3. Un dispositif d'aide juridictionnelle à réformer en profondeur

La loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a accru le rôle de l'avocat. Désormais, ce dernier interviendra dès la première heure de la garde à vue, puis à la vingtième heure et, en cas de prolongation à la trente sixième heure ; il pourra également être présent pour les décisions d'octroi, d'ajournement, de refus, de retrait ou encore de révocation de toutes les mesures concernant le placement à l'extérieur, la semi-liberté, le fractionnement ou la suspension des peines et la libération conditionnelle. La pose du bracelet électronique se fera également en présence de l'avocat.

Pour autant, les crédits prévues dans la loi de finances pour 2001 afin de rémunérer les prestations des avocats sont contestés par cette profession.

A l'heure actuelle, il existe 400.000 gardes à vue par an environ. L'avocat perçoit un forfait de 300 francs ainsi qu'une indemnité de 100 francs s'il a dû se déplacer dans une commune qui n'est pas le siège du barreau ou du tribunal compétent. Lorsqu'il se déplace de nuit, il bénéficie d'un supplément de 200 francs.

Le coût global de cette réforme est évalué par la Chancellerie à 92 millions de francs. 10 millions de francs existent déjà au chapitre 46-12 (Aide juridique) pour financer les interventions de l'avocat postérieures à la première heure de la garde à vue ; 67 millions de francs avaient été obtenus dans les lois de finances pour 1999 et 2000, qui sont reportés pour la loi de finances pour 2001, tandis que cette dernière prévoit une mesure d'ajustement de 15 millions de francs. Il convient de remarquer que 8 millions de francs sont consacrés à la majoration de 10 % des tarifs unitaires (qui passent de 300 francs à 330 francs).

Le financement de l'intervention de l'avocat à la première de la garde à vue est donc assuré.

En réalité, la proche entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 pose la question de la pertinence du système d'aide juridictionnelle tel qu'il existe aujourd'hui dont, paradoxalement, la charge financière s'avère de plus en plus lourde pour le budget de la justice sans pour autant permettre aux plus défavorisés d'accéder au droit et à la justice ni satisfaire les avocats en ce qui concerne leurs rémunérations.

a) L'explosion des crédits affectés à l'aide juridictionnelle

Entre 1995 et 2001, la dépense liée à l'aide juridictionnelle est passée de 865 millions de francs à 1.543,6 millions de francs, soit une hausse de 78,4 %.

Parallèlement, le budget de la justice a évolué de 22.131,3 millions de francs en 1995 à 29.033,4 millions de francs en 2001, soit une hausse de 31 %.

La hausse des crédits d'aide juridictionnelle a donc été deux fois plus importante que celle du budget global de la justice . En conséquence, une part croissante des augmentations de crédits a servi à financer l'aide juridictionnelle.

Le rythme de croissance des dépenses d'aide juridictionnelle a cependant ralenti à partir de 1997 (+ 12,7 % contre + 24 % en 1996, + 2,7 % en 1998), puis il a de nouveau augmenté : + 4,4 % en 1999 et + 6,9 % en 2000.

Selon la Chancellerie, la dotation budgétaire pour 2000 avait été calculée sur la base d'une hausse des admissions à l'aide juridictionnelle de 3 % en 1998, 1999 et 2000. Or, les admissions ont baissé en 1998 (-0,8 %) et sont restées stables en 1999 (+ 0,1 %). La prévision pour 2000 s'élève à une hausse de 1,6 %. En conséquence, la dépense pour 2000 devrait être largement inférieure à la dotation initiale (l'excédent prévisible atteindrait 200 millions de francs).

C'est la raison pour laquelle la dotation pour 2001 a été réduite de 102,7 millions de francs, ce qui permet à la fois de tenir compte du montant de la dépense prévisible et de financer les mesures nouvelles d'un montant total de 102,7 millions de francs.

Votre rapporteur tient à souligner que cet affichage politique (à savoir la conciliation de deux objectifs contradictoires tels que la stabilisation des dépenses et le financement des mesures de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes) est rendu possible par le fait que les crédits de l'aide juridictionnelle figurent à l'état F qui énumère les dépenses auxquelles s'appliquent des crédits évaluatifs. Cela signifie concrètement que les crédits peuvent être sous-évalués sans conséquence dommageable pour le financement de l'aide juridictionnelle puisque, s'ils s'avèrent insuffisants, ils seront automatiquement abondés.

b) L'exclusion de toute une partie de la population de l'accès au droit et à la justice

Paradoxalement, alors que la France consacrera en 2001 plus d'1,5 milliard de francs à l'aide juridictionnelle, un nombre croissant de demandes est rejeté.

Les demandes d'aide juridictionnelle sont passées de 780.634 en 1997 à 778.413 en 1998 et à 783.130 en 1999. Après avoir connu une progression ininterrompue entre 1992 et 1997, elles semblent avoir atteint un pallier depuis 1997.

Par ailleurs, en 1999, comme les années précédentes, les rejets ont progressé (+ 5 %). Ils sont motivés dans 55 % des cas par des dépassements de ressources et dans 27 % des cas par l'absence de pièces justificatives. Le taux de rejet atteint 10%.

Pourtant, les plafonds de ressources sont très bas puisque, malgré leur revalorisation par la loi de finances pour 2001, ils s'élèvent seulement à 5.175 francs par mois pour l'aide totale et 7.764 francs par mois pour l'aide partielle.

Les admissions qui concernent les contentieux civils et principalement familiaux représentent, en 1999, près des trois cinquièmes des admissions totales à l'aide juridictionnelle. A cet égard, il convient de remarquer qu'alors que le nombre des contentieux en matière civile tend à diminuer, le nombre des demandes d'aide juridictionnelle augmente.

Votre rapporteur constate avec regret que l'augmentation croissante des rejets révèle qu'un nombre croissant de personnes est exclu de l'aide juridictionnelle, en raison de plafonds de ressources beaucoup trop bas.

c) L'inadaptation de l'indemnisation des avocats par rapport aux prestations fournies

Le montant de l'indemnisation que reçoit l'avocat pour sa prestation résulte du produit d'un coefficient par type de procédure et d'une unité de valeur de référence fixée depuis la loi de finances pour 2000 à 134 francs. Aucune revalorisation n'a été prévue dans le projet de loi de finances pour 2001.

Le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 précise le nombre d'unités de valeurs applicable selon les procédures en cause.

La plupart des avocats estiment que le nombre d'unités de valeur affecté aux diverses procédures ne permet pas de prendre en compte le temps passé pour traiter une procédure et les charges supportées à cette occasion.

Ils exigent donc une revalorisation de l'unité de valeur. Il convient de remarquer que leurs revendications sont d'autant plus fortes qu'un nombre croissant d'avocats vit essentiellement de l'aide juridictionnelle.

En effet, l'explosion du nombre des avocats s'est accompagnée d'une paupérisation d'une partie de la profession et de l'augmentation des inégalités de salaires entre ceux qui se sont spécialisés dans des secteurs très rémunérateurs et ceux qui traitent principalement des affaires dont les frais sont pris en charge par l'aide juridictionnelle.

Or, le taux de ce type d'affaire peut être très élevé : au tribunal de grande instance de Bobigny, entre 70 et 80 % des affaires sont financées par l'aide juridictionnelle.

Par ailleurs, les interventions des avocats susceptibles d'être rémunérées par le biais de l'aide juridictionnelle se sont multipliées.

Ainsi, la loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits prévoit la rétribution de l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle qui intervient dans une procédure transactionnelle.

De même, la loi du 12 avril 2000 relative à la validation législative d'un examen professionnel d'accès au grade de premier surveillant des services extérieurs de l'administration pénitentiaire permet l'intervention des avocats au prétoire dans le cadre de la procédure disciplinaire appliquée aux détenus.

Enfin, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes prévoit la présence d'un avocat dès la première heure de la garde à vue, devant le juge des libertés et de la détention et multiplie les interventions de l'avocat, notamment aux audiences d'application des peines dans les centres de détention.

Les conséquences de la multiplication des interventions des avocats susceptibles d'être rémunérées par l'aide juridictionnelle sont double.

Dans les cabinets pour lesquels l'aide juridictionnelle représentait seulement un pourcentage infime de leur chiffre d'affaires, la faible indemnisation des prestations de l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle était jusqu'à présent tolérée car elle était considérée comme un geste de solidarité vis-à-vis des plus démunis. Toutefois, l'augmentation de la part des prestations rémunérées par l'aide juridictionnelle remet en cause cet équilibre puisque lesdits cabinets doivent consacrer de plus en plus de temps à des affaires qui sont beaucoup moins bien rémunérées que leur activité traditionnelle. Le manque à gagner s'accroît.

Quant aux avocats dont la majorité de leur rémunération est issue de l'aide juridictionnelle, ils ont directement et légitimement intérêt à la revalorisation de l'unité de valeur.

Il apparaît donc que le dispositif tel qu'il fonctionne aujourd'hui n'est pas satisfaisant. D'abord, il ne permet pas aux plus défavorisés d'accéder au droit et à la justice. Par ailleurs, on peut légitimement s'interroger sur les conséquences dommageables du caractère de plus en plus hétérogène de la profession d'avocats. Certains représentants de la profession paraissent d'ailleurs accepter une certaine " fonctionnarisation " des avocats en citant l'exemple du Québec.

Il apparaît donc urgent de revoir les mécanismes de l'aide juridictionnelle en s'interrogeant sur les mesures permettant de faire accéder les plus défavorisés au droit et à la justice sans que ces dépenses n'accaparent une partie trop importante du budget de la justice.

Par ailleurs, il convient de s'interroger sur le niveau de la rémunération des avocats au titre de l'aide juridictionnelle dont l'enjeu repose sur le fait qu'une dépense publique finance une profession libérale.

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