C. L'ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE : DES EFFORTS RENOUVELÉS MAIS DES RÉSULTATS DÉRISOIRES

Comme l'y invitait le Sénat depuis des années, le Gouvernement semble s'être enfin saisi du problème de la délivrance des « laissez-passer consulaires » (documents fournis par les autorités du pays d'origine et indispensables pour renvoyer un étranger en situation irrégulière en France).

Le taux moyen global de délivrance dans les délais utiles s'est ainsi amélioré, passant de 54 % en 2018 à 67 % en 2019 grâce notamment à la conclusion d'accords de réadmission ou d'arrangements sur les procédures de réadmission.

Cependant, dans le détail, certains pays d'origine ne délivrent toujours pas suffisamment de laissez-passer consulaires (pas de réponse, ou réponse hors délai utile) : la Mauritanie, la Bosnie Herzégovine, le Nigéria et le Congo Brazzaville ont un taux de délivrance qui oscille entre 20 et 33 %.

Ce taux est particulièrement faible pour certains pays du Maghreb, et vos rapporteurs saluent l'initiative du ministre de l'Intérieur qui s'est rendu au Maroc début octobre 2020 afin de tenter de fluidifier ces délivrances.

Délivrance des laissez-passer consulaires (2015 - 2020)

Laissez-passer :

2015

2016

2017

2018

2019

2020
(6 mois)

Demandés

6 647

5 859

5 811

7 499

8 356

2 492

Obtenus dans les délais utiles

2 859

2 707

2 966

4 028

5 610

1 413

Obtenus hors délai

200

170

147

243

164

83

Demandes laissées sans réponse

2 818

2 395

2 384

2 813

2345

996

Taux de délivrance dans délai

43,0%

46,2%

51,0%

53,7%

67,1%

56,6%

Source : ministère de l'intérieur

Malgré ces efforts, le taux d'exécution des décisions d'éloignement, en diminution constante depuis 2012, poursuit sa baisse inexorable . En particulier le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) a atteint en 2019 un niveau particulièrement dérisoire.

Source : ministère de l'intérieur
* hors départs spontanés

Un étranger sur deux placé en CRA en 2019 n'était pas éloigné à l'issue de sa rétention administrative , soit parce que son obligation de quitter le territoire français (OQTF) est annulée par le juge administratif, soit parce que l'administration n'a pas été en mesure d'organiser son éloignement dans les délais impartis.

En 2020, la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) a été capable de maintenir une capacité minimale, notamment pour les profils les plus sensibles (éloignements prononcés pour des motifs d'ordre public, sortants de prison), mais le nombre d'éloignements forcés et aidés en 2020 ont été fortement réduits en conséquence de la crise sanitaire (fermeture des services chargés de délivrer les laissez-passer consulaires ; raréfaction des vols commerciaux permettant le réacheminement ; limitation des moyens humains disponibles dans les centres de rétention et pour les escortes mobilisés par le renforcement du contrôle des frontières).

Ainsi alors que 65 630 mesures d'éloignement ont été prononcées sur les 7 premiers mois de 2020, seules 6 831 ont été exécutées, soit à peine 10 %

*

* *

Malgré le caractère bienvenu des rattrapages budgétaires au regard des besoins immenses de nos services et des personnes à protéger, les rapporteurs estiment que ces hausses de crédits ne permettront en rien de répondre aux défis migratoires auxquels la France est confrontée, faute de volonté de s'attaquer à la source de la pression migratoire et aux facteurs qui favorisent le dévoiement de nos procédures.

Concernant le droit d'asile , ils partagent bien sûr la volonté de réduire les délais de traitement pour répondre aux demandes de protection des plus vulnérables, ne pas laisser de faux espoirs à ceux qui n'ont pas vocation à être accueillis sur notre territoire, et diminuer le coût de l'accueil des demandeurs.

Mais ils s'inquiètent aussi que les demandes d'asile en France aient quasiment triplé en dix ans , qu'elles obéissent désormais à des motifs plus socio-économiques que véritablement politiques, et que figurent parmi les principaux pays d'origine des pays considérés comme sûrs voire des États candidats à l'Union Européenne. Faute de s'attaquer aux causes de ces évolutions inquiétantes, c'est l'acceptabilité sociale du principe même de l'asile qui risque d'être remise en cause chez bon nombre de nos concitoyens.

Pays de transit et de destination particulièrement exposé aux « flux de rebonds », la France voit année après année son système d'asile particulièrement généreux menacé par l'absence de coordination européenne : en témoignent les divergences encore caricaturales entre pays européens en termes de taux de protection de certaines nationalités, comme les ressortissants afghans. Les rapporteurs insistent sur la nécessité d'aboutir rapidement à des solutions coordonnées à l'échelle européenne, sur la base des réformes proposées par le nouveau « pacte sur la migration et l'asile » présenté par la Commission européenne et en cours de discussion.

Concernant les politiques d'intégration , malgré une intention louable et partagée par les rapporteurs de renforcement des volets linguistique et professionnel du contrat d'intégration républicaine, l'OFII peine à remplir ses missions faute de moyens et ses résultats sont encore bien en deçà des attentes (un quart des bénéficiaires de cours de langues n'atteint pas le niveau de maitrise rudimentaire A.1).

Concernant la lutte contre l'immigration irrégulière , les rapporteurs comprennent naturellement le besoin d'augmenter le nombre de centres et de places de rétention (+ 480 places de CRA entre 2018 et 2020). Mais ils ne peuvent se satisfaire de ces augmentations si, en aval, aucun progrès significatif n'est accompli en matière d''éloignement : neuf obligations de quitter le territoire sur dix ne sont pas exécutées .

C'est donc à de véritables réformes de fond de nos politiques migratoires plutôt qu'à une micro-gestion budgétaire de la pénurie que vos rapporteurs appellent le Gouvernement, comme le Sénat le propose d'ailleurs régulièrement lors de l'examen des textes relatif à ces sujets :

- une conditionnalité des aides et restrictions de la délivrance des visas envers les pays non coopératifs qui ne délivrent pas de laissez-passer consulaires ;

- la simplification du contentieux de l'éloignement ;

- le durcissement des conditions du regroupement familial ;

- la systématisation des peines d'interdiction du territoire, etc.

Dans ces conditions, et suivant la proposition de ses rapporteurs, la commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2021 .

Page mise à jour le

Partager cette page