II. LE BUDGET POUR 2021 IDENTIFIE BIEN CERTAINS ENJEUX D'AVENIR, MAIS NE SOUTIENT PAS ASSEZ LE TISSU INDUSTRIEL À COURT TERME

Alors même qu'elle remettait en lumière l'impératif de souveraineté industrielle, la crise a accru certaines fragilités structurelles de l'industrie française. Dans cette période charnière, il faut faire de la crise une opportunité de transformation. En ce sens, le volet structurel du plan de relance semble, dans sa globalité, avoir bien identifié les principaux enjeux et y consacrer des moyens conséquents. En revanche, le volet conjoncturel pourrait être davantage renforcé, pour prévenir la transformation d'une crise de l'offre en crise de la demande, et éviter que les entreprises industrielles ne se retrouvent démunies face au « mur de la dette ».

A. LES EFFORTS EN MATIÈRE DE ROBOTISATION, DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ET DE RÉINDUSTRIALISATION SONT BIENVENUS, MAIS DOIVENT ÊTRE RENFORCÉS

L'industrie a été l'un des premiers secteurs économiques à bénéficier rapidement de mesures de soutien spécifique , et même des premières mesures de relance, dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020. Dans l'ensemble, ces financements visent trois objectifs : la modernisation de l'industrie, sa transition énergétique, et la réindustrialisation.

Ces priorités identifient bien les principaux enjeux de la politique industrielle à moyen terme, car elles reflètent les faiblesses structurelles des entreprises industrielles françaises. D'ailleurs, les premiers bilans relatifs aux dispositifs lancés à l'été dénotent déjà d'un important taux de recours. L'effort de soutien devra toutefois être accentué en 2021, année qui sera déterminante pour la relance.

Source : Commission des affaires économiques, données budgétaires

1. Des montants supplémentaires pour la modernisation des entreprises industrielles

Dès le printemps 2020, le Sénat avait identifié un risque de chute de l'investissement des entreprises industrielles dans leur propre modernisation, lié à la réduction des ressources disponibles et à l'incertitude économique. La cellule « Industrie » de la commission des affaires économiques avait en conséquence recommandé la pérennisation du suramortissement à la robotisation et à la numérisation des TPE et PME industrielles et l'instauration d'un crédit d'impôt équivalent pour les entreprises en difficulté.

Le Gouvernement a fait le choix de transformer le dispositif de suramortissement , qui s'éteindra à la fin de l'année 2020, en une prime à l'investissement . Un guichet a été mis en place en octobre, doté d'un budget de 40 millions d'euros votés dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, qui soutiendra directement à hauteur de 40 % les achats des TPE et PME en matière de robotisation, d'impression 3D, de monitoring ou encore de logiciels de production. Cette aide est une bonne chose, car elle permettra, tout comme le crédit d'impôt suggéré par la cellule, un impact plus immédiat sur la trésorerie des entreprises, et donc sur leurs décisions d'investissement .

En outre, les plans de soutien automobile et aéronautique ont prévu chacun des dispositifs spécifiques visant à soutenir l'investissement et la modernisation des entreprises du secteur. Deux fonds ont été créés, dotés respectivement de 200 millions d'euros et de 100 millions d'euros pour 2020, et de 600 et 300 millions additionnels en 2021-2023, ouverts par la mission « Plan de relance ». 110 bénéficiaires ont déjà été sélectionnés pour recevoir environ 88,3 millions d'euros d'aides. Les projets portent par exemple sur la numérisation ou l'automatisation de sites, l'acquisition de nouvelles lignes de production, ou encore la diversification vers de nouveaux produits. Des financements supplémentaires ont été ouverts dans le cadre de la 4 e loi de finances rectificative, afin d'abonder les fonds et de répondre à l'importante demande.

Le rapporteur note toutefois que ces efforts devront être prolongés. D'abord, l'émergence de projets nouveaux, en particulier dans les PME, nécessite du temps et des ressources ; le sentiment d'urgence ressenti depuis le début d'année n'a pas forcément permis à toutes les entreprises de prendre connaissance de ces dispositifs. Ensuite, l'impact de la récession ne s'est pas encore pleinement fait sentir, et certaines entreprises pourraient se manifester plus tardivement. Enfin, il convient d'offrir une vraie visibilité sur les dispositifs d'aides , nécessaires à leur bonne prise en main par les entreprises. L'extinction prévue du suramortissement, quelques années à peine après sa création, n'a pas permis de le faire assez bien connaître.

À ce titre, le rapporteur relève que si 900 millions d'euros supplémentaires sont bien prévus par la mission « Plan de relance » à compter de 2021 en autorisation d'engagement, seuls 220 millions d'euros en crédit de paiement sont désormais prévus pour 2021, soit à peine plus que ce qui sera nécessaire pour couvrir les autorisations déjà engagées en 2020 (au moins 150 millions d'euros). La capacité à sélectionner et soutenir de nouveaux projets devrait donc être limitée en 2021, alors même que l'impératif de relance sera plus pressant avec l'extinction probable des mesures de soutien d'urgence.

Enfin, les actions relatives à la modernisation de l'industrie française semblent sous-estimer le potentiel de croissance et d'innovation offert par la 5G : aucune aide ne vise spécifiquement les applications industrielles de cette technologie, alors que des pays comme la Chine et l'Allemagne s'engagent résolument dans l'intégration de la 5G dans les processus et produits industriels. L'Arcep avait lancé en 2019 un appel à projets, mais les 11 projets retenus visaient largement le consommateur (sites sportifs, gares...) et trop peu le secteur industriel. Dans le plan de relance, si la 5G semble faire l'objet de financements indirects au titre de la « relocalisation », elle ne bénéficie pas d'une enveloppe dédiée.

Or, le rapporteur rappelle qu'il s'agit d'un enjeu central pour la compétitivité et l'innovation des entreprises , tout retard en la matière risquant de peser durablement sur la performance industrielle de la France. Comme le rappelle un rapport récent de l'Alliance Industrie du Futur, la 5G facilitera la transition vers « l'Industrie du Futur », l'automatisation de certains procédés de production, et permettra de mieux traiter les données industrielles pour améliorer la traçabilité ou la maintenance. Trop peu de projets sont nés en France - on peut citer le projet « Symbiose » de Lacroix Electronics ou le réseau propre mis en place par Schneider Electric - alors que 2020 devait être l'année clef du déploiement de la 5G, par la mise aux enchères des fréquences et le début des applications industrielles.

Le rapporteur recommande donc de créer, au sein de la mission « Plan de relance », une enveloppe spécifique dédiée aux applications industrielles de la 5G - et ce, pas uniquement dans le cadre des appels à projets de « relocalisation ». Cette enveloppe pourrait, pour 2021, s'élever à 20 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP.

2. Tous les leviers de transition énergétique doivent être mobilisés

L'effort budgétaire vis-à-vis des entreprises industrielles vise également à soutenir leur transition énergétique , sujet d'attention particulier de la commission des affaires économiques du Sénat qui y avait consacré son rapport pour avis budgétaire en 2019.

Le renforcement du bonus écologique et de la prime à la conversion automobiles, recommandés par la cellule « Industrie » en juin 2020, et adopté dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, est un pas dans le bon sens . L'enveloppe de 623 millions d'euros en crédits de paiement pour 2020, complétée par 732 milliards d'euros pour 2021 dans la mission « Plan de relance », et en sus des financements habituels, participeront du soutien aux filières automobiles hybride et électrique et du verdissement du parc automobile.

Une enveloppe dédiée à la décarbonation de l'industrie a également été votée dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative. À ces 200 millions d'euros en autorisations d'engagement s'ajoutera à partir de 2021 environ 1 milliard d'euros, porté par la mission « Plan de relance ». Les actions financées visent à soutenir l'efficacité énergétique et l'adaptation des procédés industriels, et la chaleur bas carbone de l'industrie. Si les montants consacrés semblent à la hauteur de l'importance de l'enjeu de la transition environnementale de l'industrie, le rythme de décaissement apparaît toutefois insuffisant. Seuls 10 millions d'euros de crédits de paiement ont été débloqués en 2020, et environ 280 devraient l'être en 2021 dans le cadre de la relance, c'est-à-dire moins d'un quart des autorisations totales d'engagement.

Enfin, le plan de relance aborde également la transition énergétique de l'industrie via le prisme de la rénovation des locaux des TPE et PME. 95 millions d'euros en autorisations d'engagement et 27 millions en crédits de paiement pour 2021 sont prévus dans le cadre de la mission « Plan de relance ». Cette enveloppe paraissant largement insuffisante pour répondre à la demande, la création d'un crédit d'impôt pour la rénovation énergétique des PME, notamment industrielles, doit être saluée. Le rapporteur note toutefois qu'un tel crédit d'impôt avait déjà été proposé par la commission des affaires économiques dans le cadre de la loi de finances pour 2020 et de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, mais avait reçu un avis négatif du Gouvernement. Il est dommage qu'un retard de six mois ait été pris dans le déploiement de cette mesure qui bénéficie autant à la transition environnementale, qu'aux secteurs de l'industrie et du bâtiment. En outre, il serait souhaitable que ce crédit d'impôt inclue également les dépenses d'audit énergétique , souvent préalable nécessaire à toute rénovation énergétique, et qui permet aux PME de disposer de l'expertise indispensable pour conduire leur projet.

La commission des affaires économiques du Sénat avait également proposé que ce crédit d'impôt au « verdissement » des TPE et PME industrielles inclue les dépenses visant à développer l'écoconception des produits et à réduire les déchets des procédés industriels. Il s'agit d'un levier important d'économie de ressources et de transition environnementale, de surcroît à l'heure où la loi impose de nouvelles obligations relatives, par exemple, à l'utilisation de plastique.

Or, les aides portées par la mission « Plan de relance » relatives à l'économie circulaire seront majoritairement engagées à partir de 2022 : seuls 84 millions d'euros de crédits de paiement sont prévus en 2021 sur une enveloppe totale de 500 millions d'euros. Afin d'accélérer la transition environnementale de l'industrie, non seulement par la rénovation énergétique des locaux, mais aussi par l'évolution des procédés eux-mêmes, le rapporteur propose de renforcer à hauteur de 50 millions d'euros en crédits de paiement les aides publiques visant à développer l'écoconception et à réduire les déchets industriels . Plutôt que des appels à projets pilotés par l'Ademe, il invite le Gouvernement à mettre en place un système de guichet, sur le modèle de l'aide à l'investissement dans la robotisation et la digitalisation créée cette année.

Si la transition énergétique de l'industrie fait l'objet d'un effort particulier au sein du plan de relance, la performance globale du modèle énergétique français dépendra avant tout de la production d'énergie à faibles émissions et renouvelable. Si les énergies renouvelables bénéficient à juste titre d'aides publiques conséquentes, portées par la programmation pluriannuelle de l'énergie, et d'un régime fiscal avantageux, le rapporteur appel à ne pas sous-estimer l'importance de la filière nucléaire française , qui contribue à l'équilibre environnemental du mix énergétique du pays. Or, la filière ne fait l'objet que d'investissements limités dans le cadre du plan de relance, représentant environ 200 millions d'euros dont 150 en 2021. 5 millions d'euros sont également prévus pour le renouvellement des barrages . Ces deux secteurs souffrent depuis plusieurs années de sous-investissement. Il ne faut pourtant pas sous-estimer l'importance de ces infrastructures essentielles, qui, en assurant la production d'énergie propre et à bas coût, contribuent à la compétitivité de l'industrie et ainsi au maintien sur le territoire d'emplois qualifiés et non délocalisables.

3. Réindustrialisation et relocalisation : une stratégie claire doit être définie

En réaction au constat de perte de capacités industrielles essentielles, le Gouvernement a annoncé lancer de nouvelles actions visant à encourager la « (re)localisation » d'entreprises industrielles sur le territoire français. Près de 300 millions d'euros d'autorisations d'engagement, et un peu moins d'une centaine de millions d'euros en crédit de paiement, ont été mobilisés dès 2020 pour favoriser l'implantation de nouvelles activités industrielles sur le territoire français. Ces crédits seront complétés dans le cadre du plan de relance par une enveloppe d'environ 700 millions d'euros en AE et 400 millions d'euros en CP. Selon les indicateurs, en 2021, le Gouvernement cible ainsi le maintien ou la création de 33 300 emplois grâce à ces financements.

Dans le cadre d'appels à projets sectoriels, 31 premiers projets ont été sélectionnés , bénéficiant d'une subvention pouvant aller jusqu'à 50 % du coût total, pour un coût pour l'État de 140 millions d'euros . Les lauréats portent sur la fabrication de principes actifs médicamenteux, de microLED ou encore de protéines synthétiques.

Le dispositif s'appuie sur une double typologie : une première enveloppe est consacrée à des projets de « relocalisation stratégique », concentrée sur quelques secteurs comme les industries de santé, les intrants industriels, l'électronique, ou encore les applications industrielles de la 5G ; et est complétée par une seconde enveloppe de relocalisation « dans les territoires » , qui est en réalité un abondement des financements des projets du programme « Territoire d'industrie ».

Si le dialogue avec les élus locaux dans l'octroi de ces aides est une bonne chose, le rapporteur appelle à veiller à la bonne prise en compte de tous les territoires : la logique géographique de « Territoires d'Industrie » a pu conduire à laisser de côté certaines zones d'activité, ciblage qui ne se justifie pas au moment de la relance. En matière de ciblage thématique, l'identification de filières prioritaires semble en effet souhaitable.

En outre, la distinction entre une enveloppe « sectorielle » et une enveloppe « territoriale » ne semble pas être de nature à garantir la cohérence stratégique des investissements. Le Gouvernement devrait s'appuyer sur une véritable feuille de route de la réindustrialisation stratégique, définie conjointement avec les filières industrielles, par exemple au sein du Conseil national de l'Industrie, afin de cibler les technologies et les activités les plus pertinentes. Ces grandes orientations nationales pourraient ensuite être déclinées au niveau territorial, en dialogue avec les Régions.

Le rapporteur estime d'ailleurs que les orientations mêmes de la stratégie de relocalisation industrielle mériteraient de faire l'objet d'un débat au sein du Parlement , plutôt que d'être fixées dans le cadre de cahiers des charges à la main des administrations centrales. Elles relèvent en effet de la stratégie industrielle. Des aides d'une telle ampleur à l'implantation industrielle, sans contreparties particulières, ne se justifient que par l'objectif d'établir un socle industriel stratégique, mais devront faire l'objet d'une évaluation renforcée, afin d'estimer leur impact sur l'emploi, sur les capacités de production, et leur pérennité.

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