AUDITION DE M. DIDIER MAUS,
PROFESSEUR ASSOCIÉ À L'UNIVERSITÉ DE PARIS I,
CO-DIRECTEUR DE LA REVUE FRANÇAISE
DE DROIT CONSTITUTIONNEL

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Estimant qu'en une telle matière on ne pouvait que se répéter ou se contredire, M. Didier Maus a rappelé une de ses opinions exprimées quinze mois auparavant, le 25 octobre 1999 : " si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ". Il a indiqué n'avoir pas changé de position sur ce point.

Il a cependant regretté que les problèmes liés au calendrier électoral n'aient pu être réglés deux ans avant les élections de 2002, le télescopage des calendriers n'ayant pas été évoqué plus en amont, notamment au moment des débats parlementaires relatifs au quinquennat, réforme à laquelle il était par ailleurs défavorable. Il a ajouté qu'une modification du calendrier électoral s'avérait de toute façon indispensable, indépendamment des débats sur la durée du mandat présidentiel.

M. Didier Maus a signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ne pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, 1974, 1981 ou 1988. Il a estimé que, contrairement au cas présent où le télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.

Il a évoqué plusieurs aspects de la modification proposée. S'interrogeant sur l'existence d'un argument constitutionnel en faveur d'un tel changement, il a fait valoir qu'une logique, une cohérence, une stratégie constitutionnelle pouvaient le justifier. Affirmant son attachement personnel à une interprétation parlementaire du régime, il a estimé que, dès lors que le Président de la République était l'élément pilote de la vie politique, il fallait assurer sa prééminence et faire en sorte que le fait majoritaire soit mis en oeuvre, le quinquennat ayant de surcroît renforcé cette prépondérance présidentielle. Il a donc jugé indispensable d'éviter une incohérence constitutionnelle, et donc nécessaire de permettre que la majorité parlementaire soit un fidèle soutien du Président de la République.

M. Didier Maus a ensuite pointé la difficulté de dénomination de cette opération. Il a relevé plusieurs expressions employées pour qualifier cette modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, évoquant tour à tour l'inversion, le rétablissement, la modification, la remise en cause et l'aménagement. Il a constaté que chaque mot était une arme, que l'inversion révélait une connotation péjorative, tandis que le rétablissement relevait d'un vocabulaire erroné puisqu'il ne s'agissait pas de revenir à une situation ex-ante, mais d'appréhender une situation à venir. Il a marqué sa préférence pour le terme aménagement, estimant qu'il reflétait une plus grande neutralité dans le choix du vocabulaire.

Evoquant la constitutionnalité d'un tel aménagement, M. Didier Maus a jugé qu'il existait peu de risque pour qu'un aménagement limité prévu par la loi organique soit censuré par le Conseil constitutionnel. Il a expliqué que les jurisprudences de 1990 et 1994, concernant les élections locales, pouvaient être transposées aux élections législatives. Il a ajouté que la prolongation envisagée n'aurait pas pour effet de proroger la durée du mandat des députés actuels au-delà de cinq ans.

Signalant qu'il était indispensable de réexaminer l'ensemble du calendrier électoral, il a rappelé qu'aux débuts de la Ve République, le premier trimestre était réservé aux campagnes électorales, cette situation ayant été notablement modifiée par la session unique. Il a fait part de son souhait de voir adopter pour 2002 des dispositions dérogatoires et a jugé indispensable de reposer ensuite la question de l'ensemble des opérations électorales de manière générale.

M. Didier Maus a fait valoir que le calendrier pour 2002, issu du texte adopté par l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier tour de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour le 5 mai, le mandat du Président de la République Jacques Chirac expirant le vendredi 17 mai.

Considérant que l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale serait, selon la proposition de loi, fixée au mardi 18 juin, il a estimé qu'il serait impossible d'organiser le second tour des élections législatives le 16 juin tout en indiquant que le ministre de l'intérieur avait tenu des propos inverses. A cet égard, il a rappelé que le délai le plus court entre des élections législatives et la réunion de l'Assemblée avait été de quatre jours en 1993.

M. Didier Maus a estimé que les élections législatives ne pourraient avoir lieu que les 2 et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt des candidatures serait en conséquence fixée le 6 mai, lendemain de l'élection présidentielle, et que la campagne législative débuterait le 13 mai avant la prise de fonctions du nouveau président. Il en a déduit que ce délai serait beaucoup trop court pour que le président de la République puisse façonner une majorité et faire en sorte que les différents camps se positionnent face à lui. Il a rappelé que cette logique avait prévalu en 1981 et 1988, le président prenant l'initiative de dissoudre l'Assemblée nationale.

M. Didier Maus s'est déclaré favorable à une autre modification du calendrier et a proposé que les élections législatives soient organisées les 16 et 23 juin, comme en 1988. Néanmoins, il a mis en lumière que l'assemblée nouvellement élue aurait à surmonter une difficulté, dans la mesure où elle ne pourrait se réunir qu'à l'extrême fin de la session ordinaire et qu'il serait nécessaire de convoquer une session extraordinaire pour constituer ses organes.

Il a proposé plusieurs pistes de réflexion sur la modification du calendrier. Il a signalé l'opportunité de reporter l'organisation des élections législatives à la fin du mois de septembre, afin de permettre au Président de la République nouvellement élu de préparer les élections législatives comme en cas de dissolution.

Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code électoral, et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les 9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du président de la République.

M. Didier Maus a également émis l'idée de fixer au 30 juin la fin des pouvoirs de l'Assemblée nationale et de réviser la Constitution, afin de permettre la tenue d'une session extraordinaire de droit les années d'élections législatives.

Il a enfin mentionné la possibilité de fixer au 15 avril la fin du mandat du Président de la République, pour permettre au nouveau Président de disposer de deux mois et demi pour organiser la campagne législative, ajoutant qu'une révision de la Constitution serait nécessaire.

En conclusion, il a estimé que la modification de calendrier électoral était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique, mais techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des élections législatives.

Répondant à M. Daniel Hoeffel, qui l'interrogeait sur son appréciation à l'égard de la session unique établie depuis 1995, M. Didier Maus a souligné qu'en période électorale, la situation n'avait guère évolué, compte tenu des interruptions prévues de la session unique. Il a relevé que la session unique avait eu le mérite de permettre au Parlement de siéger moins d'heures de séance publique qu'auparavant, ajoutant qu'il n'était pas nécessaire que le Parlement siège à marche forcée pour que la loi soit bien faite.

M. Robert Badinter, après avoir réaffirmé son opinion exprimée avec constance selon laquelle il ne pouvait y avoir de révision constitutionnelle relative au quinquennat sans modification du calendrier, a questionné M. Didier Maus sur les difficultés posées dans le cas où le calendrier serait laissé en l'état.

Ce dernier a répondu que la majeure difficulté résidait dans le parrainage des candidats à l'élection présidentielle par les députés. Il a indiqué que, même si on avançait les élections législatives au mois de février, ce problème ne serait pas réglé, le mandat des députés actuels devant expirer le 2 avril.

M. Lucien Lanier a fait remarquer à M. Didier Maus que le calendrier ne pouvait être figé par un texte et que les événements pouvaient le modifier. Il a estimé que la cohabitation pouvait finalement triompher de cette inversion du calendrier, la majorité présidentielle ne correspondant pas forcément à la majorité parlementaire. Il lui a demandé s'il pensait que placer l'élection présidentielle avant les élections législatives pouvait suffire à forcer la main du peuple pour éviter la cohabitation.

M. Didier Maus a répondu qu'il n'avait aucune idée de la traduction politique d'un maintien ou d'un changement du calendrier. Jugeant que le peuple était souverain, il a rappelé des propos de Lamartine tenus en 1848 : " Si le peuple se trompe, tant pis pour le peuple ".

Il a ajouté qu'il était nécessaire de songer à la remise en ordre globale du calendrier. Il a fait remarquer que, depuis 1958, le calendrier électoral s'était enrichi de trois nouvelles consultations : l'élection présidentielle, les élections européennes et les élections régionales.

Répondant à M. Pierre Fauchon, président, qui l'interrogeait sur la possibilité d'organiser les deux élections aux mêmes dates, M. Didier Maus a estimé que cet aménagement était techniquement possible et éviterait aux Français deux déplacements dans les bureaux de vote. Il a cependant évoqué l'impopularité d'une telle mesure auprès des députés, qui n'apparaîtraient plus que comme des représentants locaux d'un candidat à l'élection présidentielle. Il a exprimé la crainte que les élections législatives soient occultées et a fait remarquer que cette modification n'irait pas dans le sens d'une plus grande autonomie de l'Assemblée nationale.

M. Robert Bret ayant demandé à M. Didier Maus de lui fournir plus de précisions s'agissant de sa proposition de fixer au 15 avril la fin du mandat du Président de la République, ce dernier a ajouté que cette idée nécessitait un approfondissement intellectuel et ne pourrait intervenir que dans un climat politique différent.

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