B. LE PLAN NATIONAL DE MOBILISATION CONTRE LES ADDICTIONS 2018-2022 DEVRA COMBLER LES LACUNES DES DEUX PLANS PRÉCÉDENTS

Les crédits octroyés à la Mildeca par la loi de finances pour 2019 et au titre du fonds de concours « drogues » seront consacrés à la mise en oeuvre du plan national de mobilisation contre les addictions , dont elle a coordonné le travail interministériel de préparation. La concertation , associant les onze ministères concernés, leurs opérateurs (agences sanitaires et agences régionales de santé), la Cnam, la Cnaf, les associations représentant les communes et les départements, les associations et spécialistes de l'addictologie et de la réduction des risques et des dommages (RDRD), a été menée à partir d'octobre 2017. Plus de soixante-dix contributions ont été recueillies au cours de cette phase.

D'abord annoncé pour mars, la présentation du plan a été repoussée au mois de juin, puis au mois de juillet, puis au mois de septembre, puis au 22 octobre, sans que les raisons d'un tel allongement des délais ne soient clairement exposées, sinon des « problèmes d'agenda ». L'effet de ce report est délétère pour les professionnels du champ de l'addiction qui se sentent peu soutenus dans leur action.

D'après des éléments fournis par la Mildeca, le plan 2018-2022 s'inscrit dans la continuité des actions initiées dans le précédent plan gouvernemental, tout en les approfondissant. Il met l'accent sur la prévention et porte une attention particulière aux publics les plus vulnérables , du fait de l'âge ou de fragilités. Son objectif est de créer un élan et d'accompagner une prise de conscience dans l'ensemble de la société, pour diminuer les consommations de produits psychoactifs licites ou illicites et les conduites addictives avec ou sans substances. Le changement par rapport au précédent plan est aussi sémantique : on parle désormais de mobilisation plutôt que de lutte , pour pointer le caractère transversal des mesures. Et il s'agit d'un plan national plutôt que gouvernemental : c'est la Nation toute entière qui est incitée à se mobiliser contre les addictions.

Le plan sera organisé autour de 6 axes, 20 priorités et plus de 200 mesures.

Le plan 2018-2022

6 axes

6 défis

Axe 1 : une prévention pour tous et tout au long de la vie

protéger dès le plus jeune âge

Axe 2 : une meilleure réponse pour les citoyens et la société aux conséquences des addictions

mieux répondre aux conséquences des addictions pour les citoyens et la société

Axe 3 : un engagement fort contre les trafics

améliorer l'efficacité de la lutte contre le trafic

Axe 4 : la recherche et l'observation au service de l'action

renforcer les connaissances et favoriser leur diffusion

Axe 5 : un impératif : observer et agir aussi au-delà de nos frontières

renforcer la coopération internationale

Axe 6 : mobiliser dans les outre-mer

créer les conditions de l'efficacité de l'action publique sur l'ensemble du territoire

1. Les remarques formulées par le Sénat sur les plans précédents

En premier lieu, ces dernières années, votre commission des affaires sociales a condamné le saupoudrage auquel le précédent plan de lutte contre les drogues avait abouti. Elle déplorait, au sein des deux plans d'actions 2013-2015 et 2016-2017, des inventaires d'actions d'inégale importance agrégeant des mesures hétéroclites, ainsi que l'absence de hiérarchisation entre les différentes actions. Elle se prononçait par conséquent en faveur d'un nombre réduit d'actions. Depuis 2017, pour tenir compte de cette critique, des projets pluriannuels ont été engagés afin de mobiliser des sommes plus importantes et d'offrir un meilleur suivi des crédits affectés par la Mildeca aux actions de prévention. Ce mouvement a été poursuivi en 2018. Force est cependant de constater que le nouveau plan prévoit encore plus de deux cents mesures, ce qui tend à brouiller la lisibilité de la politique de lutte contre les addictions.

En second lieu, votre commission s'est montrée attentive, ces dernières années, à ce que le principe d'équivalence des soins dans le traitement et la prise en charge des addictions soit respecté entre milieu ouvert et milieu carcéral . Les personnes incarcérées constituent un public particulièrement fragile en matière addictive. De fortes prévalences d'addictions sont constatées en milieu carcéral , au sein duquel on dénombre d'importantes consommations de cannabis mais aussi de cocaïne, de MDMA, de morphine : près de 40 % des détenus consommeraient du cannabis, entre 7 et 10 % de la cocaïne et 8 % de l'héroïne. Un entrant sur deux consommerait quotidiennement de l'alcool, des drogues illicites et/ou des médicaments sans détenir la prescription requise. Huit personnes incarcérées sur dix fumeraient au sein de leur établissement pénitentiaire, qu'il s'agisse de tabac et/ou de cannabis. 9 % des détenus bénéficient d'un traitement de substitution aux opiacés (TSO). La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a prévu que la politique de réduction des risques et des dommages s'applique aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral. Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 devra prévoir la finalisation du décret sur les adaptations des modalités d'intervention de la réduction des risques et des dommages au bénéfice des personnes détenues. On ne peut que déplorer que ce décret ne soit pas encore publié malgré la situation dégradée de la prise en charge des pathologies addictives au sein des établissements pénitentiaires et alors que le législateur s'est exprimé depuis maintenant près de trois ans en faveur de l'extension et de l'application effective de la réduction des risques et des dommages en prison .

Troisièmement, le Sénat s'est prononcé, en 2011 puis en 2015, en faveur d'une inflexion de la réponse pénale pour l'usage de stupéfiants . Le souhait de punir par une amende l'usage de stupéfiants semble en voie d'être exaucé.

Un rapport d'information 6 ( * ) de l'Assemblée nationale publié en janvier 2018 posait le constat que la répression de l'usage de stupéfiants faisait l'objet d'une réponse pénale insatisfaisante, et que cette infraction n'était plus réellement sanctionnée pour les primo-délinquants, majoritairement condamnés à de simples rappels à la loi. Le nombre de décisions prononcées pour le seul chef d'usage de stupéfiant a été multiplié par dix en quinze ans : 37 000 décisions en 2015 contre moins de 3 500 en 2000. Et la part des interpellations liées aux stupéfiants visant le cannabis atteint près de 90 % de l'ensemble, contre moins de 60 % à l'échelle européenne. Mais si les interpellations d'usagers de stupéfiants font l'objet d'une réponse pénale systématique - puisque seules 1,8 % des interpellations sont classées sans suite - 54 % des mesures alternatives aux poursuites prononcées en 2017 étaient de simples rappels à la loi .

La situation est donc celle d'une dépénalisation de fait. Le rapport précité concluait à la nécessité de punir systématiquement l'usage de stupéfiants d'une amende forfaitaire délictuelle, nouvelle catégorie de peine créée par la loi de modernisation de la justice en 2016 7 ( * ) .

L'article 37 du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 8 ( * ) étend la procédure de l'amende forfaitaire aux délits de vente d'alcool à des mineurs et d'usage de stupéfiants pour les seuls majeurs . Cette amende, d'un montant de 300 euros (250 euros pour le montant minoré et 600 euros pour le montant majoré) constitue une réponse supplémentaire au délit d'usage de stupéfiants, tout en préservant les autres peines et les possibilités d'orientation vers le soin. Ce changement législatif ne change rien au maintien de la possibilité de prononcer un stage de sensibilisation (à la place ou en sus) de toute peine d'emprisonnement, ni à la possibilité de prononcer un stage dans le cadre d'une mesure alternative aux poursuites, ni aux possibilités actuelles de prononcer des peines de travail d'intérêt général ou des peines d'amendes.

Ce nouveau dispositif répressif permet de favoriser une réponse pénale plus systématique, plus rapide, plus effective et dissuasive à l'infraction d'usage de stupéfiants . Il maintient la pénalisation de l'usage de stupéfiants mais ouvre la possibilité d'éteindre l'action publique, y compris en cas de récidive, par le versement de l'amende forfaitaire. Il pourra également permettre de réduire les moyens nécessaires au traitement de cette délinquance , aussi bien pour les magistrats qu'au sein des forces de l'ordre ; ce contentieux représente en effet une part significative et chronophage de l'activité des juridictions. Conformément au souhait du Sénat, une telle réforme permettra de placer l'effectivité de la sanction au coeur de la politique pénale de lutte contre la consommation de stupéfiants. Néanmoins, votre rapporteur demeure particulièrement attaché aux dispositifs de stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants . Elle souhaite ainsi que les personnes interpellées pour la première fois pour usage de stupéfiants soient dirigées vers de tels stages. Dans le même ordre d'idées, les mineurs interpellés pour usage de stupéfiants pourraient se voir ordonner d'effectuer un tel stage. Inspirée des stages de sensibilisation à la sécurité routière, cette sanction à visée pédagogique s'adresse aux usagers occasionnels de stupéfiants, non dépendants. Le principal acquis du stage concerne les progrès de connaissances ressentis, en particulier sur la législation et les risques sanitaires de la consommation de drogues. Le montant de ces stages demeure à la charge des personnes qui y sont condamnées, ce qui s'avère problématique lorsque les usagers ne disposant d'aucune ressource.

Par ailleurs, le Sénat regrettait que les phénomènes addictifs outre-mer ne soient pas assez documentés et demandait une étude exhaustive relative aux conduites addictives dans les outre-mer. Cette réclamation semble avoir été prise en compte dans la mesure où les outre-mer font l'objet d'un axe spécifique du plan 2018-2022 (axe 6). D'autre part, sans être exhaustifs, des études publiées par l'OFDT à l'été 2018 portant sur les usages de drogues chez les lycéens de la Martinique, de Guyane, de Guadeloupe, de La Réunion et une étude qualitative de l'offre de l'usage et de l'impact des consommations de « chimique » à Mayotte, apportent des éléments d'analyse bienvenus.

La politique de soutien à la recherche de la Mildeca

La Mildeca contribue à la diffusion et au partage des connaissances. Elle soutient prioritairement des évaluations, expertises, recherches utiles à l'amélioration des politiques publiques et des pratiques professionnels dans les domaines de la prévention (appel à projet IRESP prévention), du soin (évaluation des salles de consommation à moindre risque), de l'application de la loi (évaluation de la lutte contre le trafic, études sur l'argent de la drogue).

La Mildeca soutient le développement de l'offre de culture scientifique sur les addictions pour rendre la science des addictions accessible au grand public et favoriser le dialogue entre la science et les citoyens.

En 2018, la Mildeca a élaboré, conjointement avec la direction de la recherche et de l'innovation du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, un programme pluriannuel. Elle a également participé aux journées nationales d'innovations en santé et à l'organisation d'un prix scientifique.

Enfin, l'information sur les risques de certaines substances semble déficiente dans notre pays. Par exemple, au cours des trente dernières années, une seule campagne sanitaire nationale de prévention sur les dangers du cannabis a été menée (en 2005). Au regard du nombre de jeunes consommateurs dans notre pays, cela semble particulièrement peu et il semble urgent qu'une nouvelle campagne soit menée. Concernant l'alcool, les études scientifiques indiquent une augmentation du risque de cancer dès la consommation moyenne d'un verre par jour, alors que les Français situent ce niveau à presque trois verres et demi par jour. Et très peu de nos concitoyens connaissent les recommandations de l'Institut national du cancer : ne pas consommer plus de 10 verres standards par semaine, et pas plus de 2 verres par jour, hommes comme femme.

2. L'âge d'entrée dans la consommation et la facilité d'accès aux substances et comportements addictifs, deux facteurs déterminants à mieux prendre en compte

L'âge d'entrée dans la consommation constitue un facteur déterminant de la consommation future d'une substance. Une entrée précoce dans la consommation augmente le risque de conduites addictives par la suite. Dans cette perspective, il importe aux pouvoirs publics de retarder l'âge d'entrer dans la consommation. Si l'âge moyen d'expérimentation du tabac est en recul (14,4 ans en 2017 contre 14 ans en 2014 et 13,7 ans en 2000), l'âge moyen d'expérimentation pour le cannabis reste stable , à 15,3 ans depuis 2000. Concernant l'alcool, on estime qu'un jeune scolarisé en sixième sur deux en a déjà consommé, la plupart du temps à l'occasion d'une fête familiale. L'âge d'expérimentation est donc particulièrement précoce, notamment pour des raisons culturelles.

La facilité d'accès aux substances et usages addictifs est un autre facteur pouvant favoriser les conduites addictives. Or le sentiment qui domine, est celui de la facilité d'accès aux substances et aux écrans 9 ( * ) , y compris pour les mineurs. Ainsi, 92 % des jeunes de 14 à 24 ans pensent qu'il est facile d'acheter des cigarettes lorsque l'on n'a pas 18 ans ; 72 % qu'il est aisé d'acheter de l'alcool dans un commerce pour un mineur. 92 % des 14-24 ans estiment qu'il est facile pour un mineur de regarder des vidéos à caractère pornographique. Pour les substances illicites, 69 % des jeunes de 14 à 24 ans pensent qu'il leur est facile de se procurer du cannabis ; ce pourcentage tombe à 46 % pour les substances telles que cocaïne, ecstasy, MDMA et GHB.

L'i nformation des jeunes ne suffit pas à lutter efficacement contre les dépendances . Le développement de leurs compétences psychosociales semblent plus adapté et efficace. Pour ce qui concerne leurs parents, s'ils ont pour la plupart conscience que leurs enfants ont déjà testé des produits addictifs, ils sous-évaluent en revanche la fréquence de leurs consommations.


* 6 Rapport d'information de l'Assemblée nationale n° 595 XVe législature.

* 7 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

* 8 Texte n° 463 (2017-2018) de Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la justice, déposé au Sénat le 20 avril 2018.

* 9 Enquête Ipsos du 8 juin 2018, réalisée pour la Fondation Gabriel Péri, le Fonds actions addiction et la Fondation pour l'innovation.

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