D. MME DANIELLE GAUDRY, PRÉSIDENTE DE LA CONFÉDÉRATION DU MOUVEMENT FRANÇAIS POUR LE PLANNING FAMILIAL ET DE MME MARTINE LEROY, RESPONSABLE DU DOSSIER AVORTEMENT DE LA CONFÉDÉRATION

M. Jean DELANEAU, président - Nous venons de recevoir un texte de l'Assemblée nationale qui a subi un certain nombre de modifications. Quel est votre point de vue sur ce texte au point où il en est actuellement ? Y a-t-il des choses que vous n'acceptez pas ou que vous souhaitez voir évoluer ?

Mme Danielle GAUDRY - Je suis présidente de la Confédération du mouvement français pour le planning familial et je suis gynécologue obstétricienne. Je suis venue avec Martine Leroy qui est responsable du dossier avortement à la Confédération.

Je vais commencer par resituer le projet de loi tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, avec l'historique de ce droit et l'histoire de notre association. Le mouvement français pour le planning familial s'appelait au départ " la maternité heureuse ". En 1956, cette association a été créée par des personnalités qui ne supportaient plus la confrontation des couples aux grossesses non désirées alors que cette problématique était prise en charge d'une certaine façon dans d'autres pays d'Europe. La France était en retard au niveau de la législation par rapport à l'Angleterre ou la Suisse. Cette période a été importante vis-à-vis de la contraception. De plus, la problématique de l'avortement était posée. Certains ont cru que la loi de 1967, M. Neuwirth en est le témoin, allait tout régler par rapport aux avortements et que les couples ma»triseraient parfaitement leur fécondité. Cela était utopique car toute ma»trise est extrêmement difficile et chacun peut le savoir autour de cette table.

Dans les années 70, nous avons changé de nom et nous sommes devenus le Mouvement français pour le planning familial. Nous avons adhéré à une association internationale de planification familiale. Nous attendions toujours les décrets d'application de la loi de 1967. Les décrets d'application de loi sont un de nos soucis surtout concernant ce sujet et en particulier pour la loi qui va être discutée et votée courant 2001. Dans les années 70, le mouvement français, avec d'autres associations de femmes, a pesé de tout son poids sur le législateur, plus que maintenant. Les décrets d'application de la loi ont vu le jour en 1972 et la loi de 1975 sur l'avortement a été votée.

Cette loi de 1975, revue actuellement, nous la définissons comme une loi de santé publique. Le droit des femmes à décider de leur grossesse n'était que partiellement toléré et très encadré par cette loi. Nous avons dit dès le début que son application demandait des moyens humains et budgétaires qui étaient très inégalement répartis géographiquement sur le territoire français. Nous avons dénoncé le fait qu'un certain nombre de réticences idéologiques nuisaient à la place des femmes dans notre société. Notre association a continué le travail commencé en 1956. En d'autres termes, nous avons continué, depuis 1975, à accueillir un certain nombre de femmes en difficulté. Nous avons soixante associations départementales dont trente centres de planification gérés par notre association et de nombreux groupes locaux qui assurent des lieux de parole pour les femmes qui en ressentent la nécessité, quel que soit leur %oge. Nous recevons 300.000 personnes dans l'année dont 150.000 jeunes.

Dans ces lieux de parole, nous écoutons les difficultés rencontrées par les femmes et les hommes qui viennent par rapport à leur demande d'avortement. Ces difficultés sont liées à des détresses personnelles importantes (la loi, le terme de la loi), mais aussi liées aux fausses informations que les couples peuvent rencontrer, à des réticences des professionnels, à des délais de rendez-vous du service public qui ne répondent pas du tout aux besoins. Nous savons que nous devons agir sur ces difficultés. Par contre, la détresse personnelle existera toujours. Il faudra bien entendu l'accompagner. Il est de notre responsabilité, en tant qu'association et en tant que citoyens, de faire en sorte que soient levées les difficultés d'organisation de l'application de la loi. Peut-être que cette loi peut comprendre un certain nombre d'améliorations. Nous tirons de cette loi, proposée à votre réflexion et à votre vote, des éléments positifs. Sur d'autres points, nous estimons qu'il y a des choses à améliorer. Je vais passer la parole à Martine Leroy qui va vous exposer cette appréciation de la loi telle qu'elle a été votée par l'Assemblée nationale.

Mme Martine LEROY - Je vais prendre les mesures au fur et à mesure et donner les éléments d'appréciation que nous en avons.

Sur l'élargissement du délai possible pour une interruption de grossesse qui serait fixé à douze semaines, je vous livre un premier constat : nous bénéficions du délai moyen fixé en Europe et pour les femmes françaises le statut de la légalité sera allongé de deux semaines. Nous avons expliqué que ce délai ne couvrirait pas les demandes de 80 % des situations comme il a été dit parfois. Ce seront 40 % des situations qui seront réglées. Par conséquent, 60 % partiront à l'étranger s'il n'y a pas de solution proposée en France.

Nous avons constaté que tous les parlementaires, toutes les associations professionnelles, l'opinion publique et évidemment les femmes estiment que ce fait est insupportable, discriminant, inégalitaire et qu'il faut régler le problème de toutes les situations. Pourquoi 40 % ? Pourquoi pas 100 % ? Nous pensons que le parti de fixer un délai est un faux débat car une femme qui a décidé d'interrompre une grossesse le fera car à ce moment-là il n'est pas envisageable de mettre un enfant au monde.

Certains pays comme l'Angleterre, la Hollande, la Catalogne (en Espagne) ont porté le délai au seuil de viabilité. S'il n'y a pas d'autre solution en France, les femmes partiront dans ces pays pour interrompre leur grossesse. La différence est que cela se fera à des coúts prohibitifs. Une solution a été envisagée : l'élargissement du cadre de l'IMG aux situations à caractère psychosocial. Cette proposition nous choque pour les raisons suivantes : ce qui est déterminant pour l'IVG, c'est la démarche d'une femme à qui il revient, et à elle seule, de juger des raisons personnelles, affectives ou morales qui la conduisent à estimer qu'elle ne peut poursuivre cette grossesse.

L'IMG est une autre démarche dans la vie d'une femme, qui a souhaité une grossesse et qui ne peut la mener à terme à cause de risques qui menacent sa vie ou celle de l'enfant à na»tre. Son dossier est examiné, expertisé et même si le cadre de l'IMG est assoupli, comme il est proposé, il impose que la femme ait une autorisation. Nous souhaitons donc que l'on reconnaisse comme légitimes les motifs qui conduisent les femmes à vouloir interrompre leur grossesse au-delà des délais légaux et que les réponses soient apportées en France. Nous avons bien entendu les réticences de certains médecins qui sont pour nous plus dues au fait que l'avortement était tabou, était un facteur d'isolement, n'était pas reconnu, que les recherches n'étaient pas encouragées et promues. Nous pensons qu'un certain type de réponses pourrait faire l'objet d'une action expérimentale avec un suivi et une évaluation avant de prendre une décision définitive vers l'une ou l'autre des options proposées.

La deuxième remarque concerne le statut de la femme mineure non émancipée. Nous avions souhaité la suppression de l'obligation de l'autorisation parentale pour qu'une mineure puisse interrompre une grossesse non désirée, ceci étant basé sur notre pratique.

Nous recevons beaucoup de jeunes filles et nous savons que lorsque les jeunes peuvent parler à leurs parents, c'est évidemment la première démarche qu'elles vont faire. Nous savons aussi l'utilité des lieux de parole et d'écoute, puisque nous les avons mis en place, pour qu'elles puissent s'informer, parler et ensuite être fortes pour faire une démarche auprès de leur famille.

Enfin, nous savons qu'il y a des situations où cette démarche est impossible. La proposition de texte prévoit un protocole où le médecin devrait convaincre la jeune fille d'obtenir le consentement de ses parents, puis de l'orienter vers une personne adulte de son choix si elle persiste dans sa demande de secret.

Pour nous, une jeune fille non émancipée, qui le devient lorsqu'elle se marie et qu'elle a un enfant, doit être la ligne de conduite pour réfléchir sur le statut des femmes mineures. La démarche d'interrompre une grossesse est aussi importante que celle de mettre au monde un enfant et cette décision reste pour nous le droit d'une femme.

L'autre aspect qui nous dérange dans l'article 6 du projet de loi est le fait que cet entretien singulier soit réalisé avec le médecin. Dans la réalité, lorsqu'une jeune fille n'ose pas en parler, elle ne s'adresse pas forcément en premier lieu à un médecin, mais plut™t à une infirmière scolaire, au centre de planification, aux établissements d'information.

Ce dispositif imposé aux mineures est lourd. Il aura aussi des conséquences sur le risque de dépassement de délai. Nous lui préférerions la solution que représente la mise en place d'une majorité sanitaire émancipant la femme lorsqu'elle poursuit ou interrompt sa grossesse suivant sa décision. Ce statut aurait l'avantage de responsabiliser la femme non émancipée et de lui reconna»tre un droit légitime.

La dépénalisation de l'IVG est juste et forte symboliquement pour toutes les femmes. Elle remet les choses à leur place. L'IVG est un acte inscrit dans le code de la santé et sur lequel nous pouvons faire de l'information en toute légalité. C'est aussi le signe que le législateur reconna»t aux femmes un droit fondamental à la ma»trise de leur corps et de leur maternité. Cela va permettre la mise en place de véritables possibilités d'information, d'éducation, la mise en place avec ces moyens d'une véritable politique de prévention des grossesses non désirées. Reste une interrogation : pourquoi maintenir dans le code pénal l'article qui pénalise l'avortement pratiqué sur une femme sans son consentement et ne pas l'inscrire aussi dans le code de la santé ? En outre, si la femme non émancipée n'acquiert pas une majorité sanitaire la rendant seule libre et responsable de sa décision, nous nous inquiétons de savoir quelle pourra être l'utilisation de cet article contre la personne majeure qui accompagnerait une mineure dans le cadre du recours en l'absence d'autorisation parentale.

Enfin, j'aborderai le statut de l'entretien social dont le caractère obligatoire est supprimé. Nous avons toujours expliqué que la pratique nous démontrait que les femmes, lorsqu'elles prennent la décision d'interrompre une grossesse, ne le font pas par caprice, de façon irréfléchie ou irraisonnée. Elles le décident, et si elles ont besoin d'écoute, de parole, de conseil, d'information, elles sont tout à fait capables de le demander, pour peu que l'on mette à leur disposition des lieux de proximité, des temps adaptés, des professionnels compétents. L'obligation n'a pas de raison d'être et n'apportera qu'un caractère répressif à cet entretien singulier qui ne peut se réaliser que dans la confiance.

Pour conclure, je dirai que notre mouvement se félicite de la dynamique que le législateur a impulsée dans ce débat, de sa volonté que la loi garantisse le droit fondamental des femmes à la libre disposition de leur corps. Il s'agit d'un dispositif d'ampleur qui doit se mettre en place et nous espérons que les circulaires et les décrets permettront une application rapidement. Nous prendrons toute notre part dans l'information et l'éducation sexuelle qui devrait être l'axe central d'une prévention des grossesses non désirées.

M. Jean DELANEAU, président - J'ai retrouvé l'audition de la délégation du mouvement français pour le planning familial en 1979. J'ai l'impression qu'il y a une radicalisation de votre mouvement par rapport à cette période, qui était celle de la première phase d'application de la loi de 1974. Sur l'intervention de Mme Leroy, je vois le médecin un peu dégagé, mis sur la touche avec quasi-obligation pour ceux qui ne font pas jouer la clause de conscience, une espèce d'instrumentalisation du médecin qui serait une sorte d'automate. On nous a dit tout à l'heure que les interrogations se faisaient de plus en plus fortes chez les médecins. Par ailleurs, il y aura dans cette salle, le 5 janvier, une réunion organisée par l'association " Pro-choix ". Je constate que vous êtes les premiers intervenants de la table ronde, c'est dire si le Sénat est très ouvert à toute expression des pensées. L'invitation était accompagnée d'un texte intitulé Avortons sans entrave . Ce texte émane-t-il de vos services ? Soutenez-vous cette position ?

Mme Danielle GAUDRY - Sur la radicalisation de notre mouvement, je remercie Simone Iff d'avoir travaillé comme elle l'a fait pour le droit des femmes. Elle l'a prouvé en participant au secrétariat d'Etat aux droits des femmes à partir de 1981. Lorsque l'on se replace en 1979, il était normal que la santé publique prédomine. On disait qu'il y avait une femme par jour qui mourait d'avortement. Il était donc important que le premier droit des femmes soit le droit de vivre, de ne pas avoir de complications suite à un avortement. Aujourd'hui, nous sommes à l'heure de la parité et le droit des femmes n'est pas seulement le droit de vivre mais d'être reconnue à part entière comme citoyenne réfléchissant, ayant exactement la même clairvoyance dans leurs choix que les personnes du genre masculin. Nous sommes très contentes d'en être là et ne regrettons absolument pas le passé.

Sur la démédicalisation, il est vrai qu'il nous semble important que le choix revienne à l'intéressée, que ce soit un choix pour avorter ou pour des soins particuliers. Le médecin est dans l'obligation d'informer et d'obtenir le consentement éclairé pour toute chose. Les prescriptions ne sont que des conseils et non pas des ordres ni des autorisations. Cela me semble tout à fait important que la place de la personne qui doit faire le choix soit la place centrale. Le médecin conseille, informe, exécute, mais ce n'est pas spécifique à l'avortement. Il pourra dire qu'il n'accepte pas et adresser la femme à un confrère comme le prévoit la loi. Nous replaçons l'avortement comme acte médical.

M. Jean DELANEAU, président - Si j'ai bien compris, vous êtes médecin. Avez-vous pratiqué des IVG au-delà de douze semaines d'aménorrhée ?

Mme Danielle GAUDRY - Je pratique des interruptions pour raison médicale, donc au-delà de douze semaines. Pour en revenir à la question de la démédicalisation, il ne s'agit pas d'une instrumentalisation du médecin, mais simplement de remettre le médecin dans son r™le et qu'il n'ait pas à peser sur le choix de la femme.

M. Lucien NEUWIRTH - Je voudrais poser une question presque méthodologique. Les médecins que nous avons entendus en général nous affirment que ce n'est plus la même intervention avant dix semaines et après dix semaines. A partir de ce passage, entrons-nous de fait dans le processus de l'IMG ?

M. Jean DELANEAU, président - Pour le docteur Claude Janneau, qui accompagnait Simone Iff et André Joubert dans le rapport, il y avait aussi un passage à neuf-dix semaines vers un autre type d'acte médical.

M. Jean-Louis LORRAIN - Monsieur le président, l'idéologie a souvent mauvaise presse, que ce soit pour les associations ou pour les politiques. Je crois que le débat n'est pas là. Croyez-vous qu'il y a des femmes qui n'ont pas la même ligne de pensée que vous ? Quelle place laissez-vous à ces femmes ? Vous parlez des droits des femmes. Pensez-vous qu'il existe des devoirs de la femme ? Nous sommes dans un cas de figure particulier puisqu'il y a une femme, plus une deuxième personne, un fÏtus. Nous ne pouvons faire abstraction de la société, coercitive ou pas, soutenante ou pas et donc se pose le problème de cette liberté. Quelle place pourrait-on donner au géniteur, à l'homme ?

Mme Danielle GAUDRY - La formulation " avortons sans entrave " relève de l'association " Pro-choix ". Nous n'avons pas participé à l'élaboration de cette lettre. Ce titre est effectivement un peu provocateur. Nous sommes seulement invités à participer à leur colloque et nous y participerons.

La femme a toujours eu beaucoup de devoirs, et l'homme aussi du reste. Je me souviens d'un article intéressant de M. Daffos dans Le Monde , qui s'intitulait " Droits et devoirs du fÏtus ". Tout droit amène des devoirs, et là-dessus les femmes sont très claires.

Lorsque vous avez parlé du fÏtus, vous avez dit " personne ". Actuellement, dans le droit français, et c'est en réflexion, le fÏtus n'a pas le statut de personne. Nous posons cette réflexion, pas dans les mêmes termes que vous, mais avec la même acuité, le même intérêt.

Sur le terme d'IVG, à partir du moment où une femme fait une demande, il s'agit d'une demande d'interruption volontaire. Par contre, l'interruption médicale, thérapeutique, se cantonne à des raisons de santé de la mère, du fÏtus ou du futur enfant. Pour nous, la question n'est pas Ò avant ou après dix semaines Ó. Cela n'a rien à voir avec le terme légal, mais c'est le sens profond de la démarche.

Depuis 1979, les techniques ont évolué. Avant 1975-1979, l'expérience et le matériel en matière d'aspiration étaient un peu différents. Nous ne pensons pas, pour avoir vu les médecins travailler à l'étranger et pour avoir travaillé nous-mêmes, que ce soit fondamentalement différent. Les médecins en France auront certainement besoin d'une formation, d'une réflexion par rapport à des pratiques qui peuvent évoluer en fonction de la loi. Les équipes accompagnantes auront également besoin d'une formation professionnelle.

Mme Martine LEROY - Sur la place du médecin et le souci de travailler ensemble, nous avons des expériences intéressantes à partir de la mise en place des observatoires dans le cadre des plates-formes régionales de la naissance : certaines régions impulsent des dynamiques intéressantes d'échanges, de confrontation, de mise en commun des pratiques avec des propositions de formation, d'échanges. Cela casse l'idéologie appliquée sans discernement. Ceci était une des propositions du rapport Nisand, reprise par Martine Aubry.

Sur la place du géniteur, je renverrai la question en demandant si cela est bien le débat dans la mesure où, dans les faits, si le géniteur vient avec la femme qui fait la demande, nous l'accueillons à bras ouverts et discutons avec lui. La réalité est que le géniteur n'est pas là : il ne faut donc pas renverser le débat.

Concernant l'éthique, il est important de reconna»tre l'éthique individuelle d'une femme lorsqu'elle considère que son corps est porteur d'un enfant ou ne l'est pas. Il faut également prendre en compte la dimension de ce que représente pour la femme cet état de grossesse dont elle veut ou elle ne veut pas car cela aura des conséquences sur la façon dont l'enfant sera reçu ou pas, placé ou pas.

Mme Danielle GAUDRY - Je l'ai dit dans le colloque à l'Assemblée nationale : une des causes pour lesquelles les femmes viennent nous voir, envoyées par le service public au-delà de dix semaines, est le départ du géniteur, le projet familial et parental disparaissant alors. Nous connaissons des cas de pressions sur les femmes de la part de conjoints qui ne veulent pas des grossesses.

M. Bernard SEILLIER - Je souhaiterais vous voir préciser votre position en réponse à Lucien Neuwirth sur l'IVG-IMG. J'ai entendu le professeur Nisand dire qu'à partir de dix semaines, c'était pour les médecins un geste difficile techniquement et psychologiquement. Il supposait de faire jouer à ce moment-là une nouvelle clause de conscience qui n'était pas l'objection de conscience systématique, si les motivations de la femme sont disproportionnées par rapport à la gravité d'implication du médecin dans l'opération.

Mme Danielle GAUDRY - J'ai entendu deux choses dans votre question : une difficulté technique et une difficulté éthique. J'ai parlé de la difficulté technique. Je ne pense pas que nous soyons moins compétents techniquement qu'un médecin hollandais ou anglais.

Sur le plan du jugement de la motivation de la femme, il s'agit d'une position philosophique du médecin. Comment peut-il juger du bien-fondé de la demande de quelqu'un dont il ne conna»t pas complètement la vie ? En tant que médecin, je ne vois pas comment on peut se mettre à la place de quelqu'un d'autre. La motivation de la femme est ce qu'elle en dit. Elle n'annoncera peut-être pas à la première consultation toutes les difficultés qu'elle rencontre parce que cela relève de sa vie intime, de sa conviction profonde. Elle dira plut™t, parce que cela est plus facile, que la grossesse ne l'arrange pas à ce moment-là. Concernant la stérilisation, on peut prendre le temps de voir quelle est la motivation de la femme ou du couple, voir si le couple a fait le deuil complet de l'idée d'avoir des enfants. Pour ce qui est de l'IVG, il y a une question de délai qui empêche de juger à ce moment-là de la motivation.

M. Jean DELANEAU, président - Sur le plan technique, il y a une appréciation constante des praticiens : au-delà de dix semaines, on tombe dans un acte qui entre dans un environnement chirurgical, ce qui pose un problème.

M. Bernard SEILLIER - Le professeur Nisand a exprimé sa réflexion de manière très cohérente. Il demande qu'il n'y ait plus de délai. Il dit que " tout est audible, mais tout n'est pas acceptable à partir de dix semaines ". Le médecin doit pouvoir intervenir dans le débat car cela concerne un acte lourd. Il ne veut pas juger mais demande de pouvoir faire jouer, à partir de ces dix semaines, une clause de conscience.

M. Francis GIRAUD - Nous sommes plusieurs médecins autour de cette table. Nous avons bien entendu ce que vous avez dit sur le jugement que l'on peut porter ou pas sur la décision de quelqu'un. Par contre, l'inverse doit être vrai. Je ne crois pas que les médecins puissent être des prestataires de service qui obéissent sans pouvoir faire part de leur décision. Vous dites que le médecin doit, s'il ne souhaite pas réaliser cet acte, orienter la femme vers un autre confrère, ce qui est vrai. Mais sur un plan déontologique général, nous quittons le domaine de l'avortement, le médecin a l'obligation morale de proportionner l'acte qu'il va entreprendre au jugement qu'il fait de la nécessité de l'acte. Nous ne pouvons modifier le serment que nous avons prêté, sur le plan juridique et éthique. Il s'agit d'un problème fondamental entre des demandes et l'intervenant médical.

M. Jean DELANEAU, président - Vous avez fait allusion aux pratiques à l'étranger. Je crois que l'on ne peut pas faire dans ce domaine une loi par imitation. Le motif le plus sérieux serait d'éviter à des femmes de partir à l'étranger, et vous l'avez d'ailleurs dit. Il existe un principe de subsidiarité qui doit s'appliquer à ce qu'il y a de plus intime au niveau des citoyens, c'est-à-dire l'individu. Il doit pouvoir exister d'autres conceptions en qui concerne notre pays. Par ailleurs, dans les centres d'interruption de grossesse, les praticiens sont-ils plut™t des hommes ou des femmes ?

Mme Danielle GAUDRY - J'ai tout à fait en tête que le premier principe du médecin est de ne pas nuire, dans l'immédiat et pour l'avenir. La proportionnalité s'applique aussi à l'avenir et il faut y réfléchir. Sur la question de l'imitation, je ne disais pas qu'il y a une norme qui correspond à une loi faite par d'autres. Je parlais au plan des techniques, des compétences. Je pense que de la même façon que nous allons prendre une technique de greffe dans les pratiques internationales, nous pouvons faire la même chose en ce qui concerne la pratique de l'IVG. Sur la parité dans les centres d'IVG, au départ il y avait plus d'hommes que de femmes. La féminisation de la profession commence à faire évoluer les choses. Nous manquons de médecins dans notre spécialité. Il y a par ailleurs une dévalorisation d'un certain nombre d'actes.

M. Jean DELANEAU, président - Souhaitez-vous une parité au niveau des exécutants ?

Mme Danielle GAUDRY - Pourquoi pas ?

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