C. DES RISQUES DE FRAUDE ET D'ABUS PERSISTANTS, QUI DOIVENT ÊTRE MIEUX JUGULÉS

1. La permanence de détournements et d'abus

Le rapport 30 ( * ) de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) d'octobre 2019 sur la gestion de l'AME a fait état de détournements du dispositif et de la permanence de risques de fraudes et d'abus . À titre d'exemple, à partir d'un échantillon de 40 dossiers de chimiothérapie oncologique de bénéficiaires de l'AME, la mission relevait que 25 % des cas présentaient « des éléments caractérisant avec certitude une venue pour soins après diagnostic et traitement initial dans le pays d'origine », illustrant un phénomène de « migration pour soins » . De même, constatant une prévalence des naissances dans le cadre du dispositif des soins urgents et vitaux en 2018, la mission a jugé qu'elle « confort [ait] les dires de soignants évoquant lors des entretiens avec la mission la possibilité d'arrivées parfois récurrentes sur le territoire pour une prise en charge obstétricale . »

Dans leur rapport 31 ( * ) d'octobre 2019, nos collègues Nathalie Goulet, sénatrice, et Carole Grandjean, députée, rappellent qu'en matière de fraude sociale, « le fraudeur obtient indument une carte vitale ou une carte AME sur la base de faux documents ou de fausses déclarations : 10 % des numéros de sécurité sociale des personnes nées à l'étranger sont obtenus par ce biais. » Elles relèvent ainsi que la Cour des comptes, dans son rapport 32 ( * ) sur la certification des comptes de la branche maladie pour l'exercice 2018, juge que « les contrôles réalisés lors de l'affiliation de personnes demandant à bénéficier de l'aide médicale d'État (AME) sont insuffisants pour garantir la fiabilité des données déclaratives conditionnant l'ouverture des droits, durée minimale de trois mois de présence sur le territoire et respect de la condition de ressources ».

2. La mise en oeuvre des restrictions d'accès à l'AME introduites fin 2019 retardée par la crise sanitaire

Face à ce constat préoccupant, le Gouvernement avait introduit, en loi de finances pour 2020 33 ( * ) , plusieurs mesures destinées à prévenir les risques de fraude et de détournement du dispositif :

- l'obligation de justifier d'une durée de résidence en France en situation irrégulière d'au moins trois mois, afin d' empêcher l'ouverture de droits à l'expiration d'un visa touristique ;

- le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des bénéficiaires majeurs à un délai d'ancienneté maximale de neuf mois de bénéfice de l'AME , sauf dérogation accordée par l'équipe de soins en cas de conséquences graves ou durables sur l'état de la personne ;

- l' obligation de comparution physique en CPAM pour le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-demandeurs .

Ces conditions ont dû néanmoins être aménagées ou suspendues pendant la crise sanitaire :

- pendant la période de confinement de printemps et jusqu'au 31 juillet 2020, les primo-demandeurs n'ont pas eu à déposer leur demande physiquement leur dossier auprès de la CPAM ;

- la publication du décret définissant les actes dont la prise en charge est soumise à un délai d'ancienneté dans le dispositif de l'AME a été reportée. Ce décret 34 ( * ) n'est finalement paru que le 1 er novembre 2020 et limite les actes soumis à cette condition à des interventions sur l'oeil, le nez, les oreilles et aux interventions pour obésité, ainsi qu'aux prothèses de hanche, de genou et d'épaule ;

- les personnes dont le droit à l'AME est arrivé à expiration entre le 12 mars 2020 et le 31 juillet 2020 ont bénéficié d'une prolongation de leur droit de trois mois à compter de la date d'échéance initialement prévue 35 ( * ) . 116 500 bénéficiaires de l'AME ont bénéficié ainsi d'une prolongation de droits sur toute la période.

3. Une intensification des contrôles qui doit être poursuivie

Selon les éléments transmis par la direction de la sécurité sociale, 303 dossiers d'AME ont fait l'objet d'investigations par les CPAM en 2019 : ces contrôles ont permis d'identifier un montant de 3,2 millions d'euros de préjudice , contre 500 000 euros en 2018. Ce résultat s'explique principalement par un dossier de fraude qui a concerné 208 bénéficiaires pour un montant de plus de 2,4 millions d'euros. En outre, 252 actions pénales 36 ( * ) ont été conduites en 2019 , contre 11 en 2018, 27 pénalités financières notifiées, 11 avertissements et 28 lettres de rappel à la réglementation. La direction de la sécurité sociale explique le nombre plus important de plaintes pénales pour fraude par l' accroissement des échanges des CPAM avec les consulats français à l'étranger . Enfin, les CPAM ont désormais accès, depuis le 1 er juillet 2020, à la base « Visabio » par le biais de l'outil « Covisa », qui permet de vérifier l'existence d'un visa court séjour, dont un visa touristique, pour un demandeur.

La commission appelle à un renforcement des efforts déployés dans la détection des « méga-consommants » de produits de santé, notamment de produits psychotropes ou stupéfiants, et dans la recherche des multi-hébergeurs.

4. La nécessité d'une vraie réforme du dispositif de l'AME

L'encadrement des conditions d'accès à l'AME introduites par le Gouvernement fin 2019 reste incomplet pour espérer une maîtrise durable de la dépense associée à ce dispositif qui, de l'avis même du rapport précité de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales, est considéré comme l' un des plus généreux d'Europe . Dans ces conditions, à l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement tendant à recentrer le panier de soins pris en charge par l'AME sur les soins urgents, d'une part, et sur les soins de prévention, d'autre part. Les soins pris en charge par cette nouvelle aide médicale dite de « santé publique » incluraient ainsi :

- la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents , rapprochant ce faisant le périmètre des soins pris en charge sur celui des soins couverts par le dispositif équivalent en Allemagne qui comprend les maladies et douleurs aiguës, certains soins d'aval et les maladies contagieuses ;

- les soins liés à la grossesse et à ses suites ;

- un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive .

Dans un souci de maximisation de l'accès des bénéficiaires de l'AME aux soins et à la prévention , la commission a également adopté un amendement tendant à créer, au sein de la mission « Santé », un programme dédié au financement d'actions conduites par l'État , l' assurance maladie et les associations , notamment dans le cadre de maraudes , de bus de prévention ou encore de barnums de dépistage , destinées à aller à la rencontre des personnes en situation irrégulière, à leur proposer des examens et à les sensibiliser sur la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique pour bénéficier d'examens complémentaires de prévention. Il est prévu que ce nouveau programme soit financé à hauteur de dix millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler, dans le programme 183, de la redéfinition du panier de soins de la nouvelle aide médicale de santé publique et du renforcement des contrôles. Il devrait notamment permettre de développer les actions de lutte contre le non-recours à l'AME mises en oeuvre ou soutenues par la CNAM et les CPAM, le cas échéant en partenariat avec les associations.

Les actions de lutte contre le non-recours à l'AME

• Au cours du confinement au printemps, des démarches d'« aller-vers » ont été mises en oeuvre par les CPAM et les caisses d'allocations familiales (CAF) à destination des personnes placées en structures d'hébergement temporaires, afin de profiter de l'effort exceptionnel de mise à l'abri mis en place pendant la crise sanitaire pour toucher des publics potentiellement en marge du système.

Des équipes mobiles CPAM/CAF se sont ainsi rendues en structures d'hébergement temporaires pour vérifier l'éligibilité aux droits sociaux des personnes mises à l'abri et leur ouvrir des droits en conséquence. Près de 4 900 actions ont été engagées et 38 % d'entre elles ont abouti à une ouverture de droits à une complémentaire santé ou à l'AME.

Pour la branche maladie, cette opération a mobilisé 184 agents issus de 74 CPAM. Une ouverture de droits sur trois a donné lieu à une prise de rendez-vous immédiate pour effectuer des soins.

• En outre, le plan local d'accompagnement des non-recours, des incompréhensions et des ruptures (Planir), mis en place par la CNAM et dont plusieurs actions peuvent s'adresser aux publics éligibles à l'AME, comprend deux volets :

- le volet Planir « Permanence d'accès aux soins de santé » (PASS) : la mise en place d'un partenariat entre l'assurance maladie et la PASS garantit un accompagnement jusqu'à l'entrée dans la PUMa, dans l'AME ou l'octroi de droits « Complémentaire santé solidaire » (C2S) pour des personnes pouvant se retrouver en difficulté administrative. Ce partenariat doit favoriser un accès réel aux droits et aux soins, à travers un traitement attentionné et rapide des dossiers de patients sans droits à la prise en charge des frais de santé ;

- le volet Planir portant sur l'accompagnement des migrants et des demandeurs d'asile : il s'agit de proposer différents dispositifs de prise en charge (AME, PUMa, soins urgents, assurance privée, carte européenne d'assurance maladie) aux migrants demandeurs d'asile et aux communautaires inactifs. Cette action repose sur la mise en place de partenariats locaux renforcés avec les opérateurs concernés (structures du premier accueil des demandeurs d'asile - SPADA -, centres d'accueil de demandeurs d'asile - CADA -, structures associatives), afin d'accompagner les démarches d'ouverture de droits.

Source : Direction de la sécurité sociale.

Enfin, la commission s'oppose à la réintroduction d'un droit de timbre pour l'accès à l'AME , qui pénaliserait l'accès aux soins de personnes dont la situation financière reste précaire et pour lesquelles il convient de lever les obstacles au recours aux soins de prévention.


* 30 Jean-Yves Latournerie, Jérôme Saulière, Christophe Hemous, Fabienne Bartoli, Francis Fellinger et Jean-Louis Rey, L'aide médicale d'État : diagnostic et propositions, n° 2019-060R (IGAS) et n° 2019-M-039-04 (IGF), octobre 2019.

* 31 Nathalie Goulet et Carole Grandjean, Lutter contre les fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une juste prestation, rapport de mission, octobre 2019.

* 32 Cour des comptes, Certification des comptes du régime général de sécurité sociale - Exercice 2018 , mai 2019.

* 33 L'article 264 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 34 Décret n° 2020-1325 du 30 octobre 2020 relatif à l'aide médicale de l'État et aux conditions permettant de bénéficier du droit à la prise en charge des frais de santé pour les assurés qui cessent d'avoir une résidence régulière en France.

* 35 IV de l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux.

* 36 Plaintes et signalements en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

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