B. DES MOYENS RENFORCÉS EN 2023 POUR FAIRE FACE À UNE ACTIVITÉ SOUTENUE DE CONTRÔLE DES NORMES DANS UN CONTEXTE D'INFLATION CROISSANTE

1. Le succès non démenti de la procédure de contrôle a posteriori, dont la visibilité sera renforcée dès 2023 par le déploiement d'un site internet dédié

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ainsi que la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, tout justiciable estimant qu'une disposition législative en vigueur porte atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis peut soulever une question prioritaire de constitutionnalité 21 ( * ) . Alors que les juridictions administratives s'étaient initialement saisies avec plus de vitalité du mécanisme de la QPC, le Conseil d'État et la Cour de cassation ont désormais des taux de transmission relativement voisins. Sur la période récente, la part occupée dans le total par les QPC reçues des juridictions judiciaires s'est accrue, notamment du fait d'un tassement du nombre de questions fiscales reçues du Conseil d'État et d'une augmentation du nombre des transmissions émanant de la chambre criminelle de la Cour de cassation 22 ( * ) .

L'un des objectifs du président Laurent Fabius est d'ériger la question prioritaire de constitutionnalité en « question citoyenne », d'autant que l'activité enregistrée au titre de cette procédure ne cesse de croître : 60 des 71 décisions relatives au contrôle de constitutionnalité prises par le Conseil entre le 1 er janvier et le 31 octobre 2022 en relèvent, contre 75 sur 98 en 2021 et 46 sur 69 en 2020 23 ( * ) . Entre le 1 er septembre 2021 et le 31 août 2022 , le Conseil constitutionnel a été saisi de 79 QPC , soit un nombre quasiment équivalent à celui constaté entre le 1 er septembre 2020 et le 31 août 2021 (83 saisines au titre de la QPC sur la période) 24 ( * ) .

L'activité du Conseil constitutionnel en matière de QPC

Source : site du Conseil constitutionnel

La possibilité de recours accru aux QPC a pu être invoquée pour justifier les décisions du Conseil constitutionnel relatives au régime des ordonnances de l'article 38 de la Constitution. En effet, dans sa décision Force 5 du 28 mai 2020 25 ( * ) , le juge constitutionnel a considéré que, à l'expiration du délai d'habilitation fixé par la loi, les dispositions d'une ordonnance prise sur son fondement ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif et que, dès lors, à compter de cette date, elle « doivent être regardées comme des dispositions législatives ». Par une décision Sofiane A. du 3 juillet 2020 26 ( * ) , le Conseil constitutionnel a confirmé ce revirement de jurisprudence et a précisé que de telles dispositions devaient être regardées comme des dispositions législatives « au sens de l'article 61-1 de la Constitution. » Par suite, au terme du délai d'habilitation, le contrôle de leur conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution relèverait du seul Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une QPC. Par une décision d'assemblée n° 440258 du 16 décembre 2020, le Conseil d'État a pris acte de ce revirement de jurisprudence 27 ( * ) .

En adoptant en première lecture le 4 novembre 2021, à une majorité de 322 voix contre 22 voix, la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l'État de droit en cas de législation par ordonnance déposée par votre rapporteur, le Sénat a marqué son opposition à cette conception et son attachement à la lettre et à l'esprit de l'article 38 de la Constitution. En effet, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 38 précise que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse », ce qui suppose un vote du Parlement. Ainsi, selon les termes de la Constitution, les dispositions d'une ordonnance non ratifiée par le Parlement ne sauraient mécaniquement être regardées comme des dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

Compte tenu de l'évolution jurisprudentielle du Conseil constitutionnel relative aux ordonnances, les propositions de loi de ratification, en ce qu'elles permettent aux parlementaires de débattre des choix faits par le Gouvernement d'une part, et de modifier, le cas échéant, le contenu de l'ordonnance par l'exercice de leur droit d'amendement d'autre part, constituent les moyens pertinents auxquels il revient au Parlement de recourir.

Malgré le succès avéré de la procédure de contrôle a posteriori , comme en atteste le jugement, en 2022, d'une millième QPC par le Conseil constitutionnel, l'absence de base de données regroupant l'ensemble des décisions rendues par les juridictions françaises dans le cadre de cette procédure a jusqu'à présent constitué un obstacle à sa pleine visibilité auprès de nos concitoyens mais aussi des professionnels du droit.

Dans ce contexte, le président Laurent Fabius a décidé, en accord avec le Conseil d'État et la Cour de cassation, du déploiement, d'ici au début de l'année 2023, d'un portail dématérialisé de référence de la QPC , qui permettra d'accéder à l'ensemble des décisions liées au contrôle a posteriori et de mieux faire connaître la procédure à toutes celles et ceux qu'elle peut intéresser. C'est assurément une initiative très positive.

Afin de mener à bien ce projet, le Conseil constitutionnel a bénéficié, en 2022, d'une dotation exceptionnelle de 0,9 million d'euros . Il s'est doté d'une direction de projet et a procédé au recrutement d'un webmestre dont le rôle est d'assurer la maintenance et l'animation du futur portail. À ce jour, le déploiement du site internet suit la trajectoire définie et ne rencontre pas de difficulté particulière ni de retard susceptibles d'affecter substantiellement le budget initialement alloué 28 ( * ) .

L'adoption d'un règlement intérieur de procédure pour le contrôle de constitutionnalité a priori

Par une décision n° 2022-152 ORGA du 11 mars 2022, le Conseil constitutionnel s'est doté d'un règlement intérieur de procédure pour le contrôle de constitutionnalité a priori , au même titre que celui qui existe, depuis le 4 février 2010, pour la QPC.

S'il a avant tout pour objet de codifier la pratique antérieure, celui-ci innove cependant de deux manières. D'une part, il garantit une transparence accrue de la procédure , notamment par la publication des saisines dès leur enregistrement. D'autre part, il ouvre de plus larges facultés aux parlementaires pour contribuer à la procédure contradictoire , tant dans sa phase écrite que dans sa phase orale, par la voie d'auditions que les saisissants sont susceptibles de demander.

Depuis le début de la présente législature, toutes les saisines ont été publiées, dès leur enregistrement, sur le site internet du Conseil constitutionnel. En ce qui concerne les auditions, dont la pratique était jusqu'à présent non codifiée, la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision n° 2022-840 DC du 30 juillet 2022 29 ( * ) constitue un premier exemple d'application, comme le démontrent les visas de la décision.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs indiqué que l'incidence budgétaire de l'adoption d'un tel règlement était très marginale 30 ( * ) .

2. La poursuite des déplacements internationaux et des audiences délocalisées pour mieux faire connaître l'activité du Conseil

Dès 2021, le Conseil constitutionnel a repris ses échanges internationaux, en se rendant notamment à la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe pour rencontrer les juges constitutionnels allemands. En 2022, six déplacements à l'étranger , pour un coût total de 58 500 euros , ont été organisés. Une délégation, composée de onze référendaires en fonction auprès des juges de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, a également été accueillie en juin dernier au Conseil constitutionnel pour échanger sur les méthodes de travail des juges constitutionnels allemand et français.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a tenu, pour la sixième fois depuis 2019 et selon une pratique désormais établie, une audience délocalisée à la cour administrative d'appel de Marseille en septembre dernier. Ce déplacement a été l'occasion de mieux faire connaître les missions du Conseil en matière de contrôle de la conformité des lois à la Constitution et, en particulier, la procédure de QPC 31 ( * ) . Il a en outre permis d'approfondir le partenariat que le Conseil constitutionnel et le ministère de l'éducation nationale ont noué depuis 2016 dans l'objectif de diffuser la culture constitutionnelle auprès des élèves des écoles, collèges et lycées. En effet, pour la première fois, les membres du Conseil constitutionnel se sont rendus dans les établissements marseillais Saint-Exupéry et Thiers pour rencontrer des lycéens. Le coût de cette audience hors les murs représente 66 000 euros environ , soit un montant quasiment équivalent à celui qui avait été dépensé, l'année précédente, pour l'organisation d'une telle audience à la cour d'appel de Bourges.

L'ensemble de ces dépenses est imputé sur l'enveloppe dédiée aux relations extérieures et à la communication. Pour 2023, les crédits affectés à cette action représentent 1,93 million d'euros , soit une hausse de 19,32 % par rapport à l'exercice précédent. La quasi-totalité de l'augmentation constatée porte sur les dépenses de personnel, dont les variations sont analysées infra .

Sans remettre en cause l'utilité de tels déplacements, le rapporteur rappelle toutefois qu'ils doivent s'effectuer dans un cadre budgétaire contraint.

3. Un renforcement des moyens adapté aux enjeux de professionnalisation du secrétariat général et au contexte inflationniste

L' exécution budgétaire du Conseil constitutionnel pour 2021 a révélé un déficit de 1,37 million d'euros : alors que 12,02 millions d'euros avaient été initialement alloués en loi de finances initiale, 13,39 millions d'euros ont effectivement été dépensés. Ce déficit a été partiellement financé par les réserves du Conseil, qui s'élèvent à 1,07 million d'euros au 30 juin 2022. Si la sur-exécution constatée en 2021 tient sans doute pour partie au contexte sanitaire, qui a entraîné un surcroît de dépenses difficilement prévisibles, il n'en demeure pas moins que le recours aux réserves comme mode de financement est susceptible de fragiliser, à terme, la structure du budget . Pour y remédier, la revalorisation de la dotation octroyée , qui représente 13,30 millions d'euros pour 2023, soit un montant quasiment équivalent aux dépenses exécutées en 2021, apparaît justifiée . S'agissant de l'exercice en cours, les prévisions d'exécution budgétaire au 31 décembre n'excèdent pas, à ce jour, le montant de l'enveloppe initiale 32 ( * ) .

En 2023, les dépenses de personnel s'élèvent à 7,48 millions d'euros , soit une hausse de 6,21 % par rapport à l'exercice précédent, après neutralisation de l'enveloppe dédiée, en 2022, au contrôle des opérations électorales. Cette augmentation résulte à la fois de l'effet, en année pleine, de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique à compter du 1 er juillet 2022 et du recrutement de huit fonctionnaires de catégorie A intervenu en cours d'exercice. Depuis cinq ans, les effectifs du Conseil constitutionnel ont été revus à la hausse, passant de 68 fonctionnaires toutes catégories confondues en 2017 à 87 en 2022 33 ( * ) . La tendance continue au renforcement des effectifs répond à l'enjeu de professionnalisation du secrétariat général, qui doit permettre au Conseil de disposer des appuis les plus utiles dans les différentes fonctions qu'il est amené à exercer.

Depuis décembre 2021 et afin de garantir le respect des règles de précaution sanitaire, le Conseil constitutionnel loue un local supplémentaire annexe de 154 mètres carrés situé au 7, avenue de l'Opéra. Le bail, d'une durée de neuf ans, peut être résilié à l'expiration de chacune des périodes triennales. Initialement conçue pour être temporaire, la location de ce local a désormais vocation à perdurer, compte tenu de l'évolution de l'effectif du secrétariat général et de la fréquence des pics d'activité pouvant nécessiter des renforts ponctuels 34 ( * ) . Le loyer annuel , fixé à 100 000 euros, hors taxes et autres charges, explique pour partie la hausse des dépenses de fonctionnement (+ 187 000 euros) entre 2022 et 2023.


* 21 L'article 61-1 de la Constitution dispose que « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

* 22 Depuis la mise en place de la procédure, le Conseil constitutionnel a reçu 454 transmissions du Conseil d'État et 571 de la Cour de cassation.

* 23 Site du Conseil constitutionnel.

* 24 Rapports d'activité 2021 et 2022 du Conseil constitutionnel.

* 25 Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020.

* 26 Décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020.

* 27 Le Conseil d'État admet que si une ordonnance non ratifiée peut toujours être contestée devant lui, le contrôle de sa conformité au regard des droits et libertés garantis par la Constitution relève du seul Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une QPC.

* 28 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 29 Décision relative à la loi mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19.

* 30 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 31 Le président Laurent Fabius a ainsi rappelé à cette occasion que le parquet avait qualité pour introduire une QPC, sans que celui-ci ne se soit jusqu'à présent saisi de cette faculté.

* 32 Entretien avec Laurent Fabius, président du Conseil, et Jean Maïa, secrétaire général, le 27 octobre 2022.

* 33 Réponse au questionnaire budgétaire.

* 34 Réponse au questionnaire budgétaire.

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