteure pour avis a participé.

En réponse au questionnaire de votre rapporteure pour avis, le Gouvernement a indiqué qu'« à ce stade, il n'est envisagé aucun changement, si ce n'est par définition que l'identification sera fiabilisée avec l'identifiant spécifique qui sera utilisé pour le registre ».

Les deux parties du registre seront cloisonnées . En réponse au questionnaire de votre rapporteure pour avis, le Gouvernement a souligné que « les informations relatives aux incidents de paiement et aux situations de surendettement seront inscrites dans un « volet » spécifique du registre et devront pouvoir être consultées séparément, sans lien possible avec les autres données enregistrées. Les modalités techniques de ce cloisonnement restent à définir ».

5. L'entrée en vigueur du registre

L'article 22 sexies du présent projet de loi prévoit que le registre national des crédits entre en vigueur « à une date fixée par décret et au plus tard trois ans à compter de sa promulgation ».

Si la loi est promulguée au premier semestre 2014, cela signifie que le registre entrera en vigueur, au plus tard, au premier semestre 2017 . Quelles que soient les modalités retenues (identifiant, stock, etc.), un délai technique de mise en place est inévitable, qui a été estimé par le rapport Constans à 24 mois minimum.

Dans la mesure où le registre est concentré sur les crédits à la consommation, dont la maturité est relativement courte, il offrira une information pertinente sur les emprunteurs au bout d' un à deux ans de fonctionnement .


* 23 Rapport n° 273 (2012-2013), pp. 91 et suivantes.

* 24 Décision DC n° 2012-652 du 22 mars 2012.

* 25 Les dettes de crédits à la consommation sont présentes dans 85,7 % des dossiers de surendettement et représentent plus de 53 % de l'endettement global des dossiers (source : Banque de France, baromètre du surendettement du 1 er trimestre 2013).

* 26 Avis de la BCE du 26 avril 2013 sur un registre des crédits aux consommateurs (CON/2013/29).

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