B. UNE RÉELLE STRATÉGIE EN MATIÈRE DE RECHERCHE ET D'INNOVATION

1. Quelle recherche pour quelle France ?

Pour assumer pleinement son rôle de stratège, l'État doit au préalable répondre à la question suivante : quelle recherche pour quelle France ?

Septième puissance mondiale en 2015 avec 3,3 % de part mondiale en termes de publications, la France consacre 2,24 % de son PIB en dépense intérieure de recherche et développement, ce qui la place au 12 e rang mondial, loin derrière la Corée du Sud, le Japon ou encore certains pays européens comme les pays scandinaves ou l'Allemagne. Notre pays n'a jamais atteint l'objectif de la stratégie de Lisbonne de 2000, qui fixait ce taux à 3 % du PIB .

Pour relever ce défi, elle devra investir davantage dans sa recherche publique, mais également encourager le développement de la recherche privée. Le candidat Emmanuel Macron s'y était engagé au cours de la campagne présidentielle. Ainsi, il avait déclaré souhaiter consacrer 3 % du PIB à la recherche développement dans le cadre d'une « stratégie quinquennale », notamment en encourageant la recherche partenariale et en soutenant le développement d'entreprises de taille intermédiaire qui innovent et augmenteront les dépenses de recherche.

Cet objectif fait consensus, mais il s'est révélé jusqu'à présent difficile à atteindre quelle que soit la majorité politique.

D'ores et déjà, une piste devrait être privilégiée : renforcer les Instituts Carnot qui assurent avec efficacité le lien entre recherche et innovation et incitent les entreprises, et notamment les PME, à investir dans la recherche. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation de 5 millions d'euros pour soutenir ce dispositif. Ce geste va dans le bon sens, mas il devra être poursuivi et amplifié, car le soutien financier aux Instituts Carnot reste faible comparativement à la croissance du volume de recherche contractuelle constatée.

Par ailleurs, l'augmentation rapide du chiffre d'affaires des instituts conduit paradoxalement, en l'absence d'une augmentation de l'enveloppe budgétaire récurrente, à une baisse du caractère incitatif du dispositif. En effet, chaque année, la subvention allouée in fine est calculée en proportion du chiffre d'affaires avec l'application d'un « taux de réfaction 34 ( * ) » pour respecter l'enveloppe budgétaire globale.

La nécessité d'augmenter les crédits de la recherche si la France souhaite rester parmi les États en pointe dans ce secteur fait l'objet d'un consensus. Néanmoins, une autre action doit être menée en parallèle, à savoir la définition de priorités claires en matière de recherche. C'est ce qui explique le succès de l'Espagne et du Royaume-Uni dans le cadre des appels à projets européens ou encore le rayonnement de la recherche du Royaume-Uni ou des Pays-Bas au niveau international, alors même que ces pays investissent proportionnellement moins d'argent dans la recherche que notre pays.

À cet égard, le classement réalisé par le Forum Économique International sur la compétitivité globale est éclairant. En ce qui concerne le critère « qualité des instituts de recherche scientifique », la France occupe la septième position, devant l'Allemagne et la Finlande, mais derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

À défaut d'être capable d'investir des milliards d'euros supplémentaires dans la recherche, la France devra définir des priorités si elle souhaite que la recherche française continue d'être reconnue au niveau international dans les domaines qu'elle aura jugés stratégiques. Priorités dans les équipes de recherche à soutenir, mais également priorités dans les domaines de recherche à privilégier. C'est un chantier délicat, mais indispensable sous peine de continuer à financer « tout mais mal ».

Le gouvernement a déjà annoncé plusieurs priorités , que ce soit en matière de politique spatiale (secteur qui bénéficie d'un réel engagement financier) ou d'intelligence artificielle (secteur pour lequel le passage des mots aux actes reste encore à démontrer). Sa position reste plus ambiguë en matière de politique nucléaire ou sur les nanotechnologies. Ainsi, les nanotechnologies font partie des quatre secteurs devant bénéficier de 4,6 milliards pour renforcer la compétitivité de la France et de ses entreprises. Toutefois, cette compétitivité ne pourra être préservée que si la recherche et développement reste soutenue dans les mêmes proportions qu'au cours des plans Nano2012 et Nano2017. Votre rapporteur pour avis sera donc vigilant sur l'engagement financier de l'État en direction du LETI, qui fait partie des trois plus gros instituts de microélectronique en Europe et dont l'affaiblissement aurait un impact négatif sur toute la filière.

2. Renforcer l'efficacité de la politique d'innovation

Conscients que l'innovation joue un rôle déterminant dans la compétitivité des économies, les gouvernements successifs ont développé un système particulièrement riche de dispositifs d'aide à l'innovation des entreprises qui repose sur trois piliers :

- la stimulation de partenariats et les transferts public-privé ;

- l'accompagnement et le financement des projets innovants ;

- les incitations fiscales à la recherche développement et à l'innovation.

De multiples outils ont été créés pour favoriser le lien entre la recherche et l'innovation :

- le dispositif CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche) : créé en 1981, il favorise les échanges entre les laboratoires de recherche publique et les milieux socio-économiques à travers la subvention de l'emploi des docteurs dans les entreprises ;

- les pôles de compétitivité : créés en 2005, ils rassemblent sur un territoire bien identifié et sur une thématique ciblée, des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de formation ;

- le programme LabCom : lancé en mars 2013, il encourage les acteurs de la recherche publique à s'engager dans un partenariat bilatéral avec une petite et moyenne entreprise (PME) ou une entreprise de taille intermédiaire (ETI) en leur accordant une subvention de 300 000 euros sur 3 ans ;

- les chaires industrielles : créées en 2012, elles soutiennent les collaborations entre un laboratoire et un ou plusieurs partenaires du monde industriel afin de renforcer le potentiel de recherches novatrices et stratégiques dans des domaines prioritaires pour l'industrie française. L'ANR subventionne le laboratoire public pour un montant maximum de 1,6 million d'euros sur quatre ans à concurrence de l'engagement financier des industriels auprès du laboratoire ;

- les instituts Carnot : créés en 2006, ils encouragent les laboratoires de recherche publics à conduire leurs travaux en partenariat avec des entreprises ;

- les plates-formes régionales de transfert de technologie CEA Tech (PRTT) : elles ont été mises en place avec pour objectif de diffuser, en lien étroit avec les partenaires de recherche locaux, les technologies génériques développées au CEA auprès des entreprises implantées dans les régions correspondantes.

Le lancement des PIA s'est accompagné de la création de nouveaux dispositifs tels que les instituts de recherche technologique (IRT) et les instituts pour la transition énergétique (ITE).

L'accompagnement et le financement des projets innovants font également l'objet de nombreuses initiatives. Les incubateurs publics ont été créés par la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche. Par la suite, de nouveaux dispositifs ont vu le jour, qui concourent également directement ou indirectement à la création d'entreprises innovantes, tels que les Instituts Carnot et plus récemment les SATT (sociétés d'accélération du transfert technologique) en amont de la chaine de valorisation ainsi que les accélérateurs en aval.

Bpifrance joue également un rôle majeur en matière de soutien à l'innovation pour les PME et les ETI à travers les aides individuelles à l'innovation (sous forme de subventions, d'avances remboursables en cas de succès et de prêt à taux zéro), le soutien aux projets collaboratifs de recherche et développement 35 ( * ) et l'octroi de financement bancaire (prêts bonifiés, prêts assimilables à des quasi-fonds propres, préfinancement du crédit d'impôt recherche).

Afin de financer l'innovation par le capital-risque, plusieurs fonds ont été créés avec le soutien des pouvoirs publics.

Le Fonds national d'amorçage investit dans des fonds qui eux-mêmes investissent dans de jeunes entreprises innovantes en phase d'amorçage dans les secteurs technologiques.

Le PIA est également à l'origine du fonds de fonds Multicap croissance (FFMC), qui vise à encourager le déploiement de fonds de capital-risque et capital croissance de grande taille (taille cible de 200 millions d'euros), par des souscriptions de 20 à 60 millions d'euros pour répondre aux besoins croissants des entreprises innovantes.

Le fonds commun de placement à risque Ambition numérique vise à investir en fonds propres dans les PME innovantes du secteur du numérique. Les fonds sectoriels Ecotechnologies, Innobio, FABS et PSIM (programme de soutien à l'innovation majeure) gérés par Bpifrance Financement, investissent également dans des entreprises innovantes de leurs secteurs ou dans les lauréats des concours d'innovation (pour PSIM).

Le fonds Large Venture cible plus particulièrement le capital-risque technologique aval et prend des participations de 10 à 30 millions d'euros dans des start-ups en phase de croissance.

Enfin, les incitations fiscales à l'innovation pour les entreprises ont été considérablement renforcées, notamment en direction des PME.

Le crédit impôt recherche (CIR) constitue une dépense fiscale majeure (22 000 entreprises concernées en 2014, 21 milliards d'euros de dépense en recherche et développement déclarés, pour une dépense fiscale de 5,8 milliards d'euros). La France est devenue l'un des pays qui offre le traitement fiscal de la recherche et développement le plus avantageux pour les entreprises.

Le crédit d'impôt innovation (CII) a été instauré depuis le 1 er janvier 2013 pour les PME, étendant les dépenses éligibles au CIR à la conception de prototypes et aux installations pilotes de produits nouveaux. D'un taux de 20 % et avec une assiette plafonnée à 400 000 euros, ce crédit d'impôt a vocation à inciter les PME à industrialiser leur innovation, en intégrant des facteurs différenciants comme le design ou l'éco-conception, afin de favoriser la montée en gamme de leur offre de biens et services et d'accroître les retombées du CIR sur la croissance et l'emploi. En 2014, 4 931 PME ont bénéficié de 118 millions d'euros au titre du CII pour une dépense déclarée de 591 millions d'euros. Près de 87 % des bénéficiaires avaient moins de 50 salariés, et 45 % moins de 10 salariés.

Le dispositif en faveur des jeunes entreprises innovantes (JEI) combine des avantages fiscaux et sociaux (exonérations de cotisations sociales patronales) pour favoriser le développement des jeunes entreprises innovantes.

L'investissement massif consenti par la France en matière de politique d'innovation porte ses fruits, comme en témoignent l'accélération des créations de start-up (+ 30 % entre 2012 et 2015), le succès des instituts Carnot, mais également le développement de la culture de l'entreprenariat et de l'innovation chez les étudiants et les chercheurs ainsi que le dynamisme du marché du capital-risque.

Néanmoins, la politique d'innovation de la France pourrait encore gagner en efficacité.

Ainsi, de nombreux rapports d'évaluation ont estimé que la multiplicité des dispositifs induisait un système particulièrement complexe . Lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Mme Frédérique Vidal s'est engagée à lancer une évaluation de chaque instrument territoire par territoire afin de ne conserver que les plus efficaces. Votre rapporteur pour avis estime que cette rationalisation des instruments au service de l'innovation est indispensable afin que les entreprises s'en saisissent plus facilement.

Compte tenu des masses financières en jeu, il conviendrait également de s'assurer de l'efficacité des incitations fiscales, notamment en ce qui concerne le CIR.

Les propos de M. Luc Soete, ex-recteur de l'université de Maastricht et ancien président du groupe RISE 36 ( * ) lors du dernier sommet européen en Estonie en septembre 2017, relancent le débat sur cette incitation fiscale : « les crédits d'impôt n'ont pas permis d'augmenter la recherche et développement privée, ils sont devenus de simples subventions aux entreprises. »

La dernière évaluation du CIR a été réalisée par l'OFCE en avril 2017. Si le bilan tiré est globalement positif, l'étude insiste sur le caractère extrêmement couteux du dispositif. Ainsi, le soutien à la recherche-développement coûte 0,08 % du PIB en Allemagne, contre 0,37 % en France, dont 0,26 % pour le crédit d'impôt recherche, alors même que les entreprises allemandes investissent deux fois plus dans la recherche que leurs homologues françaises.

L'intensité des dépenses en recherche et développement des entreprises allemandes s'explique en partie par la spécialisation sectorielle de l'économie allemande. En effet, les pays où l'industrie est puissante tendent à avoir une intensité en recherche développement élevée car les secteurs manufacturiers présentent en moyenne des intensités en recherche développement plus élevées que les services. En outre, l'Allemagne est spécialisée dans les secteurs industriels de haute technologie, qui présentent les intensités en recherche développement privées les plus élevées.

L'actuel gouvernement s'est positionné clairement en faveur du maintien du CIR. Pour autant, votre rapporteur pour avis estime légitime de s'interroger régulièrement sur son efficacité compte tenu de son coût.

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En conclusion, votre rapporteur pour avis vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche au sein de la MIRES.

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Votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2018 .


* 34 Rapport entre l'abondement versé et l'abondement « théorique » calculé suivant les règles de l'appel à projet.

* 35 A travers le financement des programmes « Projet structurants pour la Compétitivité » (PSPC) et « Fonds pour la société numérique », tous deux issus du PIA.

* 36 Groupe d'experts de haut niveau pour les politiques de recherche, d'innovation et de science auprès du commissaire européen Carlos Moedas.

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