N° 60

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 novembre 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Dominique LECLERC,

Sénateur.

Tome III : Assurance vieillesse

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Jean-René Lecerf, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Valérie Létard, MM. Jean Louis Masson, Serge Mathieu, Mmes Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 3307 , 3319, 3345 et T.A. 717

Sénat : 53 et 61 (2001-2002)

Sécurité sociale.

AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

« L'Histoire jugera », dit-on. Pour ce qui est de la façon dont le Gouvernement a préparé l'avenir des retraites par répartition, il n'est pas certain qu'il faille attendre une telle échéance. Le bilan de la législature, alors même que la branche vieillesse était dans une situation démographique exceptionnelle et qu'elle bénéficiait des fruits de la croissance retrouvée, est en effet catastrophique : cinq années de discussion, cinq années de gesticulation, cinq années d'inaction.

Le Gouvernement s'appuie vaille que vaille sur la double création d'une « commission de concertation » supplémentaire, le Conseil d'orientation des retraites, et du Fonds de réserve pour les retraites.

La remise du « premier rapport » du Conseil d'orientation des retraites, qui n'interviendra qu'à l'issue du dernier débat de la législature sur le financement de la sécurité sociale, ne sera pas pour autant suivie de décisions, celles-ci étant renvoyées aux calendes électorales.

Entre temps, le Gouvernement propose de revaloriser les pensions de retraite de 2,2 %, accordant une nouvelle fois un « coup de pouce » aux retraités. En l'absence d'une réflexion sur un mécanisme pérenne de revalorisation, compatible avec les enjeux financiers de demain, cette mesure apparaît insuffisante aux retraités d'aujourd'hui.

Le Gouvernement porte ainsi atteinte à la visibilité de l'action publique.

Le Fonds de réserve pour les retraites a été l'objet d'un double bouleversement de son plan de financement, d'abord en substituant aux excédents de la branche vieillesse et du FSV -ponctionnés par le financement des trente-cinq heures- le produit des licences téléphoniques de troisième génération, puis, devant la déconfiture de l'aventure UMTS, par le remplacement in extremis d'une partie du produit de ces licences par la vente des « bijoux de famille ».

La promotion du Fonds de réserve, construite sur le chiffre mythique de « 1.000 milliards de francs » avait fonctionné : il avait suscité un réel espoir chez les Français, même si le montant envisagé pour 2020 ne correspond en rien aux besoins de financement des régimes de retraite.

L'objectif des 55 milliards de francs prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 n'a pas été atteint : au 30 octobre 2001, le Fonds de réserve dispose d'un peu plus de 25 milliards de francs ; à peine 43 milliards de francs seront « en caisse » au début de l'année 2002. Qu'importe ! Le Gouvernement annonce désormais, pour la fin de l'année 2002, 85 milliards de francs, montant hautement improbable.

Tous ces « mouvements de yoyo » 1 ( * ) , tous ces objectifs non respectés, tous ces « plans de financement » bouleversés portent une nouvelle fois atteinte à la crédibilité de l'action publique.

Dès lors, le Gouvernement n'a plus d'autre ressource que de faire appel à l'Histoire, en évoquant les mouvements sociaux de 1995, qui auraient compromis le dossier de la réforme des retraites. Encore un effort et il reprochera à l'ancienne majorité l'échec de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910.

Ce Gouvernement sait-il seulement qu'il sera jugé au regard de son action présente ?

I. LA BRANCHE VIEILLESSE : UN ÉQUILIBRE FINANCIER FRAGILE ET COMPLEXE

La branche vieillesse est aujourd'hui à la veille du « cyclone » qui la frappera à partir de 2006. Le « choc » des retraites est une certitude démographique.

La branche n'a pas pour autant profité des années exceptionnelles, tant sur le plan démographique que sur le plan économique, qui correspondent aux années 1997 à 2001, pour préparer l'avenir, au-delà de « l'ectoplasme » 2 ( * ) que constitue le Fonds de réserve créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.

Sa situation financière apparaît pour le moins fragile.

A. UN ÉQUILIBRE FINANCIER VARIABLE ET FRAGILE

1. L'objectif de dépenses atteint désormais près de 900 milliards de francs

La branche vieillesse-veuvage rassemble les prestations d'assurance vieillesse correspondant à des droits directs ou dérivés, les prestations d'assurance veuvage et les prestations d'invalidité servies à des bénéficiaires de droits directs âgés de plus de soixante ans, ou des bénéficiaires de droits dérivés. Seuls les régimes de base sont concernés, les régimes complémentaires étant exclus du « champ » des lois de financement de la sécurité sociale.

Même si l'attention de l'opinion publique est attirée sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie, l'objectif de dépenses de la branche vieillesse est le plus important en termes financiers.

Les dépenses vieillesse : quelques conventions comptables

La définition des dépenses de vieillesse est précisée dans l'annexe c) du projet de loi : leur champ couvre l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de 20.000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres. L'objectif de dépenses porte sur l'ensemble des dépenses des régimes et non sur les seules prestations.

Ces dépenses comprennent :

•  les prestations sociales légales ou extralégales ;

•  les prestations des services sociaux (notamment la prise en charge partielle des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux) ;

•  les frais de gestion engagés par les organismes de sécurité sociale ;

•  les transferts entre régimes de protection sociale ;

•  les frais financiers et les autres dépenses.

L'objectif de dépenses de la branche vieillesse-veuvage du projet de loi de financement est défini à partir du total des dépenses de l'ensemble des régimes de base obligatoires, en retranchant les dépenses des régimes de moins de 20.000 cotisants ou bénéficiaires, les transferts internes aux régimes de base considérés (mécanismes de compensation), ainsi que les dépenses constituant la contrepartie des cotisations prises en charge par la sécurité sociale.

L'objectif de dépenses de la branche vieillesse-veuvage pour 2002, prévu à l'article 31 du projet de loi, s'élève en droits constatés à 136,06 milliards d'euros (892,7 milliards de francs), en progression de 3,99 % par rapport à l'année 2001 .

En encaissements-décaissements, l'objectif révisé 2001 est égal à 830,8 milliards de francs, ce qui permet d'établir la statistique suivante : de 1997 (année pour laquelle l'objectif s'élevait à 721,8 milliards de francs) à 2001, 109 milliards de francs supplémentaires ont été affectés à la branche vieillesse-veuvage, soit une progression de l'ordre de 15,1 %. Cette progression est de même nature que celle de la branche maladie-maternité-invalidité-décès et est légèrement supérieure à la progression des dépenses globales. Le taux de progression annuel moyen est supérieur à 3,5 %.

Année

1997

1998

1999

2000

2001

Montant

721,8

753,5

777,8

799,6

830,8

% d'évolution

nd

+ 4,39 %

+ 3,22 %

+ 2,80 %

+ 3,90 %

(en encaissements-décaissements et milliards de francs)

La série disponible en droits constatés débute à partir de 1999.

1999

2000

2001

2002

122,5

126,8

130,9

136,1

nd

+ 3,48 %

+ 3,23 %

+ 3,99 %

(en droits constatés et milliards d'euros)

Les dépenses vieillesse des régimes de base correspondent en quasi-intégralité aux dépenses de prestations, qui évoluent en 2002 à un rythme de 4,04 %. Les dépenses de gestion ont tendance à stagner en francs constants.

Les dépenses vieillesse des régimes de base

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Prestations (1)

123.908

128.693

133.892

Transferts entre organismes de sécurité sociale (2)

11.464

10.656

11.034

Transferts entre organismes de sécurité sociale « non consolidables » (3)

15

20

20

Autres charges techniques (4)

2

2

2

Diverses charges techniques (5)

826

65

59

Charges financières (6)

56

57

52

Autres charges techniques (7)

32

31

31

Charges de gestion courante (8)

1.932

2.009

2.033

Total brut (9)

138.236

141.522

147.124

Objectif de dépenses (9)-(2)

126.772

130.866

136.089

Source : annexe c) du PLFSS 2002, p.13, 23 et 24.

Pour des raisons historiques, le système français d'assurance vieillesse est morcelé. Ainsi, seuls les dix-neuf régimes dépassant les 20.000 cotisants ou retraités titulaires de droits propres font l'objet, à travers les lois de financement de la sécurité sociale, d'une attention particulière du Parlement 3 ( * ) .

Ces dix-neuf régimes peuvent être regroupés en cinq catégories :

- le régime général des salariés ;

- les « régimes » de la fonction publique , qui comprennent la CNRACL pour la fonction publique et territoriale et le « régime » fictif des fonctionnaires civils et militaires ;

- le régime agricole , qui comprend les exploitants et les salariés agricoles ;

- les régimes spéciaux de salariés , qui couvrent l'essentiel du secteur public ou anciennement public et certaines professions à statut ;

- les régimes des non salariés non agricoles , constitués de quatre caisses différentes, l'ORGANIC pour les retraités de l'industrie et du commerce, la CANCAVA pour les artisans, la CNAVPL pour les professions libérales et la CNBF pour les avocats.

Leurs dépenses brutes progresseront l'an prochain au rythme de 3,96 %, contre 2,38 % en 2001.

Les dépenses vieillesse des régimes de base

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Régime général

63.765

65.429

68.069

Salariés agricoles

4.704

4.728

4.826

Exploitants agricoles

8.494

8.461

8.660

Fonctionnaires civils et militaires

31.020

31.917

33.487

FSPOIE (ouvriers de l'Etat)

1.479

1.495

1.511

CNRACL

10.081

10.348

10.986

Mines

2.295

2.269

2.258

EGF

2.850

3.001

3.104

SNCF

4.303

4.390

4.471

RATP

665

678

693

ENIM

1.002

1.039

1.058

CRPCEN

430

442

456

Banque de France

263

270

277

ORGANIC

2.993

3.046

3.143

CANCAVA

2.125

2.188

2.272

Cultes

239

239

240

CNAVPL

977

1.009

1.033

CNBF

120

125

143

SASV

433

446

438

Total brut

138.236

141.522

147.124

Objectif de dépenses

126.772

130.866

136.089

L'étude des dépenses de prestations permet d'apprécier avec davantage de finesse la part des différents régimes.

Les dépenses de prestations des régimes d'assurance vieillesse

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Régime général

57.460

59.948

6.2485

Fonctionnaires civils et militaires

28.199

29.320

30.763

Salariés agricoles

4.479

4.546

4.641

Exploitants agricoles

8.104

8.249

8.484

FSPOIE - ouvriers de l'Etat

1.469

1.485

1.499

CNRACL

6.954

7.431

7.910

Mines

1.931

1.923

1.907

EGF

2.663

2.792

2.792

SNCF

4.258

4.322

4.379

RATP

631

646

659

ENIM

967

1.004

1.020

CRPCEN

411

431

451

Banque de France

257

265

273

ORGANIC

2.829

2.919

3.013

CANCAVA

2.046

2.108

2.189

Cultes

225

227

228

CNAVPL

544

570

597

CNBF

58

60

62

SASV

426

439

431

Total des dépenses de prestations

123.911

128.685

133.783

Objectif de dépenses

126.772

130.866

136.089

Le ratio dépenses de prestations/objectif de dépenses s'améliore, puisqu'il sera de 98,3 % en 2002, contre 97,7 % en 2000.

La somme des prestations servies par le régime général et par les régimes dits alignés ne représente pas même la moitié du total des prestations, tandis que le groupe « secteur public » au sens large, comprenant les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux, en verse près de 40 %.

C'est dire le poids financier des régimes publics et l'importance de leur réforme.

Part dans le total des prestations des régimes de retraite en 2002

Régime général

46,71 %

Régimes de la Fonction publique

30,03 %

Régime agricole

9,81 %

Régimes spéciaux

9,07 %

Régimes non salariés non agricoles

4,38 %

TOTAL

100,00 %

2. La branche vieillesse parvient tout juste à l'équilibre

Le Gouvernement présente fréquemment la branche vieillesse-veuvage sous l'angle d'une branche « excédentaire ».

Cette situation « excédentaire » mérite tout d'abord deux rappels :

- la branche est d'ores et déjà délestée du poids des avantages non contributifs , pris en charge par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) depuis 1993 ;

- le versement par la CNAF d'une contribution censée financer l'allocation vieux parents au foyer (AVPF) soulage chaque année les comptes de la CNAV , au détriment de ceux de la branche famille, pour un montant estimé en 2002 à 22,9 milliards de francs .

Votre rapporteur a estimé intéressant, dans la droite ligne de la proposition de l'article 1 er de la proposition de loi organique présentée par M. Charles Descours et de plusieurs de ses collègues 4 ( * ) , de rapprocher les dépenses des recettes de la branche vieillesse.

La loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a prévu le vote de prévisions de recettes par catégorie et d'objectifs de dépenses par branche . Or, il est essentiel de déterminer l'équilibre de chaque branche de la sécurité sociale, ce qui permet ainsi de dépasser le seul débat portant sur l'équilibre du régime général.

Les recettes consolidées de la branche vieillesse 5 ( * )

(en millions d'euros)

1999

2000

2001

2002

Cotisations effectives

71.292

71.181

73.929

77.001

Cotisations fictives vieillesse

27.303

27.936

29.102

30.664

Impôts et taxes affectés

4.418

3.508

4.325

3.636

pm : Transferts avant consolidation

27.110

29.276

29.723

30.532

Transferts entre organismes de SS

11.957

14.711

15.585

16.130

Contributions publiques

4.216

4.601

4.853

4.776

Produits de gestion courante

425

390

383

386

Total des produits - vieillesse

120.657

123.158

128.984

133.444

La part des impôts et taxes affectés ne représentera, de manière apparente, que 2,72 % des recettes en 2002. Certes, il convient d'inclure les recettes fiscales affectées au FSV, classées dans la catégorie « transferts », qui bénéficient indirectement à la branche. Il n'en demeure pas moins que le paradoxe du financement de la branche vieillesse, noté par la Cour des comptes dans son dernier rapport sur la sécurité sociale, est patent : soumises, dans un avenir proche, à un « choc » important, ses ressources sont principalement assises sur les cotisations, alors que les branches famille et maladie ont connu depuis le début des années quatre-vingt-dix une diversification beaucoup plus importante.

La comparaison des recettes consolidées et des dépenses consolidées de la branche vieillesse montre un déficit compris entre 2 et 4 milliards d'euros (soit de 13,1 à 26,2 milliards de francs).

C'est bien par le seul mécanisme de l'AVPF, exclue des recettes consolidées, mais qu'il convient de réintégrer afin de comparer utilement les dépenses et les recettes de la branche vieillesse, que celle-ci tend à un équilibre variable, comme l'atteste le déficit 2000, et fragile.

« L'équilibre » de la branche vieillesse 2000-2002

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Recettes consolidées

123.158

128.984

133.444

Objectif de dépenses consolidé

126.772

130.866

136.089

Dépenses des - 20.000

442

442

442

Total des dépenses

127.214

131.308

136.531

SOLDE

- 4.056

- 2.324

- 3.087

AVPF

3.374

3.424

3.493

SOLDE APRES AVPF

- 682

+ 1.100

+ 406

Le déficit pour 2000 a pour origine la dette « FOREC », tandis que la réduction de l'excédent entre 2001 et 2002 s'explique par une progression des recettes (+ 3,46 %) inférieure à celle des dépenses (+ 3,98 %).

Une telle présentation démontre l'urgence de présenter les comptes de la sécurité sociale par branche .

3. La CNAV souffre du financement des trente-cinq heures

L'analyse des comptes de la branche vieillesse du régime général des salariés (la CNAV) est bouleversée par la prise en compte, au titre de l'exercice 2000, de la dette du « Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales » (FOREC).

a) L'exercice 2000 : un excédent transformé en déficit du fait du projet de loi

L'article 5 du projet de loi, en violation du principe même des droits constatés, met à la charge des régimes sociaux la « dette » du FOREC sur l'exercice 2000. Cette dette a pour conséquence inattendue de « créer » un déficit de la branche vieillesse du régime général pour l'année 2000.

Une branche vieillesse en déficit en 1997 ?

Le Gouvernement utilise souvent l'argument d'une « branche vieillesse en déficit de 5 milliards de francs en 1997 » . Cet argument a encore été utilisé par Mme Elisabeth Guigou, le 23 octobre 2001, lors de la discussion générale du PLFSS à l'Assemblée nationale 6 ( * ) : « Nous avions trouvé la branche vieillesse en déficit. Celle-ci renoue désormais avec les excédents et devrait afficher environ 1 milliard d'euros d'excédents en 2002 » .

En fait, le Gouvernement compare deux soldes comptables de nature fort différente, puisqu'à partir du 1 er janvier 1998 est entré en vigueur le système RACINE. Le système RACINE ventile à la source -au niveau des URSSAF- les recettes de la sécurité sociale, à l'inverse du mécanisme précédent, qui répartissait au niveau national, selon une méthode « statistico-comptable ».

Cette modification introduit une rupture dans la série des encaissements recensés, ce qui rend non significatives les évolutions entre 1997 et 1998 et rend difficile la compréhension du niveau même de ces encaissements.

RACINE a profondément modifié la répartition des encaissements entre branches du régime général. Cette modification, défavorable à la branche maladie, a été au contraire très favorable à la branche vieillesse, qui a bénéficié en 1998, à ce titre, d'un surcroît de recettes de 5,22 milliards de francs.

Ce qui revient à dire que la branche vieillesse du régime général était probablement à l'équilibre en 1997. Le Gouvernement utilise donc un argument peu scrupuleux.

L'excédent de la CNAV pour 2000, arrêté par le conseil d'administration et approuvé par la tutelle, est de 1,0 milliard de francs en encaissements/décaissements et de 3,3 milliards de francs en droits constatés. Le compte en droits constatés tient compte d'une « créance » sur les allégements de charges compensés à la sécurité sociale par le FOREC.

Le manque à gagner de la CNAVTS en 2000

Milliers de francs

Millions d'euros

Produits à recevoir

22.058.652

3.362.820

Encaissements

17.381.928

2.649.858

Solde

4.676.724

712.962

L'application de l'article 5 du projet de loi conduirait à l'annulation d'une créance de 4,7 milliards de francs sur le compte 2000, et ainsi à un déficit de 1,5 milliard de francs. Il est ainsi tout à fait aventureux, comme l'annonce Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, d'affirmer que la branche vieillesse « renoue avec les excédents ».

En conséquence, le versement au Fonds de réserve de l'excédent 2000, prévu par le dossier de la conférence de presse du 20 septembre 2001, est devenu sans objet.

L'amélioration des comptes de la CNAV sur la période repose sur une augmentation soutenue de ses recettes, compte tenu de l'augmentation de la masse salariale. Le pourcentage moyen de progression annuelle est compris, sur la période, entre 3,8 et 3,9 %.

Les recettes de la CNAV (1997-2002)

(encaissement-décaissement, en millions de francs)

1998

1999

2000

2001

2002

Cotisations

274.011

287.960

295.483

306.760

322.987

Cotisations prises en charge (Etat+FOREC)

19.106

18.232

23.844

33.102

29.953

Recettes fiscales affectées

4.653

5.241

3.625

3.781

3.955

Transferts reçus

22.828

22.605

23.046

22.520

22.966

Contribution FSV

58.172

63.605

59.842

58.875

60.972

Versements rétroactifs

972

952

915

906

906

Contribution FSI

34

35

37

43

44

Produits financiers

96

134

418

306

256

Recettes diverses

9

7

11

11

11

Recettes DOM

5.420

5.611

5.793

5.962

6.118

TOTAL

385.386

403.528

412.245

432.417

448.325

Source : rapport CCSS, tome I, p. 203.

b) Les comptes de la CNAV en 2001 et en 2002 : une lisibilité brouillée à dessein

Les comptes 2001 et 2002 de la CNAV, annoncés par le rapport présenté à la commission des comptes de la sécurité sociale du 20 septembre 2001, ont été construits -au mépris de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 qui prévoit explicitement que les régimes sociaux doivent être équilibrés par une dotation de l'Etat, en cas de déséquilibre du fonds de financement des trente-cinq heures- en tenant compte d'une compensation partielle des exonérations de charges financées par le FOREC.

Solde de la CNAVTS « tendanciel » en droits constatés - 2001/2002

2001

2002

Millions de francs

Millions d'euros

Millions de francs

Millions d'euros

Charges (1)

433.314

66.058

449.340

68.501

Produits (2)

438.035

66.778

453.775

69.178

Solde « tendanciel » (3)

4.721

720

4.435

677

Exonérations non compensées (4)

1.680

256

5.359

817

Produits révisés (2) + (4)

439.715

67.034

459.134

69.995

Véritable solde tendanciel

6.401

976

9.794

1.493

Source : d'après le rapport CCSS, septembre 2001.

Le jeu des différentes tuyauteries « rectificatives » pour l'exercice 2001, qui consiste à ponctionner des recettes de la CNAMTS, n'affecte pas la CNAVTS.

Ainsi le solde 2001, « corrigé » par le PLFSS 2002, est-il -de manière tout à fait artificielle- « amélioré ». Ce montant de 6,4 milliards de francs serait affecté au Fonds de réserve pour les retraites.

En ce qui concerne le PLFSS 2002, l'effet des mesures du projet de loi consiste à diminuer ce solde tendanciel.

Solde « après mesures » de la CNAVTS en 2002

(en millions de francs)

2002

Produits

Charges

Compte tendanciel

459.134

449.340

Solde tendanciel

+ 9.794

Diminution des recettes du prélèvement social de 2 %

- 1.980

Retours FSV (liés au coup de pouce)

+ 57

Cotisations

- 13

Transfert régimes intégrés

- 150

Coup de pouce 0,3 % sur les pensions

+ 1.156

Compte après mesures

457.198

450.346

Solde après mesures

+ 6.852

L'excédent prévu pour 2002 serait ainsi de 6.852 millions de francs (un peu plus d'un milliard d'euros).

Le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale dégrade de 164 millions de francs ce solde, qui s'établirait désormais à 6.688 millions de francs.

Il reste naturellement que cet excédent, comme celui prévu pour 2001, repose sur des hypothèses de croissance très « favorables », comme l'a rappelé devant votre commission Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la CNAV 7 ( * ) .

Votre rapporteur vous renvoie sur ce point aux analyses du rapport présenté par M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers et l'assurance maladie 8 ( * ) .

4. Le Fonds de solidarité vieillesse est désormais structurellement déficitaire

Le Fonds de solidarité vieillesse, à la fois pierre angulaire du financement des trente-cinq heures et « plaque tournante » des prélèvements 9 ( * ) , a connu depuis 2000 une profonde modification de son financement.

Désormais, le FSV est structurellement déficitaire , compte tenu de l'affectation au FOREC des droits sur les boissons, de la diminution du taux de CSG qui lui est affecté (de 1,3 % à 1,15 % par la loi de financement pour 2001, de 1,15 % à 1,05 % par la loi « allocation personnalisée d'autonomie » du 20 juillet 2001) et de la prise en charge de la dette de l'Etat à l'égard des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO 10 ( * ) .

Le Fonds de solidarité vieillesse : 1997-2002

(droits constatés, en millions de francs)

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Recettes

72.092

75.531

82.711

74.298

75.167

73.913

dont CSG

58.546

60.479

68.174

67.550

63.024

60.020

dont prélèvement social 2 %

2.520

2.637

dont droits sur les boissons

11.713

11.935

11.341

- 525

0

0

dont C3S

4.085

3.616

4.454

dont versements CNAF

273

2.886

6.010

dont produits financiers

71

107

112

154

300

72

Dépenses

72.333

73.936

80.466

72.418

75.853

77.206

Solde

- 241

1.595

2.245

1.880

- 686

- 4.013

Solde cumulé (1)

4.795

6.390

8.635

10.515

9.829

3.937

Versement au F2R (2)

1.880

Solde cumulé (1)-(2)

4.795

6.390

8.635

10.515

7.949

3.937

Source : Fonds de solidarité vieillesse.

Son compte est aujourd'hui maintenu à flot en raison de trois nouvelles « recettes » :

- les versements de la branche famille : 2,9 milliards de francs en 2001, puis 6 milliards de francs en 2002 ; ces versements sont soumis à une augmentation régulière jusqu'en 2007, où la branche s'acquitterait de l'intégralité des majorations de pensions pour enfants ;

- les ponctions sur le compte de la contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) , dont le solde avait été affecté au FSV pour alimenter le Fonds de réserve pour les retraites : ces ponctions représentent un montant de plus de 12 milliards de francs sur les exercices 2000 à 2002 cumulés ;

- les ponctions sur son fonds de roulement (c'est-à-dire ses excédents cumulés), qui était censé également alimenter le Fonds de réserve pour les retraites.

5. La branche vieillesse n'a pas pu profiter d'une situation démographique exceptionnelle pour préparer l'avenir

Les années 1998-2002 constituent des années doublement « exceptionnelles » pour la branche vieillesse du régime général :

- La situation démographique est pour l'instant très favorable.

Evolution des cotisants et retraités du régime général

(en milliers)

Comme le montre le graphique, la progression du nombre de retraités est quasiment parallèle au nombre de cotisants avec un écart important entre les deux courbes. Cette situation démographique est exceptionnelle.

En effet, la période de la guerre a donné lieu à une chute du taux de natalité. Ces classes démographiques creuses arrivent à l'âge de la retraite entre 1999 et 2006-2007. Cet effet sera provisoire car, à partir de 2006, les classes pleines de 1946 et suivantes arriveront en âge de retraite et seront à l'origine d'une plus forte croissance du nombre de retraités, donc des pensions versées.

Comme l'écrit la Cour des comptes dans son rapport 2001 : « L'arrivée à l'âge de la retraite des classes d'âge peu nombreuses nées à la fin des années trente ou au début des années quarante génère un faible flux de nouveaux retraités, ce qui réduit le taux d'accroissement en nombre de la population des retraités. On sait que cette situation va se renverser brutalement lorsque les classes nombreuses nées à partir du milieu des années quarante vont parvenir à l'âge de la retraite » 11 ( * ) .

- Les recettes de la branche vieillesse ont bénéficié d'une croissance dynamique de la masse salariale .

Résultats 1998-2002 en droits constatés et en millions de francs

1998

1999

2000

2001

2002

Produits

389.700

407.100

416.415

439.715

457.198

Charges

386.800

402.100

417.766

433.314

450.346

SOLDE

+ 2.829

+ 5.033

- 1.351

+ 6.401

+ 6.852

Versement au F2R

+ 5.033

+ 6.401

L'excédent cumulé sur les années 1998-2002 serait de 19,7 milliards de francs, dont seulement 5 milliards de francs ont été versés, pour l'instant, au Fonds de réserve.

La série des soldes de la branche vieillesse du régime général, établie en encaissements-décaissements, montre un solde cumulé moins flatteur, puisqu'il serait de 16,9 milliards de francs sur la même période 1998-2002, et de seulement 11,7 milliards de francs en incluant l'année 1997.

Résultats de la CNAV 1997-2002 en encaissements décaissements
et en milliards de francs

1997

1998

1999

2000

2001

2002

SOLDE

- 5,2

- 0,2

+ 3,7

1,0

+ 5,4

+ 7,0

Si l'on ajoute aux 5 milliards de francs en provenance de la CNAV le 1,9 milliard de francs du Fonds de solidarité vieillesse, versé le 10 octobre dernier au Fonds de réserve des retraites, la contribution de la branche vieillesse au financement de son avenir est de 6,9 milliards de francs, soit un peu plus de 1 milliard d'euros.

Votre rapporteur constate ainsi qu'un tel excédent cumulé, compte tenu des perspectives aussi favorables de la branche vieillesse du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, qui aurait dû bénéficier à plein de la baisse du chômage et de l'augmentation de la ressource dynamique de la CSG, est un piètre résultat.

* 1 Pour reprendre l'expression imagée de la présidente du conseil d'orientation des retraites, cf. travaux de la commission.

* 2 La paternité de cette expression revient au journal « Espace social européen ».

* 3 Le poids des régimes vieillesse comptant moins de 20.000 cotisants ou retraités titulaires de droits propres est évalué à 2,9 milliards de francs.

* 4 n° 268 (2000-2001).

* 5 Passer de recettes non consolidées à des recettes consolidées nécessite de supprimer les transferts intra-branche (les compensations démographiques), ce qui apparaît logique, mais également le transfert inter-branche que constitue l'AVPF.

* 6 JO Débats Assemblée nationale, 2 ème séance du 23 octobre 2001, p. 6440.

* 7 cf. infra, compte rendu de cette audition.

* 8 cf. tome I.

* 9 Selon l'expression de M. Alain Vasselle, alors rapporteur pour l'assurance vieillesse, in rapport n°382 (2000-2001), p. 154.

* 10 Cette disposition, annulée l'année dernière par le Conseil constitutionnel, n'est toujours pas entrée en vigueur : l'article 11 bis du projet de loi de modernisation sociale en est le support juridique. Elle est toutefois intégrée dans les comptes prévisionnels du FSV.

* 11 Et la Cour rappelle, par l'intermédiaire d'une note de bas de page, que l'année 1941 est celle où le nombre de naissances a été le plus faible, cf. rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, p. 57.

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