EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. FACE À L'ÉVOLUTION PRÉOCCUPANTE DE LA CONSOMMATION DE DROGUES ET DES CONDUITES ADDICTIVES, LA MILDT DISPOSE DE MOYENS TROP LIMITÉS

Selon l'article R. 3411-13 du code de la santé publique, la Mildt, organisme placé directement auprès du Premier ministre, « anime et coordonne les actions de l'Etat en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie, en particulier dans les domaines de l'observation et de la prévention de la toxicomanie, de l'accueil, des soins et de la réinsertion des toxicomanes, de la formation des personnes intervenant dans la lutte contre la drogue et la toxicomanie, de la recherche, de l'information ». Chargée de promouvoir une approche globale des addictions, dans leurs aspects judiciaires, sociaux et médicaux, elle a été conçue pour surmonter les réponses sectorielles et disparates des différentes administrations compétentes si celles-ci se limitaient à leur domaine d'activité.

Face aux progrès en demi-teinte constatés ces dernières années en matière de consommation de drogues et à la nécessité de tirer un trait sur la philosophie qui a présidé à l'action de la Mildt entre 2007 et 2012, la présidente de la Mildt a consacré l'année 2013 au dialogue et à la réflexion sur l'avenir de la politique de lutte contre la toxicomanie, de prévention et de réduction des risques et dommages qui y sont attachés. Toutefois, les moyens octroyés pour 2014 ne semblent pas être à la hauteur des enjeux pourtant identifiés.

A. L'ÉVOLUTION DES HABITUDES DE CONSOMMATION EST MARQUÉE PAR LE DÉVELOPPEMENT DES COMPORTEMENTS À RISQUE

La consommation de drogues en France, telle qu'elle ressort des dernières données de l'OFDT, connaît une évolution contrastée. La consommation de certains produits illicites comme le cannabis poursuit son recul mais les comportements à risque se développent, en particulier chez les jeunes avec l'alcool, tandis que l'exposition de certains toxicomanes à des risques sanitaires graves ne faiblit pas.

Tableau n° 1 : La consommation de substances psychoactives en France

Produits illicites

Produits licites

Cannabis

Cocaïne

Ecstasy

Héroïne

Alcool

Tabac

Expérimentateurs

13,4 M

1,5 M

1,1 M

500 000

44,4 M

35,5 M

dont usagers dans l'année

3,8 M

400 000

150 000

//

41,3 M

15,8 M

dont usagers réguliers 1

1,2 M

//

//

//

8,8 M

13,4 M

dont usagers quotidiens

550 000

//

//

//

5,0 M

13,4 M

1 Dix fois par mois ou plus

Source : OFDT

Le cannabis est la substance psychoactive la plus répandue : 13,4 millions de personnes en ont déjà consommé. A 17 ans, 41,5 % des jeunes l'ont expérimenté, contre un tiers des 18-64 ans. Si l'usage régulier chez les jeunes est en fort recul depuis le début des années 2000 ( 6,5 % contre 12,2 % il y a dix ans), 5 % d'entre eux présentent un risque d'usage problématique ou de dépendance. C'est une consommation de masse qui, si elle est très inférieure à celle des produits licites, représente 550 000 usagers quotidiens.

La cocaïne vient ensuite et a connu ces dernières années une évolution particulièrement préoccupante. Le pourcentage d'expérimentateurs chez les jeunes de 17 ans est passé de 0,9 % en 2000 à 3 % en 2011, signe de la banalisation de cette drogue. Au total, près de 1,5 million de personnes en auraient consommé au moins une fois dans leur vie, parmi lesquelles 400 000 usagers dans l'année. Chez les adultes, ces derniers représentent 0,9 % de la population, contre 0,6 % au milieu des années 2000 : de telles proportions peuvent sembler bien faibles, mais elles traduisent une hausse de 50 % en moins de dix ans.

Quant à l'héroïne et aux opiacés, auxquels 500 000 personnes ont déjà eu recours, ils constituent un véritable problème de santé publique. On compte, chez les 18-64 ans, 90 000 utilisateurs dans l'année et un taux d'expérimentation de 1,2 % .

De par les différents modes de consommation de l'héroïne, les risques infectieux sont considérables : les hépatites B et C ainsi que le VIH peuvent être transmis en cas de partage de matériel d'injection. Par ailleurs, 392 morts par surdose ont été recensées en 2010.

L'ecstasy, première des drogues de synthèse, voit sa consommation se stabiliser, avec 1,1 million d'expérimentateurs et 150 000 usagers dans l'année. En revanche, les nouveaux produits de synthèse (NPS) fleurissent à la frontière de la légalité, en marge de la réglementation. Vendues le plus souvent sur internet, ces drogues sont très proches, par leur composition chimique, des différents produits illicites existants tout en étant suffisamment distinctes pour ne pas être illégales au moment de leur mise en vente. Leur développement est très rapide, et leur multiplicité rend leur identification difficile : une nouvelle drogue de synthèse de ce type apparaît chaque semaine. Si leur potentiel addictif n'est pas scientifiquement établi, d'importants dommages psychiatriques sont avérés. De plus, l'impossibilité de connaître leur composition réelle fait courir des risques importants aux consommateurs, l'analyse et l'interdiction intervenant toujours avec un décalage par rapport à leur arrivée sur le marché.

Enfin, le nombre d'« usagers problématiques de drogues », définis selon des critères européens 1 ( * ) comme ceux utilisant des drogues par voie intraveineuse ou, de manière régulière, de la cocaïne ou des opiacés est en hausse : 281 000 personnes sont désormais concernées, contre 230 000 auparavant. Elles sont pour la plupart dans une situation de très grande précarité : près de la moitié n'ont pas de logement stable, 25 % n'ont aucun revenu et 57 % vivent du revenu de solidarité active (RSA). Il s'agit du public prioritaire de la politique de réduction des risques.

A côté des drogues illicites, les produits licites connaissent une diffusion bien plus large. De plus, leur impact sanitaire est bien plus important que celui des substances interdites.

Le tabac est la première des causes de mortalité évitable, avec plus de 70 000 morts par an . Les 18-75 ans comptent 30 % de fumeurs et la baisse constatée au début des années 2000 n'est désormais plus visible : la consommation est remontée, en 2010, au niveau de 2000. Les jeunes sont particulièrement touchés : le tabagisme quotidien à 17 ans a augmenté de 10 % depuis 2008. Le niveau de consommation des femmes rattrape celui des hommes et soutient cette croissance.

En décembre dernier, la Cour des comptes a constaté 2 ( * ) l'échec de ces politiques de lutte contre le tabagisme et le non-respect d'interdits fondamentaux comme celui de la vente aux mineurs. En parallèle apparaissent des produits nouveaux, comme la cigarette électronique qui se situe actuellement dans un vide aussi bien juridique que scientifique. Des études commencent à voir le jour, sans permettre de tirer des conclusions définitives. La Mildt serait parfaitement dans son rôle si elle soutenait la recherche en la matière.

Pour l'alcool , l'évolution récente est mitigée. La tendance est à la baisse de la consommation générale, et ce depuis plusieurs décennies : 5 millions d'usagers quotidiens aujourd'hui contre 6,4 millions au milieu des années 2000. La France reste néanmoins l'un des plus gros consommateurs d'Europe de l'Ouest. Surtout, les comportements à risque se développent chez les jeunes. Après avoir diminué, l'usage régulier (dix fois dans le mois) chez ceux âgés de 17 ans est en hausse depuis 2008 et atteint 10,5 % . Les comportements d'alcoolisation ponctuelle importante (API, traduction française du binge drinking américain, soit cinq verres au cours d'une même occasion) touchent désormais 53 % de ces jeunes, en hausse de 15 % entre 2005 et 2011 et même de 40 % chez les jeunes femmes de 18 à 25 ans.

L'impact de l'alcool sur la santé publique est majeur : 49 000 décès par an lui sont attribuables tandis que plus d'un million de personnes y sont dépendantes. Il est la première cause de mortalité prématurée, et ses effets sociétaux sont immenses.

Il est à noter que les condamnations pour des délits routiers liés à l'alcool ont représenté en 2011 25 % de l'ensemble des condamnations prononcées en France.

Enfin, au-delà de leur surconsommation, les médicaments psychotropes , utilisés par 11 millions de Français chaque année, peuvent faire l'objet de nombreux mésusages dans le cadre d'une addiction. Les anxiolytiques aussi bien que les traitements de substitution aux opiacés (TSO) sont concernés.

Ainsi que l'a souligné à votre rapporteure le docteur Ivan Berlin, l'accent mis en France sur la médecine curative plutôt que sur la médecine préventive est un handicap que les politiques de santé publique menées jusqu'à présent n'ont pas réussi à surmonter. Alors que les moyens qui y sont consacrés aux Etats-Unis ou au Canada en font une discipline médicale à part entière, qui intervient dès le plus jeune âge, elle n'est pas suffisamment structurée en France, où elle repose encore trop sur l'action volontariste d'un certain nombre de médecins. Il en résulte de lourdes conséquences sanitaires.


* 1 Etablis par l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.

* 2 Cour des comptes ; Les politiques de lutte contre le tabagisme, rapport d'évaluation réalisé pour le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, décembre 2012.

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