C. L'APPLICATION DES RÈGLES COMPTABLES ET SON CONTRÔLE

La création d'un comité d'urgence placé auprès du Conseil national de la comptabilité constitue un début de réponse à la difficile question du contrôle de l'application des normes comptables.

1. La question du contrôle de l'application des normes comptables

L'une des faiblesses des règles comptables actuelles réside dans leur absence de sanctions directes. Comme le fait remarquer justement M. Dominique Ledouble 4 ( * ) : « Il est inutile de charger le corpus comptable de règles sophistiquées si celles-ci ne sont pas appliquées ou plus précisément si l'application de celles-ci ne peut être rendue obligatoire. Force est de reconnaître que sur ce point, la situation actuelle n'est guère satisfaisante. »

Les règles comptables ne sont en effet sanctionnées en matière pénale qu'au détour de délits plus larges pour lesquels les juges ne s'en tiennent pas uniquement aux règles comptables et qui supposent la démonstration d'une intention coupable. Par ailleurs, notre droit pénal des affaires exonère assez largement de sanctions, les comptes les plus importants au sens de l'information, c'est à dire les comptes consolidés 5 ( * ) .

L'administration fiscale vérifie bien l'application des normes comptables, mais uniquement dans une perspective fiscale, c'est à dire lorsque le revenu ou le bénéfice a fait l'objet d'une minoration indue.

Les commissaires aux comptes veillent eux aussi à l'application des normes comptables. Mais leur contrôle ne porte que sur une petite minorité des entreprises françaises.

Enfin, il existe bien des organismes chargés de faire appliquer la réglementation comptable (Commission bancaire, Commission de contrôle des assurances), mais leur contrôle ne porte que sur une catégorie déterminée d'entreprises.

Dans ces conditions, on peut envisager deux types de mécanismes destinés à renforcer l'application des règles comptables, selon que l'on se réfère à des pratiques judiciaires ou administratives.

a) Les mécanismes judiciaires

La question se pose dans les termes suivants : l'actionnaire mécontent peut-il aller devant le juge pour obtenir une modification des comptes arrêtés selon lui de manière incorrecte ?

Comme le rappelle le professeur Ledouble, les articles 1268 et 1269 du nouveau code de procédure civile relatifs à ce qu'il est convenu d'appeler « l'exception de compte arrêté » précisent les conditions dans lesquelles les comptes arrêtés entre des parties peuvent être redressés par le juge « en cas d'erreur, d'omission ou de présentation inexacte ».

Ce texte fort ancien est appliqué à toutes les matières relevant des comptes civils (tutelle, communauté, indivision...). Mais son application en droit commercial soulève de nombreuses difficultés. Il n `est pas sûr par exemple, que cette procédure, en admettant qu'elle puisse s'appliquer aux comptes des sociétés, puisse servir à faire rectifier non seulement des erreurs matérielles mais également des erreurs de droit, entendue au sens de mauvais usage ou de mauvaise interprétation des règles s'imposant pour l'élaboration des comptes.

La réforme proposée ne modifie en rien le droit applicable sur ce point. Sans doute le Gouvernement a-t-il estimé que cette question était prématurée. Mais il ne fait pas de doutes qu'elle se reposera une fois le processus de normalisation comptable mené jusqu'à son terme.

b) Les mécanismes administratifs

On peut envisager trois types de mécanismes administratifs.

Les premiers ont trait à la création, au profit des sociétés, d'un mécanisme de sécurité préalable à une prise de position dans le domaine comptable. C'est le domaine du rescrit tel qu'il existe en matière fiscale 6 ( * ) ou en matière boursière 7 ( * ) .

Les seconds visent à prévenir éventuellement les débordements constatés. C'est, par exemple le rôle du Financial Reporting Council britannique. Création récente de la City, ce comité surveille les comptes des sociétés cotées anglaises et rend publiques ses critiques sur la pratique de telle ou telle société, sans préjudice du renvoi de ces cas devant les tribunaux.

Enfin, on peut envisager de favoriser la création rapide de règles comptables adaptées à des situations nouvelles ou inédites. C'est la pratique anglo-saxonne d'un comité de normalisation chargé de réglementer les cas d'urgence. C'est à ce type de contrôle que s'apparente la solution retenue par le Gouvernement.

2. La création d'un Comité d'urgence placé auprès du Conseil national de la comptabilité

Institué par l'article 6 du décret du 26 août, ce Comité d'urgence est chargé de donner un avis sur toute question relative à l'interprétation ou l'application d'une norme comptable nécessitant un avis urgent.

Ce pouvoir d'avis ressemble à la faculté dont disposent les ministres (circulaires interprétatives) ou bien certaines autorités administratives indépendantes comme la COB (article 4-1 de l'ordonnance de 1967) de donner une interprétation des normes qu'ils élaborent. On observera toutefois que dans ces cas, l'autorité qui élabore la norme et celle qui l'interprète sont les mêmes, ce qui n'est pas le cas ici. On observera également que ces autorités ont l'initiative de leur saisine, ce qui n'est pas non plus le cas du comité d'urgence qui ne peut être saisi que par le ministre ou le président du CNC.

Tout dépendra en fait de la pratique : votre rapporteur estime souhaitable que des commissaires aux comptes de sociétés soient libéralement admis à soumettre au Comité d'urgence des problèmes d'interprétation et de mise en oeuvre des normes comptables, appliqués à des cas particuliers. Le comité d'urgence doit être le plus possible ouvert sur les réalités, même si le filtre du président du CNC se conçoit. Mais son utilité serait faible s'il devait fonctionner en « vase clos ».

Le Comité d'urgence est composé du président du CNC, des vice-présidents, du représentant du garde des sceaux, d'un représentant du ministre de l'économie, d'un représentant du ministre du budget et du représentant de la Commission des opérations de bourse.

* 4 «Propos introductifs à une éventuelle réforme comptable» ; Chronique d'actualité, La semaine juridique du 12-04-1990 n° 15 p. 15743 édition entreprise.

* 5 Voir sur ce point le Rapport au Premier Ministre de votre rapporteur relatif à la modernisation du droit des sociétés p. 72 et suivantes.

* 6 Livre des procédures fiscales, article L 64 B

* 7 Règlement COB, n° 90-07

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