3. Renforcer le régime de protection applicable aux collections des musées

Dans le souci d'en garantir l'intégrité et d'en assurer la pérennité, le projet de loi définit le statut des collections des musées de France.

En ce domaine, le texte tend à renforcer les garanties existantes telles qu'elles résultent des textes, s'agissant des musées appartenant à des collectivités publiques, ou de la pratique administrative, s'agissant des musées privés.

Au bénéfice de l'affirmation d'un principe d'inaliénabilité, a été écartée une conception plus moderne et plus dynamique de la gestion des collections, conception qui aurait certes exigé une remise en question d'une des règles fondamentales de gestion des collections muséographiques.

• L'affirmation d'une inaliénabilité absolue des collections publiques

En l'état actuel du droit et en l'absence de règles qui leur soient propres, dans la mesure où elles sont la propriété d'une personne publique et sont affectées à l'usage du public ou à l'exécution d'un service public, les collections muséographiques appartiennent au domaine public de la collectivité propriétaire, ce qui emporte comme conséquence leur imprescriptibilité et leur inaliénabilité.

Il s'agit de l'application des règles de droit commun de la domanialité publique qui figurent, pour les biens appartenant à l'Etat, à l'article L. 52 du code du domaine de l'Etat et, pour les biens appartenant aux collectivités territoriales, à l'article L. 1311-1 du code général des collectivités territoriales.

En disposant que les collections publiques sont inaliénables, l'article 8 du projet de loi va au delà et affirme un principe d'inaliénabilité de portée absolue.

En effet, le projet de loi accorde à ces collections au regard de l'intérêt qu'elles représentent pour la Nation une protection supplémentaire et spécifique par rapport à celle attribuée à l'ensemble des biens composant le domaine public en faisant de leur caractère inaliénable la conséquence non pas de leur affectation à l'usage du public ou à un service public mais de leur nature même de collections muséographiques.

A la différence des premiers dont l'appartenance au domaine public n'est pas irrévocable et dépend du maintien de leur affectation, les collections muséographiques ne pourront être déclassées.

Afin d'éviter toutefois de figer à l'excès les collections publiques, l'article 8 prévoit un dispositif permettant à une personne publique de transférer la propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique si cette dernière s'engage à en maintenir l'affectation à un musée de France, situation qui jusqu'ici supposait une décision de déclassement.

Un tel dispositif consacre un mode de gestion des musées qui sanctuarise leurs collections en vue de les transmettre inchangées aux générations futures. Il s'agit là à l'évidence d'une conception très conservatrice qui ne tient compte ni de la diversification des collections ni de l'évolution de la conception du musée.

En effet, si un tel principe se conçoit aisément pour les musées des beaux-arts, domaine où les réévaluations et les relectures historiques sont fréquentes, il se justifie moins pour des institutions à vocation scientifique ou technique dont les collections doivent tenir compte des progrès de la connaissance. Par ailleurs, le musée ne se réduit plus désormais à la seule mission de conservation ; cette évolution conjuguée à une certaine spécialisation des collections muséographiques, résultat de leur multiplication, exige des conservateurs une conception plus dynamique de leurs collections, qui peut impliquer des cessions dans la perspective d'accroître leur cohérence. Au-delà, ce principe d'inaliénabilité soulève des interrogations sur sa compatibilité avec le principe de libre administration des collectivités territoriales dans la mesure où il impose une contrainte de gestion très forte à leurs musées.

• Le statut des collections privées : des garanties excessives ?

Les règles prévues par le projet de loi pour assurer la pérennité des collections des musées de France privés participent d'une conception, dont votre rapporteur ne pourra que souligner le caractère largement dépassé, selon laquelle l'Etat est le seul gardien du patrimoine national.

L'article 8, qui n'est guère contestable lorsqu'il leur étend le bénéfice des règles de l'imprescriptibilité et de l'insaisissabilité, limite, de manière excessive, les possibilités de cession de ces collections en prévoyant un statut de quasi-inaliénabilité.

En effet, l'article 3 exige pour l'octroi de l'appellation « musée de France » à ces institutions la présence dans leurs statuts d'une clause d'affectation irrévocable de leurs collections à la présentation au public. L'article 8 en définit la portée en précisant que leurs propriétaires ne pourront les céder, en tout ou partie, à titre gratuit ou onéreux, qu'aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se seront engagées au préalable à maintenir l'affectation de ces collections à un musée de France.

Le projet de loi enserre donc la gestion des musées dans un cadre très strict, qui leur interdit de se défaire sur le marché de biens appartenant à leurs collections pour faire face à leurs besoins de fonctionnement, pour engager des investissements ou encore pour renforcer la cohérence de ces collections.

Par ailleurs, en restreignant les possibilités de cessions aux seuls musées, l'article 8 dévalue le patrimoine des musées privés : en effet, les cessions qu'il prévoit ne se feront pas au prix du marché.

En forçant le trait, on pourrait analyser ce dispositif comme condamnant à terme tout musée privé à être intégré dans les collections publiques.

Certes, il est toujours possible de justifier un tel dispositif par le fait que les musées privés auront consenti à cette diminution de leurs droits de propriété en sollicitant le label et qu'aujourd'hui, en pratique, les statuts des musées associatifs comportent des clauses comparables.

Cependant, il n'encouragera guère les musées privés à solliciter l'attribution du label « musée de France » et, à ce titre, ne pourra que freiner le partenariat entre les institutions publiques et les structures issues de l'initiative privée. S'illustre là la difficulté qu'éprouvent les conservateurs et, au delà, la direction des musées de France à concevoir d'autres modes de gestion d'une collection muséographique mais également leur réticence à encourager la création de musées privés qui, s'ils se multipliaient, risque à vrai dire écarté par le projet de loi, seraient susceptibles d'éclipser les collections publiques.

On se heurte ici à une des limites d'une action en faveur de la relance du mécénat ; les services de l'Etat ne conçoivent la contribution de la sphère privée à la politique des musées que strictement encadrée. En encourageant ce tropisme, le projet de loi ne participe guère d'une volonté de rénover la politique des musées.

Cette critique est accentuée par le fait que le projet de loi ne traite des collections que pour en garantir l'intégrité, ne prévoyant aucune disposition permettant d'accroître les moyens dont disposent les musées pour enrichir leurs fonds. Le texte s'arc-boute sur le passé sans garantir l'avenir.

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