B. UN EFFORT FINANCIER INDISPENSABLE À CONSOLIDER SUR LE PLAN POLITIQUE

1. L'existence de deux dangers
a) La durée de la crise sanitaire

Élaborées en septembre, alors que l'activité culturelle enregistrait une reprise progressive, les mesures inscrites au projet de loi de finances pour 2021 pourraient se révéler insuffisantes si les activités culturelles devaient rester interrompues une partie de l'année 2021 . Le projet de loi de finances a en effet été conçu à un moment où les informations à la disposition du Gouvernement ne lui permettaient pas d'envisager une crise aussi longue et d'une telle ampleur. Le plan de relance a été bâti dans la perspective d'une reprise de l'activité en 2021, certes modérée et dégradée, mais sur la base de recettes de billetterie atteignant tout de même 60 % de leur niveau de 2019.

Alors que la ministre de la culture a laissé entendre aux acteurs culturels que la situation resterait compliquée au moins tout au long du premier semestre de l'année 2021, le spectacle vivant et les arts visuels s'inquiètent que l'essentiel des crédits du plan de relance aient été consommés au titre du soutien d'urgence au moment où la reprise sera effective. D'où l'importance que les mesures transversales soient prolongées pour le secteur de la culture, au-delà du 31 décembre 2020, dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, si cela s'avérait nécessaire . Auditionnée par la commission de la culture le 10 novembre dernier, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a indiqué que le Gouvernement était prêt à maintenir le dispositif exceptionnel de l'activité partielle et à prolonger la mesure de l'année blanche pour les intermittents en fonction de l'évolution de la situation.

D'autres questions mériteront également d'être examinées courant 2021 à l'aune de l'évolution de la crise sanitaire pour limiter le risque de faillites de structures culturelles, en particulier la question du report de l'échéance pour le remboursement des prêts garantis par l'État et celle, de plus en plus problématique à mesure que la trésorerie s'amenuise, du paiement des loyers . Les lieux de diffusion artistique sont tout aussi affectés que les commerces par l'arrêt de leurs activités.

Une évaluation approfondie de la situation des caisses sociales chargées de protéger les artistes devra également être réalisée. Ces caisses sont particulièrement sollicitées par les artistes et les intermittents dans cette période de crise. Mais, la crise a aussi des conséquences sur leur capacité de financement, le montant des cotisations qu'elles perçoivent étant dépendant du niveau de l'activité. Il serait catastrophique qu'elles ne puissent plus jouer leur rôle d'amortisseur dans le contexte actuel si leurs capacités financières devenaient insuffisantes pour verser leurs prestations.

Le caractère inédit de cette crise place aujourd'hui le Gouvernement dans une situation d'incapacité à fournir aux acteurs culturels la visibilité qu'ils demandent pour assurer leur programmation. Il s'agit d'une difficulté majeure qui pourrait conduire les acteurs culturels, à l'image des festivals, à être contraints de prendre, plusieurs mois à l'avance, la décision d'annuler leurs représentations pour minimiser leurs pertes, au risque d'aggraver encore l'impact de la crise sanitaire sur le secteur. À la différence du premier confinement, le Gouvernement a autorisé le maintien des répétitions à huis clos pendant la durée de ce deuxième confinement afin d'accélérer la reprise de l'activité une fois celui-ci levé. Il a également autorisé les enregistrements et captations d'oeuvres sans public dans l'objectif de développer l'offre culturelle numérique.

Au-delà des moyens accordés au secteur de la création par le présent projet de loi de finances, se pose également la question de la place de la culture dans notre projet de société . La décision du Gouvernement de considérer, depuis le mois de mars, les activités culturelles parmi les « activités non essentielles » a beaucoup heurté les acteurs culturels. Ceux-ci ont aujourd'hui besoin de gages démontrant que la culture est effectivement considérée comme centrale dans le processus de résilience face à la crise sanitaire.

b) La gouvernance territoriale

La coordination entre l'État et les collectivités territoriales constitue l'une des clés de la réussite de la réponse à la crise sanitaire . Les collectivités territoriales sont en effet incontournables en matière de soutien aux acteurs culturels, assumant habituellement 70 % des dépenses des collectivités publiques en faveur de la création.

Les difficultés rencontrées sur le terrain par les acteurs culturels pour obtenir la levée de la clause de service fait de la part de certaines collectivités territoriales ou d'établissements d'enseignement illustrent bien aujourd'hui ce manque de coordination. Malgré la demande de la commission de la culture exprimée en juin à l'occasion de la présentation des conclusions du groupe de travail sur l'impact de l'épidémie de Covid-19 sur le secteur de la création, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a indiqué lors de son audition le 10 novembre qu'elle ne prendrait pas de circulaire sur le sujet, renvoyant à la responsabilité de chacun. La commission de la culture juge pourtant essentiel que cette clause puisse être levée, afin de ne pas aggraver les difficultés rencontrées par les artistes dans cette période critique .

Interrogée sur la méthode qu'elle souhaitait instaurer pour associer davantage les collectivités territoriales à la politique culturelle dans le contexte de la crise sanitaire, la ministre a en revanche confirmé qu'il ne serait pas suffisant d'injecter de l'argent dans les territoires et qu'il fallait coordonner l'action de l'État avec celle des collectivités territoriales afin de conférer aux crédits octroyés par l'État à la relance un véritable effet de levier.

Elle a rappelé que le Conseil des territoires pour la culture (CTC) avait été réuni à plusieurs reprises depuis le début de la crise et que ses déclinaisons régionales seraient définitivement installées dans les prochains mois, après les premières réunions dans un cadre régional qui se sont tenus au printemps. Elle n'a cependant pas précisé si la représentation au sein de ces conseils pourrait différer d'une région à l'autre pour tenir compte des spécificités régionales ou si les acteurs culturels ou les citoyens pourraient y être associés pour mieux adapter la réponse aux besoins de chaque territoire. Il s'agit pourtant de demandes qui ont été exprimées depuis plusieurs mois pour garantir que ces instances ne soient pas un énième forum de discussion, mais jouent un rôle pleinement opérationnel . La ministre a en revanche indiqué qu'elle avait donné des instructions pour que les directions régionales des affaires culturelles soient associées par les sous-préfets en charge de la relance.

La commission de la culture insiste sur la nécessité de mettre en place très rapidement un cadre de travail structuré permettant des échanges réguliers entre les collectivités territoriales et l'État en matière culturelle sur le terrain, seul moyen pour permettre aux collectivités publiques de réagir très rapidement et de manière coordonnée aux besoins des acteurs culturels et des citoyens dans le contexte de la crise sanitaire. Si les professionnels de la culture et la population se résignent aujourd'hui à l'arrêt des activités culturelles dans le cadre du confinement, il apparaît important de réfléchir dès aujourd'hui aux scénarii et aux stratégies pour réduire au maximum les délais au moment où l'activité pourra reprendre et préserver l'existence d'un printemps 2021 véritablement culturel.

2. Des points de vigilance
a) La proportionnalité du soutien entre les différentes disciplines et structures

La commission de la culture s'inquiète que la dureté de la crise sanitaire et les éventuelles disparités constatées dans le soutien de l'État ne viennent exacerber les tensions existantes entre les différentes disciplines artistiques et entre les différentes structures, selon qu'elles sont à but lucratif ou non.

Malgré le soutien particulier dont il fait l'objet, parfaitement justifié au regard de l'impact de la crise sanitaire sur ses activités, le spectacle vivant musical n'est pas lui-même épargné par des frictions. Il s'agit d'un vrai test pour le Centre national de la musique (CNM), chargé depuis sa création le 1 er janvier 2020 de représenter l'ensemble de la filière musicale, dans toute sa diversité. Se pose notamment la question de l'éligibilité de l'ensemble des acteurs de la filière, qu'ils soient ou non contributeurs de la taxe sur les spectacles, aux aides que cet organisme distribue pour le compte de l'État dans le contexte de la crise sanitaire, les établissements publics et les structures subventionnées enregistrant eux-mêmes de lourdes pertes de billetterie. La directrice générale de la création artistique a laissé entendre que le fonds de compensation des pertes de billetterie devrait être ouvert à toute la filière musicale.

Dans le même ordre d'idées, la commission de la culture rappelle sa demande d'un élargissement du bénéfice du dispositif d'activité partielle aux salariés de droit privé de l'ensemble des structures culturelles, quelle que soit leur forme juridique , y compris les EPCC, cette question n'ayant toujours pas été résolue depuis le mois d'avril.

Une évaluation rapide de la situation budgétaire des lieux labellisés permettrait d'identifier la nature des difficultés qu'ils rencontrent, ces structures étant elles aussi très dépendantes des recettes de billetterie.

Au sein du spectacle vivant non musical , des incompréhensions se font jour autour de l'exclusion d'un certain nombre d'esthétiques (secteur chorégraphique, cirque de création, marionnette) du bénéfice du nouveau crédit d'impôt théâtre prévu par les députés, finalement réservé aux seules représentations d'oeuvres théâtrales dramatiques, alors que le législateur, dans le cadre du PLF3, avait manifesté sa volonté qu'il s'applique à l'ensemble des représentations qui pouvaient avoir lieu dans un théâtre. Votre rapporteure pour avis a déposé un amendement au présent projet de loi ouvrant le bénéfice de ce crédit d'impôt à l'ensemble des représentations de spectacle vivant non musical , dans la mesure où la crise sanitaire a frappé de manière identique l'ensemble de ce secteur ( amendement I-637 ). Par cohérence avec l'amendement relatif au crédit d'impôt pour le spectacle vivant, elle a également déposé un amendement visant à bonifier le taux de ce nouveau crédit d'impôt théâtre pour les années 2021 et 2022 ( amendement I-638 ).

Le secteur des arts visuels a bénéficié depuis le début de la crise sanitaire d'aides sectorielles d'urgence à hauteur de 3,27 millions d'euros pour soutenir les labels, les structures non labellisées, les galeries d'art et les artistes plasticiens. Des redéploiements de crédits restent par ailleurs envisagés en fin d'exercice pour octroyer de nouvelles aides aux artistes.

En 2021, les arts visuels devraient disposer de plusieurs mesures du plan de relance : abondement des dispositifs d'urgence à destination des créateurs et lieux d'exposition pour les arts visuels (6 millions d'euros), programme de commande publique à partager avec les auteurs, les musiciens et les artistes-interprètes (30 millions d'euros), fonds pour la remise aux normes et la transition écologique des bâtiments à partager avec les salles de spectacle (20 millions d'euros). Les crédits d'intervention déconcentrés inscrits au titre de l'action 2 consacré au soutien aux arts visuels progressent par ailleurs de 3 millions d'euros (12 %) pour soutenir le fonctionnement des FRAC et des centres d'art (400 000 euros), aider les labels des arts visuels à reconstituer leurs marges artistiques, développer les résidences et poursuivre l'accompagnement des labellisations en cours (2,3 millions d'euros), et soutenir les ateliers de fabrique artistique (300 000 euros).

Malgré ces efforts, le secteur des arts visuels continue de se sentir insuffisamment pris en compte par le ministère de la culture . Il reproche à celui-ci de méconnaître la réalité du fonctionnement des arts visuels, en particulier le rôle essentiel joué par le tissu associatif en matière de diffusion et d'éducation artistique et culturelle. Il souligne une nouvelle fois les difficultés d'accès aux aides de l'État rencontrées par une majorité d'artistes. La commission de la culture estime que ces problèmes pourraient être partiellement résorbés par une meilleure structuration du secteur des arts visuels , qui aurait pour effet de le rendre plus visible. Elle déplore qu'aucun moyen ne soit affecté au fonctionnement du Conseil national des professions des arts visuels (CNPAV). Elle regrette également que les crédits consacrés à la structuration des professions, inscrits au titre de l'action 6 du programme 131, restent stables par rapport à 2020, à 3,02 millions d'euros, et qu'aucune précision ne soit apportée sur leur répartition entre le spectacle vivant et les arts visuels 3 ( * ) . Elle juge enfin important qu'un effort particulier soit consacré en 2021 à la mise en place de schémas d'orientation pour le développement des arts visuels (SODAVI) dans les régions qui n'en ont pas encore adoptés, et que la mise en oeuvre des SODAVI existants fassent l'objet d'une évaluation dans les autres régions pour s'assurer qu'ils ne restent pas lettre morte.

Globalement, la commission de la culture regrette que le tissu associatif oeuvrant dans le domaine culturel, largement responsable de l'accès à la culture et aux pratiques culturelles au quotidien dans les territoires, ne fasse pas l'objet d'un meilleur accompagnement de la part du ministère de la culture . L'action des associations est aujourd'hui peu reconnue. Elles sont principalement soutenues par les crédits de l'État au titre de la jeunesse et de la vie associative et ne bénéficient de subventions de la part du ministère de la culture qu'au titre de l'appel à projets, et non pour leur fonctionnement. La crise sanitaire les a grandement fragilisées. Une attention particulière mériterait de leur être apportée en 2021 en mobilisant, à cet effet, une partie des crédits déconcentrés en DRAC au titre du plan de relance.

La commission de la culture avait déjà souligné, dans les conclusions du groupe de travail sur l'impact de l'épidémie de Covid-19 sur le secteur de la création, les risques que faisait peser l'approche en silo prédominante au sein du ministère de la culture . Elle se félicite de la création, à compter du 1 er janvier prochain, d'une nouvelle délégation qui aura rang de direction d'administration centrale chargée de renforcer l'ancrage de l'action du ministère de la culture dans les territoires auprès de tous les habitants. Elle espère que sa mise en place permettra d'accroître les synergies entre les différentes directions sectorielles et garantira un plus grand équilibre et une meilleure prise en compte de l'ensemble des acteurs qui font la culture dans les territoires.

b) La nécessité d'une véritable politique de l'État à destination des festivals

L'État s'est beaucoup désintéressé des festivals depuis 2003, réduisant considérablement le nombre de festivals qu'il subventionne. Malgré le travail réalisé en 2018 par Serge Kancel, inspecteur général des affaires culturelles, en matière de recensement des festivals, la connaissance des festivals reste encore très partielle et aucune observation des festivals n'existe au niveau national.

En contraignant de nombreux festivals à l'annulation pendant la saison 2020 et en menaçant leur avenir, la crise sanitaire a contribué à la prise de conscience du rôle majeur joué par les festivals dans la cohésion sociale et l'attractivité des territoires, comme de leur place considérable dans les écosystèmes locaux . C'est ce qui a conduit l'État, d'une part, à mettre en place, au printemps dernier, une cellule « festivals » au sein de l'administration centrale du ministère de la culture pour répondre aux demandes des organisateurs dans le contexte de la crise sanitaire, et à créer, dans le cadre du troisième projet de loi de finances pour 2020, un fonds de soutien aux festivals, doté de 10 millions d'euros . Essentiel, ce fonds, dont les crédits ont déjà été intégralement consommés, a permis de soutenir environ 300 organisateurs dans tous les domaines et d'éviter que certains festivals ne disparaissent, grâce à l'action conjointe des collectivités territoriales qui ont globalement maintenu le niveau de leurs subventions.

Il devrait être reconduit pour l'année 2021 et financé à hauteur de 5 millions d'euros sur les crédits du plan de relance. Les organisateurs de festivals jugent toutefois le montant de cette dotation faible, compte tenu des pertes de financement de l'ordre de 10 millions d'euros auxquels ils s'attendent du fait, d'une part, du désengagement d'un nombre important de mécènes dans le contexte de la crise sanitaire et, d'autre part, des difficultés financières rencontrées par les organismes de gestion collective, financeurs importants des festivals, victimes d'une chute du montant de leurs cotisations en raison de la faible activité culturelle en 2020.

Consciente de la nécessité de réinterroger la manière dont l'État accompagne les festivals, la ministre de la culture a convoqué, les 2 et 3 octobre derniers, des États généraux des festivals à Avignon. Sept thématiques ont été identifiées : le développement durable et les festivals, festivals et territoires, l'évolution des modèles économique, les publics et l'accès de toutes et tous aux festivals, le bénévolat et les festivals, l'égalité femmes-hommes et la diversité dans les festivals et la place des festivals dans les parcours artistiques. Rendez-vous a été pris pour une deuxième édition de ces États généraux à l'occasion du Printemps de Bourges en avril 2021, au cours desquels des annonces pourraient être faites.

Si les organisateurs de festivals se félicitent de l'intérêt renouvelé de l'État envers eux, ils s'inquiètent de ne pas avoir été informés de la méthode et du calendrier de travail d'ici aux deuxièmes États généraux, rappelant l'importance de connaître les contours de la politique de l'État à leur égard avant que ne débute le gros de la saison 2021 des festivals. Ils s'interrogent sur les moyens dont disposera l'État pour donner une traduction concrète à cette nouvelle politique en 2021, dans la mesure où aucun nouveau crédit n'est véritablement inscrit dans le présent projet de loi à cette fin 4 ( * ) . Ils souhaiteraient également obtenir rapidement confirmation que l'ensemble des festivals, quelles que soient la discipline ou l'esthétique qu'ils représentent, seront éligibles au fonds de soutien aux festivals et au fonds de compensation de la billetterie.

Compte tenu de la multiplicité des enjeux liés aux festivals et de leurs retombées nombreuses, la commission de la culture réitère les demandes qu'elle avait formulées à l'occasion des conclusions du groupe de travail sur l'impact de l'épidémie de Covid-19 sur le secteur de la création, à savoir la nécessité de mettre en place un outil d'observation des festivals au niveau national et de développer une approche interministérielle sur la question des festivals , entre les ministères chargés de la culture, du tourisme, de l'économie, de la cohésion des territoires et de l'intérieur. Elle pourrait entraîner une nouvelle dynamique favorable à la relance, sous réserve que chaque ministère impliqué ait à coeur de soutenir avant tout l'effervescence des festivals.


* 3 Les associations professionnelles des arts visuels auraient été soutenues à hauteur de 0,84 million d'euros en 2020.

* 4 Les crédits d'intervention déconcentrés destinés aux festivals augmentent de 400 000 euros par rapport aux documents budgétaires annexés au projet de loi de finances pour 2020 (+ 4,5 %)

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