Projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle

OUDIN (Jacques)

AVIS 382 (98-99) - COMMISSION DES FINANCES

Table des matières





N° 382

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 mai 1999

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, portant création d'une couverture maladie universelle ,

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ.) : 1419 , 1518 et T.A. 288 .

Sénat : 338 et 376 (1998-1999).


Assurance maladie maternité.

Mesdames,

Messieurs,

En quelques articles, le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle 1( * ) traite tous les aspects de l'assurance maladie, depuis ses idées les plus généreuses jusqu'aux problèmes les plus techniques de son financement. Il concerne tous les acteurs de la protection sociale : Etat, organismes d'assurance maladie, assureurs, mutuelles, institutions de prévoyance, départements, communes, assurés sociaux, contribuables. Il devrait profiter aux plus démunis et améliorer leur situation. En tout état de cause, il n'est neutre pour personne et se traduira par des transferts financiers importants, des inégalités fortes, des remises en cause profondes de certains principes qui fondaient notre protection sociale depuis 1945.

La couverture maladie universelle est juste quand elle permet d'offrir une protection aux 150 000 personnes qui, aujourd'hui, ne possèdent aucun droit à la santé. Elle doit être financée par la solidarité nationale. L'assurance maladie universelle préparée par le précédent Gouvernement devait ainsi supprimer cette inacceptable exclusion du système de soins.

La création d'une couverture totale et gratuite pour 6 millions de Français ne bénéficiant pas de protection complémentaire doit, quant à elle, se mesurer à l'aune des marges de manoeuvre financières dont dispose notre système de protection sociale. Notre pays possède en effet le double record de la dépense de soins et du niveau des prélèvements fiscaux et sociaux. L'assurance maladie connaît des déficits persistants qu'aucun mécanisme de régulation ne parvient à maîtriser. Il paraît ainsi difficile d'envisager toute dépense supplémentaire hors des indispensables redéploiements au sein d'une enveloppe financière constante allouée à la santé.

Le projet de loi remplace tout d'abord la protection de base qu'offrait le régime de l'assurance personnelle fondé sur le principe de la contributivité et de l'ouverture de droits, par une affiliation automatique sous condition de résidence régulière. Elle devrait permettre de couvrir l'ensemble de la population française par une assurance de base. S'y ajoute une couverture complémentaire assurée, au choix du bénéficiaire, sous condition de ressources, par la CNAMTS ou un organisme de protection complémentaire facultative (assureurs, mutuelles, etc.). Disparaissent donc les mécanismes de prise en charge de cotisations de l'assurance personnelle et l'aide sociale départementale.

Ce système à deux étages présente dans son détail des modalités d'application, de mise en place, de transition qui le rendent extrêmement complexe et donc critiquable. Son financement s'appuie ainsi sur trois piliers : une réallocation de divers transferts financiers actuels sous forme de redistribution de pourcentages de recettes difficilement lisibles et de recentralisation de crédits d'Etat ; une forte augmentation de la participation de l'Etat ; la création d'une taxe nouvelle pesant sur les entreprises ayant une activité protection complémentaire santé. Au bout du compte, son coût reposera sur les générations futures, de contribuables et d'assurés sociaux.

Par ailleurs, la couverture maladie universelle va engendrer des inégalités fortes de situation entre ses bénéficiaires (en dessous des seuils de ressources) et ceux qui en seront exclus, entre assurés sociaux, entre salariés d'une même entreprise, entre régimes de protection sociale, entre départements, entre les assurances et les mutuelles, entre les assurances et mutuelles et l'assurance-maladie. Il risque de susciter une trappe à pauvreté et d'inciter au travail clandestin.

Votre commission des finances a décidé de se saisir pour avis au regard des importantes conséquences financières d'un projet de loi portant sur plus de 18 milliards de francs de dépenses, régimes de base et complémentaire confondus, dont au moins 4,5 milliards seront des dépenses nouvelles pour l'année 2000 et dont tout indique qu'elles iront croissant dans les années à venir. Le chiffrage du projet de loi ne lui est ainsi pas apparu sincère.

Elle a estimé que la création d'une couverture complémentaire gratuite et totale était susceptible de changer la nature même de la sécurité sociale, qu'elle soulevait de vrais problèmes de gestion et qu'elle n'était pas complètement financée.

Laissant à la commission des affaires sociales, saisie au fond, le soin d'apporter au texte du projet de loi les aménagements essentiels qu'il requiert, votre commission des finances a ainsi décidé d'axer sa réflexion autour de trois thèmes : la dynamique du système de financement, ses conséquences pour les collectivités locales et les organismes de protection sociale complémentaire.

I. LA DYNAMIQUE DANGEREUSE DU FINANCEMENT D'UN PROJET LÉGITIME

A. L'EXTENSION DE LA COUVERTURE SOCIALE, INSCRITE DANS L'HISTOIRE DE L'ASSURANCE-MALADIE

1. A la recherche de l'universalité

a) De l'idée de l'universalité à un système différentiel

L'histoire de la protection maladie montre qu'elle est d'abord née du souci de protéger les plus faibles 2( * ) . Les premières initiatives sont, comme pour toute l'histoire de la protection sociale, celles de sociétés mutualistes et d'un patronat ouvert aux questions sociales. L'Etat intervient en 1893, en créant une aide médicale gratuite s'adressant aux nécessiteux et indigents. En 1910 sont énoncés les principes des assurances sociales obligatoires pour les ouvriers et les paysans.

Les idées de l'obligation et de l'universalité inspirent alors les grands débats de l'entre-deux-guerres. L'assurance maladie obligatoire n'est véritablement envisagée en France qu'en 1920, soit 39 ans après l'Allemagne. Le débat naît d'ailleurs d'abord du problème posé par le maintien du régime spécial mis en place en Alsace-Moselle par les Allemands durant leur occupation. S'y ajoutent la question de la dette de la Nation envers les plus de trois millions de blessés de guerre, les veuves et les orphelins et l'inquiétude face à la contestation ouvrière.

Les professions indépendantes, les paysans et les professions libérales s'opposent, ainsi que les syndicats révolutionnaires et le corps médical (malgré l'accord sur un tarif conventionné en 1925, dénoncé en 1927), à l'idée d'assurance maladie obligatoire. Les médecins plaident alors pour le remboursement par les caisses d'un tarif fixé par elle plutôt que l'entente directe au sujet des honoraires. Ils obtiennent gain de cause. Apparaît ainsi le principe du remboursement de base pratiqué encore aujourd'hui : en 1930, le Parlement vote la première assurance maladie remboursant " une part contributive garantie par les caisses " . En même temps que le remboursement de base apparaît donc la nécessité d'un remboursement complémentaire.

Limitée à certaines professions et aux plus pauvres, la protection sociale maladie avant la deuxième guerre mondiale laisse encore de côté la très grande majorité de la population.

b) Le choix trahi de 1945

Les débats sur la mise en place de la Sécurité sociale en 1945 montrent l'intention des concepteurs de mettre en place une protection universelle et unique, selon un modèle beveridgien 3( * ) . Le plan Beveridge de 1942 au Royaume-Uni prévoyait ainsi les deux composantes de l'universalité : la généralité de la couverture et l'uniformité des prestations. Se dégage alors un courant universaliste en matière de protection sociale, attribuant une protection à tout résident selon ses besoins et ressources (conditions absentes du plan de Beveridge). La France fait, elle, le choix d'un courant intermédiaire entre celui-ci et le courant plus professionaliste, où la protection contre le risque s'inscrit dans le cadre du contrat de travail. La première conception se heurtait en effet en 1945 aux réticences de certaines professions et aux idées de démocratie sociale. D'où les principes fondateurs de notre sécurité sociale : universalité, unité, uniformité et gestion paritaire. D'où aussi cependant une organisation ne reflétant pas ces principes, les ordonnances se contentant d'appeler à l'harmonisation et à l'extension des régimes mis en place.

Le choix de 1945 n'est donc pas celui de l'universalité. Demeurent les régimes spéciaux de certaines professions, principalement les administrations de l'Etat, les collectivités locales, les marins, les mineurs, les cheminots, et de certains organismes (Comédie française, Opéra de Paris, Banque de France, Compagnie générale des eaux, EDF-GDF, Crédit foncier de France, clercs de notaire, ports autonomes, chambres de commerce, etc.). Les cadres sont intégrés, mais ils peuvent cotiser à partir d'un plafond de ressources aux régimes particuliers existant avant la guerre et qui donnent naissance à la protection complémentaire. Certaines professions sont exclues, à commencer par les indépendants.

La généralisation qui se met alors en place n'est pas non plus marquée du sceau de l'universalité, puisqu'elle prend la forme de régimes autonomes et non pas d'une intégration dans le régime général. Il faut attendre la loi du 12 juillet 1966 pour que les " non-non " (travailleurs non salariés, non agricoles) bénéficient du régime d'assurance maladie qu'ils avaient toujours refusé : la CANAM est créée.

L'histoire de l'édification de la Sécurité sociale montre donc que passée l'aspiration de 1945 à une protection universelle, la généralisation ne s'est pas faite par l'intégration des régimes et des prestations mais par l'empilement de premiers et l'éclatement des seconds. Cela explique le nombre de personne exclues du système et le souci, à partir de 1972, de revenir à une protection véritablement universelle.

c) Elargissement et approfondissement de la protection depuis les années 1970

Le législateur a conduit depuis la loi du 3 juillet 1972 un effort d'harmonisation des régimes, notamment par le biais de la compensation financière instaurée en 1974. Mais surtout, il s'est penché sur le sort des exclus du système. Ceux exerçant une activité non répertoriée au registre du commerce ou dans les chambres de métiers, les ordres professionnels et les chambres de commerce ainsi que ceux sans activité échappaient en effet à tous les régimes. Il fallait trouver un régime de rattachement, mettre en place des mécanismes de ressources pour compenser l'absence de cotisations des plus démunis et remplacer pour les autres le revenu professionnel par une autre base de cotisation. La loi du 4 juillet 1975 fixait ainsi dans son article premier cet objectif : " un projet de loi prévoyant les conditions d'assujettissement à un régime obligatoire de sécurité sociale de toutes les personnes n'en bénéficiant pas devra être déposé au plus tard le 1 er janvier 1977 " .

La loi du 2 janvier 1978 relative à la généralisation de la sécurité sociale se donne pour ambition d'y répondre. Elle renonce à l'assurance maladie universelle et obligatoire, pour créer un régime de l'assurance personnelle facultative. Les pouvoirs publics prennent en charge les cotisations de ceux ne pouvant les assumer. Ainsi, l'assurance maladie s'est-elle progressivement généralisée en maintenant le principe de l'affiliation professionnelle et de la contribution nécessaire à l'ouverture de droits.

L'objectif d'universalité a donc été approché par la création de l'assurance personnelle. Il n'a cependant pas été complètement atteint, ce qui justifie une nouvelle intervention du législateur.

De l'assurance volontaire à l'assurance personnelle

" L'assurance personnelle trouve son origine dans la faculté d'adhérer volontairement au régime général d'assurance maladie ouverte à certaines catégories d'ayants-droit dès l'ordonnance du 19 octobre 1945. Après l'institution de régimes d'assurance maladie pour les non salariés, ce régime concernait essentiellement des personnes sans activité professionnelle et se caractérisait par un niveau élevé de cotisations, souvent aggravé par l'obligation de rachat des cotisations afférentes aux années antérieures ; dans son principe même, il excluait les personnes les plus défavorisées.

C'est pourtant une formule dérivée de ce système qui fut choisie par la loi du 2 janvier 1978 pour assurer au prix de son élargissement et d'une transformation de ses modalités, la généralisation de la sécurité sociale dont le principe avait été posé par la loi du 4 juillet 1975. Faute d'un régime unique ouvert à tous, et obligatoire pour tous, la transformation de l'assurance volontaire en assurance personnelle crée un régime d'accueil pour des groupes sociaux très divers dont certains disposent de revenus (rentiers titulaires de revenus fonciers, membres de professions diverses telles que voyants, mages, cartomancienne, détectives privés, récupérateurs de ferraille,...) et d'autres relèvent plus ou moins de la solidarité nationale.

La loi du 2 janvier 1978 instituait une relation forte entre l'assurance personnelle, établie en principe, comme l'assurance volontaire à l'origine, sur une base contributive, et l'aide sociale en prévoyant que celle-ci pourrait prendre en charge, en tout ou partie, les cotisations dont les assurés seraient personnellement redevables. "


Source : Cour des Comptes, Rapport annuel au Parlement sur la Sécurité sociale , septembre 1995

2. Une réponse aux besoins des Français souffrant d'exclusion de soins

a) L'échec de l'assurance personnelle, coûteuse et inefficace

La nécessité d'une couverture maladie universelle provient du constat de l`échec de l'assurance personnelle à remplir efficacement son rôle de protection sociale généraliste. Comme l'indique la Cour des Comptes en 1995 : " Cette enquête a montré que l'assurance personnelle ne remplit que partiellement son rôle au service des exclus de l'assurance maladie et que sa gestion soulève de nombreuses difficultés " .

En effet, ce régime n'a plus sa raison d'être d'abord parce qu'il recouvre des situations trop différentes. Son extension a en effet suivi les deux voies parallèles de la poursuite de l'objectif de l'assurance volontaire - régime contributif pour personnes bénéficiant de revenus - et de l'extension de son champ au coup par coup. Se retrouvent ainsi dans le même régime : les assurés personnels acquittant eux-mêmes leurs cotisations (assises sur les revenus ou bien selon une cotisation forfaitaire), les assurés hors RMI pris en charge par une autre institution (allocation spéciale vieillesse, aide sociale, etc.) et les titulaires du RMI.

Répartition des assurés personnels suivant le mode de prise en charge
de leur cotisation

Effectif au 31 décembre 1998

 
 

Assurés acquittant leur cotisation en totalité

55.153

9 %

Titulaires d'une prise en charge de cotisation :

- par la Caisse des Dépôts et Consignations

45.370

7 %

- Par la Caisse d'Allocations Familiales

128.199

21 %

- Par une collectivité publique d'aide médicale (Etat, Conseil Général)

381.622

63 %

TOTAL

610.344

100 %

source : CNAMTS

Chacun est traité selon un barème différent et avec une prise en charge par un organisme différent, comme le montre ce tableau tiré du rapport de la Cour des Comptes :

Tableau simplifié de la situation des ressortissants des minima sociaux
au regard de la couverture maladie

Catégories d'assurés sociaux

Plafond de ressources mensuel pour personne seule (1 er janvier 1999)

Couverture

 
 

Organisme payeur de la cotisation

Couverture complémentaire
(ticket modérateur et frais de journée)

RMI Aide sociale métropole

2502

département

département

RMI Aide sociale sans résidence stable (SRS)

2502

Etat

Etat

RMI - CAF

2502

CAF ou MSA

aide sociale

Jeunes 17-25 ans (sous cond. RMI)

2502

aide sociale

aide sociale (facultative)

Assistés médicaux - SRS sur barème Etat

2502

Etat

Etat

Autres assistés médicaux départementaux

Règlement départemental d'Aide Médicale

département

selon règlement département

Autres assistés médicaux (hors barème)

Examen besoins/ressources/
charges

aide sociale (facultatif)

aide sociale (facultative)

Veuvage

3930

aide sociale

aide sociale

ASV

3540

CDC

aide sociale (facultatif)

Prestataires familiaux prise en charge partielle

(pour 2 enfants) PEC totale

de 480 à 10.338

480

CAF ou MSA

(total ou partiel)

aide sociale (facultatif)

Source : Cour des Comptes

L'assurance personnelle versait en 1998 plus de 11 milliards de francs de prestations réparties entre une dotation au budget global des établissements hospitaliers pour 48 % et des prestations pour 52 %, soit une dépense de soins de plus de 9 400 F par assuré. Elle a reçu la même année 7,2 milliards de francs de cotisations. Elle avait 610 344 ressortissants au 31 décembre 1998. Et pourtant elle ne suffisait pas à assurer l'universalité de la couverture maladie de base.

b) L'exclusion financière des soins difficilement acceptable

L'exclusion des soins se présente sous deux aspects très différents : il y a une exclusion juridique et financière de la couverture de base d'une part, une exclusion financière de la couverture complémentaire d'autre part. Il convient néanmoins de remarquer que toute personne se présentant dans un hôpital public est en droit d'y trouver l'assistance médicale que son état requiert.

Le Gouvernement estime à 150 000 personnes le nombre d'exclus de tout système d'assurance maladie. La cause en est à rechercher dans les problèmes subis lors du passage entre deux régimes (délai d'attente pour la radiation d'un régime, formalités lourdes), dans le montant élevé des cotisations personnelles proportionnelles au revenu de l'assurance personnelle et dans l'exclusion pure et simple des catégories les plus défavorisées de la population, hors de tout système social (sans-abri, illettrés). Pour résoudre ces difficultés, il faut abandonner le critère professionnel ou social pour celui de la résidence.

La seconde exclusion est à la fois plus délicate et plus aisée à établir. La Sécurité sociale a connu au gré de ses dix-sept plans de réforme successifs une série de déremboursements. Cette évolution laisse donc à l'assuré une part croissante de dépenses à prendre en charge, directement ou indirectement. Ainsi, la part des organismes de protection complémentaire dans le financement de la santé en France n'a fait qu'augmenter depuis les années 1970. Cependant, cette protection complémentaire s'effectue d'une manière très inégale dans l'ensemble de la population au regard du niveau de revenu.

Le mode d'obtention de la couverture complémentaire

(en %)

 

Taux de personnes couvertes par couverture complémentaire obtenue

Niveau de revenu

mensuel par UC


A leur initiative

Par leur entreprise et c'est obligatoire

Par leur entreprise et ce n'est pas obligatoire

Mode d'obtention autre ou inconnu


Total

Moins de 2.000 Francs/uc

26

4

13

4

47

2.000 à 3.000 Francs/uc

37

13

21

1

72

Plus de 3.000 Francs/uc

34

23

32

2

91

Ensemble (y c inconnu)

32

21

28

3

84

source : CREDES

Évolution de la part de chacun des financeurs de la protection sociale

(en millions de francs)

 


1988


1992


1997


Evol. 88-97


Evol. 92-97

Evolution moyenne annuelle

Dépense de soins et biens médicaux


548.066


649.283


710.830


29,7


9,5


2,97

Sécurité sociale

71,7 %

72,3 %

71,4 %

- 0,4 %

- 1,2 %

- 0,04 %

Etat et collectivités locales

4,2 %

3,7 %

3,8 %

- 10,0 %

2,7 %

- 1,0 %

Ménages + complémentaires

24,7 %

24,8 %

25,2 %

2,0 %

1,6 %

0,2 %

dont complémentaires

 

10,5 %

11,9 %

 

13,3 %

2,2 %

Hospitalisation

266.769

312.886

349.843

31,1 %

11,8 %

3,11 %

Sécurité sociale

90,2 %

89,8 %

89,0 %

- 1,3 %

- 0,9 %

- 0,13 %

Etat et collectivités locales

1,7 %

1,2 %

1,1 %

- 35,0 %

- 8,3 %

- 3,5 %

Ménages + complémentaires

9,8 %

9,0 %

9,9 %

1,0 %

10,0 %

0,1 %

dont complémentaires

 

3,2 %

3,7 %

 

15,6 %

2,6 %

Soins ambulatoires

160.865

189.593

195.298

21,4 %

3,0 %

2,14 %

Sécurité sociale

60,7 %

58,7 %

57,8 %

- 4,6 %

- 1,5 %

- 0,48 %

Etat et collectivités locales

0,7 %

0,6 %

0,8 %

14,0 %

33,3 %

1,4 %

Ménages + complémentaires

38,6 %

40,8 %

41,4 %

7,0 %

1,5 %

0,7 %

dont complémentaires

 

16,6 %

19,6 %

 

16,7 %

2,8 %

Dentistes

34.737

42.198

43.160

17,5 %

2,3 %

1,75 %

Sécurité sociale

39,7 %

34,1 %

31,8 %

- 19,9 %

- 6,7 %

- 1,99 %

Etat et collectivités locales

0,2 %

0,1 %

0,3 %

50,0 %

200,0 %

5,0 %

Ménages + complémentaires

60,2 %

65,7 %

67,9 %

13,0 %

3,3 %

1,3 %

dont complémentaires

 

24,8 %

30,6 %

 

23,4 %

3,9 %

Pharmacie

100.323

118.196

134.400

34,0 %

13,7 %

3,4 %

Sécurité sociale

59,4 %

61,2 %

60,8 %

2,4 %

- 0,7 %

0,24 %

Etat et collectivités locales

0,8 %

0,7 %

0,9 %

13,0 %

28,6 %

1,3 %

Ménages + complémentaires

39,8 %

38,1 %

38,3 %

- 4,0 %

0,5 %

- 0,4 %

dont complémentaires

 

17,7 %

19,1 %

 

7,9 %

1,3 %

Lunettes et orthopédie

12.028

17.758

19.806

64,7 %

11,5 %

6,47 %

Sécurité sociale

39,1 %

41,4 %

41,3 %

5,6 %

- 0,2 %

0,56 %

Etat et collectivités locales

1,2 %

0,6 %

0,5 %

- 58,0 %

- 16,7 %

- 5,8 %

Ménages + complémentaires

59,6 %

58,0 %

58,2 %

- 2,0 %

0,3 %

- 0,2 %

dont complémentaires

 

27,6 %

37,1 %

 

34,4 %

5,7 %

Source : FNMF

Cela génère des effets pervers importants, à commencer par une plus grande exclusion des soins de ceux qui ont déjà une faible couverture. Un déremboursement conduit à l'augmentation de la protection complémentaire de la population la plus intégrée et solvable, et à des difficultés accrues d'accès aux soins pour les plus démunis.

Taux de protection par une couverture complémentaire et
renoncement aux soins selon le milieu social

(en %)

 

Taux de protection par une assurance complémentaire

Taux de renoncement aux soins au cours de l'année

Agriculteur

84,4

6,4

Ouvrier non qualifié

69,9

18,1

Ouvrier qualifié

82,1

17,7

Employé

79,4

24,4

Profession intermédiaire

92,1

17,8

Cadre supérieur

90,9

11,2

Artisan-commerçant

82

14,9

Ensemble de la population

86,4

16,5

source : CREDES

Il faut néanmoins relativiser ce constat d'une part en rappelant que la définition du renoncement aux soins reste subjective, d'autre part en indiquant que les filets de protection existent et que l'aide sociale et l'action sociale apportent à beaucoup un soutien qui leur permet de recourir aux soins de base.

La couverture maladie universelle a pour but légitime de remédier à cette exclusion.

3. La couverture maladie universelle se contente d'achever la généralisation, alors que l'assurance maladie universelle esquissait réellement l'universalité recherchée depuis 1945

a) Le tabou de l'unification des régimes de protection sociale : pour une véritable universalité de l'assurance maladie

Un régime universel assure une protection générale et unique. Un régime généralisé, lui, admet en son sein des différences. L'universalité recherchée par la couverture maladie universelle, et avant elle par l'assurance maladie universelle, pose ainsi la question de l'opportunité d'un régime unique de protection sociale maladie.

Plusieurs arguments peuvent s'y opposer. Ce sont d'abord les raisons qui expliquent l'existence de très nombreux régimes distincts, la persistance de traditions professionnelles qui recouvraient auparavant des situations réellement différentes entre professions et réellement similaires au sein d'une même profession. Ces caractéristiques se sont considérablement atténuées et laissent la place à des intérêts corporatistes d'avantages acquis ou bien du refus de participer à une plus grande solidarité financière. Ensuite, s'y opposent des arguments libéraux pour lesquels un régime unique, donc géré par l'Etat, engendrerait des prélèvements importants. Les libéraux plaident le plus souvent pour un régime universel de base prenant la forme de minima sociaux et laissant à l'initiative privée le soin d'une protection complémentaire.

Les arguments existent pourtant pour un régime universel et unique. On les trouve dans le principe de la solidarité nationale qui proscrit les fortes inégalités de situation résultant nécessairement de régimes nombreux et différentes. Ensuite, un tel régime permettrait une gestion optimale et équitable d'une ressource, les prélèvements sociaux, dont la progression doit être maîtrisée. L'universalité de la protection maladie se justifie d'autant plus que la santé constitue un droit attaché à la personne et non au travail. En revanche, l'adjonction de systèmes de protection complémentaire n'est pas incompatible avec l'objectif universaliste, si leur présence n'incite pas les pouvoirs publics à se décharger sur eux de l'exercice de la protection par le biais du ticket modérateur et du déremboursement. Parce qu'il résoudrait les inégalités actuelles et simplifierait le système de protection sociale, la recherche d'un régime universel peut donc constituer un objectif légitime aujourd'hui.

b) Le projet du précédent Gouvernement : l'assurance maladie universelle

Le précédent Gouvernement avait développé l'idée d'une assurance maladie universelle appelant une simplification de l'ouverture de droits en créant un droit propre à l'assurance maladie pour tout résident majeur. En ce sens, elle répondait réellement à l'objectif d'universalité.

L'assurance maladie universelle se faisait sur critère de résidence et entraînait ainsi des modifications profondes au bénéfice des assurés : simplification de l'ouverture de droits, continuité de la prise en charge, affiliation directe des ressortissants de l'assurance personnelle. Cela imposait de définir des critères nouveaux de rattachement des personnes couvertes aux régime professionnels dont l'existence n'était pas remise en question. Elle conduisait aussi à la suppression de l'assurance personnelle. Son financement s'inscrivait dans le cadre de la substitution de la CSG aux cotisations maladie, en harmonisant les efforts contributifs et les prestations offertes à partir de la référence du régime général. Le projet s'accompagnait d'un renforcement de la solidarité financière entre les régimes et d'une clarification des règles de transferts.

Les différences sont donc nombreuses avec la couverture maladie universelle. L'assurance maladie universelle se proposait d'ouvrir un droit personnel aux prestations, droit universel pour tout résident en situation régulière, sans contrepartie contributive ni justification de situation familiale ni limitation de durée. En revanche, le rattachement au régime restait aligné sur l'activité. Les actifs demeuraient dans leur régime, même en cas de cessation d'activité. Les inactifs étaient, eux, rattachés au régime général. Les ayants-droit pouvaient choisir entre le régime général et le régime socioprofessionnel dont ils ressortissaient.

Il s'agissait donc d'une fusion de l'assurance personnelle dans le régime général et d'une simplification de l'ensemble du système pour en limiter les exclus. Restée à l`état de projet, l'assurance maladie universelle apportait une réponse simple au problème de la couverture de base en remplaçant le critère professionnel par le critère de résidence pour l'ensemble des assurés et en harmonisant les différents régimes, autant de choses que ne fait nullement la couverture maladie universelle.

c) Le projet de l'actuel Gouvernement : une couverture maladie généralisée

La couverture maladie universelle est une réponse à l'exclusion de soins par l'aménagement du système existant d'assurance maladie. Il ne simplifie donc que la protection sociale des plus démunis en maintenant la superposition d'un mécanisme particulier. En réalité, il généralise la protection contre la maladie, mais ne résout en rien les autres problèmes posés par la coexistence de régimes nombreux et disparates. Pire, il s'y heurte.

La généralisation est achevée par le biais de la couverture, mais l'universalité n'est pas atteinte. En effet, le projet de loi ne substitue pas le critère de résidence au critère professionnel mais l'y superpose, ce qui aggrave la complexité tant dénoncée. Il n'aborde pas la question de l'harmonisation des différents régimes et laisse donc subsister les graves inégalités de prestations et de cotisations.

Ainsi, la couverture maladie universelle, parce qu'elle n'aborde pas la question du rapprochement des régimes, ne répond pas à l'objectif d'universalité mais à celui de généralité. Il aurait donc mieux valu parler de couverture maladie généralisée.

B. LES DIFFICULTÉS IMMÉDIATES DU FINANCEMENT DE LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

1. Le montage financier : des réaffectations de recettes, des dotations budgétaires et un prélèvement obligatoire

a) Le financement de la couverture de base : un montage financier complexe

La couverture de base sera assumée par le régime général de l'assurance maladie. Elle est déconnectée de tout paiement de cotisation ouvrant droit à prestation en dessous d'un seuil de revenus fixé par décret et pour l'instant annoncé à 3.500 F par mois pour une personne seule. Le projet de loi met en place dans ses articles 9 à 13 une mécanique complexe pour essayer de rendre le plus neutre financièrement possible pour la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ce transfert de charges.

Le texte aménage en effet les transferts existants autour de l'actuelle assurance personnelle pour rendre la nouvelle couverture de base la plus neutre financièrement possible lors de sa première année de mise en place. Il fait ainsi disparaître l'ensemble des cotisations versées par les départements, l'Etat, la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et les assurés. Pour équilibrer l'ensemble, il procède à des transferts de recettes au profit de la CNAMTS.

La CNAF transfère à la CNAMTS 28 points sur les 50 points du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement qui lui sont affectés, soit 2,7 milliards de francs pour un allégement de 2,38 milliard de francs de dépenses. Au total, elle supporte une perte de 320 millions de francs justifiée, d'après le Gouvernement, par la non prise en charge de cotisations d'assurance personnelle pendant plusieurs années, au détriment des départements.

Pour compenser la charge actuelle de 4,05 milliards versés par les départements et l'Etat au titre de l'aide médicale gratuite, la CNAMTS obtient l'affectation à son profit d'une fraction du produit des droits de consommation sur les tabacs (3,5 milliards de francs), soit une différence de 550 millions de francs.

La CNAMTS récupère 5 points des 60 % des droits de consommation sur les alcools affectés au FSV, soit une recette de 600 millions de francs compensant 610 millions de dépenses supprimées par ce dernier.

Les cotisants voient leurs cotisations se réduire, pour passer de 440 à 100 millions de francs, ce qui représente une perte de recettes pour la CNAMTS de 340 millions de francs.

La CNAMTS doit par ailleurs prendre en charge l'intégralité du déficit de l'assurance personnelle, actuellement réparti entre les régimes obligatoires, soit un surcroît de dépenses de 570 millions de francs. En compensation, elle devrait percevoir 830 millions de francs au titre de la cotisation sur les véhicules terrestres à moteur. Les 260 millions de francs de différence aujourd'hui perçus par les autres régimes devraient être compensés par une subvention de l'Etat.

Enfin, la CNAMTS devra supporter le coût de l'extension du champ de la couverture de base, estimé à 600 millions de francs.

Synthèse du financement annoncé par le Gouvernement pour la première année de la couverture de base de la CMU

Pertes de recettes et dépenses supplémentaires

 

Recettes supplémentaires et moindres dépenses

 

CNAF

 
 
 

reprise de 28 points sur les 50 qu'elle touche du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement

2,7 MMF

suppression des cotisations à l'assurance personnelle

2,38 MMF

 
 

Perte nette

0,32 MMF

CNAMTS

 
 
 

Perte des cotisations de la CNAF à l'assurance personnelle

2,38 MMF

Affectation de 28 points sur les 50 qu'elle touche du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement

2,7 MMF

Perte des cotisations versées par l'Etat et les départements au titre de l'assurance personnelle

4,05 MMF

Fraction du produit des droits de consommation sur les tabacs

3,5 MMF

Perte es cotisations versées par le FSV

0,61 MMF

Fraction des 60 % des droits de consommation sur les alcools affectés au FSV

0,6 MMF

Prise en charge du déficit de l'assurance personnelle

0,57 MMF

Cotisation sur les véhicules terrestres à moteur

0,83 MF

Perte de cotisations des assurés

0,44 MMF

Cotisations nouvelles des assurés

0,1 MMF

Extension du champ

0,6 MMF

Perte nette

0,92 MMF

Départements

 
 
 

Reprise de 95 % des sommes affectées à l'aide médicale sous forme de DGD

8,7 MMF

Suspension du versement des prestations d'aide médicale

9,15 MMF

Gain net

0,45 MMF

 
 

Etat

 
 
 

Subvention aux régimes spéciaux pour compenser la perte de recettes liée à l'arrêt de la cotisation sur les véhicule terrestres à moteur

0,26 MMF

Perte nette

0,26 MMF

Cette tuyauterie apparaît comme éminemment critiquable dans les transferts financiers qu'elle met en oeuvre au titre de l'affectation de ressources diverses. Deux principales critiques se font jour. La première concerne l'affectation de la contribution obligatoire des assurés automobiles au titre de la cotisation sur les véhicules terrestres à moteur. Celle-ci avait été créée pour compenser la charge pesant sur les régimes obligatoires de sécurité sociale suite aux accidents de la circulation. Cependant, cette charge pèse autant sur la CNAMTS que sur la CANAM et la MSA, ce qui expliquait la répartition de son produit entre les trois organismes. L'affectation totale au profit de la CNAMTS pourrait donc justifier dans l'avenir une augmentation de cette contribution au profit de ceux qui en ont été privés par ce projet de loi, la faisant revenir à son lien initial avec les accidents de la route.

Par ailleurs, les transferts de droits sur les alcools opérés par l'article 9 du projet de loi soulève deux ambiguïtés. D'abord elle réduit la part des droits sur les alcools perçus par le FSV de 5 points la faisant passer de 60 à 55 %. Comme les 40 % restants perçus par l'ACOSS demeurent inchangés, dans l'état actuel du projet de loi le solde de 5 % ne lui revient pas à droit constant (l'article L. 139-1 du code de la sécurité sociale n'est pas modifié). Le texte s'appuie donc sur un équilibre financier qu'il n'achève même pas juridiquement ! D'autre part, le transfert devrait se faire au 1 er janvier 2000 mais ne tiendra pas compte des créances. Donc certaines sommes dues au titre de 1999 mais seulement recouvrées en 2000 seront transférées alors qu'elles ne l'auraient pas dû.

b) Le financement de la couverture complémentaire : budget de l'Etat et prélèvement obligatoire

Le texte crée à son article 25 un fonds de financement de la protection complémentaire. Il doit prendre en charge le coût de la couverture complémentaire, évalué la première année à 1500 F par an et par bénéficiaire pour 6 millions de personnes, soit 9 milliards de francs. Il obéit à un principe inégal : reversement pour les organismes privés (dès qu'un organisme prend en charge un bénéficiaire de la CMU, il reçoit cette somme forfaitaire), remboursement au franc le franc pour l'assurance maladie.

Les recettes de ce fonds proviennent :

• d'une contribution de 1,75 % du chiffre d'affaires des activités " santé " des mutuelles et des compagnies d'assurance, avec un paiement trimestriel. Cette contribution est nette des reversements aux mêmes organismes par le fonds pour la prise en charge de bénéficiaires de la CMU (1500 F par affilié), chaque organisme ne versant au fonds que la différence (ou percevant le surplus théorique) entre sa contribution et les reversements ; sa ressource est estimée à un montant maximum de 1,8 milliard de francs ;

• d'une subvention d'équilibre de l'Etat évaluée ex post , estimée en première année à 7,2 milliards de francs au moins.

Le financement du volet complémentaire de la couverture maladie universelle repose ainsi sur un prélèvement obligatoire nouveau et sur une subvention d'équilibre qui servira de variable d'ajustement. Or comment est-elle financée dans les crédits de l'Etat ? L'étude d'impact révèle qu'il manque au moins 1,7 milliards de francs la première année du financement. Mais de plus toute hausse des dépenses du fonds ou toute baisse de ses recettes pèsera entièrement sur l'Etat, sauf à augmenter davantage la contribution des organismes de protection complémentaire.

2. Le coût initial du projet de loi n'est jamais neutre

a) Pour les organismes de Sécurité sociale

En l'état actuel du projet, le coût pour la Sécurité sociale peut être estimé à au moins 1,24 milliards de francs.

En effet, le transfert de l'ancienne assurance personnelle et les changements de règles d'accès devraient se traduire par un coût de 920 millions de francs pour la CNAMTS (7,73 milliards de recettes nouvelles contre 8,65 milliards de dépenses ou moindres recettes dont 600 millions liés à l'extension du champ des personnes couvertes). En y ajoutant le coût de 320 millions de francs pour la CNAF, le total est de 1,24 milliard de francs pour la Sécurité sociale, au lieu des 900 millions annoncés par le Gouvernement.

Cependant, il faut ajouter à ces chiffres les fortes tensions qui pèsent sur le mécanisme de financement. Il s'agit d'abord des frais d'accueil et de gestion pour l'assurance-maladie des nouveaux bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Ces frais de gestion devaient être nuls en raison des économies de personnel et de moyens dégagées par la mise en place de la transmission informatique des feuilles de soins par le biais de la carte Sésam-Vitale. Ce système ne rencontre pas le succès escompté et la CNAMTS a dû souscrire un nouvel accord en mai 1999 avec les généralistes pour accélérer la transmission. En attendant, le traitement des feuilles s'effectue toujours manuellement et les moyens d'accueillir les bénéficiaires de la couverture maladie universelle n'existent pas. De plus, l'instruction des dossiers exigera un savoir-faire dont la CNAMTS est aujourd'hui dépourvue en matière de vérification des ressources. Il va lui falloir effectuer des investissements informatiques et de formation afin d'être en mesure de traiter les demandes d'affiliation.

Les coûts de gestion futurs de la CNAMTS

" Les coûts de gestion induits sont en cours d'estimation et ne pourront être précisés que lorsque les tâches incombant à l'assurance maladie seront précisément définies.

D'après une première approche qui reste à confirmer, la charge de travail supplémentaire qui pèsera sur les services administratifs des caisses primaires d'assurance maladie, principalement liée à l'accueil des personnes concernées, à l'examen des déclarations de ressources pour les bénéficiaires non Rmistes, et aux liaisons avec les organismes complémentaires pourrait représenter près de l'équivalent de 3 000 agents temps plein. La charge est actuellement difficile à estimer pour les autres services (comptabilité par exemple).

D'autres charges peuvent s'y ajouter : équipements liés à la scannerisation des déclarations de ressources, extension des locaux d'accueil,... sachant que les dépenses de personnel représentent environ 80 % du budget des caisses primaires.

Par ailleurs, les caisses primaires bénéficiaient, sous forme de recettes propres, de frais de gestion payés par les conseils généraux pour les services rendus en matière de gestion de l'aide médicale. Actuellement rien n'est prévu dans le cadre de la couverture maladie universelle. "

source : CNAMTS

Les deux autres régimes d'assurance maladie, la Mutualité sociale agricole (MSA) et la Caisse autonome d'assurance maladie des travailleurs indépendants et professions libérales (CANAM) vont également subir de lourdes conséquences financières, non chiffrées par le Gouvernement. En effet, l'un et l'autre régime subiront la " concurrence " de la couverture maladie universelle. Les niveaux de seuils de ressources annoncés, bien que demeurant en deçà du seuil de pauvreté, semblent assez élevés pour que, sur la base des revenus connus par l'Observatoire économique et sociale de la MSA, un pourcentage important de la population agricole active et retraitée soit concernée : environ 210 000 chefs d'exploitation pour la MSA.

b) Pour l'Etat

Le coût pour l'Etat est estimé à un minimum de 1,71 milliard de francs la première année de mise en place du dispositif.

L'Etat récupérera en effet sous forme de minoration de la dotation globale de décentralisation 95 % de la somme dépensée chaque année par les départements au titre de l'aide médicale, soit 8,69 milliards de francs. Par ailleurs, ses dépenses au titre de l'aide médicale devraient diminuer de 400 millions de francs. Au total, ces moindres dépenses doivent être considérées comme un montant maximum.

Les dépenses supplémentaires et les moindres recettes ont, elles, un caractère plus aléatoire.

La subvention au fonds de financement s'élève à 7,2 milliards de francs. Il s'agit cependant d'un solde dépendant du montant du produit de la contribution sur les organismes complémentaires, qui ne pourra dépasser 1,8 milliard de francs. Cependant, si ceux-ci prennent en charge 1,2 million des 6 millions de bénéficiaires attendus de la CMU, cette contribution ne rapportera rien, et l'Etat devra prendre en charge l'intégralité des dépenses du fonds, c'est-à-dire des dépenses supportées par l'assurance maladie au titre de la couverture complémentaire.

De plus, le Gouvernement prévoit une diminution des interventions de l'Etat au titre de l'aide médicale de 400 millions de francs alors qu'il étend le champ de sa protection à des publics jusque là couverts par l'intervention des départements.

Enfin, seule donnée stable, l'Etat devra verser des subventions compensatrices aux régimes spéciaux pour 260 millions de francs.

Couverture maladie universelle : conséquences financières pour l'Etat

Recettes (ou moindres dépenses)

Milliards de francs

Dépenses (ou moindres recettes)

Milliards de francs

Diminution du coût de l'aide médicale Etat

0,40

Subvention au fonds de financement

7,20

Diminution de dotation générale de décentralisation


8,69

Affectation d'une fraction des droits de consommation sur le tabac à la CNAMTS


3,50

 
 

Augmentation des subventions aux régimes d'assurance maladie


0,20

Total

9,19

Total

10,90

 
 

Solde

- 1,71

Source : étude d'impact

Au total, l'évaluation de 1,71 milliard de francs du coût de la CMU apparaît comme un minimum difficilement compatible avec la logique partenariale inscrite dans le projet de loi. Il est probable que l'Etat devra dépenser davantage que les 9 milliards prévus pour le fonds puisqu'il devra prendre en charge tout dépassement des 1.500 F par bénéficiaire, dès lors qu'il rembourse au franc le franc les dépenses de la CNAMTS pour la couverture complémentaire.

c) Pour les collectivités locales

Pour les départements, le solde apparemment positif cache des inégalités fortes et devrait être négatif pour plusieurs collectivités. La recentralisation de l'aide médicale se traduit par une perte de dotation globale de décentralisation de 8,69 milliards de francs. Les 5 % restants des sommes actuellement engagées pour l'aide médicale, soit 455 millions de francs, sont censés représenter ce que les départements versaient indûment, à la place notamment des caisses d'allocations familiales (pour des raisons de complexité dans l'accession aux droits, notamment au titre du RMI).

Ce solde positif est cependant à relativiser, en considérant que la première année de mise en place du système, les dépenses correspondantes ne disparaîtront pas complètement. Il faudra gérer une difficile transition. Les départements ayant un régime d'accès à l'aide médicale supérieur au seuil de 3.500 F prévus par le Gouvernement seront donc confrontés à une demande de la part de personnes exclues de la couverture maladie universelle mais auparavant aidées. Les 5 % laissés par le Gouvernement à tous les départements ne couvrent pas les sommes versées pour ces personnes au dessus du plafond prévu par le projet de loi.

Par ailleurs les admissions en non-valeurs (factures impayées de personnes relevant de l'aide médicale mais n'ayant effectué aucune démarche préalable) de l'actuel système se révélant avec plusieurs mois de retard, les départements auront à les honorer alors que la dotation globale de décentralisation ne leur sera plus versée.

Enfin, les expériences actuelles de carte de tiers payant départementales, comme Paris santé montrent qu'un public nombreux échappe encore aux formules préventives ayant précédé et inspiré la couverture maladie universelle. Il faudra bien trouver pour eux des financements.

Les communes supporteront elles aussi toujours l'accueil des plus démunis ne trouvant pas leur place dans le système.

d) Pour les organismes de protection sociale complémentaires

Ils supporteront la première année un coût minimal de 1,8 milliard de francs au titre de la contribution de 1,75 %. Ils subiront également deux effets inflationnistes la première année : d'une part, l'effet de rattrapage de la consommation de soins, observé dans les expériences de type Paris santé ; d'autre part, les coûts de mise en place du dispositif.

Au total ce projet de loi n'est neutre financièrement la première année pour aucun des acteurs de la protection sociale, contrairement à ce que prétend le Gouvernement. Il a un coût total important (plus de 18,6 milliards de francs), un coût additionnel net élevé (au moins 4,5 milliards de francs) et un coût futur destiné à augmenter.

3. Le contexte actuel des finances sociales ne dégage aucune marge de manoeuvre

a) Les déficits des régimes sociaux et les difficultés persistantes de l'assurance maladie
(1) Les régimes sociaux connaissent des déficits persistants

L'évolution du solde des dépenses du régime général, toutes branches confondues, montre que malgré la tendance à la baisse, amorcée depuis 1995, le déficit persiste à un niveau élevé :

Solde de l'exercice (variation du fonds de roulement)

(en milliards de francs)

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Maladie

- 6,3

- 27,3

- 31,5

- 39,7

- 36,0

- 14,4

Accidents du travail

2,1

- 0,3

- 0,1

1,1

0,2

0,3

Vieillesse

- 17,9

- 39,5

- 12,8

10,2

- 7,8

- 5,2

Famille

6,8

10,7

- 10,4

- 38,9

- 9,6

- 14,0

Total régime général

- 15,3

- 56,4

- 54,8

- 67,3

- 53,2

- 33,3

Source : rapport de la Cour des Comptes sur la Sécurité Sociale de septembre 1998

Solde de trésorerie de l'ACOSS

 

Solde au 31 décembre
(en milliards de francs)

1993

- 51,09

1994

- 62,8

1995

- 62,65

1996

- 55

1997

- 33,47

1998

- 22,7

Source : ACOSS

Même si le déficit devait se réduire avec les comptes de 1998, il demeurera. Le solde de trésorerie de l'ACOSS présente ainsi, avant même l'arrêté des comptes, un solde négatif de plus de 15,3 milliards de francs au lieu de 13,3 milliards de francs prévus dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Cette situation intervient pourtant dans un contexte favorable : la croissance a atteint 3,1 % en 1998. La principale source de ce dérapage du maintien du déficit à l'encontre des annonces du Gouvernement alors que les ressources ont été supérieures aux prévisions, provient du déficit non maîtrisé de l'assurance maladie.

(2) L'assurance maladie en perdition

L'assurance maladie voit son déficit pour 1998 augmenter fortement pour atteindre plus de 20 milliards de francs au lieu de 8,5 milliards de prévu. Cette vive progression a deux origines : l'une, technique, vient de l'achèvement du changement de comptabilité qui a entraîné un manque à gagner de 5 milliards de francs ; l'autre, plus grave, est à mettre au débit d'une augmentation des dépenses de santé de 8,5 milliards de francs par rapport aux prévisions.

La tendance pour 1999 montre quant à elle une aggravation de la situation de l'assurance maladie. En mars 1999, les dépenses d'assurance maladie du régime général ont augmenté de 0,5 % par rapport au mois précédent et de 3,2 % par rapport au mois de mars 1998. Au total, la hausse au premier trimestre 1999 par rapport au premier trimestre 1999 s'élève à 3,8 %. Hors hospitalisation, cette augmentation atteint 0,6 % sur un mois et 4,2 % sur un an.

Prestations versées par la Caisse nationale d'assurance maladie
des travailleurs salariés

 

Prestations versées
(en milliards de francs)

Évolution
n / (n-1)

1993

400,913

 

1994

413,864

+ 3,23 %

1995

433,382

+ 4,71 %

1996

447,682

+ 3,29 %

1997

458,567

+ 2,43 %

1998

478,098

+ 4,26 %

3 premiers mois 1999

116,762

+ 3,8 %*

* par rapport aux 3 premiers mois de 1998.

Source : CNAMTS


Au total, les dépenses de l'assurance maladie continuent leur hausse inexorable :

Évolution des dépenses de la CNAMTS au 31 mars 1999

 

1 er trimestre 1999 /
1er trimestre 1998

Dépenses d'assurance maladie

+ 3,8 %

Soins de ville

+ 5,4 %

Médecins libéraux

+ 5 %

Généralistes

+ 5,8 %

Spécialistes

+ 2,1 %

Dentistes

+ 0,5 %

Laboratoires

+ 3,9 %

Infirmiers libéraux

+ 5,1 %

Masseurs - kinésithérapeutes

+ 7,3 %

Orthophonistes

+ 8,2 %

Orthoptistes

+ 2,5 %

Source : CNAMTS

Une partie de la raison de ce dérapage provient de la disparition des principaux mécanismes de régulation des dépenses instaurés par les ordonnances de 1996 suite aux annulations d'un certain nombre de dispositions par le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel. Ainsi, l'ONDAM, dont les prévisions sont déjà passées de + 1,7 % pour 1997 à + 2,8 % pour 1999 (par rapport à des dépenses prévues largement inférieures aux réalisations), ne peut il être respecté.

La question du financement de ces déficits reste posée. Les transferts déjà opérés à la CADES de la dette cumulée des régime sociaux se sont élevés à 137 milliards de francs en 1995 et à 87 milliards de francs en 1997. Il paraît aujourd'hui dangereux d'envisager de nouveaux transferts qui se traduiront nécessairement par une hausse des prélèvements actuels ou futurs. De même, la voie de l'augmentation des cotisations est exclue. Seule une maîtrise réelle des dépenses permettra de contenir l'évolution du déficit et d'éviter de reporter sur les générations futures le coût de la négligence des générations actuelles.

b) Les tensions budgétaires actuelles rendent délicate toute hausse de la participation de l'Etat
(1) Un contexte budgétaire toujours contraint

L'amélioration progressive des finances publiques, visible dans la réduction de 28 milliards de francs du besoin de financement de l'Etat et dans la baisse de la part des dépenses publiques dans le PIB, ne doit pas cacher une situation toujours préoccupante laissant peu de marges de manoeuvres pour un relâchement des efforts budgétaires, notamment pour une augmentation des dépenses de l'Etat. Il convient de noter qu'une bonne partie de ces résultats positifs s'observent grâce au changement de base de calcul de la comptabilité nationale (du SEC 79 au SEC 95).

Ainsi, l'amélioration résulte davantage d'une hausse des recettes que d'une diminution des dépenses. Ainsi les dépenses de l'Etat ont augmenté de 27,3 milliards de francs en 1998, celles de rémunération des fonctionnaires progressant de 3 %. Le budget de l'Etat ne dégage toujours pas de solde primaire positif (- 19,5 milliards de francs en 1998). Par ailleurs, le taux de prélèvements obligatoires a progressé et continuera de le faire après l'adoption de ce projet de loi suite à l'instauration de la nouvelle contribution de 1,75 %. La dette publique a continué à croître en 1998.

Le contexte budgétaire actuel ne laisse donc pas la place à une augmentation des dépenses de l'Etat, alors même que la couverture maladie universelle devrait en susciter une.

(2) L'Etat est la variable d'ajustement du financement du volet complémentaire de la couverture maladie universelle

L'Etat supporte plus du tiers du coût initial du projet, et l'essentiel de ses incertitudes financières.

En effet, le projet de loi prévoit une augmentation des dépenses budgétaires correspondant à la subvention de l'Etat au fonds complémentaire, de 1,7 milliards de francs.

De plus, imputé sur le budget du ministère de l'emploi et de la solidarité le coût des dérives que pourraient occasionner :

• les dépenses de la CNAMTS au titre de la couverture complémentaire supérieures au forfait estimé à 1.500 F par bénéficiaire et par an ;

• les extensions futures de cette prestation, qui apparaît comme un nouveau minimum social ;

• les dépassements de crédits au titre de l'aide médicale de l'Etat, aujourd'hui de 807 millions de francs et ramenés à 400 millions de francs après la mise en oeuvre du projet de loi. Or, s'il retire de la charge de l'Etat la prise en charge de certaines cotisations d'assurance personnelle, le texte adopté par l'Assemblée nationale lui laisse les étrangers résidents en situation irrégulière et les non résidents confrontés à des situations exceptionnelles. Ces dépenses devraient augmenter du fait de la multiplication des situations particulières (sans-abri non hébergés par une association, gens du voyage non sédentarisés, etc.).

Dans le contexte budgétaire actuel, il paraît difficilement envisageable pour l'Etat d'augmenter ses dépenses. Votre commission des finances sera donc particulièrement attentive lors de l'examen de la prochaine loi de finances à l'évolution du budget du ministère de l'emploi et de la solidarité, pour veiller à ce que les dépenses supplémentaires soient adossées sur des économies réalisées au sein du même département ministériel.

Le financement de la couverture maladie universelle : étude comparative en Europe

Le service des affaires européenne du Sénat a comparé le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle avec les mécanismes existant dans sept pays : Allemagne, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse. Il a pour cela retenu trois critères :

• affiliation obligatoire de tous les résidents réguliers sur le territoire à un régime de base de sécurité sociale ;

• bénéfice d'une protection complémentaire étendue (incluant forfait journalier, prothèses dentaires et frais d'optique) pour les personnes les plus démunies ;

• dispense de l'avance de frais.

Cette étude révèle que, mis à part l'Allemagne, tous les pays possèdent un mécanisme équivalent, mais que en général les prestations minimales garanties à l'ensemble de la population sont limitées aux soins ambulatoires et aux frais d'hospitalisation, tandis que les médicaments, les prothèses dentaires et les frais d'optique restent au moins partiellement à la charge des patients.

Quant au financement, les différences sont nombreuses :

• Au Danemark : impôt et participation partielle des patients ;

• En Espagne : régime général et participation très partielle des patients ;

• Aux Pays-Bas : impôt et cotisations sociales ;

• Au Royaume-Uni : impôt et participation partielle des patients ;

• En Suède : régime général et redevance proportionnelle aux revenus des patients ;

• En Suisse : primes forfaitaires des patients, participation aux frais et subventions cantonales.

Source : service des affaires européennes du Sénat

C. LA DYNAMIQUE INFLATIONNISTE DU FINANCEMENT DE LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

1. Le mécanisme de financement repose sur des hypothèses contestables

a) Une sous-évaluation manifeste : les dépenses
(1) Pour la couverture de base

Les dépenses assumées au titre de la couverture de base par l'assurance maladie risquent de connaître une forte hausse en raison, justement, de l'intégration dans le système de protection sociale de 150.000 personnes qui en étaient exclues. Il convient d'abord de noter que cette hypothèse de 150.000 correspond au bas d'une fourchette, qui pourrait aller jusqu'à près de 250.000 personnes. Or le projet de loi prévoit seulement 600 millions de francs au titre de l'extension du champ de la protection, soit 4.000 F par an et par assuré. Cette évaluation paraît comme nettement sous-estimée.

En effet, aujourd'hui, le régime de l'assurance personnelle rembourse en moyenne 9.400 F par assuré au titre des soins (cette hypothèse considère que les hôpitaux fonctionnent à moyens constants). Rien ne permet de considérer que cette dépense sera inférieure pour les nouveaux assurés (les projections financières ne prévoient ainsi pas de diminution du montant des dépenses de l'ancien régime de l'assurance personnelle après sa disparition). Rien ne justifie donc la somme de 4.000 F par nouvel assuré, sinon la volonté pour le Gouvernement d'afficher un coût minimal pour l'assurance maladie.

On peut alors penser que le projet de loi sous-estime d'au moins 810 millions de francs le montant des dépenses qu'aura à supporter l'assurance maladie au titre la couverture de base.

(2) L'estimation de 1.500 F par an et par bénéficiaire

De plus, au titre de la couverture complémentaire, l'estimation de 1.500 F de dépenses par assuré et par an repose sur une base de calcul déjà ancienne et ne prend pas en compte la disparité des prestations délivrées par les régimes de base. En effet, l'évaluation a été réalisée sur la base de plusieurs hypothèses, que le projet de loi ne retient pas alors qu'il en conserve le résultat.

• Le calcul a été réalisé sur des dépenses réalisées en 1995. Or, depuis, les dépenses d'assurance maladie ont augmenté de plus de 15 % et l'estimation devrait donc se voir affecter le même coefficient multiplicateur, soit un total de 1.725 F et un coût total porté de 10,2 milliards de francs pour 6 millions de bénéficiaires de la couverture complémentaire ;

• Le calcul a été fait pour des prestations strictement définies, notamment quant au forfait journalier et quant aux soins dentaires et optiques. Or, le projet de loi renvoie à un décret la composition, aujourd'hui non connue, du panier de biens et services alors qu'il en fixe d'emblée la valeur théorique (1.500 F) et que le Gouvernement a annoncé que le forfait journalier ne serait pas plafonné ;

Répartition du montant de 1500 F par assuré et par an

 

Dépenses annuelles (en F)

Ticket modérateur

970

Forfait hospitalier

100

Autres dépenses dont prothèses dentaires et lunettes

430

Total

1500

source : CNAMTS

• Le calcul ne prend pas en compte les frais de gestion ; le projet de loi les alourdit cependant par la mise en place d'un nouveau système de transmission entre les organismes complémentaires parties prenantes au volet complémentaire de la couverture maladie universelle et la CNAMTS.

Par ailleurs, la couverture complémentaire est un différentiel entre les prestations versées par le régime de base auquel l'assuré est affilié et les dépenses de ce dernier, sous un plafond déterminé par le régime auquel il appartient. Dans le cas de la couverture maladie universelle, sous réserve d'accord sur le contenu des prestations par le biais de références et de conventions, les régimes complémentaires (CNAMTS, mutuelles, assurances, etc.) prendront donc en charge les dépenses au dessus du plafond de remboursement des régimes de base, à savoir principalement CNAMTS, MSA et CANAM. Or ces deux derniers ont un remboursement moyen plus défavorable à l'assuré, qui lui laisse à sa charge de 500 à 1.000 F de plus par an, selon les estimations. Cela signifie que pour chaque bénéficiaire de la couverture maladie universelle assuré auprès de ces deux organismes pour sa couverture de base, l'organisme complémentaire aura des dépenses de 2.000 à 2.500 F en moyenne par an au lieu des 1.500 F annoncés par le Gouvernement et remboursés aux mutuelles et sociétés d'assurance. Soit l'évaluation de 1.500 F devra être majorée, soit elle se traduira par un reste à charge pour l'assuré.

Ne faisant pas le choix d'une véritable assurance maladie universelle s'orientant vers l'harmonisation des prestations, la couverture maladie universelle devrait donc susciter des dépenses différentielles bien supérieures à celles annoncées, qui pèseront sur les finances de l'Etat.

(3) Les seuils de revenus

Le projet de loi renvoie au pouvoir réglementaire la fixation du barème des revenus, mais le Gouvernement a annoncé son intention de le fixer à 3.500 F pour une personne seule, soit en dessous des minima sociaux comme le minimum vieillesse ou l'allocation pour adulte handicapé (aujourd'hui à 3.540,41 F par mois pour une personne seule). Ce barème prévisionnel permet de déterminer le champ théorique du projet de loi : 6 millions de personnes.

Cependant, dans l'avenir, ces seuils seront amenés à évoluer. S'ils le font comme les minima sociaux, l'écart restera constant, le nombre relatif de bénéficiaires aussi. Cependant, la couverture maladie universelle va apparaître comme un nouveau minimum social et il est à craindre que dans l'avenir les pressions soient fortes pour y inclure de nouvelles catégories de personnes aujourd'hui exclues. Votre commission des finances veillera à ce que toute extension du champ de la couverture maladie universelle implique une révision de l'économie générale du système.

En définitive, les estimations moyennes paraissent sous-évaluées et dépendantes de la capacité des acteurs à définir des paniers de soins aux coûts maîtrisés.

b) Une inconnue de taille : le contenu des prestations

Les dépenses réelles dépendront à la fois du comportement des bénéficiaires de la couverture maladie universelle et des tarifs pratiqués par les professionnels de santé.

Les comportements de santé des futurs bénéficiaires de la couverture maladie universelle devraient présenter une consommation de soins inférieure à celle de la moyenne nationale. Il convient de nuancer cette hypothèse de plusieurs façons. La part des moins de trente ans dans les bénéficiaires de la couverture maladie universelle devrait s'élever à 60 %. Or ce sont essentiellement eux qui consomment le moins. Les 40 % restant devraient avoir un profil de consommation plus proche de moyenne nationale.

Ensuite, il y a un risque de voir devenir éligible à la couverture maladie universelle un certain nombre de personnes âgées, principalement affiliée à la mutualité sociale agricole pour leur couverture de base, qui, elles, ont davantage de besoins et sont donc fortement consommatrices.

Enfin, si l'expérience des cartes de santé menées dans plusieurs départements ne montre pas de très forte augmentation de la consommation de soins une fois passée l'installation du système, il reste difficile de laisser de côté l'hypothèse d'un alignement progressif sur la consommation moyenne comme le montre l'exemple parisien :

Écart de consommation de soins
entre le titulaire de la carte Paris-santé et un assuré social parisien

Date de l'enquête

Écart constaté du montant moyen des dépenses remboursées

avril 1991

- 37,9 %

octobre 1993

- 15,2 %

octobre 1995

- 11,5 %

Source : département de Paris

Le contenu de l'offre de soins aura aussi une grande influence sur le coût réel du projet. L'article L. 861-3 du code de la sécurité sociale, introduit par l'article 20 du projet de loi, énumère ces prestations. Le bénéficiaire aura droit à la prise ne charge intégrale et sans avance de frais :

" 1° De la participation de l'assuré aux tarifs de responsabilité des organismes de sécurité sociale pour les prestations couvertes par les régimes obligatoires ;

" 2° Du forfait journalier prévu à l'article L. 174-4 ;

" 3° Des frais exposés, en sus des tarifs de responsabilité, pour les soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dento-faciale et pour les dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement, dans des limites fixées par arrêté interministériel. "


Ces prestations et notamment l'absence de plafonnement du forfait journalier offriront au bénéficiaire de la couverture maladie universelle une protection plus large que la plupart des contrats individuels. Les pouvoirs publics mettent à juste titre l'accent sur les soins dentaires et optiques qui sont ceux pour lesquels le renoncement financier aux soins est le plus fréquent. Il s'agit néanmoins de soins coûteux qui rapidement font s'approcher du plafond de 1.500 F par an de dépenses complémentaires.

Ceci justifie que le projet de loi contienne certaines mesures tendant à limiter les tarifs de certaines professions médicales :

• Les médecins généralistes et spécialistes conventionnés des secteurs I et II ne pourront pas pratiquer de dépassement de tarif d'honoraires, de rémunérations et de tout frais pour les patients bénéficiaires de la CMU, sauf cas " d'exigence particulière du patient " (article 22 du projet de loi) ;

• Le prix des dispositifs médicaux à usage individuel pourra faire l'objet d'accord entre les organismes d'assurance maladie, les organismes complémentaires et les distributeurs et fabricants (article 23 du projet de loi). Ces accords pourront prévoir des prix maximum au plan national ou régional et des mécanismes de dispenses d'avances de frais ; un tel système se veut le plus large possible (tout pharmacien ou opticien pourra en conclure un par exemple) mais risque d'engendrer de fortes disparités géographiques. Les accords prévoiront des dispositions particulières pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle pour certains produits spécifiques dont un arrêté ministériel fixe le plafond de remboursement. Le projet de loi prévoit que faute d'accord l'Etat pourra se substituer aux parties et fixer par arrêté des plafonds de coût ;

• Les prix des soins dentaires, prothétiques ou d'orthopédie dento-faciale, les tarifs, honoraires et frais peuvent être plafonnés par convention, faute de laquelle l'Etat fixera lui-même le maximum du remboursement (article 24 du projet de loi).

Ainsi, au-delà de la couverture maladie universelle, le projet de loi ouvre la voie à une série d'accords permettant aux organismes d'assurance maladie et aux organismes complémentaires de négocier des tarifs avantageux. Il convient néanmoins de noter que l'Etat, faute d'accords, se réserve le recours aux mécanismes du contrôle des prix.

Le projet de loi prévoit donc un panier de prestations déterminé par les organismes en charge de la protection complémentaire et au prix négocié avec les professionnels sous la menace de l'intervention étatique. Sa réussite requiert donc un large partenariat.

c) Un pari : l'implication de tous les acteurs de la protection sociale

Le financement du projet repose également sur une forte implication des organismes complémentaires dans la prise en charge du volet complémentaire de la couverture maladie universelle. En effet, ils subiront en tout état de cause un prélèvement nouveau de 1,8 milliard de francs la première année. Ce montant constitue l'effort qu'ils consentent à la protection des plus démunis. Il s'agit pour certains d'entre eux d'un effort déjà ancien. La mutualité a inscrit dans ses quatre valeurs fondatrices (au côté de la liberté, de la démocratie et de la responsabilité) la solidarité : " La solidarité est le socle de la mutualité. Considérant que la santé des individus n'est pas un commerce, le mouvement mutualiste refuse les discriminations financières et la sélection des risques " 4( * ) . Bien entendu, la mutualité sociale agricole s'inscrit dans le même mouvement. Cependant cette participation financière peut prendre deux formes qui déterminent le coût réel pour l'Etat du projet de loi.

• Soit les organismes de protection sociale décident de prendre part au système et offrent des produits aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle ; ils risquent alors d'avoir des dépenses supérieures aux 1,8 milliard de francs, en tout cas fonction du nombre d'assurés qu'ils prendront en charge, de leur comportement de dépenses et des accords de limitation des coûts souscrits avec les professions de santé ;

• Soit ils se contentent de verser leur contribution de 1,75 % sans prendre part au système et l'Etat doit assumer seul l'ensemble des surcoûts du système.

Par ailleurs, la réussite de la maîtrise financière repose également sur les professions de santé et les engagements qu'elles prendront de limiter leurs tarifs.

La décision de l'Etat de prendre en charge au franc le franc les dépenses complémentaires supportées par l'assurance maladie montre bien les risques de dérive financière du système. L'assurance maladie ne pourrait en effet prendre en charge l'ensemble des surcoûts attendus du régime. Ces risques pèsent donc naturellement sur l'Etat et son budget.

2. L'absence de mécanismes de régulation d'un système complexe

a) Guichet ouvert et tiers-payant empêchent toute régulation de la demande

La couverture maladie universelle est bâtie sur le double principe de l'absence de condition mise à l'ouverture de droits et sur le tiers-payant évitant au patient de faire l'avance de frais. Ces deux caractéristiques empêchent donc toute régulation de la demande qui ne supporte aucun coût (prise en charge complète) et bénéficie d'un droit automatique.

En effet, la question de la gratuité des soins peut s'aborder par la celle plus générale de l'opportunité d'une participation financière de l'assuré, qu'il s'agisse d'un droit d'entrée dans le système ou bien d'une prise en charge résiduelle à chaque occasion de dépense.

Le débat de la participation financière des assurés sous la forme d'une cotisation forfaitaire ou fonction du revenu en rejoint de nombreux autres. Comment atténuer l'effet de seuil introduit par le barème ? Comment matérialiser l'acte d'adhésion à la mutuelle, condition sine qua non de l'affiliation dans un organisme mutualiste ? Comment à l'inverse prévoir une contribution qui ne soit pas symbolique ? Et si le montant est très faible, à quel niveau néanmoins le fixer pour éviter que son coût de recouvrement ne dépasse les recettes attendues ? On peut constater qu'aujourd'hui pour les ressortissants de l'assurance personnelle dont les cotisations sont prises en charge par un tiers (Etat, département, etc.) il n'existe aucune participation financière pour le bénéfice du régime de base.

La question du tiers-payant est tout aussi délicate. Il paraît légitime de préférer un système où la Sécurité sociale, les mutuelles et les compagnies d'assurances paient directement et elles-mêmes les prestataires de soins : il ne faudrait pas générer une nouvelle exclusion financière de soins pour cause d'impossibilité de faire l'avance des frais. Il apparaît pourtant qu'un tel mécanisme pourrait se révéler inflationniste. Cependant, revenir sur ce point pourrait se révéler une solution moins satisfaisante: pour que la participation financière des assurés diminue vraiment leur consommation de soins, il faut que cette participation soit significative, non réassurable, et non exigée en cas d'urgence. Il paraît impossible de les réunir dans le cas de la couverture maladie universelle ce qui justifie le maintien du tiers-payant mais oblige à constater l'absence de tout mécanisme de régulation de la demande. Seul le système de médecin référent permettrait de la contrôler dans une certaine mesure 5( * ) .

Enfin, la couverture maladie universelle apparaît comme un mécanisme déresponsabilisant. Elle remet ainsi en cause le premier principe de la Sécurité sociale qu'est l'ouverture de droit. Elle instaure un système où le bénéficiaire n'est jamais mis face à ses responsabilités de consommateur de soins. Le projet de loi ne propose aucune cotisation pour l'adhésion à une mutuelle. Il ne propose aucun forfait, même symbolique, pour l'ouverture des droits. Il n'instaure aucune prime d'assurance.

Votre commission des finances n'ignore pas les difficultés pratiques suscitées par la création d'une cotisation minimale symbolique pour la couverture de base. Elle remarque cependant que s'agissant de la protection complémentaire il aurait été possible de la mettre en place lors de la signature du contrat de couverture complémentaire, qu'il soit souscrit auprès de la CNAMTS, d'une mutuelle ou d'une assurance.

b) Les difficultés pratiques de la mise en place

Les modalités pratiques de mise en place de la couverture maladie universelle laissent douter de la capacité des différents acteurs à être prêts pour le 1 er janvier 2000, date inscrite dans le projet de loi pour son entrée en vigueur.

Cette entrée en vigueur suppose néanmoins l'adoption de mesures législatives pour mettre en place la " tuyauterie " de la couverture de base, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale de 2000 et la loi de finances de 2000. Elle suppose également l'adoption de mesures réglementaires nombreuses, à commencer par la définition du contenu du panier de biens et services alloué au bénéficiaire de la couverture maladie universelle. Beaucoup ne pourront être prises avant l'adoption de deux projets de loi.

Le CNAMTS va jouer un rôle de pivot du système. En effet, elle aura à assumer la charge supplémentaire liée à l'affiliation nouvelle des 150.000 personnes exclues de l'assurance de base. A cela s'ajoutera surtout le traitement des dossiers pour la couverture complémentaire.

Les mesures nécessaires à la mise en place de la couverture maladie universelle...

La CNAMTS a déjà réfléchi aux mesures qu'elle allait devoir mettre en oeuvre pour la couverture maladie universelle. Elle les liste ainsi :

" développement de l'accueil de cette nouvelle population venant demander à bénéficier de la couverture de base et principalement de la couverture complémentaire ;

• analyse des déclarations de ressources à partir d'un formulaire national déclaratif dans le cadre d'une organisation du travail aménagée pour faire face à une très importante charge de travail supplémentaire qui devra être répartie entre les services centraux, les centres de paiement et les centres d'accueil ;

• mise en place de relations nouvelles avec les complémentaires pour l'échange d'informations sur le choix d'adhésion fait par les bénéficiaires et mise en place de circuits comptables et financiers pour permettre les procédures de règlement des professionnels de santé, dans le cadre du tiers payant ;

• campagnes de communication vers les bénéficiaires potentiels, les professionnels de santé, et associations ou autres organismes au contact des populations concernées ;

• renforcement de la coordination au niveau local avec les autres partenaires intervenant dans le domaine de la précarité ;

• développement des liaisons informatiques notamment avec les CAF pour les échanges d'information concernant les allocataires et notamment les bénéficiaires du RMI. "

... et les délais

" Le calendrier est excessivement contraint pour la CNAMTS surtout dans le contexte du passage à l'an 2000 :

Nombreuses modifications sur les chaînes informatiques pour prise en compte des ressources, gestion de dispositifs élargis de tiers-payant et mise en place de contrôles informatisés des ressources.

Formation d'agents chargés d'assurer les contacts et de traiter les dossiers d'une population beaucoup plus importante que celle des assurés personnels et des bénéficiaires de l'aide médicale gratuite.

Mise en place d'un système de saisie allégé des déclarations de ressources.

Risque d'afflux de demandes dès la fin de l'année 1999.

L'attention du Ministère a été attirée à plusieurs reprises sur ce sujet.

Pour faciliter cette mise en oeuvre, plusieurs mesures sont indispensables :

Ouverture des droits des assurés personnels en juillet 1999 jusqu'au 30 juin 2000 sans nouvel appel de déclarations de ressources en décembre pour le calcul de la nouvelle cotisation. Les caisses effectueront l'appel de cette nouvelle cotisation éventuelle à partir des déclarations de ressources fournies en juin 1999 et pourront donc anticiper cette opération.

Pour les bénéficiaires de l'aide médicale actuels prolongation des droits acquis pour un an jusqu'au 30 juin 2000. Le projet de loi prévoit actuellement le 31 mars mas le Cabinet du MES nous a fait part de son accord de principe pour reporter cette date au 30 juin. Ce délai supplémentaire laissé aux CPAM rendrait de plus cohérente la périodicité d'analyse des ressources pour la couverture de base et la complémentaire.

Développement des relations avec les CAF qui transmettront aux CPAM des informations régulières sur les nouveaux Rmistes, 30.000 par mois environ rentrant dans le dispositif automatiquement et sur la totalité de la population de bénéficiaires du RMI une fois dans l'année pour la prolongation du droit sur 1 ans, sans déclaration de ressources.

Pour faciliter la déclaration des différentes allocations perçues par les allocataires, les CAF pourraient leur adresser un relevé annuel des prestations prévues. "

source : CNAMTS

Elle devra instruire chacun des 6 millions de dossiers pour ouvrir le droit à la couverture maladie universelle. Or les caisses primaires d'assurance maladie aujourd'hui ne distribuent aucune prestation sous condition de ressources. A la différence des caisses d'allocations familiales, elles n'ont donc ni les outils techniques ni la compétence pour assurer ce contrôle des revenus. Elles devront donc mettre en oeuvre des protocoles techniques de transfert des fichiers depuis les caisses d'allocations familiales et les services d'aide sociale des départements. Cela suppose notamment des outils informatiques difficiles à développer alors que les caisses doivent faire face au passage à l'an 2000. Par ailleurs, elles auront besoin de personnel supplémentaire pour assurer ce travail. Afin de ne susciter aucun coût de gestion complémentaire, les caisses devraient reconvertir les personnels libérés du traitement manuel des feuilles de soins par la mise en place de la carte Sésam Vitale 1, que seulement 2,4 % des médecins utilisaient début mai 1999 (2.847 sur les 120.000 visés). La couverture maladie universelle supposera donc des efforts de productivité des caisses qui en tout état de cause ne pourront pas invoquer cette raison pour procéder à des embauches supplémentaires.

Enfin, la carte Sésam Vitale 1 actuellement distribuée pourra-t-elle accueillir les informations relatives à une couverture complémentaire ? Il semblerait que non : sa puce n'aurait déjà pas suffisamment de mémoire pour traiter les cas des médecins cumulant plusieurs activités. Plus puissante, la carte Sésam Vitale 2 ne sera pas disponible avant deux ans. Il faudra ainsi mettre en oeuvre un mécanisme transitoire nécessairement coûteux.

Les organismes complémentaires devront également définir le contenu de leur offre complémentaire et mettre en place les outils informatiques nécessaires à la gestion de leurs nouvelles relations avec la CNAMTS et les professions de santé.

Le problème de la mise en place n'emporte pas que des conséquences techniques. Elle a un coût financier certain : pour les collectivités locales qui continueront à accueillir les futurs bénéficiaires de la couverture maladie universelle ; pour les organismes complémentaires ; pour la CNAMTS ; pour l'Etat car si l'assurance maladie n'est pas en mesure de correctement vérifier les seuils de revenus, le coût des fraudes et inexactitudes sera supporté par lui.

c) Les rapports ambigus entre la couverture maladie universelle et l'ONDAM

La couverture maladie universelle va susciter une augmentation de la demande de soins. Elle est estimée dans le projet de loi aux 4,5 milliards de francs nouvellement introduits dans le système de santé. On peut y ajouter le coût du rattrapage, qui pourrait également se révéler important, et celui des sous-estimations du Gouvernement.

Il apparaît indispensable que cette nouvelle dépense se fonde au sein de l'objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), tel qu'il résultera de l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. L'évolution du déficit de l'assurance maladie en 1998 contraint, pour assurer le respect de l'enveloppe fixée par loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, à ne pas augmenter les dépenses totales d'assurance maladie de plus de 1,1 %. Pour l'année 2000, il sera donc difficile d'ajouter des dépenses supplémentaires à une enveloppe source, déjà, de déficits.

Il ne faudrait pas que la couverture maladie universelle soit invoquée pour justifier une augmentation de l'ONDAM supérieure à l'évolution du niveau général des prix. Elle exige un effort partagé entre tous les acteurs de la protection sociale, et cette solidarité doit pouvoir s'exercer au niveau des prix, faute de quoi elle se fera par le biais d'inévitables prélèvements nouveaux. Les professions de santé contribueront aussi à l'effort de solidarité nationale que constitue de projet de loi.

En tout état de cause, si une enveloppe supplémentaire était réclamée, il ne faudrait pas que cette hausse dépasse les 4,5 milliards de francs supplémentaires introduits dans le système de santé. Votre commission des finances veillera avec une attention toute particulière à cette articulation entre la couverture maladie universelle et l'ONDAM dans le cadre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, car elle détermine en partie l'avenir du financement du système proposé.

3. L'incertitude forte du financement futur

a) Les limites du financement prévu par le projet de loi

Le projet de loi s'arrête au financement de la première année de mise en place de la couverture maladie universelle. Il instaure, par le biais d'une mécanique compliquée et qu'il faudra mettre en place lors des prochaines loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances, un financement statique du dispositif.

Ce dernier est réparti entre les acteurs intermédiaires du système de santé. Les organismes d'assurance maladie, les organismes de protection sociale complémentaire, les collectivités locales, les professions de santé, l'Etat sont mis à contribution pour financer cet effort légitime de solidarité nationale.

Cependant, tous les détails du projet de loi indiquent que les besoins de financements devraient fortement augmenter. L'expérience du passé montre comment tous les minima sociaux ont vu leurs dépenses augmenter bien plus fortement que prévu lors de la mise en place des mesures. Il n'est qu'à voir l'évolution des dépenses du revenu minimum d'insertion (RMI) et de l'allocation pour adulte handicapé (AAH)  :

Crédits d'allocation du RMI

(en millions de francs)

Année

Crédits

Évolution en %

1991

14.318

 

1992

13.163

- 8

1993

16.631

+ 26

1994

19.217

+ 16

1995

22.022

+ 14

1996

23.000

+ 4

1997

24.230

+ 4

1998

25.327

+ 5

1999

26.400

+ 4

Crédits consacrés à l'AAH

(en millions de francs)

Année

Crédits

Évolution en %

1987

12.997

+ 5,0

1988

13.544

+ 4,2

1989

14.286

+ 5,5

1990

15.881

+ 5,4

1992

16.575

+ 4,4

1993

17.895

+ 8,0

1994

18.661

+ 4,3

1995

20.081

+ 7,6

1996

21.350

+ 6,3

1997

22.370

+ 4,8

1998

23.389

+ 4,6

Or, pour la couverture maladie universelle, aucun des moyens de financement ne présente d'aspect dynamique, sauf la participation de l'Etat. Les recettes transférées à la CNAMTS pour le financement de la couverture de base n'évoluent pas sur une base ayant un lien avec la protection sociale : il s'agit de fractions de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, d'une fraction des droits de consommation sur les tabacs et de la cotisation sur les véhicules terrestres à moteur. Pour la couverture complémentaire, sauf à augmenter le taux de la contribution de organismes complémentaires, la seule façon d'assumer les charges nouvelles restera donc une hausse de la subvention de l'Etat, elle même financée par les ressources du budget général.

La " tuyauterie " mise en place a été conçue pour ajuster sur une année n des dépenses et des recettes, pas pour assurer au système un financement dynamique et solide pour les année n+1 , n+2 , et suivantes.

b) Un nouveau minimum social à la recherche d'un " financeur ultime "

Les dépenses de la couverture maladie universelle devraient fortement augmenter dans les années à venir. On peut compter la première année sur un effet de rattrapage. Ensuite, l'absence de mécanisme de régulation et de frein à la demande constitue une incitation à la dépense. La couverture maladie universelle présente ainsi tous les caractéristiques d'un minimum social supplémentaire : prestation attribuée sous condition de ressource sans autre condition que la régularité du séjour et sans autre limite que celle du prix du panier de soins défini et négocié par les partenaires.

L'aspect le plus risqué de ce projet de loi apparaît ainsi résider dans ses coûts futurs.

Finalement, l'avenir du financement de la couverture maladie universelle repose sur quatre solutions qui ne s'excluent pas les unes et les autres :

• L'Etat augmente sa subvention au fonds de financement de la protection complémentaire pour financer les dépassements du plafond de 1.500 F par an et par bénéficiaire pour ceux qui se sont assurés auprès de la CNAMTS : le surcoût est assumé par le budget du ministère de l'emploi et de la solidarité, donc par des prélèvements fiscaux ou une dette pesant sur les générations futures dans le cadre du déficit budgétaire ;

• Le régime général de l'assurance maladie supporte tout ou partie des coûts supplémentaires engendrés par la couverture de base de la couverture maladie universelle : le surcoût se répercute dans son déficit tendanciel et conduit à un nouveau transfert à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, donc aux générations futures, ou à une hausse des prélèvements sociaux ;

• Les régimes MSA et CANAM doivent faire face à de nouveaux coûts très importants : le surcoût se répercute sur leurs assurés par le biais d'une hausse de cotisations ;

• Les organismes de protection complémentaire doivent répartir sur l'ensemble de leurs prix le coût généré d'une part par la contribution de 1,75 %, d'autre part par les dépassements du plafond de 1.500 F pour ceux qui se seront adressés à eux pour leur protection complémentaire : le surcoût est assumé par l'assuré non bénéficiaire de la couverture maladie universelle via une hausse des primes et cotisations sur l'ensemble de ses contrats d'assurances et de mutuelles ;

Ainsi, moins l'évaluation du forfait de 1.500 F sera réaliste, moins les organismes complémentaires auront intérêt à participer activement au système, et plus le coût pour la Sécurité sociale et l'Etat sera élevé.

La seule façon de financer cette charge supplémentaire et légitime sans instaurer de prélèvement obligatoire nouveau reste donc la réforme profonde de notre système de santé.

c) Pas de dépenses nouvelles sans une profonde réforme de la protection sociale

Le financement de ce projet légitime passe donc par la maîtrise de l'ensemble des dépenses du système de soins. Ce sont les gains de productivité qui seuls permettront d'assumer les dépenses nouvelles générées par l'achèvement de la généralisation de la couverture maladie et par la générosité de la création d'un nouveau minimum social avec le volet complémentaire.

Ce projet de loi ouvre certaines pistes et inaugure des évolutions favorables. Il a ainsi permis de nouer un dialogue entre les différentes acteurs de la protection complémentaire (mutuelles, institutions de prévoyance, monde de l'assurance), les caisses du régime général (CNAMTS, CANAM et MSA) et l'Etat. De même, il donne aux organismes en charge du volet complémentaire des outils pour expérimenter des pistes de réformes réclamées depuis longtemps par votre commission des finances, comme le médecin référent ou la définition d'un panier de soins minimum. Enfin, il incite les professions de santé à s'entendre sur les prix. En ce sens, il ouvre des voies intéressantes.

Cependant, ces pistes ne sont qu'esquissées et ne constituent pas l'amorce de la révolution nécessaire dont notre système de soins a tant besoin. Le médecin référent risque ici d'apparaître comme un " médecin des pauvres ". Seul le volet complémentaire est concerné par les accords avec les professionnels ; l'Etat n'a toujours pas indiqué ce qu'il comptait faire pour les soins de base qui représentent toujours l'essentiel de la dépense de santé.

Votre commission des finances se prononce pour une organisation du système de soins permettant de réduire les inégalités, mais aussi d'assurer une vérité des prix de la santé et l'équité entre les acteurs.

Le plan stratégique adopté par le conseil d'administration de la CNAMTS va ainsi dans la bonne direction et constitue une amorce de réforme. Il reste à à instaurer une plus forte concurrence entre les acteurs de la santé, à mettre en place des mécanismes de régulation après les annulations du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel, à rechercher les sources d'économies permettant d'assurer la meilleure qualité possible des soins, à une enveloppe financière constante, afin de ne plus faire porter sur les générations futures la charge de nos errements présents.

Les incertitudes financières du projet de loi

(en millions de francs)

 

Coût supplémentaire

Organisme le supportant

Dépenses supplémentaires d'après l'étude d'impact

 

Contribution de 1,75 %

1.800

organismes complémentaires

Subvention au fonds de financement de la protection complémentaire

1.700

Etat

Coût de l'assurance de base

900

CNAMTS

Perte de recettes de la Caisse nationale d'allocations familiales

320

CNAF

Total

4.720

 

Dépenses supplémentaires évaluées par la commission des finances

 

Sous-évaluation des 1 500 F/an/bénéficiaire

1.575

Etat et organismes

complémentaires

- pour tous : hypothèse de + 15 % soit 1 725 F

1.200

 

- pour CANAM et MSA : hypothèse de 500 000 de bénéficiaires assuré à la CANAM et MSA et d'une différence de 750 F avec le remboursement de base de la CNAMTS

375

 

Sous-évaluation de l'extension du champ de la couverture de base, hypothèse de 9400 F/dépenses/ personne/an

810

CNAMTS

Frais de gestion pour la CNAMTS

?

CNAMTS

Dépenses non compensées pour les départements consentant une aide médicale au dessus du seuil de la CMU

?

départements

Dépenses transitoires durant la période de mise en place :

-
pour les départements

- pour les communes

?

?

départements

communes

Pertes de cotisations des autres régimes en cas de suppression de leur cotisation minimale pour les bas revenus

dont CANAM

MSA

1.710

1.295

415

 

Pertes de cotisations des mutuelles proposant des produits à des futurs bénéficiaires de la CMU

?

mutuelles

Coût pour les organismes complémentaire de la prolongation des droits à complémentaire pendant un an après passage au dessus du seuil de revenus

Hypothèses d'entrées et sorties de 50 % chaque année, de 1,5 million de personnes couvertes et de 375 F/personne à leur charge

565

organismes

complémentaires

Total : près de 10 milliards de francs de coûts supplémentaires

II. UN COÛT INCERTAIN POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES ET LES ORGANISMES DE PROTECTION COMPLÉMENTAIRE

A. LE COÛT D'UNE RECENTRALISATION JUSTIFIÉE

1. L'essentiel du financement de la couverture de base repose sur la recentralisation de l'aide sociale départementale

a) La compétence d'aide sociale des départements6( * )
(1) Une compétence héritée de l'histoire

Les premiers, les ordres religieux ont assumé la fonction d'assistance auprès des nécessiteux. Puis elle s'est sécularisée, à partir de la création par François Ier des " bureaux des pauvres ". La Constitution de 1793 pose, elle, le principe du devoir de la puissance publique à l'égard de tout citoyen ne disposant pas d'un niveau de subsistance suffisant : " La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de subsister à ceux qui sont hors d'état de travailler " . En 1889 se réunit à Paris un congrès de l'assistance qui rédige une charte de l'assistance inspirée de ces principes. De 1893 à 1913 sont votées les grandes lois sur l'assistance : assistance médicale gratuite (1893), assistance aux tuberculeux (1901), assistance aux vieillards, infirmes et incurables (1905), assistance aux femmes en couche et aux familles nombreuses (1913). Les principes de l'aide sociale sont posés : limitation du nombre des bénéficiaires, simplicité et gratuité du mécanisme offert, reconnaissance du rôle de la commune.

En 1953, une réforme de l'aide sociale (complétée par les décrets du 17 novembre 1954 et du 21 mai 1955 sur la tarification) met en place des financements croisés entre l'Etat, les départements et les communes. La décentralisation est envisagée en 1978 par le projet de loi sur le développement des responsabilités des collectivités locales. La loi du 22 juillet 1983 la réalise, en confiant aux départements une compétence de droit commun dans le domaine de l'aide sociale. La loi de 1988 sur le revenu minimum d'insertion puis celle de 1992 l'ont complétée.

Qu'est-ce que l'aide sociale ?

Le rapport précité de la Cour des comptes rappelle en introduction ce qu'est l'aide sociale.

L'aide sociale constitue d'abord un droit alimentaire attribué par le code civil, ensuite un droit subsidiaire : la puissance publique n'intervient que si l'intéressé et sa famille ne peuvent subvenir à leurs besoins. L'aide sociale est spécialisée. Elle concerne aujourd'hui quatre grands publics : les bénéficiaires de la protection maternelle et infantile et les enfants en danger ; les personnes âgées ; les personnes handicapées ; les personnes sans ressources nécessitant une aide médicale et une couverture sociale.

Il ne s'agit donc pas d'une prestation de sécurité sociale car elle ne procède pas d'un régime d'assurance - le droit aux prestations n'y est pas conditionné par des cotisations mais par un besoin - ni d'une logique indemnitaire - l'origine en est alimentaire. Il ne s'agit pas non plus d'une prestation d'action sociale. L'aide sociale constitue en effet un droit du bénéficiaire et non une faculté laissée à l'appréciation d'une collectivité publique. L'aide sociale est donc limitée à une partie de la population et la loi et les règlements en déterminent les modalités d'accès.

(2) Les principes de la décentralisation

Les principes de la décentralisation sont alors simples : définir des blocs de compétences homogènes permettant à chacun d'assumer pleinement ses responsabilités ; rapprocher ensuite l'échelon de gestion des usagers. Le choix du législateur se fixe sur le département, pour éviter que la solution communale ne conduise à une augmentation des disparités. Les départements constituaient déjà l'échelon de mise en oeuvre des politiques d'aide sociale et de santé et semblait concilier les exigences de proximité et de taille suffisante.

Cependant, si la gestion de l'aide sociale était décentralisée, la détermination des conditions légales d'accès restaient fixées par l'Etat. Les collectivités locales ne pouvaient que rendre plus facile cet accès et créer des prestations supplémentaires facultatives.

La compensation financière entre l'Etat et les départements fut plus délicate à déterminer. Le principe posé fut celui du transfert des ressources nécessaires à l'exercice des compétences selon trois règles :

• concomitance du transfert des ressources et des charges ;

• compensation intégrale ;

• évaluation des dépenses à la date effective du transfert.

Les départements ont notamment reçu la garantie que l'évaluation se ferait collectivité par collectivité.

(3) Une montée en charge forte des dépenses d'aide sociale

Les dépenses des départements au titre de l'aide sociale ont considérablement augmenté depuis leur décentralisation.

Evolution des dépenses nettes d'aide sociale des départements (dont aide médicale)

 

Montant
(en millions de francs)

Evolution

1984

35 096

 

1985

36 371

3,63 %

1986

37 702

3, 66%

1987

39 193

3,95 %

1988

40 908

4,38 %

1989

42 485

4,74 %

1990

46 293

8,05 %

1991

50 533

9,16 %

1992

55 378

9,59 %

1993

60 254

8,80 %

1994

64 472

7,00 %

1995

67 839

5,22 %

1996

71 504

5,40 %

1997

73 993

3,48 %

1984-1997

-

110,83 %

France entière hors Paris

Source : ADF

Les dépenses d'aide médicale ont également connu une forte progression :

Les dépenses d'aide médicale des départements

 

1995

1996

1997

Dépenses d'aide médicale

Progression

6 349 385

6 741 233

+ 6,17 %

7 657 232

+ 13,9 %

Source : ADF

b) Un premier exemple de recentralisation
(1) Le principe justifié et accepté de la recentralisation des charges...

Les départements ont accepté le principe de la recentralisation des crédits de l'aide médicale au profit de la couverture maladie universelle. Ce mouvement paraît d'autant plus justifié que la répartition des compétences avait été difficile et assez floue entre l'Etat et les départements. La justification d'un double guichet pour la couverture de base (la Sécurité sociale pour les uns ; les collectivités locales pour les autres) n'était jamais apparue avec évidence. En effet, la valeur ajoutée des collectivités locales n'existe aujourd'hui que par la couverture complémentaire. Les départements font simplement office de guichet pour ce qui concerne l'assurance de base. De plus, à partir du moment où l'aide sociale devient une prestation de sécurité sociale, plus rien ne justifie son maintien au niveau départemental.

On peut cependant s`interroger sur la légitimité de ce mouvement ou de celui qui l'a précédé. L'aide médicale a été confiée aux départements parce que, subsidiaire, elle est destinée à pallier les insuffisances des autres mécanismes de protection. Cependant, avec le temps, elle est devenue un transfert financier entre les collectivités locales et l'assurance personnelle pour la prise en charge des cotisations (3,7 milliards de francs en 1997) ; des prestations gratuites selon un barème avec un minimum légal au niveau du RMI ; certains départements y ajoutèrent une protection supplémentaire. Ce projet de loi transfère l'ensemble des dépenses, fait disparaître les transferts financiers et doit rendre inutile tout mécanisme supplémentaire. Il ne s'agit donc pas de la recentralisation de l'aide médicale mais de sa disparition, avec une recentralisation de ses crédits.

L'échelon local a perdu toute marge de manoeuvre pour la décision de l'admission à l'aide sociale, les commissions départementales ne jouant plus depuis 1992 qu'un rôle de dialogue et non de décision.

Les départements acceptent d'autant plus volontiers ce transfert des dépenses de l'aide médicale vers l'Etat que leurs dépenses ont fortement augmenté et qu'existent de fortes inégalités de traitement selon les collectivités, qu'il s'agisse du barème ou du règlement départemental d'aide sociale. Néanmoins, il s'agit d'un précédent dans les rapports entre l'Etat et les collectivités locales qui pourrait en appeler d'autres.

(2) ... et de la ressource : un transfert de la dotation globale de décentralisation

Le transfert des dépenses doit naturellement s'accompagner d'un transfert de recettes des départements vers l'Etat. Le choix du Gouvernement s'est arrêté sur la dotation globale de décentralisation qui a, justement, pour raison d'être la compensation de charges nouvelles crées par la décentralisation et non assumées par le transfert des ressources fiscales.

Le mécanisme retenu laisse aux départements la disposition de 5 % des montants consacrés au titre de l'aide médicale. Ces 455 millions de francs, sont censés représenter ce que les départements versaient indûment, à la place notamment des CAF (pour des raisons de complexité dans l'accession aux droits, notamment au titre du RMI). Les crédits de fonctionnement sont laissés aux départements.

(3) Les conséquences naturelles pour le RMI

Au titre du revenu minimum d'insertion, les départements ont l'obligation de consacrer à l'insertion 20 % du montant des allocations RMI versées par l'Etat. Or ils peuvent à concurrence de 3 % de ces montants imputer leurs dépenses sur celles d'aide médicale. La suppression de ces dernières privant les départements de cette faculté, le projet de loi ramène, dans son article 13, à 17 % du montant des allocations de RMI l'obligation d'insertion des départements.

c) Les modalités du transfert de la dotation globale de décentralisation

Le projet de loi retient, dans son article 13, un mécanisme parallèle à celui de 1984. Il s'appuie ainsi sur les dépenses effectives des départements, ramenées à la date du transfert, prévue au 1 er janvier 2000. Il s`agit donc des dépenses inscrites sur les comptes administratifs de 1997, revalorisées par le taux de progression de la dotation globale de fonctionnement pour les années 1997, 1998 et 1999. Le montant s'impute ensuite en soustraction sur la dotation globale de décentralisation prévue pour l'année 2000.

Ce mécanisme appelle plusieurs remarques.

Tout d'abord, il est permis de douter sérieusement de l'applicabilité au 1 er janvier 2000 de la loi portant création de la couverture maladie universelle. Il faudrait alors revoir la date du transfert de la dotation globale de fonctionnement, et donc ses modalités de calcul pour l'année entamée.

Ensuite, le taux de progression affecté aux dépenses d'aide médicale est celui de la dotation globale de fonctionnement, alors que les deux variables n'ont pas de lien. Rien n'indique que pour tous les départements les dépenses d'aide médicale pour 1998 et 1999 aient augmenté aussi vite que la dotation globale de fonctionnement.

La simplicité du mécanisme promu par le Gouvernement et retenu par l'Assemblée nationale est donc porteur d'inégalités, et surtout d'une très forte insécurité juridique pour les départements.

2. Les collectivités locales supportent le coût de la transition et de la correction des inégalités engendrées par ce projet

a) Une réponse unique à des situations très différentes

Les départements ont consenti un effort très important en faveur de l'aide sociale et singulièrement de l'aide médicale. Cet effort varie bien entendu entre les collectivités locales selon l'état sanitaire de la population, son âge et les possibilités d'intervention.

Dépenses directes d'aide sociale par département

(en millions de francs)

 

1995

1996

1997

France hors Paris

 
 
 

Evolution

 

4,42%

2,28%

Moyenne

706,4

737,6

754,4

Médiane

532,4

562,8

558,8

Minimum

98,2

100,7

98,5

Maximum

3.824

3.922

3.992

Métropole hors Paris

 
 
 

Evolution

 

4,17 %

1,82%

Moyenne

703,7

733

746,3

Médiane

513

546

543

Minimum

98,7

100,7

98,5

Maximum

3.834

3.922

3.992

DOM

 
 
 

Evolution

 

- 13,37 %

11,71 %

Moyenne

978,5

847,7

947

TOTAL

69.345

73.026

74.688

Source : ADF

La part des dépenses d'aide médicale dans les dépenses totales d'aide sociale a augmenté depuis dix ans pour en représenter 12 % en 1997.

Cependant il existe là aussi de fortes disparités. Elles sont notamment visibles dans l'adoption ou non d'un règlement départemental d`admission à l'aide sociale et, singulièrement, à l'aide médicale. En 1995, la Cour des comptes constatait que 67 départements avaient adopté un barème pour l'aide médicale, ce qui en laissait tout de même le tiers sans autre seuil que le minimum légal du RMI.

La disparité entre le départements se lit ainsi dans le choix des seuils retenus, mais aussi dans les conditions mises pour l'accès à l'aide médicale. Cette couverture inégale du territoire soulevait notamment des problèmes lors des changements de domicile, contraignant les bénéficiaires à renouveler leurs démarches. Certains départements ont choisi une formule souple et rapide affiliant de façon préventive les bénéficiaires et leur confiant une carte de soins ouvrant droit à prestations.

La carte Paris-santé

Lancée en 1988 et mise en place en 1989, la carte Paris-santé est un titre délivré à titre préventif sous conditions de ressources permettant un accès aux soins sans contingentement des actes et prescriptions avec un système de tiers-payant intégral (y compris le ticket modérateur et le forfait hospitalier journalier). Des suppléments sont prévus pour les lunettes, les prothèses dentaires et les prothèses auditives. Les bénéficiaires de l'aide médicale comme les professionnels ont tiré profit de ce mécanisme : un titre unique d'admission à l'aide médicale.

Le nombre de bénéficiaires a plus que triplé en passant de 28.900 au 31 décembre 1989 à plus de 130.000 au 31 décembre 1998. Parallèlement, les dépenses du département de Paris au titre de l'aide médicale sont passées de 141 millions de francs à 310 millions de francs. Près de 9.000 professionnels de santé ont aujourd'hui adhéré à ce système, soit plus de la moitié des professionnels de santé inscrits à l'ordre).

Le barème d'aide médicale commençait au 1 er janvier 1999 à un revenu de 4.004 F par mois pour une personne seule.

Source : département de Paris

b) Le financement de la transition est incertain alors que les besoins seront certains

Aujourd'hui, les collectivités locales accueillent l'essentiel des bénéficiaires de l'aide médicale. Certains départements ont pu passer des conventions pour l'instruction des dossiers avec les caisses primaires d'assurance maladie ou bien certaines communes par le biais d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale. Cette fonction d'accueil est bien entendu la plus importante pour le bénéficiaire.

Le 1 er janvier 2000, ces personnes, soit 6 millions selon les prévisions du Gouvernement, devront s'adresser directement aux caisses primaires d`assurance maladie qui auront en charge l'instruction des dossiers, la délivrance des attestations et l'information sur la couverture complémentaire. Une partie de ces 6 millions de personnes choisira alors de s'adresser à un organismes de protection sociale complémentaire, selon une liste établie par département. Cependant, comme tout laisse à craindre que rien ne sera prêt le 1 er janvier 2000, les collectivités locales ne pourront se désintéresser des personnes concernées qui naturellement se tourneront vers leur interlocuteur naturel : les bureaux d'aide sociale ,qui ne leur fermeront pas leur porte.

De plus, une fois le système mis en place, subsisteront des cas particuliers, des demandes d'action sociale, d'intervention de collectivités locales, etc. S'y ajouteront les demandes des personnes se situant juste au dessus du seuil fixé par le Gouvernement. Une personne seule percevant pour unique revenu l'allocation pour adulte handicapé qui s'élève à 3.540 F par mois n'aura pas le droit au bénéfice de la couverture maladie universelle mais en aura très probablement besoin. Les départements pourront-ils s'en désintéresser ?

De même, dans les départements consentant aujourd'hui un effort particulier d'aide médicale au dessus du plafond de la couverture maladie universelle (dont le nombre varie, selon les interlocuteurs, de 3 à 30), sera-t-il envisageable de supprimer l'intégralité des dispositifs alors que les recettes correspondantes auront, elles, été supprimées ?

Enfin, resteront des sommes impayées à la charge des départements qui n'auront plus les ressources correspondantes. Il s'agit principalement des non-valeurs des hôpitaux qui n'apparaissent qu'avec un retard important.

Tout porte donc à croire que les départements auront à prendre en charge le coût et la difficulté de la transition et devront maintenir des formules d'aides.

S'il est difficile d'estimer les dépenses que les départements auront à supporter en termes d'organisation, d'augmentation des crédits d'action sociale, il apparaît certain que ces dépenses existeront et qu'elles dépasseront les 455 millions de francs (soit en moyenne un peu plus de quatre millions de francs par département) laissés à leur bénéfice.

c) L'effet de seuil ne pourra être corrigé que par un effort d'aide sociale facultative des collectivités locales

La couverture maladie va susciter un effet de seuil extrêmement fort du fait de la rigueur du plafond retenu : celui-ci ne prévoit en effet aucun assouplissement. Ces seuils diffèrent de ceux déjà existants. Par exemple, le barème proposé par le Gouvernement semble relativement plus favorable aux familles nombreuses que le barème du RMI.

Cet effet de seuil existait auparavant sous la forme d'une centaine de seuils : ceux mis en place par les barèmes départementaux d'aide sociale là où ils existent. Dans certains départements, ce projet de loi permettra donc à des personnes de bénéficier d'une prestation à laquelle elles n'avaient pas droit. Dans d'autres, au contraire, leur droit à prestation disparaîtra sauf effort particulier et supplémentaire des collectivités locales.

Celles qui consentaient donc un effort particulier vont souscrire avec ce projet de loi un marché de dupes où, au nom de la solidarité nationale, elles seront amenées à contribuer deux fois (pour le transfert de DGD à l'Etat ; pour la couverture des bénéficiaires) là où elles ne payaient qu'une seule (couverture des bénéficiaires). Le département de Paris supporterait ainsi une charge de 120 millions de francs par an.

Les collectivités locales, par ailleurs, pratiquaient un accueil personnalisé et une prise en compte attentive et efficace des besoins de ressortissants de l'aide médicale grâce à la proximité et à la connaissance qu'elles en avaient. Cette fonction ne pourra être reprise par les caisses primaires d'assurance maladie qu'après une révision complète de leurs méthodes de travail, une " révolution culturelle ".

Le rôle des collectivités locales ne disparaîtra donc pas avec la couverture maladie universelle. Elles n'auront pourtant plus les ressources financières pour le remplir. Ainsi, la recentralisation légitime de l'aide médicale ne se fera pas sans conséquence pour les finances locales.

3. Quelle place pour les contingents communaux d'aide sociale ?

a) Le contingent communal d'aide sociale, fruit de l'histoire
(1) Ancienne, la justification de la participation des communes est contestée

Le barème du 21 mars 1955 laissait au conseil général le soin de répartir entre le département et les communes, dans certaines limites, la charge de l'aide sociale. La loi du 7 janvier 1983 a maintenu le principe de la participation financière des communes. Leur taux de contribution a été fixé comme résultant de la proportion dans le financement des dépenses d'aide sociale entre la part de l'Etat (compensée par la DGD) et celles des communes (maintenue par le biais du contingent) avant la décentralisation. Les écarts observés depuis 1955 se sont donc maintenus.

Le choix du maintien d'une participation communale inspiré d'un souci de neutralité pour les finances départementales, s'est en outre justifié par le rôle maintenu des communes dans la mise en oeuvre de l'aide sociale légale (présence des maires au sein des commissions locales d'aide sociale, rôle des services municipaux pour l'instruction des demandes, pouvoirs du maire en matière d'admission d'urgence).

Pour éviter que ne s'instaure une tutelle entre les départements et les communes, la loi a retenu le principe d'une participation sous la forme d'une contribution globale annuelle calculée par rapport aux dépenses totales supportées par le département en matière d'aide sociale légale. Elle a limité son augmentation à celle des dépenses départementales.

(2) Le mécanisme du contingent communal d'aide sociale

Les communes participent par le biais de ce contingent aux dépenses mises à la charge du département. Cette participation évolue sur le même rythme que les dépenses départementales (sauf pour les départements où le taux de participation est inférieur à la moyenne nationale et où l'augmentation peut donc être supérieure d'un point pour permettre un rattrapage) et ne concerne que l'aide sociale obligatoire (dépenses légales de santé, d'aide sociale y compris celles relatives à l'insertion des bénéficiaires du RMI). Le montant en est donc arrêté pour chaque département.

Le contingent se divise en deux parties : l'équivalent de la participation de la commune en 1983 d'une part ; une partie dépendant de la situation de la commune en fonction de critères objectifs. Cette dernière n'est plus plafonnée depuis 1994 et peut donc représenter l'intégralité des contingents.

Il existe trois catégories de critères. Le conseil général choisit lesquels il retient (au moins un dans chaque catégorie) et leur pondération :

• situation financière de la commune : dotation globale de fonctionnement attribuée à chaque commune et potentiel fiscal de chaque commune ;

• situation de la commune au regard de l'aide sociale : nombre de bénéficiaires dans chaque commune des prestations d'aide sociale légale prises en charge par le département et nombre d'admissions à l'aide sociale dans chaque commune ;

• structure démographique et situation de l'emploi : structure par classe d'âge de la population de chaque commune et situation de l'emploi dans chaque commune.

Ce mécanisme est complété par un système d'écrêtement : l'augmentation de la contribution d'une commune au titre d'un exercice ne peut excéder de plus de trois points le taux d'augmentation appliqué à la contribution globale communale au titre du même exercice.

Ce système explique la forte variation des contingents communaux d'aide sociale entre départements d'une part (selon l'effort départemental en faveur de l'aide sociale) et entre communes d'autre part (selon les différents critères retenus par le conseil général).

Les contingents communaux d'aide sociale représentaient ainsi près de 12 milliards de francs en 1997, dont environ 10 % relèvent de l'aide médicale.

Evolution des contingents communaux d'aide sociale

 

Montant (en MF)

Evolution

1984

5 743

 

1985

6 031

5,01 %

1986

6 284

4,19 %

1987

6 332

0,76 %

1988

6 590

4,07 %

1989

6 875

4,32 %

1990

7 453

8,41 %

1991

7 990

7,21 %

1992

8 716

9,09 %

1993

9 452

8,44 %

1994

10 160

7,49 %

1995

11 010

8,37 %

1996

11 450

4,00 %

1997

11 948

4,35 %

1984-1997

-

108,04 %

France entière hors Paris

Source : AMF

b) La couverture maladie universelle risque d'engendrer un coût important pour les communes
(1) Des charges supplémentaires

Cependant, les communes vont connaître une augmentation de leurs charges du fait de la couverture maladie universelle, avec des dépenses maintenues et des recettes en diminution.

Les communes ont beaucoup investi pour faciliter et favoriser l'accès aux soins, principalement par le biais d'accords avec les mutuelles au titre de l'action sociale. Elles accueillent les personnes en difficulté et assurent bien souvent l'instruction des dossiers. Il paraît probable que durant la période de transition les futurs bénéficiaires de la couverture maladie universelle se tourneront en priorité vers l'échelon de référence que constitue la commune. Celle-ci pourra difficilement les ignorer. De plus, le rôle de l'action sociale facultative va progresser avec les effets de seuil accentués par le projet de loi, même si le projet de loi va leur permettre de dégager des ressources.

En revanche, certaines sources de financement vont disparaître. De nombreux départements passent des conventions de gestion avec les communes pour l'instruction des dossiers d'aide médicale. Cette charge est le plus souvent assumée par le versement d'une compensation de la part du département. 15 000 agents seraient ainsi mobilisés par cette tâche. Or, avec la couverture maladie universelle, les caisses primaires d'assurance maladie vont prendre en charge l'instruction des dossiers et l'ouverture des droits. Les communes perdront ainsi les redevances départementales mais garderont à leur charge les agents affectés à une tâche qui n'aura plus lieu. En cas de licenciement économique, comme le prévoit le statut de la fonction publique territoriale, les agents passeront à la charge de l'ensemble des communes par le biais de leur centre de gestion. Sans licenciement à l'inverse, le projet de loi engendrera des redéploiements de personnel qui pourront être importants pour certaines communes. En tout état de cause, il suscitera des pertes de ressources parfois non négligeables et des dépenses supplémentaires.

(2) La question du maintien de la part " médicale " du contingent communal d'aide sociale

A droit constant, les départements subiront une diminution de leurs recettes liée à la suppression de la part " médicale " du contingent communal d'aide sociale. Deux phénomènes vont ainsi se cumuler pour réduire l'ensemble des dépenses d'aide sociale des départements :

• la recentralisation vers l'Etat des 9 milliards de francs de dépenses ;

• la diminution de 20 % à 17 % du montant des prestations au titre du RMI que les départements doivent consacrer à l'insertion.

Au total, entre 1,2 et 1,5 milliard de francs sont concernés.

A droit constant, ce projet de loi se traduirait donc par une baisse des recettes des départements, et donc par une baisse équivalente des charges des communes, puisque la base diminue pour un taux d'appel strictement encadré.

Afin d'assurer la neutralité financière pour les départements, il est donc nécessaire de modifier le décret de 1987 déterminant les modalités de calcul du contingent communal d'aide sociale. Cette solution évite les pertes de recettes mais ne résout pas le problème posé par le maintien de ce dernier. Comment en effet des communes accepteraient-elles de payer aux départements des contingents au titre d'une compétence ou eux-mêmes n'exerceraient plus ?

Ainsi, la couverture maladie universelle relance-t-elle le débat sur l'opportunité de maintenir le mécanisme du contingent communal d'aide sociale.

c) L'avenir de tout ou partie du contingent communal d'aide sociale est en cause
(1) Le principe de la suppression apparaît justifié

De nombreuses raisons plaident pour une suppression des contingents communaux d'aide sociale :

• le mécanisme de calcul des contingents est difficilement lisible et maîtrisable ;

• il suscite de fortes inégalités entre communes du fait de la grande latitude dont dispose les départements pour les fixer ;

• leur montant a cru considérablement (cependant, dans une mesure légèrement inférieure à l'ensemble de la hausse des dépenses d'aide sociale) ;

• il s'agit d'un financement sans exercice d'une compétence en regard ;

• les communes auront à supporter des charges supplémentaires ;

Les inégalités représentent le plus fort argument : comment les maintenir alors que la couverture maladie universelle recentralise justement l'aide médicale au nom de l'égalité entre les collectivités ?

Une étude menée en 1995 sur 98 départements, hors Guyane et Paris, a montré que 44 départements procédaient à une intégration maximale des critères évolutifs. Ainsi, 69 % de l'ensemble du contingent communal d'aide sociale sont répartis selon des critères variables, le plus souvent celui de la situation financière de la commune (potentiel fiscal) ; le critère du nombre de ressortissants à l'aide sociale n'était prépondérant que dans 10 départements. L'objectif est ainsi d'adapter les contingents à la capacité contributive des communes ou aux charges que leur démographie induit.

Contingent communal d'aide sociale par habitant

(en francs par habitant)

 

1995

1996

1997

France hors Paris

 
 
 

Evolution

 

3,99 %

4,35 %

Moyenne

197

205

214

Médiane

188

192

202

Minimum

49

60

66

Maximum

425

499

465

Métropole hors Paris

 
 
 

Evolution

 

4,16 %

3,62 %

Moyenne

196

205

212

Médiane

190

193

200

Minimum

49

60

66

Maximum

425

499

465

DOM

 
 
 

Evolution

 

- 1,92 %

31,19 %

Moyenne

212

208

273

Source : ADF

On constate cependant une très inégale répartition du poids des contingents communaux entre les strates de communes. L'examen des contingents appelés au titre de l'exercice 1996 (ceux de 1997 étant disponibles globalement mais pas par commune) montre que leur montant croît avec la population de la commune et que le mode de répartition actuel fait supporter la plus lourde charge aux communes urbaines : celles de moins de 10.000 habitants n'acquittent que 42 % des contingents alors qu'elles abritent 51 % de la population.

Dépenses au titre du contingent communal d'aide sociale selon la taille de la commune

Population

Montant des contingents communaux d'aide sociale

Nombre d'habitants

Contingent par habitant

0-499

656.919.035 F

4 327 484

152 F

500-499

672.953.348 F

4 547 208

148 F

1 000-1 999

861.802.229 F

4 975 093

153 F

2 000-3 499

826.510.661 F

4 975 093

166 F

3 500-4 999

557.23. 833 F

3 128 190

178 F

5 000-7499

730.917.352 F

3 956 571

185 F

7 500-9 999

529.981.567 F

2 664 760

199 F

10 000-14 999

802.230.391 F

3 640 027

220 F

15 000-19 999

627.718.971 F

3 194 845

196 F

20 000-34 999

1.050.506.117 F

5 738 886

183 F

35 000- 49 999

920.455.180 F

3 910 226

235 F

50 000- 74 999

725.880.599 F

3 192 118

227 F

75 000 - 99 999

382.565.603 F

1 758 620

218 F

100 000 - 199 999

1.053.707.713 F

3 629 630

290 F

200 000 et plus *

1.179.718.862 F

3 278 985

360 F

Total France hors Paris

11.581.103.461 F

57 578 336

201 F

* hors Paris

Source : AMF

Ces données représentent des moyennes nationales. La situation peut cependant fortement varier selon chaque département

(2) ... posant la question de ses modalités : totale ou partielle ? comment la compenser ?

Le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle ne concerne bien entendu que la partie " médicale " du contingent communal d'aide sociale, soit environ 1,5 milliard de francs. Il paraît cependant difficile de limiter le débat à cette seule somme. En effet, toute suppression oblige à mettre en place des mécanismes de compensation au profit des départements. Ces mécanismes valant pour la partie médicale trouveraient donc toute légitimité à s'appliquer aussi à l'autre partie.

La suppression des contingents communaux d'aide sociale doit donc être totale. Elle pose un problème de ressources aux départements, privés ainsi de 12 milliards de francs. Plusieurs scénarios restent à l'étude. Il ne faudrait pas, en tout état de cause, que ce projet de loi soit l'occasion d'opposer deux niveaux de collectivités locales (communes et départements). Toute réforme des contingents communaux d'aide sociale devrait ainsi obéir à deux principes : neutralité financière pour les départements ; atténuation des inégalités pour les communes. Elle pourrait se faire par le biais de la dotation globale de fonctionnement.

Votre commission des finances ne saurait préjuger de la conclusion des négociations menées actuellement entre les départements, les communes et l'Etat. Elle estime néanmoins que, si la compensation se justifie, elle ne saurait négliger que les communes supporteront une charge supplémentaire au titre de la couverture maladie universelle sans bénéficier de ressources correspondantes.

B. LA PLACE AMBIGUË DE LA PROTECTION SOCIALE COMPLÉMENTAIRE : PAYER SANS DÉCIDER ?

1. L'association problématique des organismes de protection sociale complémentaire

a) Le projet de loi constitue une lecture ambiguë du partenariat affiché
(1) Les rapports entre protection de base et protection complémentaire : les limites de l'intervention privée

Le principe de la participation d'organismes privés à la protection sociale obligatoire ne va pas de soi dans l'histoire de la protection sociale, ni au regard des principes de l'économie de la santé.

L'instauration de régimes de base de sécurité sociale est née du constat unanime qu'il était difficile de laisser à l'initiative privée la maîtrise de la protection sociale. La justification de l'intervention publique réside ainsi dans trois séries d'arguments : il s'agit de biens tutélaires, d'un marché imparfait et soumis au principe d'équité 7( * ) .

L'objectif d'un système de soins est de préserver la santé d'une population et des individus qui la composent. Les politiques de santé, les comportements individuels et le système de soins concourent ainsi à l'amélioration de l'état de santé. L'intervention de la puissance publique doit donc permettre de substituer en partie ses propres choix à ceux des acteurs privés car la santé est un bien tutélaire, c'est à dire qu'existent des externalités (les choix du consommateur peuvent être biaisés, par exemple en connaissant mal les effets de l'alcool, et entraîner ainsi des conséquences collectives). L'intervention publique permet alors de rapprocher le comportement individuel de ce qui est le plus approprié au plan collectif.

Les imperfections du marché constituent, elles, une raison plus spécifique à l'instauration de mécanismes publics de couverture du risque. Elles sont deux ordres : hasard moral et sélection adverse 8( * ) . Il y a un risque moral (ou hasard moral) d'assurance lorsque l'assuré n'est pas incité à un comportement de prévention : assuré et donc protégé, il n'a pas d'incitation directe à se prémunir contre le risque. En matière maladie, ce risque moral se matérialise ainsi : le niveau de couverture maladie a tendance à augmenter les volumes mais pas le prix unitaire des actes. Ainsi, l'intervention publique doit mettre en place des mécanismes de responsabilisation.

Plus important est le problème de la sélection. En assurance maladie, la concurrence pousse les compagnies d'assurance à pratiquer des stratégies de sélection du risque. L'assureur bénéficie d'une certaine quantité d'informations sur les risques encourus et peut donc faire varier les primes d'assurance selon les caractéristiques des individus. En ce cas, les hauts risques ont du mal à s'assurer, en raison du coût élevé de leurs primes. Il n'y a pas de péréquation des risques : pour éviter de perdre les bons risques en augmentant l'ensemble des primes, les compagnies sont rationnellement incitées à concentrer l'augmentation sur les risques élevés.

Enfin, existe une demande d'égalité en matière d'accès aux soins qui justifie la présence d'un certain principe d'équité. Celui-ci rejoint la fonction de redistribution de l'assurance maladie publique. Elle constitue un outil complémentaire à la redistribution fiscale.

Il y a donc une justification économique de l'instauration d'un monopole public pour la couverture des soins de base, principalement pour prévenir la sélection du risque et concourir à l'équité. Cependant, cela ne disqualifie pas la présence d'une couverture facultative complémentaire.

Des systèmes à caractère mixte avec couvertures publique et privée se retrouvent dans la plupart des pays européens. Elles se complètent pour permettre d'approcher à un optimum économique de second rang : une assurance universelle différenciée selon le niveau de revenu (par exemple par les cotisations et un ticket modérateur progressif) et une place aux comportements volontaires de couverture complémentaire. Celle-ci peut alors être assurée par les acteurs privés et uniquement par eux puisque l'intervention publique se limite à la correction des imperfections de marché.

(2) La couverture maladie universelle remet en cause ces rapports

La couverture maladie universelle rompt avec cette répartition des rôles conforme aux apports de la théorie économique. En effet, elle instaure une concurrence entre les acteurs publics et privés pour la gestion de la couverture complémentaire et contraint les organismes complémentaires à assumer la prolongation d'un an des droits à couverture complémentaire.

Se pose ainsi la question de la nature de la partie complémentaire de la couverture maladie universelle. S'il s'agit, comme le Gouvernement l'indique, d'une prestation correspondant au minimum de ce chaque Français est en droit d'attendre de  la collectivité, alors cette mission relève entièrement de l'assurance maladie. Une partie de la gestion peut en être déléguée à un organisme privé, mutuelles, assurances, mais rien ne justifie alors une compensation équilibrée de la part de l'Etat remboursant les dépenses au franc le franc.

Si, cependant, seule la partie de base de la couverture maladie universelle relevait de la solidarité nationale, la partie complémentaire constituerait une activité privée, que l'Etat pourrait favoriser par un quelconque moyen, mais sans mettre en concurrence la CNAMTS et les organismes complémentaires d'une part et sans leur imposer d'autre part le maintien des droits pendant un an, ce qui n'est pas demandé à la CNAMTS.

Ce projet de loi recèle donc une ambiguïté fondamentale : relevant de la solidarité nationale, la partie complémentaire couverture maladie universelle devrait donc être neutre financièrement pour ses acteurs, ce qu'elle ne sera pas ; relevant de l'effort individuel, cette même partie complémentaire devrait alors être entièrement laissée entre les mains des acteurs privés. Les mutuelles et assurances qui préféreraient ne pas jouer le jeu trouveraient là un argument fondé.

Les acteurs, qu'il s'agisse de la CNAMTS ou des fédérations professionnelles d'organismes complémentaires avaient conscience de cet écueil philosophique en élaborant et en signant un protocole d'accord sur la couverture maladie universelle qui aboutit à une sorte de répartition des tâches : à la Sécurité sociale la grande précarité, aux complémentaires la moins grande exclusion. Par ces accords, les acteurs en reviennent à un scénario réaliste et progressif fonction du revenu. Celui-ci préserve l'autre avantage de limiter les effets de seuil.

Les points de consensus de la CNAMTS et des organismes de protection complémentaire

" La préparation du projet de loi sur la couverture maladie universelle (CMU) a permis de mettre en évidence trois éléments forts de consensus entre les acteurs de la société civile dans l'approche des problèmes de santé.

Le premier consensus s'établit sur le fait que le droit d'accéder aux soins est pleinement constitutif de la citoyenneté dans une société développée comme la nôtre.

Le consensus existe également pour que l'instauration de la CMU soit l'occasion de faire reculer les inégalités face à la santé et de favoriser l'usage effectif du droit d'accès aux soins.

Il n'est pas d'accès au soins de plein exercice, sans interventions coordonnées et complémentarité des prises en charges des régimes de bases et des systèmes complémentaires d'assurance maladie : c'est le troisième élément de consensus entre tous les acteurs du système de santé.

Les régimes de base et les organismes complémentaires d'assurance maladie organisent en leur sein deux formes de solidarité fondée sur des principes différents. C'est leur coexistence et le respect de leur champ de compétence respectif qui les renforcent et permettent qu'ils assurent ensemble une couverture ouvrant à tous un large accès aux soins.

Ainsi, les institutions signataires du présent protocole affirment qu'il n'entre pas dans la vocation actuelle des organismes gestionnaires des régimes obligatoires ou complémentaires de se concurrencer sur leur terrain respectif, pour la couverture du risque maladie. "

source : préambule du protocole d'accord

(3) Les organismes de protection complémentaire jouent un rôle subsidiaire dans le fonctionnement de la couverture maladie universelle et central dans son financement

Ainsi, la place réservée aux organismes complémentaires est celle du financement. La lettre du projet de loi s'éloigne de la logique partenariale censée l'animer. Mutualistes et assureurs contribuent au financement soit en versant leur contribution de 1,75 %, soit en prenant en charge des bénéficiaires de la couverture maladie universelle pour un coût probablement supérieur. Le prélèvement obligatoire est direct dans le premier cas, indirect dans le second.

A l'inverse, ils ne décident de rien : ni du contenu du panier de biens et services, dont la composition est renvoyée au décret alors que son coût figurera dans le texte de la loi, sans précision sur la façon dont les deux estimations coïncideront ; ni du montant réel de leur participation s'ils s'engagent dans la mise en place du projet de loi. De plus, les protocoles d'accord entre la CNAMTS et les organismes professionnels, moyen de décider de la mise en place du système, ne recueillent pas l'approbation du Gouvernement, qui leur retire ainsi même la liberté de contractualiser leurs rapports techniques.

b) Il instaure une inégalité sur la correction de l'effet de seuil
(1) Les organismes complémentaires sont les seuls à prolonger d'un an

La première source d'inégalité entre les caisses primaires d'assurance maladie et les organismes complémentaires désireux de prendre part au système concerne la prolongation des droits à couverture complémentaire pendant un an. L'article 21 du projet de loi prévoit ainsi que les garanties offertes aux personnes s'étant adressées à des organismes complémentaires seront prolongées pendant un an par ce dernier lorsque le bénéficiaire aura des ressources dépassant le seuil prévu par décret. Il participera à hauteur d'un " tarif n'excédant pas un montant fixé par arrêté ".

Le texte prévoit donc quels organismes seront obligés de prendre en charge les personnes perdant le bénéfice de la couverture maladie universelle, et ce à un coût inconnu. Ceci constitue pour les acteurs privés une raison supplémentaire de refuser prendre part au système, puisqu'ils auront à leur charge une partie indéterminée du coût de la prestation. Le Gouvernement a indiqué son intention de la fixer aux trois quarts de la somme remboursée par le fonds complémentaire, soit une charge résiduelle forfaitaire de 375 F à laquelle viendront s'ajouter les dépassements de dépenses au dessus des 1500 F par an.

(2) Les organismes complémentaires sont les seuls à concourir au fonds sur une base volontaire

Le système élaboré par le projet de loi tel qu'il ressort de l'Assemblée nationale maintient l'incohérence fondamentale sur la nature de la couverture maladie universelle et l'aggrave en excluant les représentants des organismes participant à la couverture complémentaire du conseil d'administration du fonds de financement.

De plus, la création d'un fonds permettant le financement d'efforts facultatifs, dénommé fonds d'accompagnement à la protection complémentaire des personnes dont les ressources sont supérieures au plafond prévu à l'article L. 861-1 aggrave l'incohérence. Cette fois, les organismes sont invités à contribuer volontairement (alinéa ajouté au nouvel article L. 861-10 du code de la sécurité sociale inséré par l'article 25 du projet de loi) afin de lisser les effets de seuil que la loi elle-même aura introduits.

c) Il risque de susciter un partage inégal de la charge
(1) La concurrence est certaine mais imparfaite entre les acteurs

Le choix laissé au bénéficiaire de la couverture maladie universelle de s'adresser soit à une caisse primaire d'assurance maladie soit à un organisme de protection complémentaire volontaire instaure de facto une concurrence entre les deux catégories d'acteurs.

En effet, les modalités du choix laissé au bénéficiaire de la couverture maladie universelle donne aux caisses primaires d'assurance maladie, chargées de l'instruction des dossiers et de l'ouverture des droits, une position privilégiée.

Lors de l'instruction de son dossier pour vérifier la réalité de l'ouverture de ses droits, l'agent de la caisse primaire d'assurance maladie présentera donc au futur bénéficiaire de la couverture maladie universelle la liste complète des organismes proposant une protection complémentaire. Il lui fera choisir entre l'adhésion auprès de la caisse primaire elle-même (possible immédiatement) et l'adhésion auprès d'organismes dont il lui donnera la liste. Le choix s'en retrouvera biaisé d'abord par la présence physique dans les locaux de l'un des intervenants, ensuite parce que l'agent pourra difficilement le renseigner sur les produits proposés par les autres acteurs alors qu'il l'informera exactement de ce que la caisse primaire lui offre comme prestations complémentaires. Le projet de loi est ainsi muet sur les principes généraux de l'information qui sera délivrée au bénéficiaire.

Il paraissait donc nécessaire que, pour limiter ces risques de concurrence, inutile s'agissant de lutte contre l'exclusion de soins, les différents acteurs s'entendent sur sa mise en oeuvre.

(2) Vers un partage des publics ?

La liberté de choix laissée à chaque titulaire de droits a été guidée par la volonté du Gouvernement d'éviter toute exclusion du bénéfice de la couverture maladie universelle (d'où les caisses primaires) tout en ouvrant la voie à une future adhésion à un contrat de protection lorsque le bénéficiaire aura cessé d'être éligible à la couverture maladie universelle (d'où les organismes de protection complémentaire). Ce faisant, ce choix ouvre la voie à une répartition des rôles laissant aux caisses primaires les plus démunis et aux acteurs privés ceux disposant de la plus grande probabilité de reconversion.

Le Gouvernement refuse cette logique et a ainsi prévu dans le nouvel article L. 861-8 du code de la sécurité sociale (introduit par l'article 20 du projet de loi) que " les organismes en cause ne peuvent subordonner l'entrée en vigueur de cette adhésion ou de ce contrat à aucune autre condition ou formalité que la réception du document attestant l'ouverture de leurs droits ".

Cependant, les protocoles d'accord entre la CNAMTS et les organisations professionnels d'assureurs et de mutualistes ont organisé ce partage qui correspond à la logique juridique du projet de loi mais aussi aux principes de la protection sociale. Le premier protocole prévoit ainsi : " les caisses d'assurance maladie, en application du principe de subsidiarité, n'offrent une telle prestation qu'en cas de carence constatée des organismes complémentaires ".

2. Le volet complémentaire de la couverture maladie universelle fait peser de lourdes menaces sur chacun des acteurs de la protection sociale complémentaire et crée un nouveau prélèvement obligatoire

a) Un risque de transfert des assurés vers la couverture maladie universelle
(1) Les craintes de la CANAM et de la MSA

La CANAM et la MSA appliquent une cotisation minimale à chacun de ses assurés, notamment ceux en début d'activité ou connaissant des déficits. Le projet de loi ne la supprime pas explicitement et lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a expliqué que cette question ne rentrait pas dans le champ de ce projet de loi qui ne modifiait pas les régimes professionnels 9( * ) .

Votre commission des finances ne partage pas ce point de vue. La cotisation minimale s'applique en dessous des seuils de revenu qui sont ceux de la couverture maladie universelle. Dès lors, il ne paraît pas concevable que des assurés rationnels continuent de s'adresser à la CANAM et à la MSA pour payer des cotisations alors qu'ils bénéficieraient d'une couverture intégrale et gratuite ailleurs. La CANAM et la MSA reconnaissent ainsi qu'il leur sera difficile de maintenir une cotisation minimale aussi élevée que celle qui existe et qu'il leur faudra probablement la supprimer. De ce point de vue, il convient d'évaluer le coût de cette disparition. Elle entraîne une perte nette de 1,295 milliard de francs pour la CANAM :

Conséquences prévisionnelles pour la CANAM
en cas de suppression de la cotisation minimale sur la base de 1998

Appel d'avril 1998

Débuts d'activité (*)

Déficits

Autres

Total

Effectifs

113.660

67.834

391.740

573.234

Assiette (MF)

 
 
 
 

Situation actuelle

7.624

4.493

25.768

37.885

Après suppression

0

0

12.539

12.539

Perte

7.624

4.493

13.229

25.346

Cotisation (MF)

 
 
 
 

Situation actuelle

450

265

1.520

2.235

Après suppression

0

0

740

740

Perte brute

450

265

781

1.495

Perte nette après régularisation

 


- 200

 


1.295

(*) Assurés sans revenu N-2

Source : CANAM


Il en va de même pour la MSA, pour un coût de 415 millions de francs et 163 600 chefs d'exploitation concernés.

Conséquences prévisionnelles pour la MSA

en cas de suppression de la cotisation minimale sur la base de 1998

 

Pertes de cotisations (en millions de francs)

Manque à gagner de cotisations sociales pour l'assiette de base à 800 SMIC/an

dont cotisations complémentaires

280

71

Manque à gagner de cotisations sociales par le relèvement de l'assiette entre 1,5 et 3,5 SMI

dont cotisations complémentaires

135

34

Total

415 MF

Source : MSA

Au total, la logique de ce projet de loi conduit à une perte de plus de 1,7 milliard de francs pour ces deux régimes, hors de tout risque de fraude.

Le volet complémentaire pose par ailleurs un problème spécifique à la MSA qui accueille aujourd'hui 21 sections complémentaires sans compter les initiatives ponctuelles de certaines caisses départementales. Elles proposent des prestations complémentaires aux ressortissants de la MSA, dont beaucoup possèdent des revenus en dessous du seuil établi pour le bénéfice de la couverture maladie universelle. Cette activité se voit donc remise en cause.

(2) Effets de seuil et minima sociaux : une incitation au travail clandestin

L'effet de seuil généré par ce projet de loi, plus strictement et durement ressenti par ceux qui le subissent que dans l'actuel système où de très nombreux seuils existent risque de générer une forte incitation à la fraude et au travail clandestin.

En effet, à partir du moment où les caisses primaires d'assurance maladie ne seront que faiblement en mesure, du moins lors de la mise ne place du système, de réaliser un contrôle effectif des revenus, se développe un fort risque de fraude. De plus, le projet de loi prévoit une ouverture automatique des droits avant contrôle effectif de sa justification. Par ailleurs, il ne mentionne la possibilité d'aucune sanction en cas de fraude.

La seconde dérive possible concerne le travail clandestin. La plus grande motivation à se faire déclarer résidait jusqu'à maintenant dans la liaison entre cette formalité et l'intégration dans un régime de protection sociale. Bien sûr, les personnes en difficulté pouvaient avoir recours à l'aide sociale te se faire assurer à l'assurance personnelle. Avec la couverture maladie universelle, la protection devenant complète en dessous d'un certain seuil de revenu, la désincitation est forte à le dépasser officiellement.

(3) La question de l'harmonisation des régimes

Au delà du problème de la fraude et du contournement de la loi, la couverture maladie universelle reste l'occasion de soulever la question de l'harmonisation ou, du moins, du rapprochement des régimes d'assurance maladie. Leur justification s'émousse avec le temps et avec l'extension réalisée par ce projet de loi. Ils sont déjà intégrés par les transferts financiers de compensation qu'ils provoquent. Leur existence suscite des inégalités de traitement, des effets pervers et des comportements de choix du consommateur. Plus que jamais il paraît urgent de réfléchir à la possibilité d'un rapprochement progressif des conditions d'affiliation, des cotisations et des prestations.

b) La remise en cause des principes de la protection complémentaire : vers une libre concurrence ?
(1) Une remise en cause des principes de la protection complémentaire

Le projet de loi remet en cause la différence essentielle entre la protection complémentaire et l'assurance de base. La première repose sur un effort volontaire et individuel (pouvant être offert au niveau de l'entreprise) ; la seconde constitue une assurance obligatoire et collective. Les organismes de protection complémentaire interviennent donc de façon subsidiaire là où l'assurance maladie laisse une place à l'initiative privée. Ce projet de loi supprime la subsidiarité dans son champ d'application puisque l'assurance maladie interviendra dans le champ de compétences des organismes complémentaires ou bien ceux-ci dans celui de l'assurance maladie, selon la lecture qui en est faite.

Il y a également une asymétrie puisque l'Etat peut alors intervenir dans le régime de base et dans le régime complémentaire tandis que les organismes de protection complémentaire sont par définition limités à ce dernier secteur.

Enfin, les principes d'adhésion, de cotisation, de participation à la vie de la famille mutualiste sont remis en causse puisque le projet de loi exclue toute obligation de paiement d'une cotisation et toute obligation d'adhésion à la mutuelle.

(2) La compatibilité douteuse avec le droit communautaire : vers une libre concurrence ?

L'ambiguïté de la nature de la couverture maladie universelle risque cependant de la rendre incompatible avec le droit communautaire de la libre concurrence ou bien d'amorcer de nouvelles évolutions. Cela dépend, une fois encore, de la nature de l'aspect complémentaire de la couverture maladie universelle.

Il est possible d'imaginer qu'elle relève effectivement du secteur complémentaire. Alors la concurrence entre les caisses primaires d'assurance maladie et les organismes de protection complémentaire doit être équilibrée.

Cependant elle ne l'est pas puisque l'Etat a pris l'engagement de la rembourser au franc le franc les dépenses de la CNAMTS et de ne pas la soumettre à l'obligation de prolongation durant un an de la couverture complémentaire même en cas de dépassement du seuil, tandis que les organismes complémentaires subissaient de plus un prélèvement obligatoire nouveau. Il serait donc possible de faire valoir que ce projet de loi encourt le grief d'incompatibilité avec le droit communautaire parce qu'il donne une place privilégiée au régime obligatoire d'assurance maladie sur les organismes de protection complémentaire dans leur propre marché, ouvert à la concurrence européenne.

Il est aussi possible de penser que la couverture complémentaire fait partie des régimes de base. Le système du fonds de financement, la péréquation, l'absence de cotisation rapprochent en effet l'aspect complémentaire de la couverture maladie universelle d'un régime de base.

Mais alors en associant le secteur privé à sa gestion, il démontre que ce dernier peut trouver sa place dans l'assurance de base, sous réserve de limites posées par la puissance publique. De ce point de vue, ce projet de loi pourrait constituer un premier pas vers l'introduction de la concurrence au sein de l'assurance maladie.

c) La création d'une nouvelle taxe qui augmentera les prélèvements obligatoires
(1) La contribution de 1,75% : un prélèvement obligatoire

L'article 25 du projet de loi détaille les dispositions financières de la protection complémentaire. Le financement de celle-ci repose ainsi sur une contribution de l'Etat et sur la création d'un prélèvement obligatoire.

Celui-ci est détaillé dans le nouvel article L. 861-13 du code de la sécurité sociale. L'assiette du prélèvement est constitué par le " montant hors taxes des cotisations et primes afférentes à la protection complémentaire en matière de santé, recouvrées au cours d'un trimestre civil au titre de leur activité en France " . Son taux est de 1,75 %. Son produit est recouvré par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général (URSSAF). Il est perçu par le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle. Les reversements sont trimestriels et sont évalués nets du montant de la contribution due par le fonds au titre de la prise en charge de bénéficiaires de la couverture maladie universelle, c'est-à-dire 375 F par trimestre.

La nature comptable de cette contribution doit bien entendu être une charge venant au compte de résultat réduire le résultat de l'exercice. De même, il ne s'agirait pas de soumettre les montants perçus du fonds à paiement de l'impôt sur les sociétés alors qu'il s'agit d'une compensation de charges : si c'était le cas, le coût en serait augmenté du taux de l'impôt sur les sociétés.

Le rendement estimé de cette contribution s'élève à 1,8 milliard de francs.

La contribution de 1,75 % fera partie des prélèvements obligatoires.

" Suivant la définition de l'OCDE, les prélèvements obligatoires sont les versements effectifs opérés par les agents économiques au profit du secteur des administrations publiques, tel qu'il est défini par la comptabilité nationale, dès lors que ces versements résultent, non d'une décision de l'agent économique qui les acquitte, mais d'un processus collectif de décisions relatives aux modalités et au montant des débours à effecteur.

L'éventuel " Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie " sera classé sans conteste dans le secteur des administrations publiques.

Le prélèvement éventuel de 1,75 % sur les cotisations des mutuelles, institutions de prévoyance et assurances, qui constituera ses ressources aurait donc toutes les caractéristiques d'un prélèvement obligatoire.

Mais la notion de prélèvement obligatoire, sous son apparente simplicité, n'est pas toujours facile à cerner. Elle ne fait d'ailleurs pas l'objet encore d'une normalisation au sein du SEC 95. Parmi les difficultés qu'elle soulève, figure le traitement des versements effectués entre organismes appartenant aux administrations publiques : à partir du moment où ces derniers financent de tels versements avec des ressources provenant essentiellement de prélèvements effectués sur des agents n'appartenant pas eux-mêmes aux administrations publiques, prélèvements qu'il est alors aisé de qualifier eux-mêmes d'obligatoires, il existe un risque d'introduire un double compte si on classe ces versements parmi les prélèvements obligatoires.

Tel est le problème soulevé par la qualification des ressources du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie. Il est donc proposé de retenir dans les prélèvements obligatoires, les seules ressources provenant des contributions effectuées par les unités mentionnées à l'article L.861-13 qui n'appartiennent pas aux administrations publiques.

Les autres ressources relatives à l'article L.861-13 et celles de l'article L.861-12-b seraient traitées comme des transferts courants entre administrations publiques. "


Ainsi donc, la contribution de 1,75 % sera un prélèvement obligatoire pour sa partie payée par des unités n'appartenant pas aux administrations publiques.

Source : INSEE

(2) Elle n'est pas exempte de critiques techniques

Ce prélèvement obligatoire n'est pas critiqué dans son principe. Il convient d'ailleurs de noter que les premières hypothèses de travail faisait état d'un taux pouvant aller jusqu'à 2,5 % ce qui semble plus réaliste au regard de la sous-estimation probable du montant de 1.500 F. Fixée à 2,5 %, la contribution rapporterait donc, toutes choses égales par ailleurs, près de 2,6 milliards de francs. Il est possible que dans l'avenir, le Gouvernement trouve dans cet engagement initial une justification pour une augmentation future du taux destinée à couvrir les coûts supplémentaires de la couverture maladie universelle.

La première critique porte sur la nature du mécanisme. Il aurait été possible d'établir un système similaire à celui de la taxe d'apprentissage où les dépenses sont déduites en totalité du montant dû, ou bien un système séparant explicitement le versement de la rétribution de 1500 F pour bien montrer qu'il s'agit d'un prélèvement et que par ailleurs, les organismes complémentaires le souhaitant assument une mission de service public pour laquelle ils sont indemnisés.

La seconde critique porte sur l'imprécision de l'assiette du prélèvement au regard de la réassurance et de l'émission d'appels de primes depuis l'étranger. En effet, l'assiette actuelle impose doublement les montants des cotisations et primes : lors de leur perception et lors de leur éventuelle réassurance. De plus, sont exclus de l'assiette les organismes émettant des primes ou des cotisations depuis un autre pays que la France. Dans le cadre de l'harmonisation européenne, il est possible à un assureur européen de réaliser son activité sans mandataire en France ; il se verrait alors, dans la rédaction actuelle du texte, exclu du champ de la contribution alors que son activité se déroulerait pourtant en concurrence avec des sociétés françaises qui y seraient soumises. Votre commission des finances vous proposera ainsi de revoir la rédaction de l'assiette de la taxe.

La troisième critique porte sur la référence explicite dans le texte au montant de 375 F par trimestre. Cette qualification législative du montant estimé du panier de soins rendra d'autant plus difficile sa revalorisation lorsqu'il se révélera que les calculs initiaux étaient effectivement sous évalués. Votre commission des finances vous proposera ainsi de renvoyer la fixation de ce montant au pouvoir réglementaire et donc de déconnecter ce montant de la contribution pour éviter l'obstacle de l'article 34 de la Constitution.

Enfin, il convient d'exclure explicitement le montant de la somme versée par le fonds de financement du chiffre d'affaires, et donc de l'extraire de l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

(3) Son articulation douteuse avec le droit communautaire

Enfin, la contribution de 1,75 % risque d'être inapplicable vis-à-vis des acteurs de protection complémentaire européens désireux d'intervenir sur le marché français. En effet, pour être assujetti à cette taxe il leur faudra désigner un mandataire en France ou bien faire preuve de la bonne volonté de la payer. Dans le même temps, ils pourront arguer d'une entrave à la libre concurrence et proposer des produits non soumis aux 1,75 % aux courtiers français qui les placeront.

3. Un mécanisme facteur de lourdes inégalités

a) Au détriment de la protection sociale complémentaire en général
(1) L'inégal traitement entre la CNAMTS et les organismes de protection complémentaire

Les deux principales inégalités entre la CNAMTS et les organismes complémentaires portent sur la prolongation de la couverture complémentaire pendant un an et sur les différences de modalités de remboursement de la prise en charge des bénéficiaires du volet complémentaire du projet de loi.

La prolongation des droits pendant un an est obligatoire si le bénéficiaire qui s'est adressé à un organisme complémentaire en fait la demande, alors qu'elle est impossible pour celui qui se sera adressé à la caisse primaire d'assurance maladie. Ainsi, les acteurs privés accueillant des bénéficiaires de la couverture maladie universelle supporteront-ils des charges que la CNAMTS n'aura pas pour ses propres bénéficiaires.

La justification de cette inégalité réside probablement dans le fait que les organismes complémentaires pourront ensuite conserver ces bénéficiaires comme clients, alors que la CNAMTS ne le pourra pas puisqu'elle n'assurer pas de prestations complémentaires. Mais ce raisonnement conduit à un double paradoxe :

• Il y aura de facto un partage des rôles entre la CNAMTS et les acteurs privés. Mais alors les plus démunis, qui iront à la CNAMTS, ne pourront pas bénéficier d'un tarif avantageux s'ils sortent de la couverture maladie universelle et seront donc défavorisé par rapport à ceux, moins démunis, qui se seront adressés à un acteur privé ; ceux qui auraient eu le plus besoin d'un accompagnement supporteront donc plus durement l'effet de seuil ; le paradoxe engendre l'inégalité ;

• Le Gouvernement affirme que la prolongation entre dans le cadre de la couverture maladie universelle et, pourtant, la sépare de son aspect complémentaire en indiquant qu'il ne s'agit plus de la même activité mais de quelque chose relevant de l'assurance ; en ce cas, l'aspect complémentaire du texte relève, lui, de la sécurité sociale et fait intervenir à tort les organismes complémentaires privés ; le paradoxe engendre l'incohérence.

La seconde source d'inégalités entre la CNAMTS et les acteurs privés se trouve dans les modalités de la compensation des dépenses engagées par chacun au titre de la couverture complémentaire. Pour l'une, CNAMTS, ces dépenses sont intégralement remboursées. Pour les autres, acteurs privés, les mêmes dépenses sont remboursées à hauteur de 1.500 F. Or, dans les deux cas, l'activité est la même puisque le Gouvernement refuse la répartition des publics entre les deux organismes. Avec ce mécanisme différencié, il reconnaît lui-même qu'une sélection se fera ; ou bien il reconnaît lui-même que le forfait de 1.500 F correspond à une estimation erronée de la réalité (si elle était juste et il n'y aurait pas de raison que le remboursement se fasse de manière différente dans un cas ou dans l'autre).

Ce mécanisme génère enfin un effet pervers important : la CNAMTS n'a aucune incitation à rechercher une limitation de ses dépenses au titre de la couverture complémentaire.

Enfin, le projet de loi dans son article 20 organise la liquidation des droits auprès d'un interlocuteur unique, la caisse primaire d'assurance maladie. Ceci va contraindre les organismes de protection complémentaire à mettre en place un échange d'informations avec un protocole coûteux, Noemie 3 aux caractéristiques fixées par le régime général de façon unilatérale.

(2) Les inégalités de couverture

Le projet de loi risque de susciter de lourdes inégalités de traitement, au sein des entreprises et au sein de l'ensemble des Français.

La couverture maladie universelle pourra s'adresser à des salariés ayant une faible rémunération (salariés à temps partiel ou bien salariés payés au SMIC et ayant charge de famille). Cependant, dans les entreprises n'ayant pas de complémentaire santé à titre collectif, ils pourraient travailler avec d'autres salariés soit sans aucune couverture complémentaire santé individuelle, soit versant des cotisations élevées à ce titre pour des prestations inférieures à celles obtenues dans le cadre de la couverture maladie universelle.

A l'inverse, dans les entreprises couvertes par un accord collectif de prévoyance santé, les salariés bénéficiaires de la couverture maladie universelle pourraient bénéficier de la couverture d'entreprise à titre différentiel tandis que ceux n'ayant que cette dernière seraient moins bien couverts.

Enfin, la couverture maladie universelle offrira une protection complète et gratuite en dessous d'un certain seuil de revenus alors que pour un très faible différentiel de revenus l'effort facultatif et individuel aura un coût très important pour des prestations en retrait.

b) Au détriment des assurances en particulier
(1) La double imposition certaine avec l'impôt sur les sociétés

Les sommes versées par le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle aux acteurs privés ayant décidé de participer restent soumises à l'impôt sur les sociétés dans la rédaction du projet de loi telle qu'elle résulte des débats à l'Assemblée nationale.

Votre commission des finances estime que cette double imposition serait infondée et augmenterait les distorsions de concurrence déjà élevées entre la caisse nationale d'assurance maladie et les organismes de protection complémentaire, mais aussi entre ceux d'entre eux qui sont soumis à l'impôt sur les sociétés et ceux qui ne le sont pas.

Elle vous proposera donc d'exclure explicitement les sommes versées par le fonds du champ de l'impôt sur les sociétés. Ceci constitue un argument supplémentaire pour la déconnexion comptable entre le prélèvement obligatoire et l'allocation reçue pour compenser pour compenser une partie des charges occasionnées par la participation à la couverture maladie universelle.

(2) La double imposition probable avec la taxe de 7 % sur les contrats d'assurance

Par ailleurs, les sociétés d'assurance seront conduites, comme les mutuelles, à répercuter la charge du nouveau prélèvement obligatoire sur leurs primes d'assurance. Cependant, toute augmentation des primes reste soumise à la taxe de 7% sur les contrats d'assurance qui constitue une distorsion de concurrence entre les mutuelles et les entreprises relevant du code des assurances.

Prélèvements fiscaux sur les contrats de complémentaire santé

 

Entreprises relevant du code des assurances

Institutions de prévoyance

Mutuelles du code de la mutualité

Taxe d'assurance

7 %

0

0

Contribution C.M.U (projet)

1,75 %

1,75 %

1,75 %

Pour réduire cette distorsion de concurrence, votre commission des finances estime nécessaire de prévoir un dispositif de crédit d'impôt assorti d'une clause de sauvegarde préservant l'avenir en cas d'augmentation du taux de la contribution de 1,75 %.

(3) Une mise en oeuvre pratique délicate

L'article 20 du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale introduit un article L. 861-7 dans le code de la sécurité sociale prévoyant les modalité pratiques de mise en place de la liste proposée aux futurs bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Les organismes désireux de participer établiront une déclaration. Puis l'autorité administrative - ce qui laisse entendre que la déclaration sera déposée auprès des directions départementales des affaires sanitaires et sociales - établira et diffusera la liste de organismes participants. Sur cette liste figureront également les coordonnées des associations, services sociaux et organismes à but non lucratif et établissements de santé concernés.

La mise en oeuvre de cet article paraît cependant se heurter à des obstacles pratiques importants. D'abord, les préfets devront-ils faire le recensement préalable de tous les distributeurs possibles pour leur soumettre le formulaire de participation au dispositif ou bien se contenteront-ils de recueillir ceux qui leur parviendront ? Ensuite, le texte ne prévoit pas quels documents les organismes complémentaires pourront proposer en même temps que leurs coordonnées pour présenter leurs produits aux futurs bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Enfin, se pose un problème juridique pour les courtiers. Le texte du projet de loi les en exclue : en effet, ce sont les organismes qui décident de participer ou non. Or les courtiers ne sont pas un organisme mais proposent des produits de plusieurs organismes dont aucun ne pourra les désigner en tant que tel. Cependant, les exclure revient à exclure de la mise en oeuvre de la couverture maladie universelle les principaux acteurs de l'assurance. La lecture partenariale trouve ici des limites juridiques.

c) Au détriment de l'ensemble du secteur de la prévoyance par incidente
(1) Une volonté affichée de développer la prévoyance...

L'Assemblée nationale a adopté deux amendements insérant deux articles additionnels, articles 20 bis et 20 ter , pour étendre les obligations de négociation d'entreprise en matière de prévoyance santé. Ainsi, le projet de loi prévoit l'obligation d'une négociation annuelle dans chaque entreprise sur le thème de la prévoyance maladie, si les salariés ne sont pas déjà couverts par un accord de branche ou un accord d'entreprise. Parallèlement, les " modalités d'accès à un régime de prévoyance maladie " sont ajoutées aux conditions mises par l'article L. 133-5 du code du travail pour l'extension d'une convention de branche au niveau national.

Cette volonté d'extension de la prévoyance maladie rejoint le juste souci d'assurer une protection générale en étendant la couverture complémentaire. Cependant, s'agissant d'une négociation paritaire et partenariale et d'un domaine où la liberté a toujours été la règle, votre commission pense que les obligations intégrées à ces articles ne constituent pas une réponse adaptée.

Ce projet de loi bouleverse certes les rapports entre protection complémentaire et protection de base en rendant la première obligatoire. Il ne s'agirait cependant pas d'étendre ce principe comme le font ces deux articles additionnels car cela reviendrait à intégrer progressivement la souscription facultative et volontaire à une assurance complémentaire dans le champ de l'assurance de base. Votre commission des finances se prononce donc contre les contraintes formulées dans ces deux articles additionnels et préfère une suppression progressive des obstacles fiscaux pesant sur la prévoyance maladie.

(2) ... alors que continue à peser sur elle de lourds prélèvements

Inspirée du souci de favoriser la souscription de contrats d'effort individuel et collectif en matière de prévoyance maladie, plutôt que d'imposer une nouvelle contrainte, votre commission des finances constate que de nombreux prélèvements obligatoires découragent aujourd'hui ne partie la souscription de tels contrats. Il convient d'ailleurs de noter que la contribution de 1,75 % introduite par ce projet de loi les augmente.

Prélèvements obligatoires opérés sur l'assurance maladie complémentaire

(Frais de santé) 10( * )

 

Couverture collective

PRELEVEMENTS FISCAUX

Part patronale 11( * )

Part salariale 12( * )

 

Entreprises relevant du code des assurances

Institutions de prévoyance

Mutuelles du code de la mutualité

Entreprises relevant du code des assurances

Institutions de prévoyance

Mutuelles du code de la mutualité

Taxe d'assurance

7 %

0

0

7 %

0

0

Taxe sur la prévoyance

8 %

8 %

8 %

 
 
 

C.S.G

7,5 %

7,5 %

7,5 %

 
 
 

C.R.D.S

0,5 %

0,5 %

0,5 %

 
 
 

Contribution C.M.U (projet)

1,75 %

1,75 %

1,75 %

1,75 %

1,75 %

1,75 %

PRELEVEMENTS SOCIAUX

La part des contributions " employeur " de prévoyance complémentaire qui excède 19 % de 85 % du plafond de la Sécurité Sociale est soumise aux cotisations sociales

 

Ainsi donc, votre commission des finances s'interroge sur l'opportunité de réduire le poids de ces prélèvements fiscaux et sociaux sur les contrats collectifs pour inciter les entreprises et les salariés à augmenter leur effort.

L'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 a créé la taxe de 6 % sur les contrats de prévoyance, dont le taux a été élevé à 8 % par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. Votre commission des finances vous avait lors de l'examen de ce texte proposé la suppression de cette taxe dont elle avait démontré qu'elle avait une régularité juridique douteuse (un arrêt du Conseil d'Etat du 12 juin 1998 est d'ailleurs venu confirmer ces observations) et une justification économique absurde.

Les problèmes juridiques concernant l'assiette de cette taxe ont été réglés depuis lors. La taxe sur contrats de prévoyance est due par les employeurs depuis le 1 er janvier 1996 sur les contributions versées par eux-mêmes ou par les comités d'entreprise pour le financement de prestations complémentaires de prévoyance. Son assiette recouvre l'ensemble des cotisations versées à un organisme tiers pour financer des prestations de prévoyance complétant celles servies par les régimes de base de sécurité sociale au bénéfice des seuls salariés actifs et de leurs ayants-droit. Sont exclues les cotisations pour garantir l'obligation de maintien de salaire en cas de maladie et les contributions des organismes assureurs pour provisions. En sont exonérées les entreprises n'occupant pas plus de 9 salariés.

Cependant, cette taxe garde son fondement théorique contestable. En effet, elle introduit une inégalité de traitement entre le salariés des entreprises ayant mis en place une prévoyance complémentaire et ceux des entreprises ne l'ayant pas fait. La taxation des entreprises les plus prévoyantes apparaît absurde et les conduit à ne plus mettre en place de prévoyance ou à réduire les prestations. Il est d'autant plus urgent de revenir sur ce dispositif que se déroulent déjà les négociations pour le renouvellement des contrats souscrits avant la loi du 8 août 1994 qui a introduit l'obligation de réexamen quinquennal.

De plus, ce projet de loi entend favoriser la protection complémentaire et les efforts individuels de couverture. Votre commission des finances estime donc une nouvelle fois souhaitable la suppression de cette taxe sur les contrats prévoyance.

Cependant, elle reconnaît que le montant de cette taxe (2,350 milliards de francs prévus en 1999, affectés au Fonds de solidarité vieillesse) peut difficilement être compensé par l'Etat dans le contexte budgétaire actuel.

Tout en réaffirmant son hostilité de principe aux recettes de poche dont relève cette taxe, votre commission des finances vous propose donc d'en extraire de son assiette toutes les cotisations concernant la santé et de compenser la perte de recettes ainsi générée par une augmentation à due concurrence des droits sur les tabacs.

III. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES : NEUTRALITÉ FINANCIÈRE, COÛT MAÎTRISÉ

A. L'EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 26 mai 1999, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jacques Oudin sur le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a rappelé l'importance des transferts financiers liés à la mise en place de la couverture maladie universelle : transfert de plus de 9 milliards de francs de dotation globale de décentralisation, création d'un nouveau prélèvement obligatoire et augmentation des dépenses de l'Etat. Il a remarqué que ce projet de loi en contenait en fait deux : l'un relatif à la couverture maladie universelle et un l'autre portant diverses mesures d'ordre social, à propos duquel la commission n'avait pas demandé de saisine pour avis.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a alors brossé un tableau de l'état des finances publiques pour constater l'augmentation des dépenses de l'Etat, le déficit de l'assurance maladie, qui devrait s'élever à 16 milliards de francs pour 1998 au lieu de 8,5 prévus, et autour de 20 milliards de francs pour 1999 au lieu du retour à l'équilibre annoncé. Dans ces conditions, il a considéré qu'il était impossible de créer des dépenses nouvelles sans les financer par des redéploiements.

Le rapporteur pour avis a retracé les grandes lignes du texte résultant des délibérations de l'Assemblée nationale. S'agissant de la couverture de base, il a reconnu que son extension à 150 000 personnes, aujourd'hui exclues de tout système de protection maladie, correspondait à un objectif légitime. Cette extension sera financée par une " tuyauterie " complexe aboutissant à des dépenses supplémentaires et des moindres recettes pour la Sécurité sociale de plus de 1,2 milliard de francs. S'agissant de la couverture complémentaire, qui concerne 6 millions de personnes, il a rappelé qu'elle sera prise en charge, sous condition de ressources, par l'assurance maladie et les organismes de protection complémentaire, et financée pour la première au franc le franc, pour les seconds par un forfait de 1500 F par an et par bénéficiaire. Le fonds de financement recevra le produit d'une contribution de 1,75 % versée par les organismes complémentaires et une subvention d'équilibre de l'Etat.

M. Jacques Oudin a alors fait part à la commission des finances de ses observations. Il a constaté, pour le déplorer, que la présentation du coût financier n'apparaissait pas sincère. Il a remarqué que la lecture de l'étude d'impact fournie par le Gouvernement recensait quatre dépenses supplémentaires, par rapport aux sommes actuellement utilisées pour l'aide médicale : le prélèvement obligatoire sur les mutuelles et assurances (1,8 milliard), la partie non financée de la subvention d'équilibre de l'Etat (1,7 milliard), les dépenses supplémentaires de la CNAMTS (900 millions de francs) et les pertes de recettes pour la CNAF (320 millions de francs). Il a ajouté qu'à son avis pouvaient s'y ajouter dix sources de coûts non prises en compte :

- la sous-estimation de la dépense maladie pour le régime général des 150 000 nouvelles personnes couvertes ;

- la sous-estimation de la dépense de couverture complémentaire maladie pour les 6 millions d'assurés qui en bénéficieront ;

- la non prise en compte de la différence de remboursement de base entre la CNAMTS d'une part, la CANAM (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs indépendants et professions libérales) et la MSA (Mutualité sociale agricole) d'autre part ;

- la remise en cause de la cotisation forfaitaire minimale acquittée pour l'affiliation à la CANAM et la MSA en dessous d'un certain seuil de revenus ;

- le maintien des droits à prestations complémentaires pendant un an pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle qui se seront adressés à un organisme complémentaire ;

- les frais de gestion pour la CNAMTS ;

- les frais de gestion pour les organismes complémentaires ;

- les dépenses transitoires pour les communes et les départements ;

- les dépenses non compensées pour les départements qui consentaient un effort d'aide médicale au dessus des seuils prévus par la couverture maladie universelle ;

- les pertes de cotisations pour les mutuelles qui accueillaient des personnes qui désormais bénéficieront de la couverture maladie universelle.

Au total, le rapporteur pour avis a évalué à près de 10 milliards de francs les coûts supplémentaires entraînés par ce projet de loi.

M. Jacques Oudin a ensuite énuméré les dérives financières du projet soumis au Sénat :

- la couverture maladie universelle n'instaure aucun mécanisme de régulation de la dépense puisque l'affiliation y est automatique ; il n'y a pas de participation financière des bénéficiaires ; le prix des prestations servies reste à négocier ; il fonctionne selon un mécanisme de tiers payant intégral ;

- l'Etat remboursera à la CNAMTS l'intégralité des dépenses qu'elle supportera au titre de la couverture complémentaire ;

- la couverture maladie universelle offrira une couverture complète à coût nul pour le bénéficiaire.

Le rapporteur pour avis a par ailleurs estimé que la couverture maladie universelle suscitera des inégalités fortes : inégalité dans la pauvreté juste au-dessus du seuil de 3.500 francs ; inégalité entre la sécurité sociale et les organismes complémentaires ; inégalité confirmée entre les mutuelles et les assurances.

Enfin, il a énuméré les effets pervers que pourrait susciter ce projet de loi. Il l'a considéré comme déresponsabilisant pour ses bénéficiaires, comme une incitation supplémentaire au travail clandestin et comme brouillant la frontière entre la protection complémentaire et l'assurance de base. Il s'est ainsi interrogé sur la compatibilité du texte avec le droit européen de la libre concurrence. Il a estimé que le système français serait le plus généreux des pays européens et constituera une incitation évidente pour les ressortissants étrangers.

M. Jacques Oudin a ensuite décrit ses propositions d'amendement. Il a souhaité d'abord développer une approche en termes de finances locales. Il a analysé d'une part le mécanisme de remontée de la dotation globale de décentralisation et des dépenses d'aide médicale des départements vers l'Etat, en s'interrogeant sur l'opportunité de la date du 1 er janvier 2000. D'autre part, il a développé les conséquences de ce projet de loi sur les contingents communaux d'aide sociale. Il a ainsi estimé légitime leur suppression et indiqué que les modalités de sa compensation faisaient l'objet de négociations entre le Gouvernement et les associations d'élus locaux. Il a proposé ensuite, en matière de fiscalité, de corriger les doubles impositions créées par l'instauration de la taxe de 1,75 %. En matière de prévoyance, enfin, il a indiqué sa préférence pour l'allégement des contraintes fiscales pesant sur les contrats de prévoyance plutôt que sur les obligations de négocier introduites par le projet de loi aux articles 20 bis et 20 ter.

Le rapporteur pour avis a conclu son intervention en s'interrogeant sur le " financeur ultime " de ce projet de loi. Il a ainsi constaté que le coût pèserait autant sur le contribuable d'aujourd'hui que sur celui de demain après le transfert du déficit de la sécurité sociale à la CADES.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est interrogé sur la nécessité d'une telle législation et a demandé au rapporteur pour avis son analyse sur les propositions de la commission des affaires sociales.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, après avoir rappelé que l'étude des prélèvements obligatoires était répartie entre les deux commissions des finances et des affaires sociales, a indiqué que celle-ci proposerait une aide personnalisée à la santé permettant de réduire les effets de seuils dans un système plus responsabilisant pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Il a ensuite insisté sur le préalable que constituait un redéploiement des dépenses de santé.

Mme Marie-Claude Beaudeau est intervenue pour indiquer que ce projet de loi mettait fin à de profondes inégalités et constituait le dernier volet de la loi contre les exclusions. Elle a estimé qu'on ne pouvait s'opposer à l'instauration d'une gratuité des soins pour les plus démunis. Elle s'est ainsi demandé comment un pays ayant un niveau aussi élevé de dépenses de santé et de prélèvements obligatoires pouvait maintenir une telle exclusion des soins. Elle a conclu en constatant qu'au-delà des financements incertains, il s'agissait d'un enjeu social important.

Puis la commission a examiné les propositions d'amendements présentées par son rapporteur pour avis.

A l'article 13, la commission a adopté un amendement prévoyant que le transfert de dotation globale de décentralisation ne serait effectif qu'à compter de l'extinction des droits à l'admission à l'aide sociale.

La commission a adopté un amendement proposant d'insérer un article additionnel après l'article 13, demandant au Gouvernement un rapport sur les conséquences de l'adoption de la loi portant création d'une couverture maladie universelle sur les contingents communaux d'aide sociale.

La commission a ensuite adopté deux amendements de suppression des articles 20 bis et 20 ter.

La commission a adopté un amendement proposant un article additionnel après l'article 20 ter, excluant de l'assiette de la taxe sur les contrats de prévoyance les cotisations versées par les employeurs au titre de la garantie frais de soins des contrats de prévoyance.

A l'article 25, la commission a adopté quatre amendements. Le premier prévoit un crédit d'impôt pour les entreprises redevables de la taxe sur les contrats d'assurances pour éviter une double imposition, à ce titre, du produit de la contribution de 1,75 %. Le second distingue, au nom du principe de non compensation, le versement de la contribution de 1,75 % des sommes reçues du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle pour la prise en charge de bénéficiaires de celle-ci par les organismes de protection complémentaire. La commission a ensuite adopté un amendement de conséquence au même article. Le dernier amendement exclut de l'assiette de l'impôt sur les sociétés les sommes reçues du Fonds de financement de la protection complémentaire.

B. LES AMENDEMENTS DE LA COMMISSION DES FINANCES

1. Renforcer la neutralité pour les finances locales

a) En prévoyant une clause de sauvegarde pour le transfert de la dotation globale de décentralisation

Votre commission des finances émet des doutes sur la mise en place effective de la couverture maladie universelle au 1 er janvier 2000. Cependant, elle préfère s'en remettre aux différents acteurs et ne pas modifier la date d'entrée en vigueur prévue par le projet de loi.

Pour que les départements ne subissent pas la perte de leur ressource alors que système de remplacement ne serait pas mis en oeuvre, votre commission présentera un amendement prévoyant explicitement que le transfert de la dotation globale de décentralisation ne sera effectif qu'au jour où la couverture maladie universelle entrera réellement en vigueur dans le département.

Elle vous propose de déterminer ce jour à la date où la liste des organismes de protection complémentaire participant à la couverture maladie universelle aura été établie et diffusée comme le prévoit le nouvel article L. 861-7 du code de la sécurité sociale.

b) En ouvrant le débat des contingents communaux d'aide sociale

Les contingents communaux d'aide sociale devront faire l'objet d'une profonde réforme à la suite de ce projet de loi.

Votre commission des finances ne souhaite pas interférer dans les négociations actuellement réalisées entre l'Etat et les collectivités locales. Elle estime néanmoins que deux principes peuvent être énoncés pour cette réforme :

• neutralité financière pour les départements ;

• correction de certaines inégalités existant entre les communes.

C'est pourquoi, elle vous propose d'ouvrir le débat et de lui fixer un terme lors de l'examen de la prochaine loi de finances.

2. Atténuer les doubles impositions pour les organismes de protection complementaire

a) En supprimant le lien entre la contribution de 1,75 % et l'allocation versée par le fonds de financement de la protection complémentaire

Le projet de loi prévoit que les versements des organismes complémentaires au titre de la contribution de 1,75 % seront nets des sommes qu'ils recevront du fonds de financement de la protection complémentaire au titre de la prise en charge de bénéficiaire de la couverture maladie universelle.

Ce dispositif n'est pas exempt de critiques ? Il contrevient au principe de non compensation des recettes et des charges. De plus, il rend difficilement lisibles à la fois les sommes dues au titre d'un prélèvement obligatoire et les allocations reçues pour la prise en charge.

Votre commission propose donc de délier les unes des autres.

b) En excluant le nouveau prélèvement obligatoire de l'assiette de l'impôt sur les sociétés

La rédaction du projet de loi à l'issue des débats à l'Assemblée nationale soumet les sommes reçues du fonds de financement de la protection complémentaire à l'impôt sur les sociétés.

Cette inclusion dans l'assiette accentue davantage la sous-estimation du forfait de 1500 F puisqu'il faudrait donc en déduire la part d'impôt sur les sociétés qu'il contient.

De plus, il paraît injustifié de faire subir l'impôt sur les sociétés pour la participation volontaire et coûteuse à un mécanisme de solidarité nationale, déjà imposé par la contribution de 1,75 %.

Votre commission des finances vous propose donc de prévoir l'exclusion de l'assiette de l'impôt sur les sociétés de toutes les sommes reçues du fonds de financement.

c) En excluant le nouveau prélèvement obligatoire de l'assiette de la taxe sur les assurances

Si les sociétés d'assurance font porter le coût du nouveau prélèvement obligatoire sur l'ensemble de leurs primes, cette charge nouvelle sera elle-même soumise à la taxe de 7% sur les contrats d'assurance et donc subira une double imposition.

Il paraît donc juste d'éviter cette distorsion supplémentaire de concurrence avec mes mutuelles et de remédier à cette double imposition en essayant de rendre neutre la nouvelle contribution au regard de la taxe sur les assurances.

Votre commission des finances vous proposera donc un système de crédit d'impôt.

3. Assurer une meilleure incitation à la prévoyance santé

a) En supprimant les obligations de négocier

Votre commission des finances estime qu'il n'est pas souhaitable de contraindre à négocier, donc de risquer de susciter des conflits (ou des charges lourdes pour de petites entreprises par la voie de l'extension des accords de branche) dans une matière qui relève de la protection facultative.

C'est pourquoi elle vous proposera de supprimer les articles 20 bis et 20 ter .

b) En allégeant la taxe sur la prévoyance

Votre commission des finances rappelle son hostilité de principe aux recettes de poche de la sécurité sociale et à la taxe sur les contrats prévoyance.

Elle estime ainsi que cette taxe crée des inégalités de situations entre les salariés en défavorisant les efforts que souhaiteraient réaliser des entreprises pour améliorer la protection complémentaire de leurs salariés. Elle constate d'ailleurs que lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'est déclaré lors de l'examen des articles 20 bis et 20 ter en faveur d'une meilleure couverture prévoyance maladie.

Votre commission des finances vous propose donc de soustraire à la taxe sur les contrats prévoyance les cotisations versées au titre de la prévoyance maladie.

LISTE DES AUDITIONS ET

CONSULTATIONS DU RAPPORTEUR

Personnes auditionnées

Monsieur Jean-Pierre Bancel, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française

Madame Jeannette Gros, président de la Mutualité sociale agricole

Monsieur Gilles Johanet, directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Monsieur Georges Jollès, vice-président du Mouvement des entreprises de France, chargé de la protection sociale

Monsieur Jean de Kervasdoué, professeur au Conservatoire national des arts et métiers

Organismes consultés

Assemblée des départements de France

Association des maires de France

Caisse autonome d'assurance maladie des travailleurs indépendants et des professions libérales

Institut national de la statistique et des études économiques

Département de Paris

Fédération française des sociétés d'assurance

Groupement des entreprises mutuelles d'assurances

SIGLES UTILISÉS



ACOSS

Agence centrale des organismes de sécurité sociale

ADF

Assemblée des départements de France

AMF

Association des maires de France

AMU

Assurance maladie universelle

CADES

Caisse d'amortissement de la dette sociale

CAF

Caisse d'allocations familiales

CANAM

Caisse d'assurance maladie des travailleurs non salariés et professions libérales

CCAS

Centre communal d'action sociale

CMU

Couverture maladie universelle

CNAF

Caisse nationale d'allocations familiales

CNAMTS

Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

CPAM

Caisse primaire d'assurance maladie

CREDES

Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé

CSG

Contribution sociale généralisée

DGD

Dotation globale de décentralisation

DGF

Dotation globale de fonctionnement

FFSA

Fédération française des sociétés d'assurance

FNMF

Fédération nationale de la mutualité française

FSV

Fonds de solidarité vieillesse

MSA

Mutualité sociale agricole

ONDAM

Objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie

RMI

Revenu minimum d'insertion

URSSAF

Union de recouvrement des organismes de sécurité sociale et d'allocations familiales




1 Votre commission des finances n'a pas demandé de saisine pour avis sur le titre IV de ce projet de loi qui constitue à lui seul un vrai texte portant diverses mesures d'ordre social. Elle ne peut que déplorer une procédure l'invitant à se prononcer en un vote sur deux projets de loi profondément différents et sur l'introduction à l'Assemblée nationale de plus de vingt articles additionnels.

2 Eléments tirés de Jean de Kervasdoué,
Santé pour une révolution sans réforme , Paris, Le Débat, Gallimard, 1999, 199 pages

3 Voir Rolande Ruellan, " L'organisation de la sécurité sociale ", in
Revue française de finances publiques , n° 6, Paris, Belfond, novembre 1998.

4 Source : FNMF

5 L'article L. 861-3 du code de la sécurité sociale introduit par l'article 20 du projet de loi a été complété par une extension du tiers-payant pour quiconque s'inscrira auprès de son médecin référent.

6 Cour des Comptes,
La décentralisation en matière d'aide sociale , Rapport au Président de la République, Paris, décembre 1995

7 Nouvelles approches micro-économiques de la santé, in
Economie et prévision , n° 129-130, INSEE.

8 Conseil d'analyse économique,
Régulation du système de santé , Paris, La documentation française, 1999, 203 pages.

9 Le projet de loi exclut les régimes étudiants de la couverture maladie universelle. Votre commission des finances estime néanmoins que se posera après l'adoption du projet de loi la question de la légitimité de leur maintien.

10 Source FFSA

11 Déductible des revenus ou résultats imposables de l'entreprise versante

12 Exonération dans certaines conditions



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