AVIS

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La commission des affaires sociales s'est saisie pour avis sur l'article 1 er du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique ; elle a reçu une délégation d'examen de la commission des lois, saisie au fond, sur les articles 1 er bis A, 1 er bis , 1 er quater , 1 er quinquies A, 1 er sexies , 1 er octies et 3.

1. Un contexte de forte hausse des cas et de tensions importantes sur le système de soins

a) Une vague épidémique liée au variant Delta à la fin de l'année 2021 largement amplifiée par une seconde vague concomitante du fait du variant Omicron

Durant l'été 2021 l'efficacité de la vaccination et le haut niveau de couverture vaccinale ont permis de contenir la situation épidémique dans l'hexagone , avec une réduction de la propagation du virus et de l'impact en termes de formes graves et de décès. Ce haut niveau de couverture vaccinale est dû, au moins en partie, à une adhésion massive de la population à la vaccination, volontaire ou incitée par l'entrée en vigueur du passe sanitaire, au périmètre très élargi au mois d'août dernier, mais aussi à la vaccination obligatoire des professionnels au contact de personnes vulnérables.

En outre-mer , la situation épidémique conjuguée à une couverture vaccinale insuffisante ont conduit le Gouvernement à prendre des mesures plus contraignantes avec un rétablissement de l'état d'urgence sanitaire dans certains territoires .

Cependant, une nouvelle vague a démarré à l'automne, en France comme ailleurs en Europe et dans le monde. Cette « cinquième vague », est caractérisée comme le souligne le Gouvernement 1 ( * ) par une « augmentation constante depuis le mois d'octobre et dépasse, sur la semaine glissante du 17 au 23 décembre, 700 cas pour 100 000 habitants ».

Deux raisons sont principalement avancées pour l'expliquer : la période hivernale, propice tant à la circulation des virus qu'à des activités en intérieur, d'une part, les effets du variant « Delta » , d'autre part. Comme rappelé, ce variant majoritaire à la fin de l'année 2021, est caractérisé par un haut niveau de transmissibilité, estimé 1,6 fois supérieur à celui du variant Alpha, lui-même 1,6 fois plus contagieux que la souche originelle . Surtout, selon plusieurs études internationales, celui-ci présente une augmentation du risque d'hospitalisation, du risque d'admission en soins critiques et de mortalité.

Ce contexte a été particulièrement dégradé récemment du fait de la diffusion particulièrement rapide d'un nouveau variant « Omicron » , classé variant préoccupant par l'OMS le 26 novembre 2021. Les études préliminaires rappelées par le Gouvernement sur la situation au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, où le variant est apparu, suggèrent qu' Omicron serait environ trois fois plus transmissible que le variant Delta .

Fin décembre, cette souche était dominante au Danemark et déjà majoritaire au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ce variant est devenu majoritaire en France depuis la dernière semaine du mois de décembre 2021 et Santé publique France estime sa proportion atteignant début janvier 2022 plus de 80 % des cas .

Proportions des variants identifiés en circulation

Source : Santé publique France

Évolution de la proportion du variant Omicron

Source : Santé publique France

Alors que l'étude d'impact jointe au projet de loi déposé le 27 décembre soulignait que « cette propagation rapide du virus s'est traduite par l'atteinte des niveaux de contaminations les plus élevés observés depuis le début de la pandémie , avec 84 272 nouveaux cas positifs pour la seule journée du 22 décembre, 91 608 cas positifs détectés le 23 décembre et 104 611 cas positifs enregistrés le 24 décembre », le nombre de cas constatés au début de l'année 2022 dépasse considérablement ces précédents records.

Ainsi plus de 330 000 tests positifs ont été par exemple recensés le 5 janvier 2022 . Le taux d'incidence est en conséquence particulièrement haut au niveau national, notamment dans les tranches d'âges des 20-49 ans.

Source : CovidTracker

Source : Santé publique France

Cette dégradation brutale et encore en cours de la situation sanitaire est également constatée outre-mer où le Gouvernement a, à nouveau, déclenché ou proposé de prolonger l'application de l'état d'urgence sanitaire dans l'ensemble des territoires des Antilles, de la Guyane et de l'océan Indien .

b) Un risque important tant pour le système de santé que pour l'organisation de la société dans son ensemble

Dans son avis 2 ( * ) du 16 décembre 2021, le Conseil scientifique estime que la « 6 ème vague due au variant Omicron va s'installer rapidement et poursuivre sans vrai répit la 5 ème vague liée au variant Delta ». Surtout, « cette situation pourrait mettre en grande tension le système de soins à partir de la mi-janvier pour une période de plusieurs semaines . L'impact des vagues Delta et Omicron se fera sentir sur le système hospitalier tout au long du premier trimestre 2022 , et peut-être au-delà. Après cette période difficile, la situation épidémiologique devrait s'améliorer par la suite, notamment avec l'arrivée du printemps ».

Source : CovidTracker

La pression sur le système hospitalier est visible avec un niveau soutenu et toujours en progression des admissions à l'hôpital et en services de soins critiques. Au 8 janvier, 21 721 personnes étaient hospitalisées, 3 821 personnes en soins critiques.

Source : Institut Pasteur

Alors que le variant Omicron semblerait à ce stade conduire à des formes moins graves que le variant Delta, sa très forte contagiosité, renforcée par rapport au précédent variant, pourrait cependant conduire à une vague hospitalière très haute, mais à une répartition différente des besoins entre lits d'hospitalisation classique avec oxygénation et lits de réanimation.

Cependant, il convient de souligner que si le variant Omicron est désormais largement majoritaire, le nombre de contaminations par le variant Delta demeure, en valeur absolue, très élevé, avec donc un fort risque persistant pour les lits en réanimation .

Source : CovidTracker

Alors que le système de santé est déjà sous tension et que l'épuisement des soignants est durable, la commission insiste sur le risque d'une nouvelle saturation des capacités de soins qui produirait, pour l'ensemble des patients, vaccinés ou non, des pertes de chance du fait des déprogrammations et report de soins ou faute de capacités d'accueil .

Alors que le Pr Delfraissy, président du Conseil scientifique, alertait à la fin du mois de décembre sur la possible « désorganisation de la société » du fait de la propagation du variant Omicron, l'étude publiée fin décembre par l'Institut Pasteur 3 ( * ) souligne plus largement l'impact global sur la société de cette nouvelle vague.

Ainsi, selon les chercheurs, « des centaines de milliers de Français pourraient être infectés quotidiennement en janvier , dans la grande majorité des cas avec des symptômes légers. L'absentéisme résultant de cette vague d'infections risque de perturber le fonctionnement de la société . »

2. Une efficacité démontrée de la vaccination, particulièrement avec un schéma vaccinal complet assorti d'une dose de rappel

a) Un haut niveau de vaccination de la population mais des inégalités territoriales persistantes

Comme la commission l'a régulièrement constaté lors de l'examen des précédents textes relatifs à la crise sanitaire, une très forte majorité de la population majeure et, plus globalement, de la population éligible à la vaccination, a déjà reçu au moins une injection.

Près de 80 % des Français ont ainsi un schéma vaccinal au moins partiel, quand plus de 93 % des majeurs ont reçu au moins une injection .

Nombre de personnes ayant reçu
au moins une première injection

Nombre de personnes présentant un schéma vaccinal complet

Données Santé publique France, au 6 janvier 2022

Part de la population générale
ayant reçu au moins
une première injection

Part des 18 ans et plus
ayant reçu au moins
une première injection

Données CNAM, au 2 janvier 2022, et Santé publique France, au 5 janvier 2022

Cependant, des inégalités déjà relevées persistent. Sur le plan géographique, force est de constater qu'un gradient est-ouest se dessine pour l'Hexagone. Surtout, les territoires ultramarins présentent encore un important décalage concernant les taux de vaccination , particulièrement dans les Antilles.

Sur le plan social, les données mises en ligne par l'Assurance maladie concernant le taux de vaccination par décile de défavorisation 4 ( * ) font également apparaître un gradient social : les personnes les plus précaires demeurent globalement moins vaccinées que les déciles les plus favorisés.

Taux de vaccination première injection

Source : Assurance maladie (Data vaccin covid)

Situation au 2 janvier 2022 - Les données présentées sont le reflet des déclarations dans le téléservice Vaccin Covid. France entière : 67 287 193 habitants

Enfin, si les taux de vaccination par tranche d'âge sont relativement homogènes pour les plus de 18 ans, avec des taux très élevés pour les 70-80 ans, force est de constater que les 80 ans et plus demeurent moins vaccinés que la moyenne, alors que cette tranche d'âge est particulièrement exposée aux formes graves . La commission réaffirme la nécessité d'adopter une stratégie rapide d'« aller-vers » particulière à cette tranche d'âge.

Source : Santé publique France

b) Une efficacité confirmée par les données en vie réelle

Au-delà des essais cliniques et résultats scientifiquement obtenus concernant les vaccins autorisés dans l'Union européenne, le rapporteur souhaite souligner que les analyses « en vie réelle » confirment l'efficacité de la vaccination contre les formes graves de la covid-19 .

Surtout, si des baisses sont constatées en termes d'efficacité contre les formes symptomatiques, l'efficacité semble durablement à un niveau haut contre les formes sévères.

Estimation de l'efficacité vaccinale contre les formes graves de covid-19

L'analyse de la troisième vague de l'épidémie de covid-19 en France, chez les personnes âgées de 50 ans ou plus, fait apparaître une efficacité vaccinale élevée contre les formes symptomatiques et les formes sévères, qui croît au fur et à mesure de l'avancée dans le parcours vaccinal, jusqu'à l'obtention du statut vaccinal complet. À son pic, l'efficacité vaccinale d'un cycle vaccinal complet (sans rappel) atteint 85 % contre les formes symptomatiques et 90 % contre les sévères. Au cours de la période d'estimation du 1 er février au 31 mai 2021, aucune baisse de l'efficacité vaccinale contre les formes sévères dans les quatre premiers mois suivant l'injection de la deuxième dose de vaccin n'est mise en évidence. Les efficacités vaccinales estimées se distinguent très modérément entre classes d'âge et ne sont pas inférieures pour les personnes présentant des comorbidités. L'efficacité vaccinale contre les variants bêta et gamma apparaît comme inférieure à celles estimées pour le variant alpha et la version souche, mais elle reste tout de même supérieure à 70 %.

L'analyse étendue aux données plus récentes (1 er février au 14 novembre) révèle une très nette diminution de l'efficacité vaccinale (parcours complet) contre les formes symptomatiques dans le temps, qui descend à 57 % chez les 50 ans ou plus six mois après la complétude du parcours vaccinal et à 39 % chez les 85 ans ou plus. Cette baisse peut s'interpréter, sous les hypothèses mobilisées dans l'analyse, comme l'effet combiné de l'émergence du variant delta susceptible de générer un échappement immunitaire et d'une baisse de la protection vaccinale dans le temps.

L'efficacité vaccinale reste cependant importante contre les formes sévères (84 % six mois après la complétude du parcours vaccinal), avec une baisse beaucoup moins nette de la protection, bien que tout de même marquée chez les plus âgés (70 %).

L'efficacité vaccinale sept jours après une dose de rappel retrouve des niveaux très élevés que ce soit contre les formes symptomatiques ou les formes sévères, sans distinction selon la classe d'âge parmi les 65 ans ou plus.

Source : Estimation de l'efficacité vaccinale contre les formes graves de covid-19 , sous la direction de Milena Suarez Castillo (INSEE), Hamid Khaoua et Noémie Courtejoie - Drees, 22 décembre 2021.

Risques relatifs de décès après hospitalisation avec test RT-PCR positif
selon l'âge et le statut vaccinal, par rapport au non-vaccinés

Sources : Drees, appariement SI-VIC, SI-DEP, VAC-SI. Modélisation Drees à partir des observations du 31 mai 2021 au 5 décembre 2021. Tests positifs avec symptômes indiqués par le patient.

Lecture : Ici, chaque tranche d'âge doit être lue indépendamment. Les risques relatifs sont calculés par rapport au risque des non-vaccinés de chaque catégorie d'âge. Par exemple, si le risque de décéder après hospitalisation avec test RT-PCR positif pour une personne non vaccinée de 80 ans et plus est conventionnellement fixé à 100 %, le risque pour une personne complètement vaccinée depuis moins de 3 mois sans rappel de même classe d'âge est de 9 % toutes autres caractéristiques égales par ailleurs (date de prélèvement, région notamment). La protection vaccinale est donc dans ce cas-là de 100 - 9 = 91 %.

À titre d'illustration, la Drees 5 ( * ) estime qu'entre le 22 novembre et le 19 décembre 2021, les 9 % de personnes non vaccinées dans la population française de 20 ans et plus représentent 6 ( * ) :

- 25 % des tests PCR positifs chez les personnes symptomatiques ;

- 43 % des admissions en hospitalisation conventionnelle ;

- 55 % des entrées en soins critiques ;

- 40 % des décès.

Ainsi, alors que les non-vaccinés représentent une part minoritaire de la population, ils sont largement sur-représentés parmi les personnes nécessitant une hospitalisation et majoritaires parmi les admissions en soins critiques.

En outre, les données de la Drees semblent déjà montrer une efficacité de la dose de rappel préconisée par les autorités sanitaires, confirmant les constats faits sur ce schéma en Israël : « Si les nombres de tests et d'hospitalisations à taille de population comparable poursuivent leur augmentation quel que soit le statut vaccinal, les fréquences de tests positifs, d'entrées hospitalières et de décès sont toujours bien plus élevées pour les personnes non vaccinées que pour les personnes vaccinées sans rappel et plus encore que pour celles avec rappel ».

• La vaccination apparaît aujourd'hui comme le principal outil de lutte contre l'épidémie.

Sur ce constat, le Conseil scientifique soulignait que « la dose de rappel va permettre de protéger contre les formes sévères et graves, mais la population non vaccinée, n'ayant pas eu le rappel, ou immunodéprimée, reste très importante ». Il préconisait ainsi intensifier la campagne de vaccination et de rappel et de rendre obligatoire la dose de rappel pour les soignants 7 ( * ) .

3. Un nouveau « passe » en forme d'obligation vaccinale

a) Un passe sanitaire exigible depuis l'été 2021

Le dispositif de passe sanitaire a été pour la première fois mis en oeuvre à compter du 2 juin 2021.

Ainsi, les personnes souhaitant accéder à certains lieux, établissements, évènements ou services doivent présenter un justificatif de statut vaccinal, un certificat de rétablissement, ou un résultat de test ou examen ne concluant pas à une contamination par la covid-19 .

Si ces trois documents sont considérés équivalents, l'incitation à la vaccination par le passe sanitaire a été renforcée encore à la rentrée 2021 avec un durcissement des règles de remboursement des tests virologiques pour les personnes non vaccinées depuis le 15 octobre dernier.

Le justificatif de statut vaccinal qui peut être valablement présenté au titre du passe sanitaire est délivré aux personnes justifiant d'un schéma vaccinal complet, soit en principe une dose pour le vaccin Janssen et deux doses pour les autres vaccins autorisés (sauf pour les personnes ayant déjà été contaminées, pour lesquelles une seule dose suffit). Compte tenu de la baisse constatée de l'immunité conférée par la vaccination avec le temps, les personnes ayant reçu le vaccin Janssen depuis au moins 2 mois doivent, depuis le 15 décembre 2021, avoir reçu une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique messager (ARNm) pour conserver le bénéfice de leur passe.

Depuis cette même date, les personnes de plus de 65 ans ayant reçu la dernière dose requise d'un autre des vaccins autorisés depuis au moins 7 mois doivent quant à elles aussi avoir reçu une dose de rappel pour que leur passe continue à être valide.

Le certificat de rétablissement est délivré à toute personne justifiant d'un test positif d'au moins 11 jours et d'au plus 6 mois . Il est valable pour une durée de 6 mois à compter de la réalisation du test.

Source : Étude d'impact du projet de loi

b) Un contexte exigeant des mesures renforcées selon le Gouvernement

Dans l'étude d'impact jointe au projet de loi déposé le 27 décembre 2021, le Gouvernement insiste particulièrement sur la situation hospitalière le conduisant à proposer ces mesures nouvelle : « au 26 décembre 2021, on dénombrait 16 431 patients hospitalisés pour cause de covid-19, parmi lesquels 3 160 étaient pris en charge en soins critiques. Ainsi, le taux d'occupation des lits de réanimation continue d'augmenter et s'établit désormais à 65 % de la capacité d'accueil . De plus, la tension hospitalière est accrue par la circulation d'autres virus à la faveur de la période hivernale et par les nécessaires reprogrammations d'interventions chirurgicales qui avaient été reportées lors des précédentes vagues épidémiques ».

Dans ce contexte, le Gouvernement 8 ( * ) justifie la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal pour l'accès à certains établissements et activités par deux objectifs :

- réduire le risque que des personnes infectées se rendent dans ces lieux à forts risques de contamination ;

- encourager les personnes non vaccinées à s'engager dans un parcours vaccinal , alors qu'elles concentrent, souligne-t-il, les risques d'hospitalisation, en soins critiques particulièrement.

En d'autres termes, il s'agit tant de protéger les non-vaccinés d'eux-mêmes, en réduisant leur exposition et en les incitant à se faire vacciner, que de protéger le système de soins, et donc l'ensemble de la population, en préservant les capacités d'hospitalisation d'une saturation.

Cette stratégie pourrait se trouver justifiée par les premières modélisations scientifiques. Ainsi, dans son étude de fin décembre, l'Institut Pasteur 9 ( * ) estime que « l'accélération de l'administration des doses de rappel (1,2 million par jour au lieu de 800 000 par jour) pourrait réduire la taille du pic d'hospitalisations de 9-17 % » quand « la vaccination de 90 % des adultes non vaccinés à un rythme de 100 000 doses administrées par jour pourrait réduire la taille du pic des hospitalisations de 17-35 % ».

Alors que les capacités d'hospitalisation ont été un facteur déterminant des choix faits concernant les outils de lutte contre l'épidémie, la question de la saturation du système de soins est une préoccupation toujours plus prégnante, particulièrement au cours de la vague actuelle. À ce titre, le Conseil d'État suggère 10 ( * ) , « d'adapter la finalité des mesures que le Premier ministre peut prendre dans le cadre du A du II de l'article 1 er de la loi du 31 mai 2021, pour tenir compte, au-delà de la seule lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19, des effets induits sur le système de soins ».

c) Un passe sanitaire en partie transformé en « passe vaccinal »

• Principale disposition de ce texte, l'article 1 er entend transformer le passe sanitaire en un « passe vaccinal ».

Le Gouvernement choisit donc une nouvelle fois de préférer à une vaccination obligatoire de la population générale, une stratégie de très forte incitation , voire de contrainte vaccinale.

Le rapporteur constate que des dispositifs analogues sont en discussion ou en cours de mise en oeuvre dans d'autres pays européens, notamment l'Allemagne ou l'Italie. Comme elle l'avait déjà indiqué lors de l'examen des précédents textes liés à la lutte contre l'épidémie, la commission considère qu'une obligation vaccinale générale, si elle constitue un signal clair, serait probablement dépourvue d'effet, sans pouvoir être assortie de moyens crédibles de contrôle. Ainsi, elle considère que le passe vaccinal est un outil adapté à l'amélioration de la couverture vaccinale .

L'essentiel des lieux et activités dont l'accès est aujourd'hui soumis à la présentation du passe sanitaire seraient désormais réservés aux personnes présentant un justificatif de statut vaccinal . Celui-ci, défini par décret après avis de la Haute Autorité de santé, pourra évoluer selon les recommandations de schéma vaccinal. Le schéma proposé dès janvier 2022 intégrera notamment la dose de rappel préconisée.

Si la formulation de l'article 1 er ne met plus sur le même plan le justificatif vaccinal et le certificat de rétablissement, le second pourra de manière subsidiaire permettre de satisfaire les conditions du « passe vaccinal ».

Schéma vaccinal requis pour la validité du passe vaccinal

Au 15 janvier 2022 : Toutes les personnes âgées de 18 ans et plus devront avoir reçu une dose de rappel au maximum 7 mois après leur dernière injection ou infection au covid pour bénéficier d'un passe sanitaire valide (3 mois pour l'éligibilité plus 4 mois pour le délai supplémentaire).

Au 15 février 2022 : Toutes les personnes âgées de 18 ans et plus devront avoir reçu une dose de rappel au maximum 4 mois après leur dernière injection ou infection au covid pour bénéficier d'un passe sanitaire valide (3 mois pour l'éligibilité plus 1 mois pour le délai supplémentaire).

Source : Gouvernement

L'accès des établissements de santé et médico-sociaux soumis, pour les visiteurs et les patients se rendant à des soins programmés , demeurera soumis à la présentation d'un passe sanitaire .

Pour certains lieux, l'article 1 er ouvre la possibilité d'un accès réservé aux personnes pouvant justifier cumulativement du passe vaccinal et d'un résultat négatif à un test virologique, sur le modèle pratiqué dans certains pays comme en Allemagne avec le schéma « 2G+ » .

Le Gouvernement entend ainsi maintenir ouverts, dans les périodes de forte circulation virale, les lieux les plus propices aux contaminations. La mesure pourrait selon lui par exemple être appliquée aux discothèques « lorsque la situation sanitaire le rendra nécessaire ».

Selon une étude réalisée par des chercheurs de l'Institut Pasteur et parue dans The Lancet Regional Health le 26 novembre 2021, le risque de contamination serait en effet 350 % plus élevé pour une personne de moins de 40 ans s'étant rendue en discothèque que pour quelqu'un du même âge n'ayant pas fréquenté ce lieu :

En raison des risques accrus de contamination, les discothèques :

- ont été fermées au public sans discontinuer entre mars 2020 et juin 2021 ;

- ont rouvert au public à compter du 9 juillet 2021, avec un plafond capacitaire fixé à 75 % de leur capacité d'accueil ;

- sont de nouveau fermées au public depuis le 10 décembre 2021.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire du rapporteur

Ce nouveau passe vaccinal, annoncé fin décembre 2021, semble produire un effet similaire au passe sanitaire avant même son entrée en vigueur, conduisant à une forte hausse des prises de rendez-vous de vaccination . Cette mobilisation, qui concerne pour le moment essentiellement des doses de rappel, se trouverait depuis le début de l'année 2022 accompagnée d'une augmentation des primo-vaccinations.

Des livraisons attendues de vaccins en adéquation avec les besoins

Interrogé sur la capacité des pouvoirs publics à garantir l'accès à la vaccination de toutes les personnes éligibles et concernées par le passe vaccinal 11 ( * ) , le ministère de la santé a indiqué qu'au cours du premier trimestre 2022, le Gouvernement recevra :

- 65 millions de doses de rappel de vaccin à ARNm : 37 millions de doses vaccin Pfizer-BioNTech et 14 millions de doses de vaccin Moderna (soit 28 millions de doses de rappel), de plus 8 millions de doses ont été reçues fin décembre 2021 (soit 16 millions de doses de rappel) ;

- 3,2 millions de doses de vaccins sous-unitaire (Novavax) ;

- 8,9 millions de doses vaccins à adénovirus (AstraZeneca) qui seront données via le programme Covax.

Ces doses permettent de répondre aux besoins de la population française estimés pour atteindre une couverture vaccinale complète à environ 47 millions de doses , 32 millions (28 millions aujourd'hui + 4 millions en cas d'extensions aux 12-18 ans) de doses de rappel et 15 millions de doses de premiers schémas vaccinaux.

Les livraisons supplémentaires permettront de constituer un stock de sécurité en cas de nécessité d'une seconde campagne de rappel et les éventuels surplus pourront être utilisés dans le cadre de la campagne de don.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire du rapporteur

Si ce nouveau dispositif, comme le passe sanitaire, constitue une restriction de libertés, la commission estime que celle-ci est justifiée et nécessaire au regard de la situation sanitaire et apparaît comme un moyen probable d'éviter des mesures plus restrictives encore que seraient un couvre-feu ou un nouveau confinement .

Sur ce sujet, le Conseil d'État considère également que « le fait de subordonner à un justificatif de statut vaccinal ou de rétablissement l'accès à des activités de loisirs, à des établissements de restauration ou de débit de boissons, à des foires et salons professionnels ou aux grands centres commerciaux désignés par décision préfectorale, est, en dépit du caractère très contraignant de la mesure pour les personnes, de nature à assurer une conciliation adéquate des nécessités de lutte contre l'épidémie avec les droits et libertés en cause ».

d) Une obligation vaccinale de fait pour les professionnels des lieux et activités concernés

Le passe vaccinal s'appliquera, comme le passe sanitaire, tant aux usagers et visiteurs des lieux et activités concernés mais aussi aux personnels de ces établissements.

Le rapporteur constate que, de fait, ces personnels se trouvent dans une situation comparable à une vaccination obligatoire. Comme elle l'avait déjà indiqué en juillet, elle rappelle qu'une vaccination obligatoire ne se heurte à aucune protection des droits fondamentaux.

Cependant, la commission s'est interrogée sur la possibilité de juridiquement placer dans deux régimes différents que sont le passe vaccinal ou la vaccination obligatoire, des professionnels devant répondre à une condition similaire pour l'exercice de leur activité . Le rapporteur constate sur ce point qu'aucune réserve n'a été formulée à ce sujet par le Conseil d'État et que, interrogé par votre rapporteur sur de nécessaires harmonisations entre les deux régimes, le Gouvernement estime qu'aucune coordination n'est nécessaire à ce stade.

Enfin, sur le modèle de la souplesse introduite par la commission des affaires sociales dans la loi relative à la gestion de la crise sanitaire en août 2021, l'article 1 er prévoit que, pour les personnes intervenant dans les lieux qui seront soumis au passe vaccinal, un justificatif d'administration d'une dose pourra valoir temporairement passe vaccinal pour la durée nécessaire à l'achèvement du schéma vaccinal .

e) Une finalité assumée de cet outil désormais considérée comme légitime par le Conseil d'État

À l'été 2021, le Conseil d'État avait estimé dans son avis sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire 12 ( * ) que « l'application du “passe sanitaire” à chacune des activités pour lesquelles il est envisagé de l'appliquer doit être justifiée par l'intérêt spécifique de la mesure pour limiter la propagation de l'épidémie, au vu des critères mentionnés précédemment et non par un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner ».

Cependant, comme le constatait déjà le rapporteur à l'occasion de ce précédent texte 13 ( * ) , le passe sanitaire visait bien à faciliter l'accès à des activités courantes et attractives pour les personnes vaccinées et ainsi, sans être une obligation vaccinale de la population générale, le passe sanitaire apparaissait comme une forte incitation vaccinale . Le rapporteur et la commission avaient alors estimé « cet objectif légitime et ce moyen pertinent ».

Le rapporteur souligne que le Conseil d'État a récemment adopté une nouvelle approche concernant le passe sanitaire à l'occasion de sa transformation en passe vaccinal.

Ainsi, dans son avis sur le présent projet de loi 14 ( * ) le Conseil d'État « relève que le "passe vaccinal" est présenté par les pouvoirs publics comme visant, en outre, à inciter les personnes ne s'étant pas encore engagées dans un schéma vaccinal à entamer cette démarche . Il estime qu'au vu de l'évolution de la situation épidémique et de la progression de la couverture vaccinale dans le pays, cet objectif indirect de la mesure, qui tend à limiter plus largement les risques de diffusion du virus dans les activités autres que celles entrant dans le champ de la mesure en raison des risques particuliers que celles-ci présentent, et les risques de développement des formes graves de la maladie, contribuant ainsi à réduire la pression exercée sur le système de soins, s'inscrit dans l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé ».


* 1 Étude d'impact du projet de loi.

* 2 Avis du Conseil scientifique covid-19 du 16 décembre 2021 - Mise à jour de l'avis du 8 décembre 2021, le variant Omicron : anticiper la 6 ème vague.

* 3 Impact du variant Omicron sur l'épidémie covid-19 et son contrôle en France métropolitaine durant l'hiver 2021-2022, Institut Pasteur, 27 décembre 2021.

* 4 Données Assurance maladie - Data vaccin covid.

* 5 Dans le cadre de sa mission d'appui à la gestion de la crise sanitaire, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) exploite les données pseudonymisées issues des trois principales bases de données sur la crise covid-19 : SI-VIC (hospitalisation), SI-DEP (dépistage) et VAC-SI (vaccination).

* 6 La dose de rappel protège fortement contre les formes symptomatiques et sévères du Covid-19 - Drees, 31 décembre 2021.

* 7 Avis du 16 décembre 2021.

* 8 Étude d'impact du projet de loi.

* 9 Impact du variant Omicron sur l'épidémie covid-19 et son contrôle en France métropolitaine durant l'hiver 2021-2022 , Institut Pasteur, 27 décembre 2021.

* 10 Avis n° 404.676 - Conseil d'État, Commission permanente, séance du dimanche 26 décembre 2021.

* 11 Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire du rapporteur.

* 12 Avis n° 403.629 - Conseil d'État, Commission permanente, séance du lundi 19 juillet 2021
- Section sociale.

* 13 Avis n° 797 (2020-2021) de Mme Chantal Deseyne, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 23 juillet 2021.

* 14 Avis n° 404.676 - Conseil d'État, Commission permanente, séance du dimanche 26 décembre 2021.

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