DEUXIÈME PARTIE :

LE RÉGIME DE RETRAITE DES MARINS EN 2016

Le programme 197 « Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins » retrace la subvention d'équilibre versée par l'État à l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) au titre du risque « vieillesse ». Il est doté de 825 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016 , contre 853 millions d'euros en 2015, ce qui lui permet de retrouver son niveau de 2014 (825,5 millions d'euros).

Les marins bénéficient d'un régime spécial de sécurité sociale, dont la création remonte au règne de Louis XIV et qu'ils ont conservé en 1945 au moment de la généralisation de la sécurité sociale.

Comme l'explique Francis Kessler, « le régime de retraite des marins est étroitement lié à l'action de l'État en matière d'organisation et de gestion de la profession de marin » 9 ( * ) . Le régime spécial de sécurité sociale relève du « statut » de marin et le système de cotisations est directement lié à l'évolution de leur carrière. Ce lien étroit entre la profession et son régime explique la grande difficulté des pouvoirs publics à le réformer.

Les spécificités du régime de retraite des marins sont pourtant nombreuses. Elles tiennent tout d'abord aux règles de droit qui le régissent. Les dispositions législatives relatives à ce régime sont en effet regroupées au sein du code des transports tandis que les dispositions réglementaires demeurent contenues dans le code de pensions de retraite des marins.

De même, l'organisme de gestion du régime (l'ENIM) n'est pas un organisme de sécurité sociale comme pour les autres régimes spéciaux mais un ancien service d'administration centrale, transformé en 2010 10 ( * ) en établissement public administratif. Il est organisé en une Caisse générale de prévoyance, qui assure le versement des prestations maladie et maternité 11 ( * ) , et en une Caisse des retraites des marins, qui bénéficie de la subvention d'équilibre du budget de l'État.

La caisse de retraite repose sur un système de cotisations et de prestations très complexe , qui s'explique par les spécificités du métier de marin et auquel ces derniers sont très attachés.

En 2016, la subvention d'équilibre de l'État va continuer à assurer plus de la moitié des ressources de ce régime de retraites.

L'ENIM a été durablement transformé depuis 2010 : outre la clarification de son statut et le déménagement de son siège à Périgny (Charente-Maritime) en 2012, l'établissement a accompli des efforts substantiels d'économie, en particulier au niveau de ses effectifs, dans le cadre de la première convention d'objectifs et de gestion (COG) signée avec l'État pour la période 2013-2015.

La nouvelle COG, en cours de préparation, devra permettre d'aller plus loin, certains indicateurs de performances étant encore très éloignés des standards en cours dans les organismes de protection sociale .

I. UN RÉGIME AUX SPÉCIFICITÉS TOUJOURS COMPLEXES

A. UN SYSTÈME DE COTISATIONS QUI N'A RIEN PERDU DE SA COMPLEXITÉ

1. Les assurés du régime des marins

Les assurés de l'ENIM doivent appartenir à l'une des catégories suivantes :

- les marins des cultures marines, les marins embarqués sur les navires de commerce, pêche, plaisance, ainsi que les marins autorisés à valider des services à terre (qu'ils soient salariés, artisans, chefs d'entreprise ou travailleurs indépendants) ;

- les élèves de l'enseignement maritime (écoles nationales de la marine marchande, lycées professionnels maritimes) ;

- les marins devenus pensionnés ;

- leurs ayants droit.

Jusqu'à présent , seuls les marins travaillant sur un bateau battant pavillon français pouvaient être affiliés au régime des marins.

L'article 19 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 12 ( * ) , en modifiant l'article L. 5551-1 du code des transports, y ajoute, à compter du 1 er janvier 2017 au plus tard , une nouvelle catégorie : « les gens de mer embarqués 13 ( * ) sur un navire battant pavillon d'un État étranger 14 ( * ) (...) et qui résident en France de manière stable et régulière, sous réserve qu'ils ne soient pas soumis à la législation de sécurité sociale d'un État étranger en application des règlements de l'Union européenne ou d'accords internationaux de sécurité sociale ».

Un décret en Conseil d'État devra préciser les conditions de mise en oeuvre de l'article 19.

Cet article, dont la rédaction s'est considérablement complexifiée au cours de la navette parlementaire, permet à la France de se mettre en conformité avec ses engagements internationaux, en particulier avec la convention du travail maritime de Genève adoptée le 23 février 2006 et avec le règlement européen de 1992 concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime) 15 ( * ) .

Le régime des marins est qualifié de « régime de passage » puisqu'un faible nombre de personnes y est affilié pendant toute sa carrière. Ainsi, la part des polypensionnés est très forte et s'élevait au 31 décembre 2012 à environ 80 %. La durée moyenne retenue à la liquidation de la pension est d'environ 20 annuités.

En 2016, le régime des marins devrait compter 111 801 pensionnés pour 29 866 actifs . Ces chiffres sont en recul par rapport à 2014, année au cours de laquelle l'ENIM avait versé 115 216 pensions en moyenne par mois.

2. L'assiette et les taux de cotisation

L'assiette de calcul des cotisations et des prestations sociales des marins est constituée par le salaire forfaitaire journalier de la catégorie de navire concernée, multiplié par le nombre de jours de service accomplis . Le salaire forfaitaire est revalorisé au 1 er avril de chaque année et défini à partir du classement catégoriel du marin, lui-même déterminé sur la base de la fonction exercée à bord et des caractéristiques du navire. Il existe vingt catégories au total , définies par un décret de 1952 16 ( * ) .

La cotisation patronale , qui incombe aux propriétaires, armateurs ou employeurs, varie selon le statut du marin, la taille du navire et le genre de navigation. En principe, le taux de cotisation patronale est de 6,8 % des forfaits correspondant aux catégories des marins. L'article L. 5553-11 du code des transports prévoit toutefois des exonérations pour les navires de commerce et de pêche, afin de permettre aux employeurs de faire face à la concurrence internationale . Elles sont intégralement prises en charge par le budget de l'État.

En revanche, les marins restent dans tous les cas redevables de leur contribution personnelle. Le taux de la part salariale est unique et s'élève à 12,10 % du salaire forfaitaire catégoriel (1,25 % pour la caisse générale de prévoyance et 10,85 % pour la caisse de retraite des marins).

Dans son rapport de juillet 2013 17 ( * ) , notre collègue Francis Delattre préconisait de « simplifier et d'assouplir la grille de salaires forfaitaires par catégorie, (...) de réduire le nombre de taux de contributions patronales applicables aux armateurs (...) et de rationaliser les dispositifs d'exonération de charges sociales afin de rendre le système plus lisible ». Une précédente tentative, menée en 2008 dans le cadre de la commission de classement de l'ENIM, avait échoué alors qu'elle proposait de ramener de 20 à 8 le nombre de ces catégories.

Interrogés par votre rapporteur, les représentants de l'ENIM ont confirmé qu'aucune réforme du classement catégoriel n'avait pu aboutir depuis lors . Des mesures de simplifications ponctuelles ont toutefois pu être prises comme par exemple récemment, le passage pour les bénévoles de la société nationale des sauveteurs en mer (SNSM) d'un classement catégoriel en fonction du type d'embarcation à un classement catégoriel unique.

De même la réduction du nombre de taux de contributions patronales applicable aux armateurs se heurte à la multiplicité des activités au sein de la marine, « qui est le reflet de la variété des métiers de la mer et répond en écho au classement catégoriel » 18 ( * ) .

Enfin, il semble difficile d'envisager de rationaliser les dispositifs d'exonération de charges sociales qui différent selon les registres d'immatriculation sur lesquels sont inscrits les navires 19 ( * ) . L'assujettissement aux cotisations peut donc différer entre deux entreprises d'armement selon qu'elles sont enregistrées sur l'un des registres en vigueur ou qu'elles appartiennent ou non à un secteur de navigation soumis à la concurrence.

La rationalisation du système, qui n'est pas neutre financièrement, est donc très difficile à mener.


* 9 Le régime de retraite des marins, Francis Kessler, in Revue de droit sanitaire et social , juillet-août 2015 n°4, pp 597-611.

* 10 Décret n° 2010-1009 du 30 août 2010 portant organisation administrative et financière de l'établissement national des invalides de la marine.

* 11 La branche famille est, quant à elle, gérée par la caisse maritime d'allocations familiales rattachées au régime général.

* 12 Dans sa rédaction issue de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, adoptée à la suite d'un amendement du Gouvernement. Le projet de loi initial prévoyait une affiliation des gens de mer, marins ou non, concernés par l'article 19 du PLFSS, au régime général. Le Sénat avait rejeté, en première lecture, l'article 19 estimant qu'il faisait porter un risque important sur l'emploi des marins français travaillant sur des bateaux étrangers, vis-à-vis des armateurs, propriétaires, employeurs dans un secteur très exposé à la concurrence des travailleurs étrangers.

* 13 Pour les gens de mer non « marins », c'est-à-dire toutes les personnes salariées ou non salariées exerçant une activité professionnelle à quelque titre que ce soit à bord d'un navire battant pavillon étranger et qui résident en France dans les mêmes conditions que les marins visés à l'article 19 du PLFSS, ce dernier prévoit une affiliation au régime général.

* 14 Pour les gens de mer, marins ou non, résidant en France et travaillant sur un navire battant pavillon étranger qui pratiquerait le cabotage dans notre pays, l'article 19 du PLFSS prévoit une affiliation également au régime général.

* 15 Pour un commentaire du projet initial de l'article 19 du PLFSS, voir le rapport n°134 fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur le financement de la sécurité sociale pour 2016, Jean-Marie Vanlerenberghe, tome VII (examen des articles), novembre 2015, pp 108-110.

* 16 Décret n'°52-540 du 7 mai 1952 modifiant le décret n°48-1709 du 5 novembre 1948, relatif au salaire forfaitaire servant de base au calcul des cotisations des marins et des contributions des armateurs au projet des caisses de l'ENIM.

* 17 Rapport d'information n°707 fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins (ENIM), Francis Delattre, juillet 2013.

* 18 Réponse écrite de l'ENIM à une question de votre rapporteur.

* 19 Il en existe actuellement six en France : le registre applicable en métropole et dans les départements d'outre-mer, le registre international français (RIF), le registre des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), le registre de la Nouvelle-Calédonie, le registre de Wallis-et-Futuna, le registre de Polynésie française.

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