B. DE NOMBREUSES QUESTIONS TOUJOURS EN SUSPENS

Chaque année, à l'occasion de son avis budgétaire, votre commission des Affaires sociales recense les demandes du monde combattant qui restent en suspens et invite le Gouvernement à y apporter une solution. Des solutions sont parfois, mais trop rarement, trouvées.

Votre commission a choisi, cette année, d'insister tout particulièrement sur les six questions qui lui paraissent prioritaires.

1. Assurer la compensation intégrale du " gel " de la pension des grands invalides

La loi de finances pour 1991 avait supprimé toute revalorisation de la valeur du point de pension pour les pensions d'invalidité supérieures à un seuil fixé à 360.000 francs par an.

La loi de finances pour 1995 a justement mis fin à ce " gel des pensions ", mais elle n'a pas corrigé l'écart né du gel entre 1991 et 1995.

Une telle situation est difficilement acceptable, tant pour les quelque 1.300 pensionnés victimes de ce " gel " que sur le plan du principe de droit à réparation. Cette mesure, qui a avant tout touché les plus grands invalides, se traduit en effet par une disparité de la valeur du point entre deux invalides qui ont pourtant le même taux d'invalidité.

Votre commission considère comme urgent de rétablir intégralement l'unicité de la valeur du point de pension d'invalidité.

Certes, l'Assemblée nationale a, en première lecture, adopté un article additionnel 66 bis sur proposition du Gouvernement pour remédier à cette disparité.

Votre commission observe toutefois que cette disposition reste très partielle car elle ne revalorise les pensions " gelées " entre 1991 et 1995 que de 1,5 % alors que l'écart né du " gel " atteint environ 7 %.

Auditionné par votre commission, M. Jean-Pierre Masseret s'est engagé à rétablir l'unicité de la valeur du point de pension dès le prochain budget.

Votre commission estime, pour sa part, que le retour à l'unicité pourrait être immédiat. Le coût budgétaire reste très supportable : il ne dépasserait pas 60 millions de francs. A défaut, elle considère que la revalorisation reste insuffisante pour 2000 et qu'elle pourrait être au moins doublée afin d'assurer les conditions du retour à l'unicité dès 2001.

2. Faire un premier pas vers la " décristallisation "

Au cours des deux guerres mondiales, plus de 1,4 million de soldats venus d'Afrique, du Maghreb, d'Indochine ou d'autres colonies, sont courageusement venus combattre sur le territoire national pour participer à la défense de la République.

Depuis 1959 pour l'Indochine et depuis 1960 pour les autres Etats anciennement placés sous souveraineté française, les pensions militaires d'invalidité et les retraites du combattant versées à ceux qui ont combattu pour le drapeau français sont " cristallisées " à la valeur atteinte lors de l'accession à l'indépendance de ces Etats.

Certes, c'est à l'honneur de la France d'avoir maintenu les pensions même en les cristallisant. D'autres pays, comme la Grande-Bretagne, ont choisi de les supprimer pour les ressortissants de leurs anciennes colonies.

Mais cela n'empêche pas de chercher à résoudre les problèmes les plus criants de cette cristallisation.

D'abord, la valeur actuelle du point d'indice est très disparate selon les pays. Cela tient aux différentes dates d'accession à l'indépendance, mais aussi aux revalorisations ponctuelles intervenues depuis lors de manière distincte selon les pays. Ainsi, alors que la valeur du point est actuellement de 80,62 francs en métropole, elle atteint 45,05 francs à Djibouti, 27,97 francs au Sénégal, mais seulement 9,02 francs en Algérie, 7,77 francs au Maroc et en Tunisie et 3,14 francs dans l'ex-Indochine.

Ensuite, une forclusion pèse sur les nouvelles demandes, qu'il s'agisse de demander une réversion de la pension d'invalidité ou de reconnaître l'aggravation d'une invalidité.

Ces situations sont difficilement acceptables.

Il reste certes possible de prévoir, par voie réglementaire, des revalorisations et des levées de forclusion. Celles-ci restent cependant très rares, la dernière remontant à 1995.

M. Jean-Pierre Masseret avait pourtant déclaré, lors du dernier débat budgétaire, vouloir engager un débat sur la " décristallisation ", reconnaissant notamment les retards des pays du Maghreb et les blocages liés à la forclusion.

Pourtant, le présent projet de loi de finances ne propose aucune avancée. Votre commission ne peut que le déplorer.

Aussi, votre commission des Affaires sociales vous proposera d'adopter un amendement permettant un premier pas dans le sens d'une " décristallisation ".

3. Conforter la situation des veuves d'anciens combattants

Les dernières mesures en faveur des veuves d'anciens combattants remontent à 1995 et 1996.

L'article 103 de la loi de finances pour 1996 a abaissé de 57 à 50 ans la condition d'âge requise pour bénéficier d'une pension de réversion à taux majoré.

La loi de finances pour 1997 a prévu que les veuves des anciens combattants allocataires du fonds de solidarité percevant l'APR bénéficieront d'un capital décès égal à quatre fois le montant mensuel brut de l'allocation, ce montant étant majoré d'une fois et demie par enfant à charge. Mais, en 1997, seules 46 veuves ont bénéficié de cette disposition.

Or, depuis lors, la situation financière des veuves s'est souvent dégradée, notamment celle des veuves des grands invalides de guerre qui ont consacré leur vie entière à soigner leur époux au détriment de leur carrière professionnelle.

En témoigne notamment l'accroissement du nombre de veuves demandant un secours financier à l'ONAC. En 1998, 5.934 veuves d'anciens combattants ont bénéficié d'une telle aide. Elles n'étaient que 4.500 en 1997.

Certes, le projet de loi de finances prévoit la reconduction de la subvention de 5 millions de francs pour l'action sociale de l'ONAC en faveur des veuves.

Votre commission n'en considère pas moins que cette mesure reste très insuffisante. Elle estime nécessaire d'engager une action forte afin d'assurer de manière pérenne un niveau de vie décent aux veuves d'anciens combattants qui connaissent les situations les plus difficiles.

Elle réitère alors les trois séries de propositions qu'elle avait déjà formulées l'année passée, mais qui n'ont hélas pas eu d'écho auprès du Gouvernement.

Une première solution pourrait consister dans l'introduction d'une possibilité de réversion de la retraite du combattant.

Une seconde solution serait l'assouplissement des conditions de réversion des pensions d'invalidité. A cet égard, votre commission suggère que la valeur minimale du taux d'invalidité requis permettant une réversion automatique de la pension soit ramenée de 85 % à 60 %. Une telle mesure profiterait ainsi à 2.000 veuves pour un coût raisonnable de l'ordre de 50 millions de francs.

La dernière solution passerait par la revalorisation des pensions de veuves. Votre commission rappelle que la pension de veuve au taux normal est inférieur au minimum vieillesse.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Masseret a pris " l'engagement de remettre à plat ce dossier dès le début de l'année 2000 " . Votre commission lui en donne acte et a décidé, en conséquence, de ne pas présenter d'amendement.

Mais elle s'inquiète cependant de certaines pistes présentées par le secrétaire d'Etat. Ainsi, s'agissant des veuves des plus grands invalides, il a évoqué l'idée " d'imaginer un système de cotisations qui permette que ces personnes ne se retrouvent pas dans une situation sociale extrêmement précaire lorsque leur époux décède " .

Pour sa part, votre commission considère qu'un tel système de cotisations pourrait éventuellement jouer pour l'avenir, mais ne permettra en aucun cas d'améliorer la situation des épouses des premières générations du feu qui ont, pour la plupart, atteint un âge trop avancé pour entrer dans une logique de cotisations.

Votre commission étudiera donc avec la plus extrême attention les propositions à venir du secrétaire d'Etat.

4. Indemniser rapidement les incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes

Alors que les incorporés de force dans l'armée allemande ont bénéficié d'une indemnisation accordée par la fondation " Entente franco-allemande ", les incorporés de force dans les formations paramilitaires (RAD-KHD), non titulaires du certificat d'incorporé de force dans l'armée allemande, attendent toujours une telle indemnisation.

Certes, un accord de principe a été trouvé au sein de l'Entente franco-allemande en juin 1998 pour qu'elle participe à cette indemnisation. Toutefois, alors que le recensement des bénéficiaires a été clos le 31 mars 1999, le traitement des dossiers a pris du retard et n'est toujours pas achevé.

Le Gouvernement prend alors prétexte de l'incertitude sur le nombre définitif de parties prenantes pour ne pas inscrire les crédits correspondant au budget.

Cette situation est difficilement acceptable.

M. Jean-Pierre Masseret, auditionné par votre commission, a déclaré qu'il avait obtenu de l'Entente franco-allemande l'engagement que celle-ci utiliserait une partie de ses produits financiers pour cette indemnisation.

Votre commission considère toutefois cette mesure comme insuffisante et souhaiterait voir inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000 les premiers crédits relatifs à une telle indemnisation.

5. Assouplir les conditions d'attribution du Titre de reconnaissance de la Nation

Actuellement, le Titre de reconnaissance de la Nation (TRN) ne peut être attribué au titre des services effectués en Algérie après le 2 juillet 1962.

Or, l'insécurité a existé pour les militaires français bien après cette date. En outre, la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l'ordre en Algérie est attribuée jusqu'au 1 er juillet 1964.

Votre commission ne peut alors qu'être favorable à ce que le TRN puisse être attribué aux militaires français qui ont servi en Algérie jusqu'au 1 er juillet 1964.

M. Jean-Pierre Masseret a d'ailleurs indiqué, lors du débat à l'Assemblée nationale, qu'il avait envisagé d'étendre les possibilités d'attribution jusqu'en avril 1963. Votre commission considère alors qu'il pourrait s'agir d'un utile premier pas avant la remise à plat du dispositif qu'a annoncé M. Jean-Pierre Masseret.

6. Etudier la possibilité de ramener de 65 à 60 ans l'âge ouvrant droit au bénéfice de la retraite du combattant

Votre commission constate que, s'agissant de la retraite anticipée, le Gouvernement a, en quelque sorte, " joué la montre ". Les anciens combattants d'Afrique du Nord ont désormais, pour la plupart, plus de 60 ans. Toutefois, votre commission considère qu'une telle question, qui est une question de principe, ne doit pas être occultée pour autant.

Votre commission observe également que les associations d'anciens combattants, constatant que la question de la retraite anticipée n'est plus d'actualité, demandent que la retraite du combattant soit versée aux titulaires de la carte du combattant dès l'âge de 60 ans.

A ce propos, votre commission rappelle que certains titulaires de la carte du combattant peuvent déjà bénéficier de la retraite du combattant dès 60 ans.

Il s'agit :

- des anciens combattants résidant dans les départements et territoires d'outre-mer,

- des anciens combattants titulaires de l'allocation supplémentaire du fonds de solidarité vieillesse (FSV),

- des anciens combattants percevant une pension d'invalidité d'au moins 50 % et une allocation d'ordre social.

Dans ces conditions, votre commission ne peut que suggérer d'étudier la faisabilité d'une telle mesure, même si son coût estimé à 1,4 milliard de francs doit inciter à une certaine prudence.

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Considérant que le projet de budget se contentait d'une simple reconduction des actions en faveur du monde combattant et n'intégrait que de rares mesures nouvelles, votre commission a décidé de s'en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée quant à l'adoption des crédits des anciens combattants.

Elle a en outre émis un avis favorable à l'adoption des articles 65, 66 et 66 bis rattachés à ce budget et vous propose d'adopter un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 66. ( cf. ci-après l'examen des articles rattachés ).

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