CHAPITRE PREMIER :

LES LOIS DE FINANCEMENT S'INSCRIVENT DANS

L'ENSEMBLE DES FINANCES PUBLIQUES

I. LES FINANCES SOCIALES DÉGRADENT LES FINANCES PUBLIQUES

Auditionné le 27 octobre 1999 par la commission des affaires sociales, le premier président de la Cour des comptes, Monsieur Pierre Joxe, a estimé qu'il était " désormais nécessaire d'établir un budget consolidé des collectivités publiques correspondant à l'ensemble des prélèvements obligatoires " . Votre commission des finances se réjouit de cette prise de position qui rejoint sa conviction profonde et ancienne selon laquelle il convient de prendre en compte l'ensemble des finances publiques dans une vision statique (les comptes consolidés de la collectivité) et dynamique (les évolutions respectives de chaque poste de dépenses et recettes) afin d'en examiner la cohérence.

Cette tentative d'analyse globale montre de toute évidence que la France ne mène pas une politique financière cohérente, puisque tandis que des efforts, au moins d'affichage, sont réalisés pour les finances de l'Etat, dépenses et recettes de la protection sociale, qui représentent plus de 30 % du PIB contre moins de 19 % pour le budget de l'Etat (pour les dépenses), connaissent une dynamique exponentielle.

A. LES FINANCES SOCIALES, PREMIER POSTE DES FINANCES PUBLIQUES

1. Le poids des dépenses sociales dans les finances publiques

Il est aujourd'hui impossible de raisonner seulement en termes de finances de l'Etat pour appréhender de façon satisfaisante les finances publiques.

L'état retraçant l'effort social de la Nation rend compte du rapport relatif entre les dépenses sociales et les dépenses de l'Etat. Le champ des dépenses sociales ne correspond pas exactement avec celui de la protection sociale puisque en sont exclus les efforts individuels.

Evolution comparée des dépenses sociales et du budget de l'Etat

(en milliards de francs)

 

1996

1997

1996 / 1997

1998

1997 / 1998

Dépenses sociales

2.270

2. 336

+ 2,9 %

2.400

+ 2,8 %

Budget de l'Etat

1.642

1.655

+ 0,8 %

1.674

+ 1,1 %

Dépenses sociales / budget de l'Etat

138,2 %

141,1 %

-

143,3 %

-

Source : Etat retraçant l'effort social de la Nation annexé au projet de loi de finances pour 2000

Les comptes de la Nation montrent que les prestations sociales et transferts, premier poste de dépenses des administrations publiques, ont vu leur part augmenter de façon continue depuis 1992.

Structure des emplois consolidés des administrations publiques
en comptabilité nationale

(en %)

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Dépenses de fonctionnement et d'investissement

43,3

42,7

42,3

42,0

42,3

42,0

42,0

42,1

42,3

Prestations sociales et transferts

49,8

50,2

50,5

50,5

50,0

50,6

50,7

51,0

51,0

Coopération internationale courante

0,8

0,7

0,7

0,7

0,6

0,6

0,6

0,6

0,5

Intérêts versés

6,1

6,4

6,5

6,8

7,1

6,8

6,6

6,3

6,1

Total

100

100

100

100

100

100

100

100

100

Source : Insee/Comptes de la Nation base 1995 ; années 1999 et 2000 : rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2000.

Malgré ce poids très important, on peut douter que les administrations publiques poursuivent un objectif précis d'utilisation de ces masses financières. La situation du secteur de la santé, de la famille, de la vieillesse, du chômage, de la pauvreté montrent que les besoins nouveaux ne sont pas couverts alors même que la part collective de ceux-ci n'a jamais cessé de croître.

De plus, cette augmentation incessante ne permet pas pour autant d'améliorer la redistribution sociale, dont le taux est passé de 29,7 % en 1996 à 29,2 % en 1998.

Taux de redistribution sociale par risque

(en %)

 

1995

1996

1997

1998

Santé

9,8

10,0

9,8

9,7

Vieillesse - survie

12,6

12,8

12,8

12,7

Maternité - Famille

3,0

3,0

3,1

3,0

Emploi

2,6

2,6

2,5

2,4

Logement

0,9

0,9

1,0

1,0

Pauvreté - Exclusion sociale

0,4

0,4

0,4

0,4

Prestations totales

29,3

29,7

29,6

29,2

Source : Compte de la protection sociale - Drees.

Comptes nationaux - Insee.


Il serait donc erroné de voir dans la hausse des dépenses sociales le fruit d'une politique ou le signe d'une amélioration sociale. Elle n'est que le résultat de l'incapacité de la puissance publique à réaliser les choix sociaux d'aujourd'hui qui passent par une dépense maîtrisée et mieux orientée vers les attentes des Français, comme les nouvelles pathologies ou les soins dentaires en matière de santé, la dépendance et la réforme des retraites en matière de vieillesse.

Ces dépenses passent pour l'essentiel hors du budget de l'Etat mais l'étude ce dernier permet de conforter ce constat de la part croissante du social dans la dépenses publique.

2. Le poids des dépenses sociales dans le budget de l'Etat

Le poids des dépenses sociales dans le budget de l'Etat peut se mesurer de trois façons différentes.

Le premier moyen renvoie à l'augmentation relative de la part des ministères sociaux dans l'ensemble du budget. Le budget de l'emploi et de la solidarité sera en 2000 le troisième budget derrière celui de l'éducation nationale et celui des charges communes. Il dépassera celui de la défense et connaîtra la quatrième plus forte progression de l'ensemble des postes budgétaires à structure constante : + 4,3 % en passant de 243,24 à 253,64 milliards de francs.

Il se voit ensuite à la dynamique des impôts et taxes affectés à la protection sociale. Ils passeront en 2000 de 478,2 milliards de francs à 547,3 milliards de francs, soit une hausse de 14,5 % résultant pour les deux tiers du transfert de 39,5 milliards de francs de droits sur les tabacs dans le cadre des 35 heures.

Impôts et taxes

Ressources 2000 affectées à la sécurité sociale

 

Jaune PLF

PLFSS 2000

Impôts et taxes affectés figurant au " Jaune "

512.227

511.595

Impôts et taxes affectés en 2000 à la sécurité sociale, FSV inclus

474.407

475.575

Contribution sociale généralisée

365.900

365.900

Prélèvement social de 2 % sur les revenus du capital

11.300

11.300

Contribution sociale de solidarité sur les sociétés

17.850

19.152

Alcools

19.181

19.056

Tabacs

47.799

47.799

Auto

5.980

5.974

Hydrocarbures

25

23

Primes d'assurance contre les accidents du travail

120

120

Contributions diverses des laboratoires et distributeurs de spécialités pharmaceutiques

3.086

3.086

Taxes d'aide au commerce et à l'artisanat (part ORGANIC et CANCAVA)

 
 

Taxe prévoyance

2.780

2.780

Droits de plaidoirie

86

85

Recettes affectées à d'autres organismes concourant au financement de la sécurité sociale

36.020

36.020

Contribution pour le remboursement de la dette sociale

28.520

28.520

Taxe générale sur les activités polluantes

3.250

3.250

Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés

4.250

4.250

Impôts et taxes affectés à d'autres organismes

1.800

0

Contribution des organismes de protection sociale complémentaire(1)

1.800

 

Prélèvements ne figurant pas au " Jaune "

28.170

28.022

Taxes spécifiques affectées au BAPSA (dont TVA nette), cf. " bleu BAPSA "

28.022

28.022

Prélèvement sur les régimes de prestations familiales, cf. " bleu des voies et moyens " (2)

148

 

Contribution de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi

6.900

6.900

Total général

547,297

546,517

Source : produit des impositions affectées à des organismes de sécurité sociale annexé au projet de loi de finances 2000

(1) les mutuelles " maladie " ne relèvent pas du champ des LFSS, ni a fortiori de la sécurité sociale.

(2) Prélèvement indiqué pour mémoire constituant une dépense de la CNAF.


Enfin, ce poids est révélé par l'augmentation croissante des contributions publiques aux différents régimes de protection sociale. Il s'agit de l'ensemble des versements de l'Etat aux régimes de protection sociale, prélevés sur les recettes fiscales. Cela recouvre :

• les subventions d'équilibre des régimes d'intervention sociale des pouvoirs publics (comme le RMI, les allocations logement) et des assurances sociales (comme la branche vieillesse du régime spécial des mines, la caisse de retraite des marins, les régimes de la RATP ou de EDF / GDF) ;

• les versements correspondant au financement de certaines prestations versées par des organismes de protection sociale, comme l'AAH versée par la CNAF.

Ces contributions publiques ont augmenté de 10,5 % entre 1995 et 1998 pour s'élever cette année-là à 391,9 milliards de francs.

Contributions publiques reçues par les différents régimes

(en milliards de francs)

 

1995

1996

1997

1998

1995 / 1998

Régime général de la sécurité sociale et fonds spéciaux

23,2

24,7

24,9

26,9

+ 16 %

Régimes d'indemnisation du chômage

9,5

3,7

3,1

1,7

- 82 %

Régimes d'intervention sociale des pouvoirs publics

275,8

305,8

315,4

319,7

+ 16 %

Autres régimes de sécurité sociale

46,3

42

45,3

43,6

- 6 %

Total

354,7

376,2

388,7

391,9

+ 10,5 %

Source : compte de la protection sociale, Drees

A ces dépenses directes s'ajoutent des dépenses de transferts qui correspondent le plus souvent au remboursement par l'Etat de certains allégements de charges sociales. Par exemple, les cotisations prises en charge par l'Etat représentaient 62,7 milliards de francs en 1998 et s'élèveront à 83 milliards de francs en 2000, principalement à cause des versements du fonds de financement des 35 heures.

Le montant global des transferts donne aussi une idée des débudgétisations réalisées en matière sociale. Jusque en 1994, l'Etat prenait en charge le financement de l'allocation du Fonds national de solidarité. Maintenant, il est à la charge du Fonds de solidarité vieillesse soit une dépense de transfert de 75 milliards de francs en 2000.

Or toutes ces dépenses sont financées par des prélèvements obligatoires qui, du même coup, augmentent également.

3. Le poids croissant des prélèvements sociaux dans les prélèvements obligatoires

Alors que les prélèvements obligatoires français battent des records en Europe, notre pays connaît un mouvement contradictoire : les prélèvements au profit de l'Etat ne cessent de diminuer tandis que ceux au profit de la protection sociale ne cessent de croître.

a) Les prélèvements obligatoires au profit des administrations de sécurité sociale dépassent ceux au profit de l'Etat

En 1998, les administrations de sécurité sociale avaient reçu 1 763,2 milliards de francs de prélèvements obligatoires contre 1 471,3 milliards de francs pour l'Etat. Elles sont à l'origine de la hausse du montant de ces prélèvements depuis 1997.

Montant des prélèvements obligatoires en France depuis 1997

(en milliards de francs)

 

1997

1998

1999

2000

1997/2000

Impôts après transferts (1)

2.200,9

2 450,6

2 542

2 619,4

+ 19 %

Administrations publiques centrales

1.454,2

1 . 504,5

 
 
 

dont Etat

1.389,1

1.436,2

 
 
 

APUL

471,7

492,8

 
 
 

ASSO

218,1

400,9

 
 
 

Union européenne

56,9

52,3

 
 
 

Cotisations sociales effectives (2)

1 . 491,1

1 . 397,4

1 . 456,2

1 . 493

+ 0,1 %

Etat

33,7

35,1

 
 
 

ASSO

1 457,5

1 362,3

 
 
 

Total des prélèvements obligatoires effectifs

3.6922,1

3.848

3.996,2

4.1122,4

+ 11,4 %

(1) Les impôts sont comptabilisés après transferts de recettes fiscales et nets des impôts non recouvrés.

(2) Nettes des cotisations dues non recouvrables.

Source : INSEE, Comptes nationaux pour 1997-1998, PLF pour 1999-2000.

b) Les prélèvements sociaux augmentent plus vite que l'ensemble des prélèvements obligatoires

Les prélèvements obligatoires en France connaissent une évolution contrastée qui est liée à leur mode de calcul. En effet, le taux de prélèvement obligatoire est calculé en rapportant le montant total prélevé au montant du produit intérieur brut. Comme de nombreux impôts et taxes sont assis sur l'activité de l'année précédente, ce mode de calcul revient à majorer les prélèvements de l'Etat en 1999 et à les minorer en 2000.

Cette précaution méthodologique mise à part, on constate qu'alors que les prélèvements en France connaissent une certaine stabilité sur quatre ans, la part des prélèvements sociaux ne fait que croître.

Prélèvements obligatoires rapportés au produit intérieur brut (en %)

 

1997

1998

1999

2000

Etat

17,3

17,2

17,5

16,9

dont : cotisation sociales

0,4

0,4

0,4

0,4

Organismes divers d'administration centrale

0,8

0,8

0,8

0,8

dont : CRDS

0,3

0,3

0,3

0,3

Administrations publiques locales

5,7

5,8

5,5

5,3

Administrations de sécurité sociale

20,4

20,6

20,9

21,3

dont : cotisations sociales

17,7

15,9

16,1

15,9

Institutions européennes

0,7

0,6

0,6

0,6

Total des prélèvements obligatoires

44,9

44,9

45,3

44,8

Source : INSEE, Comptes de la Nation/base 1995. Années 1999 et 2000 : Rapport économique,

social et financier annexé 2000...


Pour pallier en partie le biais méthodologique induit par ces effets reports du PIB, il convient de prendre la répartition de la structure interne des prélèvements obligatoires :

Répartition des prélèvements obligatoires (en %)

 

1997

1998

1999

2000

Etat

38,5

38,2

38,6

37,6

dont : cotisation sociales

0,9

0,9

0,9

0,9

Organismes divers d'administration centrale

1,8

1,8

1,7

1,7

dont : CRDS

0,7

0,7

0,7

0,7

Administrations publiques locales

12,8

12,8

12,2

11,9

Administrations de sécurité sociale

45,4

45,8

46,1

47,5

dont : cotisations sociales

39,5

35,4

35,5

35,4

Institutions européennes

1,5

1,4

1,3

1,2

Total des prélèvements obligatoires

100

100

100

100

Source : INSEE, Comptes de la Nation/base 1995. Années 1999 et 2000 : Rapport économique, social et financier Projet de loi de finances 2000

Le mouvement de hausse est encore plus visible en étudiant le seul taux de pression sociale qui regroupe l'ensemble des prélèvements allant à la protection sociale : il passe de 24,8 % en 1995 à 25,3 % en 1998. De plus ce taux montre le mouvement de bascule résultant de la substitution de la CSG à une partie des cotisations sociales maladie.

Evolution du taux de pression sociale

(en %)

 

1995

1996

1997

1998

Cotisations sociales / PIB

22,6

23

22,3

20,4

Impôts te taxes affectés / PIB

2,2

2,2

2,8

4,9

Taux de pression sociale

24,8

25,2

25,1

25,3

Source : compte de la protection sociale, Drees.

c) La particularité de la France dans l'OCDE se confirme

La France est le pays de l'OCDE comme de l'Union européenne qui a le taux de prélèvements obligatoires consacrés à la protection sociale le plus élevé en Europe, qu'il s'agisse du taux brut rapporté au PIB (19,2 %) ou bien de la part de prélèvements sociaux dans l'ensemble des prélèvements obligatoires (41,6 %).

Répartition des prélèvements obligatoires sociaux dans l'OCDE (1997)

(en %)

 

Prélèvements sociaux / PIB

Prélèvements sociaux / prélèvements obligatoires

France

19,2

41,6

Pays-Bas

17,7

40,7

Suède

15,9

29,8

Allemagne

15,6

41,6

Italie

15,1

33,5

Belgique

14,8

31,8

Espagne

12,4

35,1

Grèce (1)

12,4

30,5

Luxembourg

11,8

25,8

Japon (1)

10,4

36,5

Portugal

8,9

25,9

Etats-Unis

7

24,7

Royaume-Uni

6

17

Irlande

4,5

12,8

Danemark (1)

1,6

3,1

Union européenne

12,2

28,9

OCDE

9,8

25,1

(1) Chiffres 1996/

Source : OCDE.

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