N° 308

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 mai 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de Mme Danièle POURTAUD et des membres du groupe socialiste et apparentés, modifiant le code de la propriété intellectuelle et tendant à prévoir une rémunération pour la copie privée numérique ,

Par Mme Danièle POURTAUD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Pierre Guichard, Marcel Henry, Roger Hesling, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 245 (2000-2001)

Propriété intellectuelle.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

En droit français, l'exception dite « de copie privée » fait échapper au droit exclusif des auteurs ou titulaires de droits voisins les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste 1 ( * ) .

En 1985, tenant compte du fait que la copie privée, sur bandes magnétiques audio ou vidéo, des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes représentait un « nouveau mode d'exploitation » 2 ( * ) de ces oeuvres et causait un préjudice important aux auteurs, artistes et producteurs, le législateur a institué, pour compenser ce préjudice, une rémunération pour copie privée prélevée sur les supports d'enregistrement vierges et destinée à être répartie entre les ayants droit des oeuvres copiées.

Comme le permettaient les textes législatifs relatifs à la copie privée (articles L. 311-1 à L 311-8 du code de la propriété intellectuelle), le gouvernement a estimé, à juste titre, que ce prélèvement devait être étendu aux supports d'enregistrement numérique.

Reconstituée en mars 2000, la commission chargée par l'article L. 311-5 CPI de déterminer les types de supports assujettis à la rémunération pour copie privée, le taux et les modalités de versement de celle-ci, a pris, le 4 janvier 2001 (J.O. du 7 janvier 2001) une première décision fixant les taux de rémunération applicables aux supports numériques amovibles (mini-discs, CD, DVD...) et aux supports d'enregistrement intégrés aux « baladeurs » enregistreurs au format MP3.

Cependant, si la loi en vigueur permettait cette extension de l'assiette de la rémunération pour copie privée, elle ne permet pas d'en tirer les conséquences en termes de définition des bénéficiaires et des redevables de cette rémunération : la présente proposition de loi a donc pour objet de réaliser, sur ces deux points, les adaptations législatives nécessaires.

I. LES ADAPTATIONS DE LA LOI RENDUES NÉCESSAIRES PAR LA MODIFICATION DE L'ASSIETTE DE LA RÉMUNÉRATION POUR COPIE PRIVÉE

On ne peut qu'approuver la décision prise d'étendre aux supports d'enregistrement numérique la perception de la rémunération pour copie privée.

Certes, la question de la copie privée numérique ne se pose pas dans les mêmes termes que celle de la copie analogique -ne serait-ce que parce que la première n'est pas, comme la seconde, incontrôlable- et doit être traitée dans le cadre d'une réflexion d'ensemble sur la « nouvelle donne » que représente l'environnement numérique en termes de rapports entre créateurs et « utilisateurs » des oeuvres, de protection et de rémunération des droits.

Cependant, l'évolution des pratiques de copie privée montre que la copie numérique se développe très rapidement et remplace progressivement la copie analogique. On estime ainsi que quelques 210 millions de CD enregistrables on été vendus en France en 2000, et environ 800 000 graveurs, sans parler du développement du parc des micro-ordinateurs et des moyens de connexion aux réseaux, qui multiplie aussi les moyens de copie privée.

Votre commission a entendu, le 3 mai dernier, M. Francis Brun-Buisson, président de la commission « de l'article L. 311-5 ». Les chiffres qu'il a cités sur l'évolution du produit de la rémunération pour copie privée -800 MF en 1994, 350 MF en 2000- donnent la mesure de cet « effet de substitution » de la copie numérique à la copie analogique : il est clair qu'une rémunération assise sur les seuls supports d'enregistrement analogique ne permet plus de compenser, aujourd'hui, le préjudice causé aux titulaires de droits par la copie privée.

L'extension du prélèvement pour copie privée aux supports numériques était donc indispensable pour ne pas léser les ayants droit des oeuvres musicales et audiovisuelles qui sont, et seront de plus en plus, copiés sur ces supports numériques.

Mais, d'un autre côté, on ne peut pas non plus ignorer que le « champ » de la copie privée numérique ne se réduit pas à la copie des phonogrammes et des vidéogrammes et que, d'autre part, les supports d'enregistrement numérique servent à bien d'autres usages, notamment professionnels, que la copie privée.

1. La nécessité de compléter la définition des bénéficiaires de la rémunération pour copie privée

Tel qu'il résulte de la loi du 3 juillet 1985, l'article L. 311-1 CPI réserve le droit à rémunération pour copie privée aux titulaires de droits (auteurs, interprètes, producteurs) sur les oeuvres fixées sur phonogrammes -c'est-à-dire pour l'essentiel des oeuvres musicales, même si des sketches, des discours, des dramatiques radiophoniques, des oeuvres littéraires « lues » peuvent également être fixées sur des phonogrammes- ou sur vidéogrammes, c'est-à-dire des oeuvres audiovisuelles (films, séries, documentaires).

Cette limitation était logique lorsque ces oeuvres étaient les seules à pouvoir être copiées sur les supports d'enregistrement analogique, les cassettes magnétiques audio ou vidéo, sur lesquelles était prélevée la rémunération pour copie privée.

Mais elle ne l'est plus dès lors que sont également soumis à ce prélèvement des supports d'enregistrement numérique sur lesquels peuvent être enregistrés des textes, des images animées ou non, ou des données de toute nature.

Les supports numériques peuvent ainsi servir à reproduire des oeuvres écrites, graphiques, photographiques ou certaines oeuvres plastiques aussi bien que des oeuvres musicales ou audiovisuelles.

On notera en outre que si une oeuvre doit être fixée sur un phonogramme ou un vidéogramme pour être copiée sur une cassette analogique, la reproduction sur support numérique ne se heurte pas aux mêmes limites : un texte ou un dessin publiés sur support papier peuvent par exemple très facilement être scannés et transférés sur un support numérique.

Rien ne justifie donc plus que le bénéfice de la rémunération pour copie privée reste réservé aux seuls titulaires de droit sur des enregistrements sonores ou audiovisuels.

2. La définition des droits à remboursement de la rémunération pour copie privée

L'article L. 311-4 CPI prévoit, pour des raisons pratiques, un prélèvement « à la source » de la rémunération pour copie privée, qui doit être versée, lors de leur mise en circulation en France, par les fabricants, les importateurs ou les personnes qui réalisent des acquisitions intra-communautaires de supports vierges.

Cette rémunération est répercutée sur l'acquéreur-utilisateur, qui pourra cependant en obtenir le remboursement dans certains cas.

Les textes en vigueur définissent les acquisitions pouvant bénéficier de ce remboursement de la même façon qu'ils définissent les bénéficiaires de la rémunération, c'est-à-dire de manière limitative et en fonction de la nature des supports qui devaient être assujettis, en 1985, au versement de la redevance.

Ils prévoient, à côté d'une exonération- entièrement justifiée et qui conserve toute sa pertinence- bénéficiant aux personnes morales utilisant les supports d'enregistrement « à des fins d'aide aux handicapés visuels ou auditifs », un droit à remboursement pour usage professionnel qui est très étroitement défini.

Il concerne en effet « les acquisitions effectuées par les entreprises de production et de diffusion du secteur de l'audiovisuel qui utilisent les cassettes pour des besoins professionnels, et notamment pour enregistrer des oeuvres donnant lieu elles-mêmes à perception du droit d'auteur » 3 ( * ) , c'est-à-dire, d'une part, les entreprises de communication audiovisuelle, et, d'autre part, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ainsi que les personnes qui assurent pour leur compte la reproduction de ceux-ci (1° et 2° de l'article L. 311-8 CPI).

Comme l'a souligné devant votre commission M. Brun-Buisson, cette définition des « droits à remboursement » de la rémunération pour copie privée ne peut, non plus que celle des bénéficiaires de la rémunération, être étendue sans une modification de la loi.

Or, elle est tout à fait insuffisante dès lors que la rémunération est étendue à des supports d'enregistrements numériques qui ne sont pas « dédiés » à l'enregistrement sonore ou audiovisuel :

- d'une part, elle devrait logiquement être étendue aux entreprises autres que « les producteurs ou diffuseurs du secteur de l'audiovisuel » mais qui, elles aussi, publient sur ces supports « des oeuvres donnant lieu elles-mêmes à perception du droit d'auteur », et en particulier aux éditeurs qui publient sur CD-Rom des encyclopédies, des « ouvrages » scientifiques, techniques ou artistiques.

- d'autre part, si l'on peut estimer que le législateur de 1985 pouvait considérer comme négligeables -et il les a en tout cas négligées- les acquisitions à usage professionnel de supports analogiques réalisées par les entreprises ou les professionnels d'autres secteurs que l'audiovisuel, on ne peut avoir la même attitude à l'égard des usages professionnels des supports fixes ou mobiles d'enregistrement numérique. Il n'est plus en effet d'entreprise, quel que soit son secteur d'activité, ou d'administration, qui n'utilise pas de micro-ordinateurs, et de supports hybrides pour stocker ou dupliquer des fichiers, des archives, des dossiers de toute nature.

De même, dans le domaine de la photographie, les supports numériques sont en train d'évincer les pellicules traditionnelles.

* 1 Cette exception est définie en termes quasiment identiques pour le droit d'auteur et les droits voisins. L'article L. 122-5 (5°) du CPI fait échapper au droit d'auteur « les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Pour les droits voisins (2° de l'article L. 211-3), bénéficient de l'exception « les reproductions strictement réservées à l'usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective ».

Il convient en outre de souligner qu'il n'y a pas d'exception au droit d'auteur pour la copie de logiciels ni la copie ou reproduction de bases de données électroniques et qu'en matière d'oeuvres d'art, sont soumises au droit exclusif les copies « destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l'oeuvre originale a été créée ».

* 2 Rapport de M. Alain Richard, doc. AN n° 2235 (7° législature), p. 12.

* 3 Rapport précité de M. Alain Richard, p. 62.

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