B. LA COMMISSION A FAIT PART DE TROIS PRINCIPALES INQUIÉTUDES SUR LE BUDGET DE LA MAAFAR

1. Un budget à la sincérité altérée, en raison d'une provision pour aléas sous-dotée et d'annonces ministérielles qui ne figurent pas dans le budget

Le projet de budget pour 2021 propose la réévaluation de la réserve pour aléas de 175 à 190 millions d'euros . Cette réserve, mise en place en 2018 pour améliorer la sincérité du budget agricole sur l'année, a pour objectif de couvrir les principales dépenses imprévisibles liées aux apurements communautaires et aux aléas climatiques par des versements compensateurs au Fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA), en complément des cotisations consentie par les agriculteurs sur leurs contrats d'assurance à hauteur de 60 millions d'euros.

Malgré les alertes des rapporteurs sur le montant peu crédible de la provision retenu l'année dernière, force est de constater qu'elle s'est révélée insuffisante.

Au 31 août 2020, la provision a fait l'objet d'une mobilisation à hauteur de 102 millions d'euros afin de financer le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) dans un contexte d'accélération du changement climatique exposant les agriculteurs à une succession de sécheresses. Il a été décidé qu'un abondement nécessaire de l'État au FNGRA devait être de 150 millions d'euros en fin d'année. En parallèle, le montant des apurements à régler cette année est estimé à 78 millions d'euros. La réserve était donc sous dotée d'environ 50 millions d'euros.

L'augmentation de la dotation pour 2021 de 15 millions d'euros risque de ne pas suffire pour couvrir les effets de la sécheresse ayant frappé un nombre important de territoires ruraux en 2020. Les effets de cette sécheresse étant connus dès à présent, la réévaluation a minima proposée par le Gouvernement dans ce projet de loi de finances pose une difficulté quant à la sincérité du budget.

De même, il est étonnant de constater que des mesures nouvelles annoncées par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ne figurent pas dans le budget, par exemple les 7 millions d'euros afin d'accélérer la recherche sur les alternatives au glyphosate ou les 7 millions d'euros destinés à financer le plan de recherche d'alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave sucrière. Enfin, aucune mention du plan d'indemnisation des planteurs betteraviers touchés par l'épidémie de jaunisse en 2020 ne figure dans les documents budgétaires, alors que cette mesure a été annoncée par le ministère, sans être à ce stade chiffrée.

Lors de son audition, le ministre a assuré que ces crédits seraient financés par « redéploiements » en cours de gestion à la fois sur le CASDAR et les crédits de la MAAFAR, c'est-à-dire en imposant des économies sur d'autres dispositifs (notamment en mobilisant la réserve) et sans informer préalablement le Parlement de ces mesures.

À cet égard, les rapporteurs rappellent que l'article 32 de la LOLF dispose que « les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Les informations étant disponibles, le Ministre ayant confirmé lors de son audition l'engagement de ces crédits, il convient de les inscrire dès aujourd'hui dans le budget soumis à l'approbation du Parlement.

2. Une recrudescence de certaines épidémies animales qui ne manque pas d'inquiéter les acteurs économiques

La France devra faire face, en 2021, à des risques sanitaires majeurs pour la santé animale et végétale.

Au-delà des maladies animales ou végétales faisant oeuvre à bas bruit, les rapporteurs ont fait état de leur inquiétude quant à trois facteurs de risques en matière de sécurité sanitaire pour 2021 :

i) Trois cas d'influenza aviaire découverts en novembre 2020

Un virus d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) sévit de façon épizootique en Europe depuis octobre 2020.

Aujourd'hui, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Irlande le Danemark et dernièrement la Belgique, notifient de nombreux cas dans l'avifaune sauvage ainsi que des foyers dans des élevages, démontrant ainsi une dynamique relativement forte d'infection par des virus H5 hautement pathogènes appartenant à différents sous-types (H5N1, H5N5 et H5N8).

Compte tenu de cette situation épidémiologique, la France a successivement modifié le niveau de risque d'introduction des virus influenza par le biais de l'avifaune sauvage, en relevant, le 23 octobre 2020, le seuil à un niveau modéré pour tout le territoire national, et, le 4 novembre 2020, en plaçant 43 départements dans les couloirs de migration au stade de niveau élevé. Par conséquent, les mesures de biosécurité ont été renforcées et la surveillance évènementielle de l'avifaune sauvage a été renforcée par le réseau SAGIR.

Malgré ces mesures, un premier foyer d'influenza aviaire a été détecté en France dans une animalerie traitant des volailles de basse-cour et des oiseaux d'ornement le 16 novembre dernier en Haute-Corse. Le laboratoire national de référence a confirmé la présence du sous-type H5N8 hautement pathogène. Une enquête est en cours pour déterminer l'origine de la contamination des oiseaux de l'animalerie. Les services du ministère estiment que « le magasin étant situé dans une commune de la zone à risque particulier (étang de Buguglia), une contamination locale avec un facteur humain ne peut être écartée ».

Cette enquête a pour l'instant permis d'identifier deux autres foyers : l'un dans les Yvelines (un site qui détient une ferme pédagogique, une animalerie et une basse-cour) et l'autre en Corse-du-Sud (une animalerie). Tous les oiseaux des clients des trois animaleries dites « foyer » seront euthanasiés. Des zones de protection et de surveillance sont imposées autour de ces foyers (entre 3 et 10 kilomètres).

La France a donc perdu son statut indemne, les premières restrictions au commerce sont déjà effectives par certains pays tiers.

Les propriétaires des oiseaux concernés par les opérations de dépeuplement en cours seront indemnisés, ces opérations étant effectuées sur ordre de l'administration. Il n'est pas possible à ce stade de déterminer le coût total de ces opérations. Toutefois, si une épidémie venait à se déclencher en France, il faut garder en mémoire que le coût budgétaire de l'épisode H5N8 de 2017 a été estimé à 64 millions d'euros pour le seul programme 206, l'épisode H5N1 de 2015-2016 ayant quant à lui coûté quelque 25 millions d'euros à l'État.

ii) Un nombre de foyers en croissance de tuberculose bovine

Les services vétérinaires constatent une tendance à la hausse du nombre de foyers atteints de tuberculose bovine au niveau national : 100 foyers incidents ont été déclarés au 16 novembre 2020 contre 89 à la même période en 2019. En y ajoutant les foyers des années antérieures non encore éradiqués, sont ainsi à dénombrer 148 foyers prévalents, principalement en Nouvelle-Aquitaine, en Normandie et en Côte-d'Or.

Face à ce risque, la DGAL a revu sa stratégie de lutte en intensifiant le dépistage dans les zones à prophylaxie renforcée sur la base d'une analyse de risque, en renforçant le dépistage dans les cheptels à risque ou en lien épidémiologique de voisinage ou ayant été mis en mouvement avec des bovins de foyers prévalents.

L'intensification de la surveillance et du dépistage sont incontournables afin que les mesures de gestion appropriées soient mises en place. À cet égard, le budget prévoit le maintien pour 2021, en matière de prophylaxie, d'une enveloppe d'au moins 2,5 millions d'euros et le maintien d'un marché de fourniture et de livraison de doses de tuberculine pour 1,7 million d'euros. Aux termes du projet annuel de performances, le budget pour 2021 prévoit également une hausse des dépenses d'intervention de l'action dédiée aux contrôles officiels et la gestion des foyers assurés par les services de l'État « de 9 M€ en autorisations d'engagement et de 8 M€ en crédits de paiement en raison de la recrudescence des foyers de tuberculose bovine ».

iii) Les risques d'épidémie de peste porcine africaine augmentent en raison de son arrivée en Allemagne depuis septembre 2020

La situation épidémiologique de la peste porcine africaine (PPA) est préoccupante en Europe, les cas continuant de sévir en Pologne et ayant gagné en septembre dernier l'Allemagne, dans la région de Brandebourg.

Si l'avancée de cette maladie virale, par les migrations de sangliers, est lente, elle peut brutalement s'accélérer par le biais d'autres vecteurs, comme l'a démontré l'apparition de cas en Belgique en 2018. À cet égard, la situation en Belgique semble s'être améliorée. Mais le maintien de mesures de dépeuplement élaborées dans la région Grand Est, au moins jusqu'en mars 2021 selon le Gouvernement, reste justifié. Des mesures de prévention, avec le déploiement de la biosécurité par le biais notamment de clôtures, et de surveillance continueront d'être financées à hauteur de 3 millions d'euros par une ligne dédiée du budget.

iv) La contamination d'un élevage de visons à la Covid-19 a entraîné, en outre, l'abattage de près de 1 000 animaux en Eure-et-Loir en date du 22 novembre

Les rapporteurs s'inquiètent de la recrudescence de ces cas et s'inquiètent de ne pas constater des crédits plus importants pour réduire les risques de propagation de ces épidémies, qui pourraient avoir des impacts sanitaires et économiques majeurs. Il convient en effet de rappeler que le statut officiellement indemne de la France est en jeu, et, qu'à défaut, les opérateurs économiques perdront des opportunités majeures à l'exportation pour toutes les filières concernées.

3. Une forêt toujours en situation de crise

S'agissant des crédits consacrés à la forêt, il faut d'abord rappeler la situation globale. La crise sanitaire que subit notre forêt n'est pas due à l'apparition soudaine de nouveaux insectes. C'est une crise d'affaiblissement des défenses naturelles de nos arbres qui n'ont pas bien supporté les variations climatiques et les épisodes de sécheresse. Les résineux, qui sont les matériaux les plus malléables pour l'industrie de transformation (celle-ci en importe), ont été durement frappés et les feuillus, comme le hêtre, sont également atteints.

La première conséquence fondamentale, c'est la baisse des prix du bois . Pour l'Office national des forêts (ONF), cela signifie une diminution des recettes qui va porter son déficit à 80 millions d'euros en 2020 et vraisemblablement aussi en 2021, alors que la bonne tenue des prix du chêne lui avait permis de limiter ce déficit à 50 millions d'euros, avec un endettement de l'ordre de 500 millions d'euros. Pour les communes forestières , c'est aussi un manque à gagner considérable, de même que pour les propriétaires privés , juste au moment où il faudrait investir massivement pour replanter .

Il convient ici de rappeler que la forêt publique, avec le quart de la superficie forestière, produit 40 % du bois qui alimente l'industrie. Elle est donc plus productive que la forêt privée qui représente les trois quarts de la superficie mais qui est handicapée par son morcellement.

Face à cette situation, la mission agriculture reconduit des crédits essentiellement consacrés à la forêt publique , la forêt privée bénéficiant, par ailleurs, d'un dispositif fiscal favorable mais perfectible et d'aides au financement de projets.

Globalement, les enveloppes budgétaires augmentent légèrement : + 3,5 % en AE (249,5 millions d'euros) et + 2,2 % en CP (251,8 millions d'euros). On peut, au préalable, regretter que la maquette budgétaire retrace ces crédits dans l'action 26 du programme 149. La forêt, qui représente 31 % de la superficie du territoire et est appelée à jouer un rôle majeur dans la transition économique, devrait faire l'objet d' un programme spécifique . Parallèlement il conviendrait de limiter la dispersion des crédits consacrés à la forêt et à clarifier les « rebasages » des allocations entre les missions agriculture et écologie, cette dernière finançant le fonds chaleur et donc le bois énergie.

Pour l'essentiel, la subvention à l'ONF, qui gère la forêt publique, serait reconduite à 179 millions d'euros. Le montant alloué au Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui conseille et dynamise la gestion de la forêt privée , c'est-à-dire les trois quarts de la superficie forestière, serait de 13,97 millions d'euros : cela limite sa capacité à préparer l'avenir et à apporter sur le terrain une aide aux forestiers privés qui s'interrogent, en particulier, sur les essences à replanter.

Le projet de budget propose une diminution de 10 % des effectifs sous plafond du CNPF (338 emplois à temps plein - ETP). Il prévoyait initialement une diminution de 95 ETP des effectifs de l'ONF, qui compte aujourd'hui 7 700 ETP et 8 300 personnes physiques. À l'initiative de Mme Anne-Laure Cattelot, ces emplois ont été rétablis par les députés après des débats nourris sur ce sujet et contre l'avis du Gouvernement qui a souligné la progression des crédits de la forêt à travers les 150 millions d'euros prévus par le plan de relance et 22 millions pour la technologie LiDAR ( Light Detection and Ranging ) que l'ONF appelle de ses voeux, comme toute la profession. Bien que l'efficacité des relevés de terrain ne soit pas contestée, les nouvelles technologies permettant de cartographier les peuplements forestiers et d'en évaluer le volume peuvent contribuer à des gains de productivité.

Les 200 millions d'euros du plan de relance en faveur de la forêt ont été qualifiés d'inédits par le Gouvernement tout au long des débats budgétaires et devant la commission des affaires économiques. On peut nuancer cette affirmation en rappelant :

• le précédent du Fonds forestier national dont on estime qu'il a permis de mobiliser environ 6 milliards d'euros (actualisés) pendant son demi-siècle d'existence ;

• l'effort de nos voisins allemands qui avoisine 800 millions d'euros en faveur de la forêt ;

• et enfin l'incertitude sur les critères d'utilisation de ces crédits.

150 millions d'euros doivent ainsi financer la replantation de 50 millions d'arbres, soit 3 euros par plant, y compris leur protection anti-gibier.

S'agissant de l'incertitude majeure sur les essences à replanter, qu'a évoquée le ministre au cours de son audition, trois observations tirées des auditions peuvent être faites.

Tout d'abord, comme en témoignent de nombreuses expériences étrangères, la replantation est un exercice à risque avec des pertes qui avoisinent 30 %.

Ensuite, il faut inclure dans cet aléa les dégâts de gibier qui frappent essentiellement les jeunes pousses.

Enfin, les résistances et les contradictions sociétales ne doivent pas être négligées : certains remettent en cause le principe même de la replantation en préconisant la régénération naturelle en oubliant parfois que nos plus belles forêts de chênes proviennent d'une politique volontariste initiée par Colbert. Les communes forestières doivent traditionnellement faire face à des oppositions parfois violentes aux coupes de bois. La contestation pourrait également peser sur le programme de replantation car les essences les plus prometteuses sont parfois celles qui déclenchent l'ire de ceux qui souhaitent maintenir en dessous du tiers la part des résineux dans la forêt française.

Le Gouvernement et tous les acteurs forestiers souhaitent encourager le recours au bois comme matériau en répondant à la demande des consommateurs et en tirant parti de l'abondance de la matière première disponible dans notre pays : notre forêt est en expansion constante puisqu'environ la moitié de la pousse est prélevée chaque année. Ils doivent, dès lors, consentir un effort de pédagogie en faveur de l'acceptabilité sociétale des coupes et de notre relocalisation forestière afin de limiter les importations de bois en provenance de zones où la déforestation est une cruelle réalité.

4. Une remise en cause de la parole de l'État sur les contrats photovoltaïques

Les rapporteurs s'inquiètent également de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un article additionnel, sur la proposition du Gouvernement, visant à revenir sur les tarifs des contrats d'achats garantis de l'électricité produite par des installations utilisant l'énergie radiative du soleil, notamment à l'égard des installations de plus de 250 kWc, cet amendement étant intervenu en cours de discussion sans étude d'impact détaillée.

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