II. VERS UNE ÉVOLUTION DU DROIT À L'OUBLI ET DE LA GRILLE DE RÉFÉRENCE DE LA « CONVENTION AERAS »

Dans son titre II intitulé « Droit à l'oubli et évolution de la grille de référence de la « convention AERAS », la proposition de loi prévoit :

- la tenue d'une négociation entre les signataires de la convention dite « AERAS » (« s'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé »), dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, portant sur la possibilité d'appliquer un délai plus court pour bénéficier du droit à l'oubli en cas de cancer, et d'étendre à d'autres pathologies que les pathologies cancéreuses le droit à l'oubli et la grille de référence AERAS, ainsi que sur la hausse du montant du prêt pouvant être contracté en bénéficiant de la convention « AERAS ». À défaut de l'engagement de ces négociations, un décret en Conseil d'État peut fixer les conditions d'accès à la convention ( article 7 ) ;

- la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement , au plus tard un an après la promulgation de la présente loi, présentant un dispositif permettant de recueillir, d'analyser et de publier des données scientifiques nécessaires à la tarification du risque ( article 8 ) ;

- la remise d'un rapport du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) au Parlement , dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, et au plus tard le 31 décembre 2024, sur la mise en oeuvre de la présente loi ( article 9 ). Cet article est issu de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement à l'initiative de Daniel Labaronne, avec deux avis favorables de la commission et du Gouvernement.

A. LA CONVENTION « AERAS » : UN DISPOSITIF ORIGINAL ET NÉCESSAIRE, MAIS QUI ATTEINT SES LIMITES

1. Des progrès récents dans l'assurabilité des personnes présentant des risques aggravés de santé

La convention « AERAS », instituée par la loi du 31 janvier 2007 relative à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé 23 ( * ) , et définie aux articles L. 1141-2 et suivants du code de la santé publique , vise à encadrer les conditions tarifaires appliquées aux personnes présentant un risque aggravé de santé et souhaitant souscrire un contrat d'assurance emprunteur.

Le dispositif de la convention repose sur deux piliers :

- d'une part, le droit à l'oubli , défini à l'article L. 1141-5 du même code, qui permet, sous certaines conditions, à l'assuré de ne pas déclarer un cancer dont il est désormais guéri afin de ne pas se voir appliquer de surprime ;

- d'autre part, la grille de référence AERAS qui définit des pathologies pour lesquelles, au-delà d'un certain délai, aucune surprime ni exclusion de garantie ne peut être appliquée, ainsi qu'un plafond de surprime pouvant être appliquée pour les assurés qui ne peuvent pas bénéficier de la tarification standardisée.

Si la convention AERAS a été consacrée au plan législatif en 2007, elle résulte d'un processus conventionnel de plusieurs années .

En effet, une première convention a été conclue en 1991 entre l'État et les professionnels du secteur assurantiel, dans l'objectif de faciliter l'accès à l'assurance emprunteur aux personnes séropositives. Puis, en 1999, un comité présidé par Jean-Michel Belorgey a été institué afin d'élargir le spectre de cette première convention, tant en matière de composition de celle-ci que de risques de santé pouvant être pris en compte. Par conséquent, une nouvelle convention a été signée en 2001 entre l'État, les professionnels du secteur assurantiel, les associations de consommateurs et celles représentant les personnes malades ou handicapées. Elle a donné lieu à la création de nouvelles instances au sein de la convention AERAS, avec l'instauration d'une commission de suivi et de propositions, d'une section scientifique et d'une section de médiation. Une convention révisée a été signée en 2006 , et a trouvé une traduction législative en 2007. Cette dernière inclut depuis lors un dispositif d'écrêtement des surprimes en fonction des revenus du foyer fiscal . Le coût du dispositif est pris en charge par les banques et assurances à parité.

S'agissant du principe du droit à l'oubli , celui-ci a été proposé lors de l'élaboration du troisième plan cancer initié en 2014, et a donné lieu à la signature d'un protocole en mars 2015 entre l'État, les représentants des professionnels de la banque et de l'assurance, les associations de malades et l'Institut national pour le cancer (Inca). Aux termes de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé 24 ( * ) , « le délai au-delà duquel aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses ne peut être recueillie par les organismes assureurs ne peut excéder dix ans après la date de fin du protocole thérapeutique ou, pour les pathologies cancéreuses survenues avant l'âge de dix-huit ans, cinq ans à compter de la fin du protocole thérapeutique ». En 2020, à la suite d'une demande de rapport du Gouvernement au Parlement sur les possibilités d'évolutions du droit à l'oubli pour les cancers pédiatriques 25 ( * ) , la convention AERAS a été actualisée pour appliquer le délai de cinq ans pour les cancers intervenus avant l'âge de vingt et un an .

D'après les données provisoires établies pour 2020, les sociétés d'assurance ont instruit 4,3 millions de demandes d'assurance de prêts au titre des crédits immobiliers et professionnels, dont 11,4 % présentaient un risque aggravé de santé 26 ( * ) . En excluant les demandes d'assurance pour lesquelles les assurés n'ont pas donné suite, et celles pour lesquelles un risque aggravé de santé est apparu en cours d'instruction, les assureurs ont fait une proposition d'assurance pour 99,5 % des demandes d'assurance de prêts. Enfin, depuis 2016, la part des demandes comprenant un risque aggravé de santé diminue , alors que la demande d'assurance emprunteur augmente, reflétant ainsi la mise en oeuvre du droit à l'oubli dans les déclarations des assurés.

2. Un cadre conventionnel consensuel, mais qui atteint ses limites

Malgré le fait que la convention AERAS fournit des réponses indispensables aux personnes souffrant, ou ayant souffert, de pathologies les exposant à une surprime d'assurance emprunteur, les auditions menées par le rapporteur pour avis ont fait état des limites de ce cadre conventionnel, celles-ci ayant été également identifiées par la députée Patricia Lemoine , auteure et rapporteure de la présente proposition de loi à l'Assemblée nationale 27 ( * ) .

Ainsi, s'agissant du droit à l'oubli, celui-ci ne bénéficie qu'aux personnes atteintes de pathologies cancéreuses , excluant ainsi certaines maladies chroniques, sans que cette distinction soit justifiée par des espérances de vie variables.

En outre, si la convention AERAS a permis d'appliquer le délai de cinq ans pour pouvoir opposer le droit à l'oubli à l'assureur pour les cancers intervenus avant les 21 ans, ce dispositif se heurte nécessairement à un effet de seuil pouvant entraîner de lourdes conséquences sur les projets de vie des personnes ayant souffert de ces cancers . Par exemple, une personne ayant terminé son protocole thérapeutique à 22 ans, et n'ayant pas connu de rechute, devra attendre d'atteindre ses 32 ans pour pouvoir bénéficier du droit à l'oubli, alors que la même pathologie cancéreuse soignée à l'âge de 20 ans donnera un accès au droit à l'oubli dès le 25 ème anniversaire, en l'absence de rechute. Par conséquent , le « régime » plus favorable du droit à l'oubli bénéficie en premier lieu aux jeunes de moins de 30 ans , alors même que l'âge moyen d'un primo-accédant se situe autour de 35 ans 28 ( * ) .

S'agissant de la grille de référence AERAS, le montant maximal du prêt immobilier pouvant être assuré avec un contrat respectant les critères de la convention, fixé à 320 000 euros, apparaît insuffisant sur certains marchés immobiliers, en particulier en Île-de-France.

Plus généralement, l'application du droit à l'oubli et l'évolution de la grille de référence de la convention AERAS sont conditionnées aux données scientifiques disponibles permettant d'attester des progrès médicaux et thérapeutiques dans la prise en charge des différentes pathologies. En effet, une connaissance objective des risques dans le temps associés aux différentes pathologies est la clé permettant, d'une part, de proportionner le coût de l'assurance emprunteur au plus juste pour l'assuré et, d'autre part pour les assureurs de maîtriser les risques des portefeuilles de prêts assurés.

Alors que ces données constituent le « nerf de la guerre » pour faire progresser l'assurabilité de ces personnes présentant un risque aggravé de santé, plusieurs auditions menées ont rappelé que la commission études et recherches de la convention AERAS, qui est chargée de conduire les études en question, ne dispose pas d'un budget propre. Ces études sont principalement financées par l'Inca et l'Institut national de la santé et la recherche médicale (Inserm) , ce qui explique en partie que l'assurabilité des pathologies cancéreuses est mieux connue, même si d'autres études peuvent être prises en compte.

De l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis, les études scientifiques restent insuffisantes pour paramétrer de façon fine et pertinente les critères de la grille de référence . Dans cette perspective, l'article 8 de la présente proposition de loi prévoit que la Gouvernement remette un rapport présentant un dispositif visant à encourager la publication de données sur la mortalité et la morbidité de certaines pathologies . Si le rapporteur pour avis partage l'objectif de cet article, il regrette le caractère imprécis, à ce stade, du dispositif qui sera présenté dans le rapport.

Par ailleurs, le rapporteur pour avis s'interroge sur le fonctionnement de la convention AERAS . Certes, les auditions menées ont souligné le caractère original et consensuel de ce cadre conventionnel, qui permet d'obtenir un accord de place entre l'ensemble des professionnels de la banque et de l'assurance, et de mener un travail partenarial avec les associations de personnes présentant des risques aggravés.

Toutefois, l'impératif de consensus qui s'est imposé par la pratique peut constituer un frein à l'évolution de la grille de référence et du droit à l'oubli, en particulier dans un contexte marqué tant par un rapport de force asymétrique entre les acteurs de la place et les associations d'emprunteurs, que par le caractère quasi-obligatoire de l'assurance emprunteur pour accéder à la propriété . Dans cette perspective, même si la convention AERAS a permis de consacrer des progrès significatifs, le rôle de l'État doit y être pleinement préservé .


* 23 Loi n° 2007-131 du 31 janvier 2007 relative à l'accès au crédit des personnes présentant u risque aggravé de santé.

* 24 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, article 190 .

* 25 Loi n° 2019-180 du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques, article 8 .

* 26 D'après les informations transmises par la direction générale du Trésor, sur la base des statistiques provisoires de France Assureurs (anciennement Fédération française de l'assurance, FFA).

* 27 Rapport n° 4699 fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur, par Patricia Lemoine, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 novembre 2021, p. 15.

* 28 Article d'Éric Benhamou, « Crédit immobilier : le primo-accédant est jeune et célibataire », publié le 28 juin 2019 dans Les Échos.

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