II. UNE HAUSSE DES CRÉDITS QUI DOIT S'ANALYSER AU REGARD D'UNE ACTIVITÉ SOUTENUE ET D'UNE MENACE SÉCURITAIRE ELEVÉE

La hausse des crédits prévue dans le projet de budget ne peut être correctement appréciée si l'on ne prend pas en compte le niveau soutenu de l'activité de l'administration pénitentiaire et les défis qu'elle doit relever en matière de sécurité.

A. LE NOMBRE DE PERSONNES PRISES EN CHARGE SE MAINTIENT À UN NIVEAU ÉLEVÉ

1. Les personnes suivies en milieu ouvert

Depuis quatre ans, le nombre de personnes suivies en milieu ouvert au dernier jour de chaque trimestre oscille entre 159 000 et 161 000. Au 31 mars 2019, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) suivaient 161 427 personnes en milieu ouvert , soit un chiffre en légère augmentation (0,28 %) par rapport à la situation constatée un an auparavant.

Évolution du nombre de personnes suivies en milieu ouvert
au dernier jour de chaque trimestre

Source : commission des lois à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Au 1 er janvier 2019, un total de 182 952 mesures de milieu ouvert étaient mises en oeuvre par les SPIP , soit un chiffre en légère hausse (0,6 %) par rapport à 2018.

L'essentiel des mesures suivies par les SPIP étaient des mesures postsentencielles : le sursis avec mise à l'épreuve, le sursis assorti d'une obligation d'accomplir un travail d'intérêt général (TIG), le travail d'intérêt général, ou encore la libération conditionnelle. S'agissant des mesures présentencielles, ce sont surtout les placements sous contrôle judiciaire qui occupent les SPIP (4 241 mesures au 1 er janvier).

Ce stock de mesures est régulièrement renouvelé d'environ 28 000 nouvelles mesures postsentencielles et de près de 1 800 nouvelles mesures présentencielles, à chaque trimestre.

Au 1 er trimestre 2019, ce sont 23 295 nouvelles personnes - c'est-à-dire n'ayant pas fait l'objet d'une prise en charge en milieu ouvert depuis au moins un an - qui étaient prises en charge en milieu ouvert par les SPIP, après 22 395 nouvelles personnes au dernier trimestre de 2018. Ce flux considérable appelle de la part des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) un investissement professionnel important pour évaluer les situations et définir une prise en charge pour chaque nouvel arrivant.

2. Les personnes placées sous écrou

Le nombre de personnes placées sous écrou continue de croître, quoiqu'à un rythme plus modéré. Au 1 er janvier 2019, 81 250 personnes étaient placées sous écrou , ce qui correspond à une augmentation de 3,1 % en deux ans. Significative, cette augmentation est toutefois moindre que celle constatée entre 2015 et 2017, en réaction aux attentats (+ 18%).

Au 1 er octobre 2019 , dernier chiffre connu, 82 708 personnes étaient sous écrou, chiffre en hausse de 1 % par rapport au 1 er octobre 2018. Sur ce total, 70 818 étaient détenues 7 ( * ) , soit un chiffre quasiment stable par rapport au 1 er octobre 2018 (+ 0,1 %).

Le nombre de personnes non détenues connaît une hausse significative de 6,4 %, ce qui paraît cohérent avec la volonté du Gouvernement de privilégier les alternatives à l'incarcération . La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit notamment la création, à partir de mars 2020, d'une peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique, alors que le placement sous surveillance électronique est aujourd'hui seulement possible comme mesure d'aménagement d'une peine d'emprisonnement.

Évolution du nombre de personnes placées sous écrou

1 er octobre 2019

1 er octobre 2018

Évolution en pourcentage

Personnes placées sous écrou

82 708

81 884

+ 1 %

dont personnes détenues

70 818

70 714

+ 0,1 %

dont personnes non détenues

11 890

11 170

+ 6,4%

Au 1 er octobre 2019, parmi les 70 818 personnes détenues, 20 959 étaient prévenues et 49 859 étaient condamnées.

La population masculine continue d'être extrêmement majoritaire : les hommes représentent 96,3 % des personnes incarcérées au 1 er octobre 2019.

Évolution de la population détenue
(sur trois ans)

Source : graphique réalisé à partir des statistiques mensuelles de l'administration pénitentiaire

3. Une surpopulation carcérale persistante

Avec 61 065 places de prison opérationnelles au 1 er octobre 2019 pour 70 818 détenus, les prisons françaises restent caractérisées par un état préoccupant de surpopulation carcérale. Cette situation, qui dure depuis plusieurs décennies, entraîne des conditions de détention indignes qui affectent très largement les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire .

L'accès des détenus aux services de santé, au travail, à une formation, ou tout simplement aux douches, devient plus difficile en raison de la saturation des équipements et de l'offre de services. Lors de son audition, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a insisté sur l'insécurité qui résulte pour les détenus de cette surpopulation : quand deux ou trois personnes partagent une cellule jusqu'à vingt heures par jour, des tensions ne manquent pas d'apparaître, pouvant déboucher sur des actes de violence.

Alors que le droit à l'encellulement individuel a été énoncé dès 1875, au 1 er octobre 2019, seules 42 % des personnes détenues bénéficiaient d'une cellule individuelle . A la même date, l'administration pénitentiaire recensait 1 497 matelas au sol, contre seulement 1 353 un an plus tôt.

Ce taux moyen masque des disparités importantes entre les établissements pour peine, où environ 80 % des détenus bénéficient d'un encellulement individuel, et les maisons d'arrêt surpeuplées, avec un taux d'occupation qui atteint 138 % en 2019.

Évolution du taux d'encellulement individuel

Date

Maisons

d'arrêt

Établissements

pour peines

Tous les

établissements

01/09/2016

20,5

73,2

40,1

01/09/2017

20,8

81,3

40,3

01/09/2018

20,1

83,1

40,5

01/09/2019

21,6

82,6

42,1

Source : statistiques de la direction de l'administration pénitentiaire

Depuis quatre ans, le taux d'encellulement individuellement n'a progressé que de deux points. Afin d'atteindre un taux de 80 % d'encellulement individuel, le rapport sur l'encellulement individuel 8 ( * ) transmis au Parlement par M. Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, ministre de la justice, recommandait de construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles d'ici à 2023. Le plan pénitentiaire du Gouvernement prévoyant, comme on l'a vu, de livrer 7 000 places d'ici à la fin de 2022, l'objectif de l'encellulement individuel demeure pour l'heure inaccessible. Pour 2020, le projet annuel de performance indique que le Gouvernement table sur une modeste amélioration du taux d'encellulement individuel qui atteindrait 41,5 % contre 41 %, en moyenne, sur l'ensemble de l'année 2019.

Il est encore trop tôt pour apprécier les effets que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice pourrait avoir sur le nombre de personnes incarcérés, d'autant que plusieurs de ses dispositions n'entreront en vigueur que dans le courant de l'année 2020. Dans l'étude d'impact annexée au projet de loi, le Gouvernement avait estimé que l'application de ce texte pourrait faire diminuer de 8 000 personnes le nombre de détenus, évaluation que la commission avait jugée optimiste et peu étayée.

À ce jour, la DAP a seulement noté une augmentation de la part des libérations sous contrainte parmi les personnes condamnées, dont le taux est passé de 0,8 % à 1,2 %. Schématiquement, la loi de programmation a fait de la libération sous contrainte, aux deux tiers de la peine, la règle de principe alors qu'il s'agissait auparavant d'une faculté laissée à l'appréciation du juge de l'application des peines. L'impact de la mesure reste modeste puisque le nombre de libérations sous contrainte est passé de 478 en moyenne par mois en 2018 à 681 en moyenne par mois depuis l'entrée en vigueur de la loi en mars 2019.

4. L'achèvement de la reprise des extractions judiciaires

Depuis le 1 er novembre 2019, la totalité des extractions judiciaires 9 ( * ) relèvent de l'administration pénitentiaire , achevant ainsi un transfert de compétences décidé en 2010.

Traditionnellement, les extractions judiciaires étaient effectuées par les forces de police ou de gendarmerie. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il a été décidé de transférer cette mission à l'administration pénitentiaire, avec une reprise échelonnée par régions. Le 1 er novembre, les deux dernières régions (Corse et Provence-Alpes-Côte d'Azur) sont entrées dans le dispositif.

Cette réforme s'est déroulée dans des conditions difficiles, et soulève toujours de nombreux problèmes sur le terrain, en raison du sous-dimensionnement initial des effectifs consacrés à cette mission . En 2010, un effectif de 800 ETPT avait été jugé suffisant pour assurer l'ensemble des extractions judiciaires ; en 2013, cet effectif a été réévalué à 1 200 postes ; la circulaire du 28 septembre 2017, signée par la garde des sceaux et par le ministre de l'intérieur, a ensuite indiqué que 1 650 ETPT seraient affectés à cette mission à compter du 1 er novembre 2019.

Les magistrats se heurtent à de fréquentes « impossibilités de faire » qui leur sont opposées par l'administration pénitentiaire lorsqu'elle n'a pas les moyens de répondre à leur demande. Cet état de fait a conduit les magistrats à introduire dans leurs dossiers la notion « d'enjeu procédural majeur » pour signaler les demandes devant être traitées par priorité.

Cette situation ralentit et complique les procédures et a pu aboutir parfois à des libérations non souhaitées de détenus, dont l'Union syndicale de la magistrature (USM) donne quelques exemples dans un Livre blanc intitulé « Urgence pour les extractions judiciaires », rendu public le 1 er octobre dernier. À Grenoble ou à Rouen, la chambre de l'instruction a par exemple ordonné la remise en liberté de détenus qui n'avaient pas pu être extraits pour assister à l'audience ou que le juge d'instruction n'avait pu entendre en dépit de demandes répétées.

Le projet de loi de finances prévoit d'affecter 50 ETPT supplémentaires à la réalisation des extractions judiciaires , ce qui devrait contribuer à réduire ces tensions. Votre rapporteur n'est pas certain cependant que ce renfort soit suffisant pour rétablir des conditions de fonctionnement normales pour les juridictions, ce qui constitue un constat préoccupant s'agissant d'un transfert de compétences qui s'est étalé sur une période de près de dix ans et qui a donc pu être largement anticipé et préparé.


* 7 Les personnes sous écrou qui ne sont pas détenues font l'objet de mesures de placement sous surveillance électronique ou de placement extérieur.

* 8 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/publication/rap_jj_urvoas_encellulement_individuel.pdf

* 9 Les extractions judiciaires sont les déplacements de détenus ordonnés par l'autorité judiciaire.

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