PRÉSENTATION DES INTERVENANTS

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

David ASSOULINE, Président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

Monsieur le représentant de l'OCDE, Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement, Messieurs les Présidents, Monsieur le professeur, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, c'est pour moi un grand plaisir d'ouvrir ce matin ce colloque sur le rôle des parlements en matière d'évaluation de la qualité de la législation, organisé en partenariat par la Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, que j'ai l'honneur de présider, et l'OCDE.

L'idée de cette rencontre est née ici même, en avril dernier, à l'issue d'un brillant exposé de la représentante de l'OCDE, Madame Céline Kauffmann, lors d'un forum sur l'application des lois organisé par ma commission, auquel le Secrétaire général du Gouvernement nous avait déjà fait l'honneur de participer. Ce fut également l'une des dernières interventions publiques de notre ami et grand spécialiste de ces questions, Monsieur Guy Carcassonne, disparu quelques temps plus tard et à qui je souhaite rendre hommage aujourd'hui. Madame Kauffmann nous avait donné un premier aperçu des méthodes de contrôle de l'application des lois dans plusieurs États de l'OCDE. Son exposé avait montré que par-delà la diversité des expériences nationales, tous les parlements étaient plus ou moins confrontés aux mêmes difficultés pour évaluer ce que certains appellent le « rendement réel » de leur travail de législateur et que j'appellerais plutôt l'effectivité et la mise en oeuvre concrète de l'intention du législateur.

Nous avons tous compris l'intérêt de confronter nos pratiques et d'approfondir cette question somme toute encore assez mal connue. Dans ce domaine, l'OCDE, et plus précisément sa division de la politique réglementaire, est un interlocuteur de premier ordre. Cette organisation internationale dispose en effet de correspondants dans de très nombreuses administrations étrangères et collecte ainsi des données tout à fait précieuses. L'OCDE ne s'arrête d'ailleurs pas à la loi proprement dite mais s'intéresse plus généralement à l'évaluation de toutes les normes, y compris les règlements émanant du pouvoir exécutif. Ce problème de la qualité normative se pose en effet dans des termes très comparables pour la loi et les règlements. J'ajoute qu'il se pose également pour les normes européennes : nous savons tous à quel point, aujourd'hui, nos concitoyens et parfois les parlementaires sommes perturbés par la production pléthorique de ces normes européennes.

Notre colloque prolonge donc la rencontre du 16 avril et nous permettra d'en apprendre plus sur les pratiques de plusieurs de nos voisins et partenaires européens, ainsi que d'évoquer certaines expériences poursuivies dans quelques parlements hors d'Europe. Mais nous allons envisager aujourd'hui la question d'une manière plus large qu'en avril. Dépassant la notion d'application des lois proprement dite, nous nous intéresserons à l'applicabilité des lois, qui se pose comme un objectif fondamental d'une bonne politique législative. En effet, à quoi bon produire des normes si elles se révèlent inapplicables, soit parce qu'elles ne règlent pas réellement les problèmes à résoudre, soit parce que leur mise en oeuvre effective nécessiterait de mobiliser des moyens humains, matériels ou budgétaires dont nous ne disposons pas ?

La qualité de la loi est largement tributaire de son applicabilité effective. S'assurer de cette qualité constitue l'une des responsabilités du Parlement. Le législateur ne peut plus se retrancher derrière la certitude rassurante d'exprimer la volonté générale. Il doit également s'assurer que cette volonté générale est traduite en objectifs réalistes, réalisables et atteignables. Cette exigence vaut d'ailleurs autant pour le Parlement chargé de voter la loi, que pour le Gouvernement qui dispose du pouvoir réglementaire, qui joue un rôle moteur dans la préparation et la discussion des projets de loi et qui, désormais, est soumis à l'obligation de les assortir d'études d'impact.

À cet égard, je considère que les études d'impact ne constituent pas un simple moyen d'information supplémentaire parmi d'autres. Elles représentent au contraire une véritable innovation conceptuelle associant aussi bien le Gouvernement qui les rédige que le Parlement qui les exploite, sans oublier, le cas échéant, le Conseil constitutionnel puisqu'il pourrait désormais être saisi dans l'hypothèse où la première assemblée examinant un projet de loi estimerait que l'étude d'impact ne répond pas aux prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009. Certes, à l'heure actuelle, ces études d'impact restent encore de qualité très inégale, comme l'a d'ailleurs reconnu devant notre Commission le Ministre chargé des relations avec le Parlement. Ce procédé est néanmoins appelé à se perfectionner avec le temps et, j'en suis certain, il se révélera dans quelques années à la fois plus performant et plus banalisé.

L'une des pistes de réflexion pour rendre ces études d'impact plus utiles et efficaces consisterait en particulier à y définir des critères d'évaluation de la loi concernée. Cela permettrait d'intégrer la démarche d'analyse qualitative dès le début de la procédure législative, marquant un progrès significatif par rapport à la situation actuelle où nos évaluations s'opèrent toujours en aval. Grâce aux critères ainsi dégagés, le Parlement serait mieux à même, après un certain délai d'application, de vérifier si les buts assignés ont bien été atteints en y consacrant les moyens prévus.

S'il décelait au contraire un défaut de qualité de la loi, le législateur pourrait plus aisément rectifier le tir, soit en modifiant le dispositif défaillant, soit en y apportant les correctifs adéquats.

Cela étant, comme je l'ai souvent souligné, les assemblées ne disposent que rarement des outils leur permettant d'évaluer elles-mêmes de manière fiable l'impact des mesures soumises à leur examen, surtout en France. Elles restent donc tributaires des analyses du Gouvernement. Faut-il aller plus loin et, comme certains ont pu le préconiser, permettre aux parlementaires de discuter la pertinence de ces critères ? La question reste ouverte.

D'autres instruments s'avèrent également concevables pour permettre au Parlement de mieux évaluer et si possible renforcer la qualité de la loi. Je n'entrerai pas dès à présent dans le détail des procédures. En revanche, je souhaiterais souligner la mutation profonde que représente cette démarche d'évaluation dans un contexte où, jusqu'à présent, le contrôle du Parlement était davantage axé sur l'action du Gouvernement que sur sa propre activité normative.

La révision constitutionnelle de juillet 2008 a amorcé un progrès appréciable en constitutionnalisant la fonction de contrôle et en consacrant la notion même d'évaluation. L'article 24 se limite toutefois, dans sa nouvelle rédaction, à l'évaluation des politiques publiques et n'épuise pas la question. Nous nous attachons désormais à évaluer la loi elle-même, qui ne constitue qu'un élément parmi d'autres de la mise en oeuvre de ces politiques publiques.

Les parlements me semblent prêts à assumer cette nouvelle fonction. Nous assistons, dans les assemblées françaises comme dans d'autres parlements en Europe et dans le monde, à une prise de conscience progressive et politiquement assumée de la nécessité de l'évaluation et de l'exigence de qualité normative. Ce mouvement positif répond à un besoin réel. À une époque où les citoyens et les usagers du droit se montrent plus exigeants et plus critiques vis-à-vis des institutions, il apparaît normal que le Parlement souhaite mieux répondre à leurs attentes et reconsidère ses méthodes de travail et sa manière de légiférer.

Il s'agit d'un vaste chantier mais également d'une exigence de démocratie. Je suis heureux que ma Commission, bien que récente dans le paysage institutionnel du Sénat, contribue à l'émergence de cette culture nouvelle du contrôle et de l'évaluation. Je ne doute pas que notre colloque permettra à tous les participants d'approfondir leur réflexion sur un thème appelé à connaître d'importants développements dans les années à venir.

Je tiens à remercier les hautes autorités du Sénat, qui nous ont permis d'organiser cette rencontre, l'OCDE, ainsi que les intervenants et les participants qui ont accepté de nous accompagner pour impulser cette réflexion.

Nick MALYSHEV, Chef de la division de la politique réglementaire, OCDE

Compte rendu effectué à partir de la traduction en français de l'exposé présenté par l'orateur en anglais.

Merci Monsieur le Président. C'est un très grand plaisir pour moi, Mesdames et Messieurs, d'intervenir ce matin au Sénat français. J'évoquerai la façon dont les gouvernements et les organes réglementaires pourront mieux réglementer -ou légiférer, c'est une simple question de terminologie- à l'avenir.

C'est à travers la réglementation que les parlements influent sur la société. La mise au point des instruments juridiques qui produisent des impacts socio-économiques se révèle toutefois extrêmement difficile. La législation doit également faire face à des contraintes politiques. Les instruments législatifs défaillants peuvent entraîner des conséquences perverses et provoquer de graves dommages collatéraux. Si les législations peuvent atteindre leurs objectifs, certaines, parfois, ne servent pas les buts poursuivis. Les gouvernements doivent prendre conscience des dérives possibles. À défaut, la performance sociale et sociétale de la législation pourrait être mise à mal, avec des conséquences politiques préjudiciables sur le gouvernement lui-même.

La plupart des pays de l'OCDE subissent la crise financière mondiale, ce qui reflète un échec total de la politique législative. Les mauvaises législations procèdent de l'action du gouvernement. Certaines sont élaborées pour résoudre des problèmes auxquels elles ne se révèlent pas du tout adaptées. Il existe par ailleurs une certaine réticence à évaluer les politiques existantes. Le gouvernement peut déléguer son autorité réglementaire. De ce fait, les dérives réglementaires peuvent émaner de plusieurs niveaux. Même les meilleures réglementations peuvent se révéler inadaptées à certains marchés dynamiques comme les finances ou les télécommunications. Je pense que la crise financière a placé les gouvernements sur le qui-vive. Ils ont pris conscience de la nécessité de bâtir des fondements plus solides pour la réglementation, lançant des initiatives de nature à l'améliorer dans certains secteurs spécifiques. Nous avons également besoin de conduire une approche systémique qui traitera les causes de l'échec et améliorera véritablement l'environnement normatif. Une réforme législative plus large pourra en outre favoriser la reconstruction économique et la consolidation budgétaire, à travers la réduction des coûts et la valorisation d'un potentiel de production.

L'OCDE a favorisé les mesures visant à contrer les pratiques du pouvoir exécutif qui contribuent à la mauvaise qualité de la réglementation. L'approche philosophique sous-jacente de l'OCDE est axée sur les impacts socio-économiques plutôt que sur une vision juridique ou formaliste de la loi et des règlements. Au cours des trois dernières années, la Division de la Politique Réglementaire de l'OCDE a choisi de revoir les principes de bonnes pratiques de l'Organisation. Nous avons tiré les conclusions de l'examen de la situation dans vingt pays, y compris la France. Nous nous sommes concentrés sur certains thèmes. Cette étude a démontré la nécessité d'adopter une approche beaucoup plus systémique. Nous nous sommes par ailleurs attachés à comprendre la façon dont les acteurs, dans les différents domaines des politiques, à travers le gouvernement, appréhendaient la contribution de leur action individuelle aux dérives réglementaires. Un nouveau paradigme a émergé. Nous avons étudié non seulement la pratique réglementaire mais également le rôle des parlements.

L'OCDE fixe un cadre permettant aux pays d'évaluer les mérites du système réglementaire et de responsabiliser ses acteurs. Lors de l'élaboration des lois, d'autres éléments doivent être pris en compte. Un engagement politique au plus haut niveau doit s'exprimer à travers une politique gouvernementale précisant les raisons et la façon dont les gouvernements vont élaborer cette réglementation. Sans ce leadership très fort, nous ne pourrons pas réaliser de grands progrès dans certaines cultures où le fardeau réglementaire ne cesse de s'accroître.

La politique réglementaire qui s'articule à travers la législation doit être maintenue dans le temps. Le gouvernement en porte la responsabilité. De nombreuses bonnes pratiques se focalisent également sur une meilleure gouvernance. Parmi elles, nous pouvons mentionner le développement de la consultation publique ou la transparence, et l'établissement d'institutions de surveillance et de mécanismes de support pour s'assurer de la qualité de la réglementation. Des agences réglementaires peuvent également être instituées pour évaluer l'objectivité et le contenu des réglementations. Il convient aussi d'établir des rapports sur la performance des régulateurs et procéder à de nombreux examens. Tous ces éléments contribuent de manière importante à la construction d'un système réglementaire prenant des décisions bien éclairées, bien mises en oeuvre et suscitant la confiance de la société et du gouvernement.

L'OCDE a dégagé des processus et des actions de nature à construire un système réglementaire solide. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la prise de décision fondée sur les preuves ou les études d'impact, l'examen systématique et la prise en compte des normes internationales et des impacts extérieurs. Ce dernier exemple démontre l'importance des frontières. La réglementation est toujours perçue comme une affaire interne. Or très souvent, les réglementations peuvent avoir une incidence à l'échelle internationale. Il convient par ailleurs de réduire les différences entre les réglementations nationales, pour contribuer à la baisse des coûts de transaction et favoriser la croissance commerciale. Les directives européennes ont déjà abordé ces questions, dans les domaines des finances et du commerce par exemple, mais je pense que la France peut également tester ses propres réglementations et les confronter aux normes internationales en vue de réduire les écarts.

L'OCDE doit véritablement définir des normes et des standards ainsi que les réformes que les pays pourront réaliser. Les gouvernements doivent pouvoir exploiter le potentiel économique de leur propre pays tout en respectant les objectifs sociaux et environnementaux définis.

L'OCDE souhaite travailler avec le Sénat français dans ce domaine, afin d'améliorer la qualité de la législation. Aujourd'hui, nous avons franchi une première étape. J'espère que nous pourrons poursuivre le dialogue à travers la constitution d'un réseau formel d'organes parlementaires.

Nick Malishev, Chef de la division
de la politique réglementaire de l'OCDE

David Assouline, Président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

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