N° 357

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 juin 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de M. Ivan RENAR, Mme Hélène LUC, M. Jack RALITE, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Robert BRET, Michel DUFFOUR , Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT et Mme Odette TERRADE portant création d' établissements publics à caractère culturel ,

Par M. Ivan RENAR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Pierre Guichard, Marcel Henry, Roger Hesling, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 288 (1998-1999)

Établissements publics.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les lois de décentralisation ont laissé l'action culturelle en dehors de la logique des blocs de compétence.

Elles ont ainsi favorisé un remarquable essor des initiatives des collectivités territoriales, qui sont devenues les principaux acteurs du rééquilibrage de l'aménagement culturel du territoire, dans les domaines notamment de la politique patrimoniale, de la création, de la production et de la diffusion culturelles et de la démocratisation de l'accès à la culture.

Mais les réussites mêmes de la « décentralisation culturelle » mettent en évidence la nécessité d'élaborer des instruments juridiques adaptés à la spécificité des services culturels -à l'image de ceux dont l'État est actuellement le seul à disposer. Elles exigent aussi que les différentes collectivités publiques puissent conduire dans des conditions satisfaisantes les partenariats qu'impose la concurrence de leurs compétences et dont dépendront de plus en plus l'efficacité du soutien public à l'action culturelle et l'avenir des grandes institutions indispensables à la vitalité de la création autant qu'à la valorisation du patrimoine.

La création d'établissements publics culturels est depuis une dizaine d'années une demande exprimée et réitérée par de très nombreux élus -elle figure du reste parmi les propositions de la commission « Mauroy » pour l'avenir de la décentralisation- mais aussi par des créateurs, des artistes, des responsables d'institutions culturelles.

Elle a été le sujet de colloques, de déclarations ministérielles, de rapports souvent remarquables 1 ( * ) .

Mais elle n'a pas connu le moindre commencement de réalisation. Le projet de loi sur les musées déposé en janvier 1993, et qui consacrait un titre à la création d'« établissements publics territoriaux à vocation culturelle », n'est jamais venu en discussion, ni la proposition de loi déposée en 1996 par votre rapporteur et quinze autres sénateurs. La proposition de loi déposée la même année à l'Assemblée nationale par M. Christian Vanneste et une cinquantaine de députés n'a pas non plus abouti : elle a été fondue dans une proposition de loi « facilitant la création d'établissements publics locaux », adoptée en première lecture en janvier 1997 mais qui n'a pas été plus loin.

En demandant au Sénat d'adopter la présente proposition de loi, dans une rédaction recentrée sur la priorité que constitue l'organisation du partenariat culturel entre l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements, mais créant un « outil » qui pourra aussi être utilisé par les collectivités territoriales, votre commission et votre rapporteur espèrent enrayer enfin cette « dynamique de l'enlisement » et donner une nouvelle impulsion à la décentralisation culturelle.

*

* *

I. UNE PRIORITÉ : ORGANISER UN PARTENARIAT ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS LOCALES POUR LA GESTION D'ÉQUIPEMENTS CULTURELS STRUCTURANTS

En dépit de quelques progrès, on ne peut pas estimer que la gamme des outils dont disposent les collectivités territoriales pour gérer, seules ou en coopération, des services culturels, soit encore parfaitement adaptée.

Certes, on peut se féliciter que la loi « intercommunalité » ait fait une plus grande place à la coopération culturelle, en inscrivant la gestion « d'équipements, de réseaux d'équipements ou d'établissements culturels » -s'ils sont d'intérêt communautaire- parmi les compétences obligatoires des communautés urbaines et en donnant une compétence culturelle optionnelle aux communautés d'agglomération et de communes.

On doit aussi prendre acte de la parution en février dernier, du décret -longtemps attendu- relatif aux régies personnalisées, même si l'on peut regretter que ce décret ne permette pas, comme l'avait souhaité le rapport « Chiffert », une meilleure prise en compte de la spécificité des services culturels.

On peut regretter, aussi, que les perspectives du recours à la régie personnalisée pour gérer certains services publics culturels soient singulièrement réduites par le fait que la loi de 1999 n'a pas étendu à toutes les collectivités territoriales et à leurs groupements la faculté de créer des régies personnalisées pour la gestion de services publics industriels et commerciaux.

Cependant, il a semblé à votre rapporteur que, pour sortir du blocage actuel, il fallait se concentrer sur une priorité, et combler d'abord le « manque » le plus criant, c'est-à-dire l'absence d'une structure permettant d'organiser, pour la gestion des équipements structurants, le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales, en dotant ces équipements d'un statut qui leur donne les mêmes atouts que ceux dont disposent les grands établissements parisiens.

Mais votre rapporteur vous proposera aussi que ce statut puisse également bénéficier à des institutions culturelles d'intérêt local, en ouvrant la possibilité aux collectivités territoriales de créer des EPCC.

1. Une réalité irréversible : le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales et le « financement croisé » des grands équipements culturels.

Comme on l'a déjà rappelé, les lois de décentralisation n'ont pas procédé, dans le domaine de la culture, à la définition de « blocs de compétences ».

Cela tient sans doute pour une part au fait que, si féconde que soit l'imagination des faiseurs de système, la singularité du secteur culturel, comme l'a souligné le rapport Rizzardo 2 ( * ) sur la décentralisation culturelle, se prêtait mal au découpage et à la répartition des compétences, « du fait de l'articulation nécessaire des différentes fonctions qui le régissent et du décloisonnement des domaines artistique et culturel ». Mais cela tient aussi aux réticences du ministère de la culture à transférer aux collectivités territoriales des compétences qu'il s'estimait seul capable d'exercer.

Les termes de la loi du 7 janvier 1983, repris à l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales, ont consacré ce « non-partage » des compétences culturelles en disposant que les communes, les départements et les régions concourent avec l'État, entre autres missions, « au développement culturel ».

Ils ont fondé l'engagement des collectivités territoriales dans l'action culturelle, et leur très large usage des compétences facultatives qu'ils leur reconnaissaient. Communes, départements et régions ont en effet rapidement investi le domaine, naguère réservé à l'État, des « affaires culturelles » et l'occupent activement, en y consacrant du reste deux fois plus de moyens que l'État -et même beaucoup plus si l'on ne considère que la part « non parisienne » du budget de la culture.

Cet engagement paraît aujourd'hui irréversible, ce dont il y a tout lieu de se féliciter. Répondant à une forte demande de la population, il a en effet largement renouvelé et « dépoussiéré » l'action culturelle, et en a fait un instrument privilégié d'intégration et de renforcement du lien social.

Il faudra d'ailleurs en tenir compte, pour votre rapporteur, dans le cadre du projet de loi de décentralisation annoncé, voire dans celui d'une « loi d'orientation » redéfinissant le rôle fondamental de la politique culturelle.

De larges secteurs de la politique culturelle sont donc devenus des domaines d'« intervention concurrente » de l'État et des collectivités territoriales, ce qui les contraint, pour agir efficacement, à s'entendre, à travailler ensemble -et à associer leurs moyens.

C'est ce que constatait M. Michel Duffour, secrétaire d'État au patrimoine et à la décentralisation, lors de son audition devant votre commission en décembre dernier, en relevant que les financements croisés -par ailleurs perçus par beaucoup comme une garantie de pluralisme- constituent aujourd'hui la trame du développement culturel et de l'intervention des collectivités territoriales.

2. L'absence de structures adaptées à la gestion de services publics culturels d'intérêt à la fois national et local

Comme l'avait également souligné M. Michel Duffour devant votre commission, le partenariat culturel entre l'État et les collectivités territoriales et la mise en place corrélative de « financements croisés » connaissent un début d'organisation dans le cadre de la politique contractuelle -à travers la mise au point du volet culturel des contrats de plan État-région ou l'expérience nouvelle des protocoles de décentralisation culturelle- et de l'élaboration du schéma collectif des services culturels.

Il leur manque cependant encore l'essentiel : un outil de gestion des services culturels qui permette à la fois d'institutionnaliser la coopération entre l'État et les collectivités territoriales et de doter d'un statut opérationnel les grandes institutions culturelles d'intérêt à la fois local et national.

C'est cette lacune qu'entendait combler le rapport « Chiffert » en proposant de créer un « établissement public culturel à vocation mixte », ou, selon la dénomination proposée par M. Michel Duffour, un « établissement public de coopération culturelle ».

* Une structure de coopération entre l'État et les collectivités territoriales : un nouvel outil de la décentralisation

Au terme d'une étude fouillée et exhaustive, le rapport sur la rénovation des instruments juridiques des services publics culturels locaux n'a relevé que deux exemples de structures existantes pouvant servir ou ayant servi -de manière marginale- à organiser la coopération entre les collectivités territoriales et l'État en matière culturelle : le groupement d'intérêt public et la société d'économie mixte.

La formule du GIP, adaptée au secteur culturel par la loi de 1987 sur le mécénat, et par un décret du 28 novembre 1991 relatif aux GIP constitués dans le domaine de la culture, a théoriquement un vaste champ d'application, puisqu'il permet la coopération entre l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des associations et de toute personne privée pour « exercer des activités dans les domaines de la culture ainsi que pour créer ou gérer ensemble des équipements ou des services d'intérêt commun nécessaires ».

En réalité, le GIP n'est pas une formule utilisable pour gérer sur le long terme une structure importante, non tant d'ailleurs en raison de sa durée limitée -elle peut en effet être prorogée- que du fait que les moyens du GIP procèdent essentiellement d'apports de ses membres, qu'il ne dispose généralement pas d'un capital et, surtout, qu'il ne peut recruter de personnels propres que dans des conditions très limitées.

Il paraît donc plus adapté à la gestion de projets ponctuels (comme le comité de gestion de la mission du cinquantenaire des débarquements et de la Libération), voire de services techniques pluridisciplinaires comme Nucléart à Grenoble, spécialisé dans le domaine de la restauration du bois.

Quant aux sociétés d'économie mixte, le rapport Chiffert ne les cite en quelque sorte que « pour mémoire », notant qu'elles sont peu adaptées à la gestion d'entreprises culturelles et qu'il est aussi difficile à l'État de participer à une SEM locale qu'à une collectivité locale de participer à une société d'économie mixte « non locale »...

L'association, avec tous ses inconvénients, est donc en fin de compte le seul support juridique permettant une action commune de l'État et des collectivités territoriales dans le domaine culturel.

Paradoxalement, en dépit des instructions ministérielles limitant le recours au statut associatif, ce dernier est encore souvent proposé dans la pratique pour servir de cadre à des institutions associant l'État et des collectivités territoriales. C'est par exemple le cas des centres de formation des enseignants de la danse et de la musique (CEFEDEM). Ces centres, co-financés par l'État et les conseils régionaux, ont dû adopter une forme associative. Il en va de même du studio national des arts contemporains Le Fresnoy, créé grâce à un partenariat entre l'État, la région Nord-Pas-de-Calais et la ville de Tourcoing.

Ce sont donc aujourd'hui les « grands projets » d'intérêt national autant que local justifiant un effort conjoint de l'Etat et d'une ou plusieurs collectivités locales qui encourent les risques du recours au régime des associations para-administratives, qu'a parfaitement résumés le rapport public de la Cour des Comptes pour 1995 :

« - un risque financier pour la collectivité au titre des engagements pris ou de garanties données à la légère en raison de l'insuffisante sécurité des documents financiers et comptables de l'association et de la déficience des procédures de suivi et de contrôle de son activité ;

« - un risque pour les personnes, élus ou fonctionnaires de la collectivité, impliquées dans la création et la gestion d'une association et exposées à s'ingérer sans titre dans le maniement de deniers publics, du fait de la confusion des relations entre les deux instances ;

« - un risque de mise en jeu par le juge judiciaire de la responsabilité des dirigeants de l'association qui auraient commis des fautes de gestion, et qui peuvent être condamnés à participer au remboursement des dettes de la personne morale. »

* Un statut adapté aux équipements structurants en matière culturelle

Les avantages de la création d'une nouvelle catégorie d'établissements culturels ne se résument cependant pas à des objectifs de sécurité juridique et financière, si importants qu'ils soient.

Un tel statut paraît également indispensable pour permettre aux grandes institutions culturelles en région de développer une « personnalité » -et pas uniquement au sens juridique du terme- de mettre en oeuvre des projets d'établissement, de nouer des partenariats avec d'autres institutions nationales et étrangères, ou avec des partenaires privés, d'avoir une politique de communication.

Dans le cas des musées, par exemple, on peut étendre à tous les grands musées de France les recommandations que formulait pour les musées nationaux le rapport d'information sur les musées déposé l'an dernier par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale 3 ( * ) : « la plupart des musées nationaux devraient en pratique pouvoir être transformés en établissements publics administratifs afin de leur garantir un budget défini et autonome, alimenté tout à la fois par leurs ressources propres et une dotation publique ».

Et la même observation vaudrait pour les grandes institutions culturelles de production et de diffusion, même si elles ont, quant à elles, davantage vocation à devenir, comme l'Opéra de Paris ou la Comédie-Française, des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC)...

* 1 En particulier, le rapport de l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles sur « la rénovation des instruments juridiques des services publics culturels locaux », rédigé par Mme Anne Chiffert et MM. Robert Lecat et Philippe Reliquet, mais aussi, par exemple, le rapport de la commission nationale d'étude sur le développement des arts plastiques qui a mis en évidence l'organisation incertaine, hors les établissements parisiens, de l'enseignement supérieur des arts plastiques.

* 2 René Rizzardo : « La décentralisation culturelle » - La Documentation française, 1990.

* 3 Rapport d'information présenté par M. Alfred Recours, doc. AN n° 2418 (11° législature).

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