B. DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES QUI AFFICHENT, DANS L'ENSEMBLE, DES RÉSULTATS SATISFAISANTS

1. Des performances remarquables, au regard des indicateurs présentés, malgré une pression contentieuse constante
a) Une pression contentieuse continue

Le contentieux administratif progresse de 6 % par an, en moyenne, depuis près de 40 ans et, pour 2014, cette progression a été de 11,3 % devant les tribunaux administratifs 4 ( * ) , de 3,3 % devant les cours administratives d'appel et de 30 % devant le Conseil d'État, compte tenu du volume important du contentieux relatif au découpage cantonal et aux élections 5 ( * ) .

L'activité des juridictions administratives

Affaires enregistrées

2013

Affaires enregistrées

2014

Affaires réglées

2013

Affaires réglées

2014

Données brutes

Données nettes 6 ( * )

Données brutes

Données nettes

Données brutes

Données nettes

Données brutes

Données nettes

CE

9 480

9 235

12 487

12 082

10 019

9 685

12 625

12 252

CAA

29 034

28 885

29 945

29 857

29 172

29 015

30 005

29 930

TA

181 200

175 762

213 733

195 625

188 205

183 182

191 872

188 295

Source : commission des lois à partir du rapport public du Conseil d'État 2015.

Devant les tribunaux administratifs, le premier poste d'augmentation du contentieux est constitué par les contentieux sociaux (litiges relatifs à l'aide sociale, au revenu de solidarité active, au droit au logement opposable...), qui représentent 16 % des affaires enregistrées, avec une progression de 22 % en 2014. Viennent ensuite le contentieux fiscal, qui représente 11 % des entrées, avec une augmentation de 22 %, puis le contentieux de la fonction publique (9 % des entrées), qui progresse de 20 % et enfin, le contentieux des étrangers qui, s'il n'affiche qu'une augmentation de 3 %, représente néanmoins près de 30 % des affaires enregistrées devant les tribunaux administratifs.

Devant les cours administratives d'appel, la plus forte augmentation enregistrée concerne le contentieux des fonctionnaires et agents publics qui progresse de 32 %, compte tenu de la mise en oeuvre du décret du 13 août 2013 qui a rétabli l'appel pour ces litiges. Ce contentieux est passé de 6 à 8 % des entrées. La seconde augmentation concerne le contentieux des étrangers, avec une progression de 13 % (48 % des entrées) et la troisième augmentation concerne le contentieux de l'urbanisme, qui progresse de 2 % et constitue 8,5 % des affaires enregistrées.

Les réformes récentes qui pourraient alourdir la charge contentieuse
des juridictions administratives

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurité de l'emploi a confié à l'administration le contrôle des plans de sauvegarde de l'emploi élaborés par les entreprises et a créé une nouvelle voie de recours devant le juge administratif régie par l'article L. 1235-7-1 du code de travail pour contester les décisions de validation ou d'homologation de l'autorité administrative, assortie d'un délai de jugement réduit de trois mois devant chaque degré de juridiction. Il s'agit d'une compétence nouvelle pour le juge administratif portant sur un contentieux complexe. Pour 2014, 170 affaires ont été enregistrées à ce titre par les tribunaux administratifs et 62 par les cours administratives d'appel.

La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a procédé à la dépénalisation d'un nombre important de sanctions visant à réprimer les infractions au droit de la consommation, transformées en sanctions administratives dont le contentieux est confié au juge administratif. Ces sanctions visent notamment les manquements aux dispositions des livres I er et III du code de la consommation (manquements des opérateurs à leurs obligations d'information sur les prix, présence dans les contrats de consommation de clauses regardées de manière irréfragable comme abusives, sanctions de pratiques restrictives de concurrence).

La loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a créé la possibilité pour le ministre de l'intérieur de prononcer une mesure d'interdiction de sortie du territoire à l'encontre d'un Français pour des raisons d'ordre public, notamment lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il projette des déplacements à l'étranger pour participer à des activités terroristes. Les dispositions législatives relatives à cette mesure et aux règles encadrant son usage se trouvent à l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure. La loi a également créé trois autres nouvelles mesures relevant de la compétence exclusive du ministre de l'intérieur, à savoir l'interdiction administrative du territoire, l'interdiction de se trouver en relation avec une personne nommément désignée et l'interdiction de transport, en raison de l'implication de l'intéressé dans des activités à caractère terroriste ou de ses liens avec des mouvances extrémistes.

Le contentieux de l'ensemble de ces décisions a été confié, par le décret n° 2015-26 du 14 janvier 2015, au tribunal administratif de Paris. Si les premiers jugements viennent d'être rendus en juillet 2015 par cette juridiction, il est encore prématuré de faire une évaluation précise des conséquences de cette réforme sur la charge de travail des personnels des juridictions administratives.

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative au droit d'asile et le projet de loi relatif au droit des étrangers en France 7 ( * ) , actuellement en cours de navette, prévoient l'institution de nouvelles voies de recours en matière de contentieux des étrangers ( cf. infra ).

En 2014, pour la première fois depuis 2007, le taux de couverture 8 ( * ) des affaires par les tribunaux administratifs a été inférieur à 100 %. Il s'est établi, pour les tribunaux administratifs, à 96,3 % en données nettes, en diminution de 7,7 % par rapport à 2013 (104,3 %). Cette baisse est le résultat de la forte augmentation des entrées en 2014.

La diminution du taux de couverture a entraîné mécaniquement une augmentation du stock des affaires en instance (+ 4,9 % par rapport à la situation observée au 31 décembre 2013).

Cependant, depuis la fin du traitement du contentieux électoral, le taux de couverture s'est progressivement amélioré pour atteindre de nouveau 100 %.

Quant à la CNDA, son activité a progressé de 7 % en 2014, et devrait connaître une accélération sensible en 2015 en raison de facteurs conjoncturels tels que la politique de déstockage des dossiers en instance mise en oeuvre par l'OFPRA mais également la politique d'attribution du statut de réfugié. En effet, le taux de recours formés contre les décisions de refus d'attribution du statut de réfugié de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est de 86 %.

Entendus par votre rapporteur, les représentants du Conseil d'État lui ont fait part de leurs craintes de voir la situation de la CNDA se détériorer.

En effet, outre la hausse des entrées attendue en 2015 et 2016, la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative au droit d'asile impose des délais de jugement très courts à la CNDA. Lorsqu'elle statue en formation collégiale sur les recours formés contre les décisions de l'Ofpra, elle doit désormais se prononcer dans un délai de cinq mois à compter de sa saisine. Ce délai est porté à cinq semaines lorsque le juge statue seul.

Or, en 2015, le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock à la CNDA s'est établi à 6 mois, la prévision pour 2016 est plutôt de 7 mois et l'objectif pour 2017 s'établit à 6 mois ( cf. infra ). Selon les représentants du Conseil d'État, les délais fixés par la loi « asile » risquent donc de ne de pas pouvoir être respectés à effectifs constants.

b) Des indicateurs qui reflètent de bonnes performances

Les juridictions administratives ont, depuis quelques années, un double objectif : maîtriser les délais de jugement tout en maintenant la qualité des décisions rendues.

Or la plupart des indicateurs du programme sont des indicateurs quantitatifs et concernent la maîtrise des délais de jugement : le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock, la proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans, le nombre d'affaires réglées par magistrat ou agent de greffe.

La qualité des décisions juridictionnelles rendues n'est mesurée qu'à partir de l'indicateur relatif au taux d'annulation de ces décisions.

Selon l'union syndicale des magistrats administratifs, qui a fait parvenir à votre rapporteur une contribution écrite, « cette présentation ne rend compte que d'un seul point de vue, celui du gestionnaire et qui, en conséquence, ne saurait objectivement refléter la réalité de ce qu'est la justice administrative aujourd'hui ».

Au regard de ces indicateurs, les juridictions administratives présentent des performances tout à fait satisfaisantes.

Depuis 2011, l'objectif fixé par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice de ramener à un an en moyenne les délais de jugement devant les juridictions administratives est atteint.

En 2014, le délai prévisible moyen de jugement s'est établi à 10 mois et 1 jour devant les tribunaux administratifs, 11 mois et 1 jour devant les cours administratives d'appel, 6 mois et 2 jours devant le Conseil d'État et 6 mois et 4 jours devant la Cour nationale du droit d'asile.

Pour la CNDA, le délai prévisible moyen effectif pour 2015 devrait être proche des prévisions du projet annuel de performances pour 2015, malgré une dégradation du taux de renvoi consécutive aux mouvements de grève conduits par les agents de la juridiction et les avocats au début de l'année 2015.

Délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock

2013

2014

2015

2015

2016

2017

Réalisation

Réalisation

(prévision PAP)

(prévision actualisée)

(prévision)

(cible)

Conseil d'État

7 mois et
25 jours

6 mois et
2 jours

8 mois et 15 jours

8 mois et 15 jours

8 mois

8 mois

CAA

11 mois et
12 jours

11 mois et
1 jour

10 mois

10 mois et 15 jours

10 mois

10 mois

TA

9 mois et
25 jours

10 mois et
1 jour

10 mois

10 mois

10 mois

10 mois

CNDA

6 mois et
24 jours

6 mois et
4 jours

6 mois

6 mois et
8 jours

7 mois et
7 jours

6 mois

Source : projet annuel de performances 2016.

Ces bons résultats ont été obtenus grâce aux créations d'emplois dont ont bénéficié les juridictions administratives ces dernières années, mais également grâce à la mobilisation des magistrats et personnels, dont les efforts de productivité consentis ont facilité l'absorption du contentieux.

Ils peuvent également être mis en relation avec la multiplication, au cours des dernières années, de procédures particulières à certains contentieux de masse, enserrés dans des délais extrêmement contraints ou traités par un juge statuant seul ( cf. infra ).

Or l'indicateur « délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock » ne distingue pas selon les types de décisions rendues . Sont donc comptabilisées de la même manière, toutes les affaires, y compris les ordonnances et les procédures enfermées dans un délai déterminé.

Le juge administratif étant contraint de traiter en priorité ces contentieux de l'urgence, il peut en résulter une éviction des contentieux ordinaires, devenus non prioritaires.

À cet égard, l'union syndicale des magistrats administratifs, dans une contribution écrite adressée à votre rapporteur, fait valoir que « de nombreux dossiers dans des domaines techniques et complexes sont jugés dans des délais bien plus longs que ceux exposés, notamment pour ce qui est des marchés publics, du contentieux de l'environnement, ou du contentieux de l'urbanisme par exemple ».

Avant 2015, cet effet d'éviction pouvait être mesuré grâce à l'indicateur « délai moyen constaté pour les affaires ordinaires » qui présentait les délais de jugement des juridictions administratives hors référés-procédures d'urgence, hors affaires dont le jugement est enserré dans des délais particuliers, et hors ordonnances.

Or, en projet de loi de finances pour 2015, cet indicateur a été supprimé « pour des raisons de simplification des documents budgétaires » 9 ( * ) .

De même que l'année dernière, votre rapporteur ne peut que déplorer la suppression de cet indicateur qui lui semblait tout à fait pertinent.

En effet, communiquer sur un délai de jugement inférieur à un an risque d'induire le justiciable en erreur, puisque le délai de jugement des affaires ordinaires s'établissait, en 2014, à 1 an, 9 mois et 4 jours devant les tribunaux administratifs et à 1 an, 2 mois et 1 jour devant les cours administratives d'appel 10 ( * ) .

En tout état de cause, quel que soit l'indicateur utilisé, les délais de jugement des affaires, toutes juridictions confondues, se sont nettement améliorés ces dernières années.

L'effort de « rajeunissement » du stock s'est également poursuivi. Dans les tribunaux administratifs, la part des affaires enregistrées depuis plus de deux ans représente en 2015, selon les prévisions actualisées, 9,5 % du total des affaires en stock dans les tribunaux administratifs (contre 10,7 % en 2014 et 11,6 % en 2013). La cible a été fixée à 8,5 % pour 2016 et 8 % pour 2017.

Dans les cours administratives d'appel, la cible de 3,5 % pour 2016 a d'ores et déjà été atteinte en 2015 mais devrait s'établir à 4,5 % pour 2017. Devant le Conseil d'État, cette proportion a légèrement diminué, passant de 4,5 % en 2014 à 4 % en 2015 (prévisions actualisées).

À l'activité contentieuse s'ajoute, pour le Conseil d'État, une activité consultative importante. En 2014, il a examiné 1 160 textes contre 967 en 2013 dont 102 projets de loi et 756 décrets réglementaires, en moins de deux mois dans 97 % des cas pour les textes législatifs et dans 89 % des cas pour les textes réglementaires.

Enfin, concernant les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), si leur nombre a décru sensiblement de 2010 à 2013, tout en se maintenant à un niveau élevé (256 en 2010, 212 en 2011, 187 en 2012, 162 en 2013), en revanche, l'année 2014 a été marquée par une forte hausse due, en partie, à l'enregistrement de 41 QPC présentées à l'occasion du contentieux du découpage cantonal, soit au total 221 QPC. Ainsi le nombre des QPC progresse de 36,4 % (+ 11 % hors découpage cantonal). Cette tendance à la hausse semble se confirmer sur les sept premiers mois de l'année 2015 : 99 QPC ont été enregistrées du 1 er janvier 2015 au 31 juillet 2015 contre 90 sur la même période 2014 (hors découpage cantonal).

Le principal pourvoyeur des QPC reste de loin le contentieux fiscal même si la part qu'il représente a diminué passant de 33 % en 2010 à 22 % en 2014 (hors découpage cantonal). Les autres matières concernées sont principalement la fonction publique (8 %), les collectivités territoriales (7 %), le droit des personnes et des libertés publiques (5 %) et les pensions (5 %).

Quarante-trois QPC ont ensuite été transmises au Conseil constitutionnel (trente-huit en 2013). Le taux de transmission du Conseil d'État s'établit donc à 25 % des questions (20 % découpage cantonal compris).

2. Des résultats qui découlent également d'une rationalisation de l'activité des juridictions administratives

À côté des dotations budgétaires, d'autres outils ont permis d'améliorer les performances des juridictions administratives.

a) La volonté de recentrer les magistrats administratifs sur leurs activités juridictionnelles

La participation des magistrats aux commissions administratives est souvent recherchée pour apporter une certaine expertise et améliorer ainsi la sécurité juridique des actes pris. Elle peut jouer un rôle important en matière de prévention du contentieux.

Cependant, dans une période où la pression contentieuse accroit la charge de travail des juridictions, dès 2003, une réflexion sur la limitation de la présence des magistrats dans ces structures a été engagée au sein d'un groupe de travail. La réflexion a porté sur l'utilité de la présence d'un magistrat et sur l'importance effective de son rôle, au sein de chacune de ces commissions.

Des règles générales ont ainsi été dégagées par le groupe de travail : le magistrat sollicité pour participer à une commission doit, sauf exception, en assurer la présidence. La participation du magistrat doit être justifiée par la nécessité d'une compétence juridique spécifique et pas seulement par la recherche d'une personnalité qualifiée et impartiale. Le souhait a également été émis que toute participation à une commission soit assortie d'une rémunération.

Le groupe de travail sur un total de 99 commissions recensées dans lesquelles siégeaient des magistrats administratifs, le retrait du magistrat a été envisagé pour 36 d'entre elles. Plusieurs textes ont diminué cette participation 11 ( * ) .

Mais, depuis, plusieurs lois ou ordonnances ont de nouveau prévu la présence de magistrats administratifs dans ces commissions en leur confiant notamment la présidence des chambres disciplinaires des professions de santé. Selon les estimations, cette nouvelle mission représenterait 10 ETPT par an. Depuis 2010, les magistrats administratifs président, en outre, les 21 chambres disciplinaires de première instance des conseils régionaux de l'ordre des infirmiers, constitué conformément aux dispositions des articles L. 4312-1 à L. 4312-9 du code de la santé publique.

Ils sont également sollicités pour représenter le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale, lors de perquisitions réalisées par un magistrat judiciaire, pour participer au conseil national des activités privées de sécurité comme des commissions régionales ou interrégionales d'agrément et de contrôle 12 ( * ) ou aux jurys d'examen en vue de l'obtention des diplômes des opérateurs funéraires 13 ( * ) et aux commissions départementales des impôts directs locaux 14 ( * ) .

En application de l'article R. 237-2 du code de justice administrative, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est consulté sur « toute disposition prévoyant la participation des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à d'autres fonctions » que leurs fonctions juridictionnelles.

Cette consultation permet au Conseil supérieur d'apprécier les modalités effectives de la participation des magistrats administratifs, et notamment les conditions de leur désignation, la place qu'ils seront amenés à occuper au sein de l'organisme en cause, la nature et le volume de leur activité et leurs conditions de rémunération.

Le Conseil d'État a entrepris un nouveau travail de recensement exhaustif de ces commissions en vue d'apprécier, en termes d'emplois, des principales activités non juridictionnelles exercées par les magistrats.

Ce travail devrait être utilisé dans le cadre de l'article 52 du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle 15 ( * ) , qui prévoit une habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures tendant notamment à supprimer la participation des membres du Conseil d'État et des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel aux commissions administratives, lorsque leur présence n'est pas indispensable au regard des droits ou des libertés en cause et, à modifier, le cas échéant, la composition de ces commissions pour tirer les conséquences de cette suppression.

b) Un recours au juge unique pour des contentieux de plus en plus nombreux

Alors même qu'en principe le juge administratif statue en formation collégiale, certains contentieux qui se caractérisent par leur facilité technique, peuvent relever de la compétence d'un juge statuant seul . Cette procédure n'est jamais obligatoire. Le juge en charge de l'affaire peut toujours décider de la renvoyer à une formation collégiale. Cette procédure s'applique principalement devant les tribunaux administratifs.

Les affaires jugées par un juge unique et non par une formation collégiale relèvent de quatre catégories différentes :

- les affaires instruites et jugées selon la procédure de droit commun, la seule dérogation apportée tenant à la composition de la formation de jugement. Leur liste est fixée à l'article R. 222-13 du code de justice administrative (CJA) 16 ( * ) ;

- les affaires instruites et jugées selon une procédure dérogatoire du droit commun, essentiellement en raison de l'urgence, comme par exemple le contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure de surveillance, le contentieux du refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, le contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage ou le contentieux du droit au logement opposable ;

- les procédures de référé (article L. 511-1 et suivants) ;

- les ordonnances 17 ( * ) .

Le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 modifiant le code de justice administrative a révisé la liste des contentieux relevant de la compétence d'un magistrat statuant seul fixée par l'article R. 222-13 du code de justice administrative, de même que celle des compétences exercées par les tribunaux administratifs en premier et dernier ressort, c'est-à-dire sans possibilité d'appel.

Jusqu'à présent, ces deux listes se confondaient pour l'essentiel. Elles ont été découplées dans le but de réserver le recours à un magistrat statuant seul aux matières caractérisées par la facilité technique des dossiers alors que la compétence de premier et dernier ressort des tribunaux administratifs est déterminée au regard du critère de l'importance de l'enjeu concret du litige. Dans ces derniers cas, le justiciable n'aura plus pour seule voie de recours que la cassation. Cette réforme s'est appliquée aux requêtes enregistrées depuis le 1 er janvier 2014.

Toutes compétences confondues, l'évolution de la part respective des affaires jugées par une formation collégiale et par un juge unique s'établit comme suit :

TA (données brutes)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Affaires jugées en formation collégiale

56 519

62 923

70 901

70 867

68 152

70 045

71 378

78 115

79254

83570

34,0 %

36,2 %

38,8 %

36,9 %

34,8 %

36,10 %

37,15 %

39,68 %

42,75 %

43,6 %

Affaires jugées par un juge unique

55 833

52 040

52 893

55 498

61 671

62 933

62 800

58 847

55 063

57 402

33,5 %

29,9 %

29,0 %

28,9 %

31,5 %

32,44 %

32,69 %

29,89 %

29,70 %

29,90 %

Ordonnances

54 100

58 930

58 753

65 667

66 028

61 029

57 951

59 913

51 073

47 738

32,5 %

33,9%

32,2%

34,2%

33,7%

31,46%

30,16%

30,43%

27,55%

24,90 %

Affaires jugées en formation collégiale ou par un juge statuant seul

CAA (données brutes)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Affaires jugées en formation collégiale

16 131

16 492

15 628

17 921

19 372

19 637

21 050

21 968

22 216

22 477

66,2 %

62,4 %

59,0 %

65,2 %

66,1 %

68,22 %

70,48 %

74,36 %

76,16 %

74,91 %

Affaires jugées par un juge unique

2 403

4 131

3 492

2 923

3 174

3 478

3 989

2 344

2 360

2 634

9,9 %

15,6 %

13,2 %

10,6 %

10,8 %

12,08 %

13,36 %

7,93 %

8,09 %

8,78 %

Ordonnances

5 851

5 791

7 353

6 641

6 761

5 668

4 827

5 233

4 596

4 894

Source : services du Conseil d'État.

Au total, environ 55 % des affaires jugées devant les tribunaux administratifs l'ont été par un juge unique ou par ordonnance en 2014, le reste l'a été en formation collégiale . Ces procédures se caractérisant par leur grande rapidité, elles ont largement contribué à l'apurement du stock des affaires en instance devant les juridictions administratives et à la maîtrise des délais de jugement, en particulier du délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock, qui ne distingue pas entre affaires ordinaires et affaires réglées selon une procédure spécifique (urgence, référés, ordonnances...).

Part respective des affaires jugées par ordonnances, à juge unique
ou en formation collégiale de 2006 à 2014 dans les tribunaux administratifs

Source : commission des lois à partir des données fournies
par le Secrétariat général du Conseil d'État.

Le nombre d'affaires jugées en formation collégiale a connu une légère progression entre 2013 et 2014, en raison probablement de la mise en oeuvre du décret du 13 août 2013 qui a prévu que relèvent désormais de la compétence d'une formation collégiale les litiges relatifs aux déclarations de travaux et les litiges relatifs aux taxes syndicales, ainsi que l'essentiel du contentieux de la situation individuelle des agents publics.

S'agissant spécifiquement des ordonnances, leur volume est passé de 34,2 % des affaires réglées en 2008 à 24,9 % en 2014, ce qui peut s'expliquer par l'achèvement de l'apurement des stocks entrepris au cours de la dernière décennie. La légère baisse observée entre 2013 et 2014 pourrait être liée à l'entrée en vigueur de l'article R. 772-6 du CJA, créé par le décret du 13 août 2013, qui subordonne le pouvoir du président de la formation de jugement de rejeter une requête par voie d'ordonnance lorsque celle-ci n'est pas ou est insuffisamment motivée, à l'envoi préalable au justiciable d'une invitation à régulariser sa requête, accompagnée d'une information sur le rôle du juge administratif. Cette possibilité nouvelle de régularisation a pu permettre aux justiciables, qui auront complété la motivation de leur requête, de bénéficier d'une instruction contradictoire et du passage à l'audience de leur dossier.

Le nombre d'affaires réglées par juge unique (hors ordonnances), qui avait connu une légère diminution entre 2012 et 2013 est reparti à la hausse, compte tenu de l'extension du champ des matières pouvant relever du juge unique par le décret du 13 août 2013.

En effet, relèvent désormais de la compétence du magistrat statuant seul :

- les contentieux sociaux 18 ( * ) ;

- les litiges relatifs à la consultation d'archives publiques, désormais assimilés aux litiges relatifs à la communication de documents administratifs ;

- les recours en indemnisation introduits à la suite d'un refus de concours de la force publique alors que jusqu'à présent seuls les recours pour excès de pouvoir introduits à la suite d'un tel refus relevaient d'un magistrat statuant seul ;

- les litiges relatifs aux immeubles insalubres, désormais assimilés aux litiges relatifs aux bâtiments menaçant ruine.

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les années à venir en raison de l'adoption de la loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à l'asile et du projet de loi relatif au droit des étrangers, actuellement en cours d'examen par le Parlement.

Les procédures mises en place par la loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à l'asile et du projet de loi relatif au droit des étrangers

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative au droit d'asile réforme la procédure contentieuse applicable en matière d'asile. Elle prévoit l'institution de nouvelles voies de recours et l'extension de la compétence du magistrat statuant seul en matière de contentieux des étrangers. Sont ainsi prévues :

- l'institution d'un nouveau recours par lequel un étranger ayant été maintenu en rétention, après avoir présenté une demande d'asile formulée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, pourra demander au tribunal administratif l'annulation de la décision préfectorale le maintenant en rétention le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). La procédure applicable sera celle du contentieux des obligations de quitter le territoire français, à savoir un recours exercé dans les 48 heures de la notification de la décision de maintien, jugé par un magistrat statuant seul, sans conclusions du rapporteur public, dans un délai maximal de 72 heures à compter de la notification de la décision de rejet ou d'irrecevabilité de l'Ofpra relative à la demande d'asile ;

- l'institution d'un nouveau recours devant le tribunal administratif pour les décisions de transfert des demandeurs d'asile vers l'État membre de l'Union européenne compétent en vertu du règlement de Dublin. Ce recours en annulation suspensif sera exercé dans un délai de 15 jours et l'affaire confiée à un magistrat statuant seul, sans conclusions du rapporteur public, dans un délai de quinze jours ;

- l'institution d'une nouvelle procédure de référé tendant, après mise en demeure restée infructueuse, à ce qu'il soit enjoint aux étrangers définitivement déboutés de leur demande d'asile d'évacuer les centres d'hébergement pour demandeurs d'asile.

Cette réforme, dont l'objectif est notamment de renforcer les garanties offertes aux demandeurs d'asile et de réduire les délais de traitement de leur demande, devrait se traduire, du fait de l'introduction de nouvelles voies de recours, par une hausse de la charge de travail des juridictions administratives, sans qu'il soit possible d'en évaluer à ce stade précisément l'impact.

Enfin, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France 19 ( * ) , actuellement en cours de navette, prévoit également l'institution d'une nouvelle procédure de juge unique pour le contentieux des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dite « sèche » (c'est-à-dire lorsque cette obligation n'est pas prononcée en même temps qu'un refus de titre de séjour) ou définitivement déboutés du droit d'asile. Ce type d'OQTF, susceptible de concerner des dizaines de milliers de cas chaque année, pourra être contestée dans un délai de sept jours suivant la notification devant le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il désigne à cette fin, statuant seul et sans conclusions du rapporteur public, dans un délai d'un mois. Le délai de saisine actuellement prévu par le texte en discussion est de quinze jours, et le délai de jugement de six semaines.

Si le recours au juge statuant seul, associé à d'autres leviers procéduraux tels que la dispense de conclusions du rapporteur public ou la rationalisation des parcours contentieux 20 ( * ) , a permis à la juridiction administrative de faire face à l'augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement, votre rapporteur estime que l'utilisation de leviers procéduraux a atteint ses limites et qu' aller au-delà risquerait de peser sur la qualité des décisions rendues .

Selon l'union syndicale des magistrats administratifs, « les réformes de procédures contentieuses ont concrètement toutes entraîné une aggravation des conditions de travail des magistrats ». Il y aurait eu, en contrepartie de la réduction des délais de jugement, « une aggravation de la manière dont la justice est rendue ».


* 4 7,3 % hors contentieux électoral.

* 5 En 2014, le Conseil d'État a eu à connaitre en premier et dernier ressort d'un contentieux inédit sous la V e République, le contentieux du découpage des circonscriptions cantonales. 2 626 affaires ont été enregistrées à ce titre. 7 318 affaires ont également été enregistrées au titre du contentieux des élections devant les tribunaux administratifs et 445 affaires devant le Conseil d'État.

* 6 Les données nettes excluent les affaires dites de « série », c'est-à-dire celles qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 7 Renommé « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration » en première lecture au Sénat.

* 8 Ratio : affaires traitées / affaires enregistrées.

* 9 L'indicateur « délai moyen de l'instance pour les affaires en cassation devant le Conseil d'État » a également été supprimé pour les mêmes raisons.

* 10 Ces chiffres sont tirés du rapport public 2015 du Conseil d'État.

* 11 L'ordonnance n° 2004-637 du 1 er juillet 2004 relative à la simplification de la composition et du fonctionnement des commissions administratives et à la réduction de leur nombre ; le décret n° 2005-1253 du 4 octobre 2005 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission régionale d'agrément des centres de gestion agréés et modifiant les articles 371 G à 371 K et 371 U de l'annexe II au code général des impôts ; l'ordonnance n° 2005-1528 du 8 décembre 2005 relative à la création du régime social des indépendants et le décret d'application n° 2006-83 du 27 janvier 2006 ; le décret n° 2006-665 du 7 juin 2006 relatif à la réduction du nombre et à la simplification de la composition de diverses commissions administratives.

* 12 En application de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

* 13 Cf. Décret n° 2012-608 du 30 avril 2012 relatif aux diplômes dans le secteur funéraire et décret n° 2013-1194 du 19 décembre 2013 relatif à la formation dans le secteur funéraire.

* 14 Cf. Décret n° 2013-993 du 7 novembre 2013 fixant les modalités de mise en place et de fonctionnement des commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels et des commissions départementales des impôts directs locaux.

* 15 Ce texte a été adopté en première lecture au Sénat le 5 novembre 2015 après que son intitulé a été modifié : projet de loi relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire.

* 16 Le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 modifiant le code de justice administrative a révisé la liste des contentieux relevant de la compétence d'un magistrat statuant seul, fixée par l'article R. 222-13 du code de justice administrative. Cette réforme s'applique aux requêtes enregistrées depuis le 1 er janvier 2014.

* 17 La possibilité conférée aux présidents des sous-sections du Conseil d'État de régler par ordonnance, sans instruction contradictoire et sans audience, des affaires appelant une solution évidente et simple est prévue à l'article R. 122-12 du code de justice administrative. La même possibilité est dévolue aux présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel par l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, en cours d'examen, prévoit de répartir le pouvoir de prendre des ordonnances au sein du conseil d'état entre les dix présidents de sous-section et les vingt assesseurs.

* 18 C'est-à-dire les litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi.

* 19 Renommé « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration » en première lecture au Sénat.

* 20 Par la suppression par exemple de l'appel pour certains contentieux comme les contentieux sociaux et le contentieux du permis de conduire.

Page mise à jour le

Partager cette page