B. LA RÉDUCTION DU FORMAT DE L'ARMÉE DE TERRE PROFESSIONNELLE

L'évolution de la structure des effectifs des forces terrestres -augmentation du nombre d'engagés et de civils, réduction du nombre de cadres mais amélioration du taux d'encadrement- ira de pair avec une contraction du format de l'Armée de terre professionnelle.

Votre rapporteur abordera les orientations définies par la loi de programmation, avant d'analyser les mesures prévues pour 1997 en matière d'effectifs et de restructurations.

1. Evolution des effectifs et restructurations envisagées à l'échéance de 2002

a) La réorganisation des différentes composantes des effectifs de l'Armée de terre professionnelle

Le tableau ci-après montre l'évolution des différentes composantes des effectifs des forces terrestres entre 1996 et 2002.

1996

2002

Officiers

17 461

16 080

Sous-officiers

56 644

50 365

Militaires du rang engagés

30 202

66 681

Sous-total militaires d'active

104 307

133 126

Composante service national (appelés puis volontaires)

132 319

(appelés)

5 500

(volontaires)

Personnels civils

31 946

34 000

TOTAL

268 572

172 626

(1) Une déflation particulièrement rapide

En six ans, l'Armée de terre devra donc réduire ses effectifs de 35,7%, soit 95 946 personnes. Cette déflation tient presque exclusivement à la suppression du service national obligatoire, puisque la composante « service national » passera de 49,2 % des effectifs à 3,18 % en 2002, à supposer toutefois que 5 500 volontaires soient affectés à l'Armée de terre.

Cette rapide déflation passe par une révision profonde de l'organisation des forces terrestres, et par une réallocation substantiellement révisée des ressources humaines de l'Armée de terre : il s'agit bien, comme l'ont souligné les interlocuteurs de votre rapporteur, d'une " refondation ".

. Selon les informations transmises à votre rapporteur, la rapidité de ce processus suppose qu'il soit procédé de manière régulière et équilibrée à la réduction du nombre d'appelés . En effet, une réduction trop rapide du nombre d'appelés obligerait à détourner de trop nombreux engagés de la composante projetable en nécessitant leur affectation aux indispensabes emplois de soutien. Le maintien d'un effectif substantiel d'appelés devrait, au contraire, permettre de pourvoir les emplois de soutien indispensables, évalués à 20 000 hommes.

. Par ailleurs, les effectifs des militaires d'active (officiers, sous-officiers, militaires du rang engagés) augmenteront de 27,6 %. Cette augmentation substantielle recouvre des évolutions contrastées selon les catégories : baisse du nombre d'officiers , réduits d'environ 200 chaque année, soit - 7,9 % entre 1996 et 2002, diminution des effectifs de sous-officiers (- 11 % entre 1996 et 2002), tandis que les effectifs d'engagés augmenteront de 120,8 % pendant la période (30 202 en 1996, 66 681 en 2002).

(2) Le cas particulier des EVAT

L'Armée de terre devra, pendant la période de transition, procéder au recrutement de quelque 6 000 EVAT par an, afin d'atteindre en 2002 l'effectif de 66 681 prévu par la loi de programmation.

Or le volume total d'engagements auxquels l'Armée de terre a procédé depuis 1986 n'a jamais dépassé 5090 EVAT, en cumulant les engagements ultérieurs (souscrits à l'issue du service national) et initiaux (issus du secteur civil), comme le montre le tableau ci-après :

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Recrutement initial

3847

3000

2571

2269

2380

2155

2263

2342

1930

2566

Recrutement ultérieur

836

1125

1514

2774

2710

2095

1480

1765

1218

2369

Total

4683

4125

4085

5043

5090

4250

3743

4107

3148

4935

Part du recrutement ultérieur

17,85 %

27,2 %

37 %

55 %

53,2 %

49,3 %

39,5 %

42,9 %

38,6 %

48 %

Recrutement des Evat (1986-1995)

Le recrutement ultérieur constitue donc un apport non négligeable, si l'on en juge par sa part dans le recrutement total, régulièrement comprise entre 49 % et 38 % depuis 1991.

L'effort de recrutement d'EVAT doit donc être intensifié dans la perspective de la professionnalisation, puisque la disparition du service militaire dans sa formule actuelle contribuera à tarir une ressource importante de recrutement d'engagés volontaires de l'Armée de terre. Cet effort impose, selon les informations transmises à votre rapporteur, qu'un budget de près de 100 millions de francs soit consacré au recrutement d'engagés volontaires.

Par ailleurs, la professionnalisation induira nécessairement une certaine féminisation de la catégorie des engagés, qui pourrait atteindre environ 10 % de l'effectif.

L'incidence de la professionnalisation sur le déroulement de la "carrière" d'engagé volontaire est aujourd'hui à l'étude. Le cursus en vigueur depuis 1986 repose sur le principe du contrat long (jusqu'à 15 ans de service, voire 22 sous réserve de la réussite aux certificats militaires), ou du contrat court de 3 ou 5 ans. Il est probable que la professionnalisation conduira à privilégier une formule de contrat court, dont la durée devra être précisée.

Quelle que soit la durée de service privilégiée, l'augmentation des effectifs d'EVAT devra se traduire par une hausse des dépenses liées à la reconversion de cette catégorie, faute de quoi le nombre de vocations d'engagés rendu nécessaire par la professionnalisation risque de ne pas être atteint. Les aides proposées à cet égard par l'Armée de terre sont substantielles. Leur coût comprend notamment la prise en charge de la conversion sous statut militaire (maintien de la solde et de la protection sociale), pendant une durée moyenne de 6 mois. Pour une population de 1 350 EVAT par an, le coût unitaire pour l'Armée de terre de ces reconversions est de 218 000 F, soit un budget annuel de 294,65 millions de francs. Dans la perspective de la professionnalisation, le nombre de bénéficiaires devrait passer à 4 200 par an, faisant baisser le prix unitaire des actions de reconversion, par le biais des économies d'échelle, à 124 000 F environ (selon les estimations fournies à votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport), soit un budget annuel de quelque 520,8 millions de francs environ.

(3) La « civilianisation » de l'Armée de terre

La part des personnels civils dans l'ensemble des personnels de l'Armée de terre est appelée à croître, passant de 11,89 % en 1996 à 19,69 % en 2002, soit une augmentation de 6,42 % des effectifs civils entre ces deux dates.

La diminution du format des armées conduit à affecter les personnels militaires aux emplois opérationnels, et à confier aux personnels civils une part croissante des fonctions de soutien . Dans cette perspective, 19 % des effectifs du personnel de la Défense devraient être civils, au lieu de 14 % aujourd'hui. Les domaines susceptibles d'être confiés aux civils concerneront notamment la gestion du personnel, la gestion budgétaire et comptable, les affaires juridiques et contentieuses, l'informatique et la maintenance. C'est ainsi que trente à quarante civils pourraient être appelés, dans chaque régiment , à assurer le soutien.

Il est très éclairant de noter que c'est l'Armée de terre qui, au terme de la loi de programmation, emploiera la plus grande part des personnels civils du ministère de la Défense. En 2002, en effet, 40,9 % des effectifs civils du Ministère de la Défense seront affectés aux forces terrestres (13,9 % seront employés par la Marine ; 8,11 % par l'Armée de l'Air ; 2,72 % par la Gendarmerie ; 7 % par les services de santé ; et 15,8 % par la Délégation générale à l'armement) 1 ( * ) . Cette forte proportion correspond au souci de recentrer les militaires de l'Armée de terre sur leur mission de projection : tel est l'objectif de la "civilianisation" des forces terrestres.

(4) L'augmentation du taux d'encadrement

L'évolution du format et des composantes des effectifs de l'Armée de terre se traduiront par une sensible augmentation du taux d'encadrement qui, de 31 % actuellement, passera à 48 % en 2002. Cet accroissement est permis par le fait que la diminution des effectifs d'officiers et de sous-officiers n'est pas proportionnelle à la contraction du format des forces terrestres.

. L'Armée de terre conservera donc un volume relativement important d'officiers, en dépit d'une déflation de 1 381 postes . Le maintien d'un effectif significatif d'officiers est justifié, selon les informations transmises à votre rapporteur, notamment par le développement des structures interarmées, et par la nécessité d'accroître la présence de la France dans les états-majors et les organismes internationaux.

. En ce qui concerne les sous-officiers , votre rapporteur a déjà évoqué, dans ses précédents avis budgétaires, la situation qui résulte d'un sureffectif important (environ 1 700 sous-officiers en 1994), lié à l'effet conjugué de la limite d'âge unique, héritage de la loi n° 91-1241 du 13 décembre 1991, à la mise en oeuvre du protocole Durafour, et à la situation sur le marché du travail. Ces différents facteurs ont conduit à un net ralentissement des départs par rapport à la situation qui prévalait jusqu'au début des années 1990. Le sureffectif en sous-officiers a eu pour conséquence un vieillissement sensible du corps, et a nécessité le recours, en 1994, à un plan de résorption qui s'est traduit par un durcissement des conditions d'avancement, et par une baisse très sévère du recrutement, y compris par la voie des corps de troupe. C'est ainsi que 1480 sous-officiers seulement ont été recrutés en 1995, soit une nette diminution par rapport aux 2822 sous-officiers recrutés en 1993 (3451 en 1992).

. Afin d'assurer la meilleure adéquation des effectifs d'officiers et de sous-officiers aux besoins de l'Armée de terre tels que les a définis la loi de programmation, des mesures incitatives favoriseront les départs volontaires des cadres militaires , puisque le recours à une loi de dégagement des cadres a été très opportunément exclu par le Président de la République. Le projet de loi relatif aux mesures en faveur du personnel militaire dans le cadre de la professionnalisation des armées vise précisément à encourager la reconversion des officiers et sous-officiers : votre rapporteur se bornera, sur ce point, à renvoyer à l'excellent rapport de notre collègue Nicolas About.

(5) La nécessaire contribution des forces de réserve

Un tableau des effectifs de l'Armée de terre à l'échéance de la loi de programmation ne serait pas complet sans la mention des forces de réserve.

En effet, la professionnalisation induit le recours accru aux réservistes, appelés, dans l'esprit des réformes annoncées par le chef de l'Etat, à devenir des " militaires à temps partiel ".

Notons que la diminution du format des réserves accompagne celui de l'Armée de terre dans son ensemble, puisque 30 000 réservistes se substitueront aux 195 500 réservistes, dont 44 000 cadres et 500 spécialistes, qu'avait prévus le plan Réserves 2000. Dans ce contexte, les forces de réserve représentaient 46 % du volume de l'Armée de terre en temps de guerre. Sur les 30 000 membres de la première réserve prévus par la loi de programmation, on comptera 15 000 cadres (dont 4 000 officiers), et 15 000 militaires du rang. Ces 30 000 réservistes auront vocation à compléter et renforcer les unités d'active, en occupant des fonctions de spécialistes, en tenant des postes qu'il est désormais impossible de pourvoir en permanence, et en remplaçant des éléments d'active engagés dans des opérations extérieures.

D'autres affectations pourraient concerner des unités de réserve intégrées dans des régiments professionnalisés, où seraient ainsi assurées des missions de sécurité, de projection ou de renfort des éléments logistiques.

La deuxième réserve n'aurait pas besoin d 'être gérée ni financée en permanence. Certains de ses membres pourraient compléter la première réserve. L'essentiel des missions susceptibles d'être confiées aux membres de la deuxième réserve paraît toutefois relever du renforcement du lien armées-nation . L'une des orientations envisageable pourrait être l'animation du "rendez-vous citoyen", qui fait l'objet d'un projet de loi spécifique.

Des efforts nouveaux devront être consacrés aux réserves, en dépit de la diminution de leur format. En effet, deux orientations essentielles seront particulièrement nécessaires dans le contexte issu de la disparition du service national. Il s'agira, d'une part, de recruter, former et fidéliser des réservistes militaires du rang ayant effectué ou non un service militaire. Il sera, d'autre part, indispensable de proposer aux futurs réservistes un système de rémunération et d'incitation attractif. A cet égard, le quasi-échec de la formule des "engagements spéciaux dans la réserve" (ESR) issue de la loi du 4 janvier 1993 , est très éclairant. En effet, le nombre d'ESR souscrit, soit environ 8 000, ne représente qu'un cinquième de l'objectif terminal défini lors de l'élaboration de la loi précitée. Ces résultats sont loin d'être suffisants. La mise sur pied de la réserve sélectionnée dont l'Armée de terre a besoin se heurte, en effet, au manque de disponibilité des réservistes sur le plan professionnel. Cette situation est aggravée par le problème du chômage, et rend plus que jamais nécessaire, dans le contexte d'une Armée de terre professionnelle, l'élaboration d'un statut du réserviste , auquel doivent être associés les employeurs. Votre rapporteur avait analysé ce problème dans son rapport sur L'avenir du service national 2 ( * ) , auquel il se permet de renvoyer pour rappeler les contours envisageables du futur statut du réserviste, qui sera défini par une loi spécifique, dont notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sera saisie au début de l'année 1997.

b) Des restructurations accélérées

C'est pendant les trois premières annuités de la loi de programmation que l'Armée de terre, soucieuse de rallier au plus vite son format futur , procédera à la restructuration des unités des forces . Ce n'est qu'à partir de 2000 qu'interviendront les mesures relatives aux soutiens, à l'environnement des forces et aux structures territoriales. En effet, le maintien de ces fonctions étant indispensable à la conduite des restructurations, leur réorganisation ne pourra être conduite que dans un deuxième temps.

Rappelons que les restructurations à venir s' ajouteront à la dissolution des quelque 19 états-majors, 54 régiments et 86 organismes de soutien à laquelle l'Armée de terre a procédé depuis 1993.

A l'échéance de 2002, l'Armée de terre devrait concentrer encore davantage son implantation territoriale, en supprimant une quarantaine de régiments et plusieurs dizaines de formations , dont la liste figure en annexe au présent rapport pour avis.

De manière générale, le souci des conséquences de ces restructurations pour l' aménagement du territoire s'est traduit par l'allégement du dispositif de la Défense en région parisienne, afin de préserver les villes de province plus dépendantes de la présence militaire. De même, les dissolutions d'unités portent principalement sur les villes où sont stationnées plusieurs unités.

Rappelons qu'un dispositif d'accompagnement social, le programme "formation et mobilité", a été mis en oeuvre par le Ministère de la Défense au profit des personnels civils, afin de tenir compte des conséquences humaines et sociales des restructurations pour ceux-ci.

En ce qui concerne les personnels militaires, dont le statut implique la mobilité géographique, le fonds d'accompagnement de la professionnalisation , doté de 9,1 milliards de francs par la loi de programmation militaire, permettra notamment de financer des mesures d'incitation au départ des cadres, et de compenser le surcroît de mobilité imputable aux restructurations. A cet égard, il s'agira, par exemple, de la revalorisation des frais de changement de résidence pour les catégories les moins bien indemnisées (militaires du rang et sous-officiers subalternes), et de la prolongation de l'autorisation d'absence en vue de l'accomplissement des formalités relatives au changement de résidence. Cette autorisation d'absence en régime de mission passera, ce qui n'est pas sans effet sur les rémunérations, de trois à six jours.

Par ailleurs, il est prévu de faire bénéficier des mesures d'incitation au départ prioritairement, dans la mesure du possible, les personnels militaires concernés par les restructurations.

* 1 C'est toutefois au sein des effectifs de la Marine que la place des civils sera proportionnellement la plus importante, puisque les personnels civils représenteront 20,5 % des effectifs de la Marine (19,7 % des effectifs de l'Armée de terre ; 9,4 % des effectifs de l'Armée de l'air ; 2,3 % des effectifs de la Gendarmerie.

* 2 Sénat, 1995-1996, n° 349.

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