Rapport n° 8 (2000-2001) de M. Jean FAURE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 4 octobre 2000

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N° 8

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 octobre 2000

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'adhésion au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) (ensemble deux annexes),

Par M. Jean FAURE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Bernard Murat, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir le numéro :

Sénat : 294 (1999-2000).

Traités et conventions .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'adhésion de la France au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) adopté à Genève le 8 juin 1977.

Les quatre conventions de Genève de 1949, élaborées au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont marqué une avancée importante du droit international humanitaire en renforçant les prescriptions applicables au traitement des blessés et prisonniers de guerre et en établissant, pour la première fois, un corps de règles relatives à la protection des populations civiles en temps de guerre. Trois décennies plus tard, en 1977, une conférence diplomatique réunie à Genève adoptait deux protocoles additionnels destinés à compléter ces quatre conventions.

La France a adhéré, en 1984, au protocole II, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux. Elle n'est en revanche pas partie au protocole I, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Ce dernier apporte de nombreux ajouts aux conventions de Genève, et notamment une série de dispositions entièrement nouvelles consacrées à la conduite des hostilités. Certaines d'entre elles, aux yeux des autorités françaises, paraissaient susceptibles de donner lieu à des interprétations diverses et donc à des difficultés au regard de la politique de défense de la France et de sa doctrine militaire, en particulier en matière de dissuasion nucléaire.

Lors du cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, en 1998, les autorités françaises ont annoncé leur intention d'engager la procédure d'adhésion au protocole I de 1977. Il est apparu d'une part que certains doutes émis lors de l'adoption du protocole avaient pu être en partie dissipés, notamment au fil des adhésions nouvelles qui ont confirmé sur plusieurs points une interprétation du protocole proche de celle de la France. D'autre part, les difficultés subsistantes pouvaient être surmontées par le dépôt, lors de l'adhésion, d'une déclaration interprétative, comme l'ont fait plusieurs Etats parties.

Les conditions sont donc aujourd'hui réunies pour permettre à la France, à l'image de tous ses partenaires européens de l'OTAN, d'adhérer à un instrument dont elle partageait évidemment dès l'origine l'inspiration et les principes fondamentaux.

Votre rapporteur exposera tout d'abord le contenu du protocole I relatif aux victimes des conflits armés internationaux et son apport au droit international humanitaire.

Il rappellera ensuite les raisons qui avaient conduit la France à différer son adhésion et précisera les conditions dans lesquelles cette dernière est aujourd'hui envisagée.

I. LE PROTOCOLE I SUR LES VICTIMES DES CONFLITS ARMÉS INTERNATIONAUX : UNE INFLEXION DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Les conventions de Genève de 1949, tirant les conséquences du second conflit mondial, avaient constitué une avancée importante du droit international humanitaire, notamment en intégrant la protection des populations civiles en cas de conflit armé. Près de trente ans plus tard, les protocoles additionnels adoptés à Genève ont complété et renforcé les dispositions de ces conventions, en prenant en compte le contexte nouveau créé par les guerres de libération internationale et en introduisant de nombreuses dispositions relatives à la conduite des combats.

A. LA VOLONTÉ D'ÉLARGIR LA PORTÉE DES CONVENTIONS DE GENÈVE

Votre rapporteur souhaite tout d'abord rappeler que le droit international humanitaire comportait traditionnellement deux branches :

- l'une, dite " droit de Genève ", car il résultait de diverses conventions adoptées à Genève, s'intéressant à la protection des victimes des conflits tels que les blessés au combat, les prisonniers de guerre et les populations civiles,

- l'autre, dite " droit de La Haye " ou droit de la guerre, s'attachant à proscrire ou limiter l'usage de certains types d'armes ou de méthodes de guerre.

En 1949, tirant les enseignements du second conflit mondial, la communauté internationale a considérablement renforcé le " droit de Genève " en adoptant quatre conventions améliorant la protection des non-combattants, c'est-à-dire des blessés, des prisonniers et des populations civiles.

Adoptées le 12 août 1949 , ces quatre conventions portent sur :

- l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (l ère convention),

- l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées en mer (2 ème convention),

- le traitement des prisonniers de guerre (3 ème convention),

- la protection des personnes civiles en temps de guerre (4 ème convention).

Ces conventions ont élargi la notion de conflits armés et le champ des catégories de personnes bénéficiant de la protection. A cet égard, la quatrième convention constitue une innovation majeure puisqu'elle établit pour la première fois un ensemble de dispositions applicables aux civils en temps de guerre.

Les conventions de Genève de 1949 ont aujourd'hui acquis une portée quasi universelle , puisque 188 Etats parties y ont adhéré. Dès les années 1960 se sont cependant manifestées diverses initiatives destinées à les compléter ou à les actualiser, principalement sous l'effet de deux préoccupations :

- l'une, émanant des pays ayant nouvellement accédé à l'indépendance, et visant à faire prendre en compte les formes nouvelles de conflits armés, qu'il s'agisse de guerres de libération nationale ou de conflits internes,

- l'autre, plus directement liée au droit humanitaire, tendant à considérer les méthodes modernes de guerre, telles que la guerre aérienne, et leur impact au-delà du champ de bataille, notamment sur les populations civiles.

Saisi de la question, le Comité international de la Croix-Rouge provoqua la réunion de deux conférences d'experts gouvernementaux à Genève en 1971 et 1972 et élabora deux projets de protocole transmis aux Etats parties aux conventions de Genève de 1949.

En 1974, le gouvernement suisse, dépositaire des conventions, convoquait à Genève une conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés. Cette conférence s'est réunie à quatre reprises entre 1974 et 1977 et a associé plus de 120 Etats, 11 mouvements de libération nationale et 51 organisation intergouvernementales ou non gouvernementales y ayant également participé en qualité d'observateurs.

La durée de cette conférence -trois ans- témoigne à elle seule des difficultés à élaborer un texte consensuel, liées au clivage est-ouest mais aussi à des divergences entre pays occidentaux et pays du sud ayant nouvellement accédé à l'indépendance.

Les pays en développement, à travers l'entreprise de développement du droit international humanitaire, souhaitaient faire reconnaître les guerres de libération nationale, mais, par ailleurs, ne voulaient pas que les règles concernant les conflits armés internes soient développés. Les pays occidentaux s'opposaient pour leur part à l'élargissement de la notion de conflit armé international mais étaient disposés à améliorer le droit régissant les conflits armés internes.

Par ailleurs, le débat sur la distinction entre droit international humanitaire et droit du désarmement a opposé deux grandes tendances. L'une, maximaliste, était favorable à l'élaboration de règles portant interdiction ou limitation d'emploi de certaines armes classiques, alors que l'autre faisait valoir que l'objet de la conférence était l'amélioration du droit international humanitaire et non le développement du droit du désarmement.

Au total, la Conférence aboutissait le 8 juin 1977 sur l'adoption de deux protocoles :

- le protocole I relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux ,

- et le protocole II relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux.

Si le protocole II, sous l'impulsion de plusieurs pays en développement confrontés à des conflits internes et soucieux d'éviter une ingérence dans leurs affaires intérieures, s'est en fin de compte soldé par un dispositif relativement simplifié ne comportant que 28 articles, le protocole I se présente quant à lui comme un dispositif beaucoup plus étoffé, comportant 102 articles, et touchant à des domaines divers du droit humanitaire.

B. L'APPORT DU PROTOCOLE I AU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Le protocole I du 8 juin 1977 ne se substitue en rien aux conventions de Genève de 1949 mais les complète en renforçant certaines normes existantes et en édictant des règles nouvelles, tout particulièrement dans le domaine de la conduite des hostilités et des comportements au combat qui relevait traditionnellement du " droit de La Haye ".

La première innovation du protocole I résulte d'une extension du champ d'application de la notion de conflits armés internationaux qui englobe désormais " les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l'occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes " (article 1 er -4). En conséquence, l'exigence du port de l'uniforme en toutes circonstances n'est plus imposée pour bénéficier du statut de combattant et donc de celui de prisonnier de guerre en cas de capture, ce qui ne dispense pas de remplir les autres conditions, notamment l'obligation du port ouvert des armes durant l'attaque.

Le titre II du protocole, relatif aux blessés, malades et naufragés, développe les dispositions de la première et de la deuxième convention de Genève de 1949. Les articles 8 à 34 étendent la protection accordée par les conventions au personnel sanitaire civil , à l'équipement et à l'approvisionnement ainsi qu'aux unités et transports civils. Les dispositions détaillées relatives aux transports sanitaires prennent en compte, s'agissant des moyens d'identification, les nouvelles technologies (signal radio, radar, acoustique...).

Mais les modifications essentielles apportées par le protocole figurent aux titre III (méthodes et moyens de guerre - statut de combattant et de prisonnier de guerre) et IV (population civile). Il s'agit là de règles touchant à la conduite des hostilités qui relevaient jusqu'alors des conventions de La Haye et du droit coutumier.

L'article 35 reprend, en les clarifiant, les règles fondamentales coutumières relatives à la conduite des hostilités et selon lesquelles :

- " le droit des parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité ",

- " il est interdit d'employer des armes, des projectiles et des matières, ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ",

- " il est interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel.

L'article 48 énonce quant à lui une autre règle fondamentale :

" En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants, ainsi qu'entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ".

Découlent de ce principe l'interdiction des " actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile " et celle des " attaques sans discrimination ", c'est-à-dire " propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil " (article 51).

Les articles 52 à 56 détaillent les mesures de protection des biens de caractère civil, notamment des biens cultuels et des lieux de culte, des biens indispensables à la survie de la population civile et des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses (barrages, centrales nucléaires...).

Appuyant ces différentes règles, les articles 57 et 58 détaillent plusieurs mesures de précaution dans l'attaque ou contre les effets des attaques, les opérations militaires devant être " conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens à caractère civil ".

Parmi les autres novations du protocole I, il faut mentionner l'article 36 qui impose, lors de l'étude, de la mise au point ou de l'acquisition d'une arme nouvelle, d'examiner si son usage en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par les dispositions du texte.

Par ailleurs, les articles 61 à 79 incorporent dans le droit international humanitaire des règles de protection et de respect des organismes de protection civile et de leur personnel et renforcent la protection des personnes au pouvoir d'une partie au conflit.

Le titre V apporte quant à lui de nombreux éléments nouveaux concernant les mécanismes de contrôle et de mise en oeuvre des conventions de 1949 et du protocole I.

L'article 90 instaure une commission internationale d'établissement des faits chargée d'enquêter sur toute éventuelle infraction grave aux conventions et au protocole. Toutefois, les Etats parties ne sont pas tenus d'accepter la compétence de la commission et doivent donc effectuer une déclaration spécifique de reconnaissance du mécanisme (à ce jour, une cinquantaine d'Etats ont effectué cette déclaration). La commission comporte 15 membres élus par les Parties ayant accepté sa compétence, les enquêtes étant menées par une chambre de 7 membres comportant 5 membres de la commission n'étant pas ressortissants d'une partie au conflit et 2 membres ad hoc non ressortissants des parties au conflit mais nommés par chacune d'elles.

Par ailleurs, le protocole élargit le champ des actes qualifiés d'infractions graves ou de crimes de guerre, ces derniers incorporant désormais les attaques contre la population civile ou les personnes civiles, les attaques contre les ouvrages et installations contenant des forces dangereuses (barrages, centrales nucléaires), la déportation et le transfert forcé de populations, les attaques contre les monuments appartenant au patrimoine culturel ou spirituel des peuples ou encore la privation du droit à un procès impartial et régulier.

II. LA FRANCE ET LE PROTOCOLE I

Sans s'opposer au consensus ayant permis l'adoption du texte le 8 juin 1977, la France avait très clairement exprimé ses réserves lors de la Conférence diplomatique sur le protocole I et n'est donc pas liée par ce dernier. Elle considérait notamment que son droit de légitime défense pouvait risquer d'être affaibli par certaines dispositions du protocole I dont l'interprétation demeurait sujette à interrogation.

En 1998, la France a reconsidéré sa position, à la lumière en particulier de l'application du protocole I, ce qui permet aujourd'hui d'envisager son adhésion, moyennant le dépôt d'une déclaration interprétative.

A. UNE POSITION INITIALE RÉSERVÉE

L'introduction dans le protocole I de dispositions relatives à la conduite des opérations militaires, jusqu'alors cantonnées aux instruments spécifiques du droit de la guerre, c'est-à-dire essentiellement les conventions de La Haye, est à l'origine des principales réserves émises par la France au cours de la Conférence diplomatique tenue à Genève de 1974 à 1977.

Relevant que le droit humanitaire et le droit de la guerre se trouvaient désormais étroitement imbriqués, les autorités françaises soulignaient le risque d'affaiblir la souveraineté des Etats et leur droit inaliénable de la légitime défense, droit que la France entendait continuer à " exercer dans sa plénitude conformément à l'article 51 de la Charte des Nations unies ".

Plus précisément, lors de son intervention lors de la clôture de la Conférence, le représentant français avait déclaré que les dispositions de l'articles 51 paragraphe 4 et de l'article 57, relatives aux attaques sans discrimination, ne pouvaient, aux yeux de la France, " interdire à ses propres forces armées, défendant le territoire national, de mener des opérations de guerre contre des forces ennemies attaquant ou occupant certaines zones ou localités ". De même, il n'apparaissait pas acceptable que les dispositions de l'article 52 concernant la protection générale des biens à caractère civil, et celles de l'article 58 recommandant de ne pas placer l'objectifs militaires à l'intérieur ou à proximité de localités fortement peuplées, " puissent interdire, ou compromettre de façon irrémédiable la défense, par ses propres armées, de certaines parties du territoire national et de villes et de villages attaqués par des forces ennemies. "

Le gouvernement français considérait que ces dispositions étaient susceptibles de porter atteinte à son droit de légitime défense et favoriseraient en fin de compte un envahisseur éventuel au détriment du peuple qui se défend contre l'invasion. La France ne s'était pas opposée au consensus permettant l'adoption de texte mais, maintenant l'ensemble de ses réserves, elle avait alors déclaré qu'elle ne se considérait pas liée par le protocole I.

En 1977, la France s'est trouvée relativement isolée sur cette ligne, tous les autres pays de l'actuelle Europe des Quinze, à l'exception de l'Irlande qui n'a adhéré qu'en 1999, ayant signé le Protocole, même si la plupart d'entre eux ne l'ont ratifié qu'ultérieurement, moyennant le plus souvent le dépôt de réserves et de déclarations interprétatives.

Parmi nos partenaires de l'OTAN, seuls les Etats-Unis et la Turquie n'avaient pas signé le texte. La Russie l'avait en revanche signé, mais pas la Chine, qui n'a adhéré qu'en 1983.

B. LES CONDITIONS DE L'ADHÉSION DE LA FRANCE

En mars 1998, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, le Premier ministre annonçait que la France " envisageait favorablement d'accéder au protocole I additionnel aux conventions de Genève ". A cette occasion, les autorités françaises ont indiqué que les interrogations liées à la compatibilité du protocole avec la doctrine militaire française pourraient être levées par l'apport de déclarations interprétatives.

Rappelons tout d'abord qu'aujourd'hui, la France demeure avec les Etats-Unis et la Turquie, le seul pays de l'OTAN à n'avoir pas adhéré au protocole I. Les Etats-Unis, signataires du texte, n'envisagent pas de le ratifier en raison du caractère à leurs yeux complexe, difficilement applicable ou trop contraignant de certaines de ses dispositions. Dans le groupe des non-signataires, la France se trouve également avec l'Irak, l'Iran, la Libye, Israël, l'Inde, le Pakistan, l'Afghanistan et plusieurs Etats d'Asie, dont le Japon.

Tous les partenaires européens de la France au sein de l'OTAN ont en revanche adhéré au protocole I, le plus souvent moyennant le dépôt de réserves et déclarations interprétatives, ainsi que les autres pays de l'Union européenne non membres de l'OTAN.

L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et en dernier lieu le Royaume-Uni, lors de son adhésion en 1998, ont ainsi tenu à préciser leur interprétation du protocole en spécifiant qu'il ne saurait couvrir que l'usage des armes conventionnelles et en rappelant, pour certaines dispositions relatives à la conduite des combats, les limites inhérentes au respect du droit de légitime défense.

La France a ainsi pu constater que les autres parties au protocole I n'ont formulé aucune objection aux déclarations déposées, lors de leur adhésion, par les pays membres de l'OTAN, en particulier au sujet de la non applicabilité du protocole I aux armes nucléaires, étant précisé qu'outre le Royaume-Uni, deux autres puissances nucléaires -la Russie et la Chine- ont elles aussi adhéré au texte en déposant une déclaration interprétative.

Votre rapporteur a obtenu communication du texte des réserves et déclarations interprétatives que la France envisage de formuler lors de l'adhésion, et qui est reproduit en annexe I.

Les principaux points de ce texte sont les suivants :

- le rappel du principe du droit naturel de légitime défense , consacré par l'article 51 de la Charte des Nations unies,

- la limitation des dispositions du protocole I à l'usage des armes classiques, conformément au texte rédigé par le Comité international de la Croix Rouge lors du lancement de la conférence diplomatique, le protocole I ne pouvant ni réglementer ni interdire le recours à l'arme nucléaire,

- diverses précisions tendant à garantir , durant la conduite des opérations, le droit de légitime défense .

CONCLUSION

Le protocole I aux conventions de Genève constitue aujourd'hui un élément majeur du droit international humanitaire. Les objections formulées par la France en 1977, dans un contexte international très différent de celui d'aujourd'hui, étaient inspirées par le souci de ne pas souscrire des engagements dont la portée exacte et l'incidence sur notre doctrine militaire ne pouvaient être pleinement évaluées.

Il apparaît désormais paradoxal que la France, si engagée en faveur de la protection et de la promotion des droits de l'homme, demeure à l'écart d'un instrument international devenu quasi universel, puisque 156 Etats y ont adhéré, et dont elle partage bien évidemment la philosophie généreuse et humanitaire.

D'autre part, les enseignements tirés de l'adhésion de nos principaux alliés, et en dernier lieu du Royaume-Uni qui se trouvait à bien des égards dans une situation comparable à la nôtre, et le projet de réserves et de déclarations interprétatives préparé par le gouvernement, permettent d'envisager l'adhésion de la France, tout en donnant à cette dernière un sens et une portée qui n'affecteront pas nos intérêts de sécurité.

Dans ces conditions, votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 4 octobre 2000.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Robert Del Picchia s'est interrogé sur la position des Etats-Unis à l'égard du protocole I et sur la signification de certaines formulations de textes, telles que l'interdiction d'utiliser des armes de nature à causer des " maux superflus ".

M. Christian de La Malène a souhaité savoir si les Etats-Unis avaient adhéré aux conventions de Genève de 1949.

M. Michel Caldaguès a observé que les réserves et déclarations interprétatives évoquées par le rapporteur n'avaient pas encore été formellement déposées. Il a également souligné que les Etats-Unis n'envisageaient pas d'adhérer au protocole I. Evoquant l'actualité récente en Israël où l'usage de balles à fragmentation avait été confirmé, il a remarqué que notre pays s'imposait des disciplines dont d'autres continuaient à s'affranchir. Il a indiqué que, dans ces conditions, il ne prendrait pas part au vote du projet de loi.

M. Xavier de Villepin, président , a relevé qu'au vu des différents conflits en cours dans le monde, un texte comme le protocole I pouvait susciter un certain scepticisme. Il a toutefois souligné l'importance des conventions de Genève en souhaitant que le droit humanitaire international soit régulièrement révisé et adapté aux nouvelles armées et méthodes de guerre.

En réponse à ces interventions, M. Jean Faure, rapporteur , a apporté les précisions suivantes :

- les Etats-Unis ont adhéré aux conventions de Genève de 1949, mais n'envisagent pas d'adhérer au protocole I, qu'ils jugent trop contraignant au regard de leur doctrine militaire ;

- l'interdiction d'employer des armes, des projectiles et des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus est l'une des règles fondamentales édictées par l'article 35 du protocole I, et vise à éviter d'infliger des dommages plus graves que ceux nécessaires pour mettre un adversaire hors de combat ;

- le gouvernement a communiqué à la commission le projet de réserves et de déclarations interprétatives dont le dépôt ne pourra formellement intervenir qu'au moment de l'adhésion de la France ;

- ces réserves et déclarations interprétatives ont notamment pour objet de préciser l'interprétation que la France donne à certaines formulations générales ou imprécises et de fixer ainsi la portée exacte qu'elle entend donner à son adhésion ;

- quels que soient les doutes sur l'application effective par toutes les parties des dispositions du protocole, les instruments du droit international humanitaire permettent de faire régresser les dommages causés aux non-combattants, et notamment aux populations civiles, par les conflits armés.

La commission a ensuite adopté le projet de loi.

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'adhésion au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) (ensemble deux annexes), signé à Genève le 8 juin 1977 et dont le texte est annexé à la présente loi. 1 ( * )

ANNEXE I -
PROJET DE RÉSERVES ET DE DÉCLARATIONS INTERPRÉTATIVES CONCERNANT L'ADHÉSION DE LA FRANCE AU PROTOCOLE I DU 8 JUIN 1977 RELATIF À LA PROTECTION DES VICTIMES DES CONFLITS ARMÉS INTERNATIONAUX, ADDITIONNEL AUX CONVENTIONS DE GENÈVE DU 12 AOÛT 1949

1. Les dispositions du Protocole I de 1977 ne font pas obstacle à l'exercice, par la France, de son droit naturel de légitime défense, conformément à l'article 51 de la Charte des Nations unies.

2. Se référant au projet de Protocole rédigé par le Comité international de la Croix Rouge qui a constitué la base des travaux de la Conférence diplomatique de 1974-1977, le gouvernement de la République française continue de considérer que les dispositions du Protocole concernent exclusivement les armements classiques, et qu'elles ne sauraient ni réglementer ni interdire le recours à l'arme nucléaire, ni porter préjudice aux autres règles du droit international applicables à d'autres armes, nécessaires à l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense.

3. Le gouvernement de la République française considère que les expressions " possible " et " s'efforcer de ", utilisées dans le Protocole, veulent dire ce qui est réalisable ou ce qui est possible en pratique, compte tenu des circonstances du moment, y compris les considérations d'ordre humanitaire et militaire.

4. Le gouvernement de la République française considère que le terme " conflits armés " évoqué au paragraphe 4 de l'article 1, de lui-même et dans son contexte, indique une situation d'un genre qui ne comprend pas la commission de crimes ordinaires, y compris les actes de terrorisme, qu'ils soient collectifs ou isolés.

5. Etant donné les besoins pratiques d'utiliser des avions non spécifiques pour des missions d'évacuation sanitaire, le gouvernement de la République française n'interprète pas le paragraphe 2 de l'article 28 comme excluant la présence à bord d'équipements de communication et de matériel de cryptologie, ni l'utilisation de ceux-ci uniquement en vue de faciliter la navigation, l'identification ou la communication au profit d'une mission de transport sanitaire, comme définie à l'article 8.

6. Le gouvernement de la République française considère que le risque de dommages à l'environnement naturel résultant de l'utilisation des méthodes ou moyens de guerre, tel qu'il découle des dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 35 et de celles de l'article 55, doit être analysé objectivement sur la base de l'information disponible au moment où il est apprécié.

7. Compte tenu des dispositions de l'article 43 paragraphe 3 du Protocole relatives aux services armés chargés de faire respecter l'ordre, le gouvernement de la République française informe les Etats parties au Protocole que ses forces armées incluent de façon permanente la gendarmerie nationale.

8. Le gouvernement de la République française considère que la situation évoquée dans la seconde phrase du paragraphe 3 de l'article 44 ne peut exister que si un territoire est occupé ou dans le cas d'un conflit armé au sens du paragraphe 4 de l'article 1. Le terme " déploiement ", utilisé au paragraphe 3(b) de ce même article, signifie tout mouvement vers un lieu à partir duquel une attaque est susceptible d'être lancée.

9. Le gouvernement de la République française considère que la règle édictée dans la seconde phrase du paragraphe 1 de l'article 50 ne peut être interprétée comme obligeant le commandement à prendre une décision qui, selon les circonstances et les informations à sa disposition, pourrait ne pas être compatible avec son devoir d'assurer la sécurité des troupes sous sa responsabilité ou de préserver sa situation militaire, conformément aux autres dispositions du Protocole.

10. Le gouvernement de la République française considère que l'expression " avantage militaire " évoquée aux paragraphes 5(b) de l'article 52 et 2(a)(iii) de l'article 57 désigne l'avantage attendu de l'ensemble de l'attaque et non de parties isolées ou particulières de l'attaque.

11. Le gouvernement de la République française déclare qu'il appliquera les dispositions du paragraphe 8 de l'article 51 dans la mesure où l'interprétation de celles-ci ne fait pas obstacle à l'emploi, conformément au droit international, des moyens qu'il estimerait indispensable pour protéger sa population civile de violations graves, manifestes et délibérées des Conventions de Genève et du Protocole par l'ennemi.

12. Le gouvernement de la République française considère qu'une zone spécifique peut être considérée comme un objectif militaire si, à cause de sa situation ou pour tout autre critère énuméré à l'article 52, sa destruction totale ou partielle, sa capture ou sa neutralisation, compte tenu des circonstances du moment, offre un avantage militaire décisif. Le gouvernement de la République française considère en outre que la première phrase du paragraphe 2 de l'article 52 ne traite pas de la question des dommages collatéraux résultant des attaques dirigées contre des objectifs militaires.

13. Le gouvernement de la République française déclare que si les biens protégés par l'article 53 sont utilisés à des fins militaires, ils perdront par là même la protection dont ils pouvaient bénéficier conformément aux dispositions du Protocole.

14. Le gouvernement de la République française considère que le paragraphe 2 de l'article 54 n'interdit pas les attaques qui sont menées dans un but spécifique, à l'exception de celles qui visent à priver la population civile des biens indispensable à sa survie et de celles qui sont dirigées contre des biens qui, bien qu'utilisés par la partie adverse, ne servent pas à la subsistance des seuls membres de ses forces armées.

15. Le gouvernement de la République française ne peut garantir une protection absolue aux ouvrages et installations contenant des forces dangereuses, qui peuvent contribuer à l'effort de guerre de la partie adverse, ni aux défenseurs de telles installations, mais il prendra toutes les précautions nécessaires, conformément aux dispositions de l'article 56, de l'article 57, paragraphe 2(a)(iii), et du paragraphe 3(c) de l'article 85, pour éviter de sévères pertes collatérales dans les populations civiles, y compris lors d'éventuelles attaques directes.

16. Le gouvernement de la République française considère que l'obligation d'annuler ou d'interrompre une attaque, conformément aux dispositions du paragraphe 2(b) de l'article 57, appelle seulement l'accomplissement des diligences normales pour annuler ou interrompre cette attaque, sur la base des informations dont dispose celui qui décide de l'attaque.

17. Le gouvernement de la République française considère que l'article 70 relatif aux actions de secours n'a pas d'implication sur les règles existantes dans le domaine de la guerre navale en ce qui concerne le blocus maritime, la guerre sous-marine ou la guerre des mines.

18. Le gouvernement de la République française ne s'estime pas lié par une déclaration faite en application du paragraphe 3 de l'article 96, sauf s'il a reconnu expressément que cette déclaration a été faite par une organisme qui est véritablement une autorité représentative d'un peuple engagé dans un conflit armé tel que défini au paragraphe 4 de l'article 1.

ANNEXE II -
ÉTUDE D'IMPACT2 ( * )

I. Etat de droit et situation de fait existants et leur insuffisances

La France est partie aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949. Le Protocole I de 1977, malgré certaines ambiguïtés, complète et renforce utilement ces textes. Surtout, en codifiant des principes humanitaires jusqu'alors coutumiers, il permet de mieux les faire connaître par les belligérants et donc de mieux en garantir le respect.

II. Bénéfices escomptés en matière :

* d'emploi : sans objet.

* d'intérêt général : ce Protocole constitue une avancée du droit international humanitaire de nature à renforcer la protection des populations civiles dans le cadre des conflits armés internationaux. L'adhésion de l'ensemble des Etats sera de nature à accroître la sécurité internationale et à faire progresser la prise en considération des impératifs humanitaires dans la conduite des opérations armées.

* financière : sans objet.

* de simplification des formalités administratives : sans objet.

* de complexité de l'ordonnancement juridique : sans objet.

* 1 Voir le texte annexé au document Sénat n° 294 (1999-2000).

* 2 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.

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