B. MAIS UNE ABSENCE DE COMPENSATION CONTRAIRE À LA LOI ET DES EFFETS DE TRANSFERTS À PRÉVOIR

Si « l'objectif de prévisibilité » mis en avant par le Gouvernement pour fixer dès à présent les tarifs des taxes intérieures de consommation pour 2017 est louable, aucune mesure de compensation de la hausse par la baisse d'autres prélèvements n'est aujourd'hui prévue, ce qui est contraire tant au principe de compensation intégrale retenu à la création de la CCE qu'aux exigences posées par le législateur .

Ainsi, sur les quatre milliards d'euros de recettes supplémentaires attendues de la composante carbone en 2016, trois milliards d'euros sont « restitués » aux entreprises , au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), et un milliard d'euros aux ménages , au travers des taux réduits de TVA applicables aux travaux de rénovation énergétique des logements et en faveur du logement social et du logement intermédiaire.

Ce principe de compensation intégrale figure du reste explicitement dans deux lois :

- la loi dite « Grenelle I » 47 ( * ) , qui appelait l'État à étudier la création de la CCE, dispose que cette contribution « sera strictement compensée par une baisse des prélèvements obligatoires de façon à préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises » ;

- la loi « Transition énergétique » 48 ( * ) prévoit quant à elle spécifiquement que « l'élargissement progressif de la part carbone [est] compensé, à due concurrence, par un allègement de la fiscalité pesant sur d'autres produits, travaux ou revenus ». Votre commission, à l'initiative de cette disposition, avait précisément ajouté ce garde-fou afin de s'assurer du caractère incitatif et non punitif de la fiscalité écologique , conformément aux engagements alors pris par le Gouvernement.

Ce faisant, il s'agit de mettre en oeuvre le « double dividende » attendu de la fiscalité environnementale 49 ( * ) :

- premier dividende, la réduction de la pollution par les changements de comportements qu'elle induit, ce qui conduit à éroder progressivement son assiette ;

- second dividende, celui lié à l'usage des recettes qu'elle procure, qui peut viser, dans une logique d'équité, à atténuer ses effets anti-redistributifs (cas des taux réduits de TVA), et, dans une logique d'efficacité économique, à diminuer d'autres prélèvements particulièrement distorsifs (cas de la fiscalité sur le travail visée par le CICE).

À en croire l'exposé des motifs de l'article 11 du présent projet de loi, la hausse de la part carbone viserait un unique « objectif de rendement budgétaire », ce qui ne manque pas d'étonner.

Selon l'argumentation développée par le secrétaire d'État chargé du budget lors de l'examen du « collectif » à l'Assemblée nationale, le relèvement de la CCE serait compensé par la stabilisation de la fiscalité sur l'électricité à compter de 2017 , et donc par l'annulation de la hausse annuelle de 3 euros par MWh présentée comme « automatique » 50 ( * ) . Or, même si cette conception extensive de la compensation d'une hausse par l'annulation d'une autre hausse prévisible pouvait être admise, le produit généré par l'augmentation de la CCE - 1,9 milliard d'euros par an - resterait supérieur à celui d'une hausse de CSPE - 1,085 milliard d'euros 51 ( * ) .

Au total, selon les calculs de votre commission, la réforme entendue au sens large - refonte de la CSPE et relèvement de la composante carbone - générerait un surcroît de recettes non compensé de l'ordre de 43 millions d'euros en 2016 (sous le seul effet de la réforme de la CSPE), 755 millions d'euros en 2017 et près d'1,6 milliard en 2018 ( cf. tableau ci-après) 52 ( * ) .

ÉVOLUTION DES PRODUITS DE TICFE, CSPE ET CCE

(en millions d'euros)

2014

2015

dont recouvrés sur 2016

2016

2017

2018

TICFE actuelle

61

15

-

-

-

CSPE actuelle (estimations)

6 188

7 002

1 401

-

-

-

CSPE actuelle sans réforme (estimations du Gouvernement)

-

-

7 756

9 104

10 175

Nouvelle CSPE

-

-

6 398

8 009

8 009

Évolution du rendement annuel de CSPE après réforme (base 2016 sans réforme)

-

-

43

- 1 095

- 2 166

« Contribution climat énergie » (estimations)

340

2 500

4 050

5 900

7 800

Évolution du rendement annuel de CCE (base 2016 sans réforme)

-

-

-

1 850

3 750

Gain net après réforme (base 2016 sans réforme)

-

-

43

755

1 584

Source : commission des affaires économiques à partir des données de la CRE et de l'évaluation préalable de l'article 3 du projet de loi de finances rectificative pour 2015

Outre un surcroît net de recettes pour l'État, l'élargissement de l'assiette aux énergies carbonées peut aussi induire des effets de transferts qui restent cependant difficiles à évaluer avec précision :

- entre ménages , en fonction notamment du type d'énergie utilisée pour le chauffage ou du mode de transport : un tel transfert d'assiette impactera négativement les ménages chauffés au fioul ou au gaz et les « gros rouleurs » au diesel , qui subiront par ailleurs la hausse progressive de la fiscalité sur le gazole ( cf. infra ) ; a contrario , la stabilisation de la fiscalité de l'électricité, seul vecteur énergétique consommé par tous, génère un gain général mais variable selon les ménages ;

- entre ménages et entreprises, les effets de transferts devraient être limités , même si les ménages sont sans doute plus affectés par la hausse des énergies carbonées que les entreprises, les plus sensibles d'entre elles au prix des carburants bénéficiant de taux réduits ou de remboursements de taxes intérieures de consommation (taxis, transporteurs routiers, agriculteurs) ;

- entre entreprises enfin, l'existence de taux réduits protège les professionnels qui en bénéficient des hausses de CCE que doivent acquitter les autres.

S'agissant des ménages, votre rapporteur pour avis rappelle enfin que si le relèvement de la composante carbone opéré depuis 2014 a jusqu'à présent été relativement indolore compte tenu de la chute des cours du pétrole, il pourrait ne pas toujours en être ainsi . Du reste, c'est paradoxalement grâce à l'exploitation des gaz et pétroles de schiste aux États-Unis que les cours du brut ont baissé et qu'une fenêtre d'opportunité s'ouvre, en France, pour financer la transition énergétique en recourant à la fiscalité sur les énergies fossiles.

Enfin, et même s'il est vrai qu'une telle différenciation s'avère difficile à mettre en oeuvre sur le plan technique, votre rapporteur pour avis regrette que les produits issus de la biomasse ne soient pas globalement exclus du relèvement de la part carbone , conformément au principe fixé par la loi « Transition énergétique » 53 ( * ) . On rappellera cependant que les « centrales bagasse-charbon » en outre-mer ou les « centrales biomasse » ne sont pas concernées par la CCE et que l'article 12 du présent texte procède à un rééquilibrage de la fiscalité de l'essence pour favoriser une plus grande incorporation de biocarburants.


* 47 Art. 2 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

* 48 Art. 1 er , VIII de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 précitée, codifié à l'art. L. 100-2 du code de l'énergie.

* 49 Voir notamment le rapport d'information n° 543 (2008-2009) de Mme Fabienne Keller, fait au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 1999 : « En attendant la taxe carbone... Enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 ».

* 50 En l'espèce, si l'augmentation des charges a conduit, depuis 2010, à relever chaque année le taux de CSPE à la hauteur du plafond de 3 euros par MWh, son produit permet déjà, à partir de 2015, de commencer à rembourser la dette contractée à l'égard d'EDF et d'envisager son apurement à l'horizon 2018 ou 2019. En outre, d'autres facteurs pèseront à la baisse sur l'évolution des charges : fin progressive des contrats de soutien les plus rémunérateurs ou baisse des coûts unitaires liée aux progrès technologiques qui viendra compenser la croissance du parc installé (à titre d'exemple, dans le cadre du dernier appel d'offres sur les centrales solaires de grande puissance, le tarif moyen pour les installations au sol est passé de 107 à 82 euros par MWh, soit une baisse de 23 % en vingt mois).

* 51 Soit 3 euros par MWh x 361,8 TWh de consommation intérieure soumise à CSPE en 2016.

* 52 De son côté, le Gouvernement évalue l'impact global de l'article 11 du projet de loi à 30 millions d'euros en 2016 et 720 millions d'euros de recettes supplémentaires en 2017, soit des chiffres voisins mais qui, contrairement à ceux de votre commission, intégreraient la poursuite, en 2017, du rapprochement des tarifs de l'essence et du gazole (qui génère à elle seule environ 250 millions d'euros de recettes).

* 53 À l'initiative de votre commission, il a en effet été précisé, à l'article L. 100-2 du code de l'énergie précité, que la composante carbone doit être « assise sur le contenu en carbone fossile », ce qui exclut de fait la biomasse.

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