D. DE NOMBREUSES « BOMBES À RETARDEMENT » BUDGÉTAIRES

Une dangereuse « épée de Damoclès budgétaire » est suspendue au-dessus de la situation des finances publiques françaises, au vu de plusieurs « bombes à retardement » budgétaires.

1. L'explosion programmée du coût des pensions

Votre commission s'en était déjà inquiétée l'année dernière : la question du financement des retraites des fonctionnaires de l'Etat va se poser rapidement, l'explosion du coût des pensions de la fonction publique étant déjà programmée.

Le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2001 comportait des développements extrêmement intéressants sur ce point 25( * ) . Votre rapporteur général déplore que ce type d'informations, extrêmement utile au cours des débats budgétaires, soit absent du rapport économique, social et financier annexé au présent projet de loi de finances. Les chiffres dont il s'agit étaient apparemment gênants...

Le « papy boom » dans la fonction publique aura, si rien n'est fait, des conséquences dramatiques sur le budget de l'Etat.

Les engagements au titre des retraites des fonctionnaires :

entre 595 et 686 milliards d'euros

Dans son rapport relatif à l'exécution des lois de finances pour 2000, la Cour des comptes a approfondi son analyse des engagements hors-bilan de l'Etat.

Depuis 1999, en effet, le compte général de l'administration des finances (CGAF) chiffre certains de ces engagements, en particulier dans le cadre des dispositifs d'épargne-logement, soit 7,62 milliards d'euros (50 milliards de francs) fin 2000, et au titre de l'assurance-crédit au commerce extérieur, soit 81,7 milliards d'euros (536,1 milliards de francs).

Il évoque également les engagements de retraite de l'Etat envers ses propres agents, mais aucun chiffrage n'était fourni, seule une méthodologie étant indiquée.

Or, « la Cour a souhaité que lui soit communiqué le chiffrage des engagements de l'Etat au titre des pensions des fonctionnaires », dans le cadre du contrôle de l'exécution des lois de finances.

La Cour des comptes a ainsi été destinataire d'un courrier de la secrétaire d'Etat au budget, dont il ressort que, « en fonction du taux d'actualisation retenu (6 ou 5 %), l'ordre de grandeur des engagements hors bilan de l'Etat au titre des retraites des fonctionnaires peut être estimé comme s'inscrivant dans une fourchette d'évaluation comprise entre 594,55 milliards d'euros (3.900 milliards de francs) et 686,02 milliards d'euros (4.500 milliards de francs) ».

Or, le gouvernement n'a pris aucune mesure à même d'engager la moindre réforme. Il s'est contenté d'installer un Conseil d'orientation des retraites (COR), dont les premiers travaux, empreints de sérieux et d'objectivité, concluent à la nécessité d'agir, et mettent en exergue les écarts entre le régime vieillesse des salariés du privé et celui des fonctionnaires, à l'avantage des seconds.

Dans une des notes rédigées à l'occasion de la réunion du COR du 4 juillet dernier, on peut lire que « l'allongement à 40 ans de la durée de cotisation pour les fonctionnaires diminuerait les besoins de financement pour les retraites des fonctionnaires et irait dans le sens d'une réduction des inégalités entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public ».

Par ailleurs, le COR a également souligné que ces disparités entre les retraites publiques et privées vont s'accroître en l'absence de modification législative . Les taux de remplacement (rapport entre le dernier salaire et la pension versée) sont aujourd'hui relativement proches entre les secteurs public et privé, puisqu'ils varient de 55 % à 72 % du salaire brut dans le premier, et de 55 % à 70 % dans le second (retraites complémentaires comprises). Si rien n'est fait, le taux de remplacement se situera en 2040 entre 45 % et 57 % dans le secteur privé, mais entre 55 % et 75 % pour les fonctionnaires.

Votre commission est favorable à un alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires, aujourd'hui de 37,5 années, sur le droit commun applicable aux salariés du secteur privé, soit 40 ans depuis la réforme courageuse de 1993.

2. Les 35 heures : un coût exorbitant ; un piège dans la fonction publique

Suite à l'échec, à la fin de l'hiver 2000, des négociations engagées avec les organisations syndicales en vue de parvenir à un accord-cadre national relatif à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, le gouvernement avait renvoyé les négociations au niveau ministériel, et a publié un décret relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat 26( * ) , qui entrera en vigueur au 1 er janvier 2002.

Le gouvernement a toutefois affirmé à plusieurs reprises, notamment au Sénat lors de l'examen des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, que la réduction du temps de travail dans la fonction publique serait réalisée à effectifs constants.

Or, il semble que le gouvernement soit confronté à de très grandes difficultés au cours de ces négociations, qui, pour l'instant, n'ont abouti que dans deux ministères : celui de la défense et celui de l'environnement. Par ailleurs, il devrait y avoir, selon l'expression du ministre, « un non accord non conflictuel », aux ministères de l'équipement et de l'agriculture.

Ces négociations donnent lieu à des conflits sociaux, précisément en raison du refus de la part du gouvernement d'assortir la réduction du temps de travail de créations d'emplois. Il est vrai que, de ce point de vue, le gouvernement s'est placé lui-même dans une situation pour le moins paradoxale : répéter à l'envi que les 35 heures créent beaucoup d'emplois... sauf dans la fonction publique ! Il est vrai que le rapport Roché sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques avait montré que le passage aux 35 heures demanderait, dans certaines administrations, de travailler plus...

Pour sortir de ces difficultés, le gouvernement est donc contraint :

- de s'affranchir de la réglementation qu'il a lui-même édictée :
par exemple, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, certains agents pourraient bénéficier d'une durée annuelle de travail de 1.530 heures, voire de 1.420 heures (au lieu des 1.600 heures prévues) ;

- de créer des emplois, malgré ses engagements réitérés en sens contraire : il a ainsi prévu la création de 45.000 emplois sur trois ans dans la fonction publique hospitalière, pour un coût de 1,52 milliard d'euros (10 milliards de francs). Ainsi, les personnels hospitaliers de nuit, qui sont déjà aux 35 heures, devraient progressivement passer, d'ici au 1 er janvier 2004, à une semaine de travail de 32 heures 30, ce qui ne peut évidemment qu'inciter les syndicats de la fonction publique à prendre ce cas en exemple pour en demander la généralisation à l'ensemble des fonctionnaires soumis à des sujétions professionnelles particulières.

Toutefois, l'« expérience malheureuse » du FOREC, selon l'expression de la Cour des comptes, a montré combien les dépenses liées aux 35 heures pouvaient « déraper ». Par ailleurs, il est intéressant d'établir une comparaison entre l'évolution du coût, depuis 2000 - année de mise en oeuvre effective des 35 heures -, de la réduction du temps de travail et celle des dépenses en capital, civiles et militaires, de l'Etat :

3. Les emplois-jeunes : un dossier laissé au prochain gouvernement

Pour la première fois depuis le lancement du dispositif, les dotations allouées aux emplois-jeunes diminuent, de 3,6 %, s'établissant à 3,23 milliards d'euros (21,19 milliards de francs) 27( * ) .

Votre commission ne peut manquer, toutefois, de s'interroger, d'une part, sur la capacité du gouvernement à atteindre les objectifs qu'il s'est fixés en matière d'embauches d'emplois-jeunes, et, d'autre part, sur le nombre réel d'emplois-jeunes.

En effet, le gouvernement a régulièrement modifié ses objectifs en matière d'emplois-jeunes. Au départ, notamment lors de l'examen de la loi du 16 octobre 1997, il avait affiché l'ambition de parvenir, à la fin 2002, au recrutement de 350.000 emplois-jeunes. Puis cet objectif a été avancé à la fin 2000, puis de nouveau repoussé, en renvoyant la réalisation à la date initialement fixée, soit fin 2002 ! Il convient de rappeler que, l'année dernière, le gouvernement avait affirmé qu'il parviendrait à atteindre son objectif de 350.000 emplois-jeunes à la fin 2001...

Désormais, son objectif a changé de nature : il ne s'agit plus de mesurer le dispositif en stock mais en flux. Ainsi les documents budgétaires pour 2002 indiquent-ils que ce dispositif doit viser à « porter à 360.000 à la fin 2002, le nombre des jeunes qui auront bénéficié du programme depuis sa création » 28( * ) .

Le tableau ci-dessous indique le nombre d'emplois-jeunes embauchés au 30 juin dernier, sans que l'on ne sache plus très bien s'il s'agit d'un stock ou d'un flux :

Nombre d'emplois-jeunes

Il convient par ailleurs de garder à l'esprit que le budget de l'emploi ne regroupe pas l'ensemble des crédits destinés au financement des emplois-jeunes.

Le tableau ci-dessous récapitule l'ensemble des sections budgétaires qui supportent le coût des emplois-jeunes en 2002 :

Le coût total des emplois jeunes en 2002 s'élève donc à 3,67 milliards d'euros (24,05 milliards de francs). Sur l'ensemble de la législature, ce dispositif aura coûté 13,24 milliards d'euros (86,85 milliards de francs).

Quel avenir pour les emplois-jeunes ?

La question essentielle concerne toutefois le devenir des jeunes ainsi recrutés.

Le 6 juin dernier, le gouvernement a annoncé un plan de « consolidation » visant à pérenniser le dispositif.

Différentes mesures sont prévues en fonction des secteurs concernés : les associations, les collectivités territoriales, les entreprises et les établissements publics.

Il s'agit généralement d'accorder des aides modulables au cas par cas en fonction des besoins des services et des activités, plus ou moins solvabilisables. D'une manière générale, ces dispositions, visiblement non finalisées, sont d'une grande complexité, et vont très certainement se traduire par une intense activité administrative...

En outre, certaines de ces mesures d'aides financières, entraîneront des dépenses nouvelles, non pas en 2002 mais à compter de 2003.

Bref, les emplois seront consolidés - et les dépenses pérennisées ! - mais on ne sait toujours pas ce que deviendront les jeunes. Il faut d'ailleurs probablement voir dans cette incertitude quant à leur avenir la raison de la récente manifestation des aides-éducateurs...

Votre commission en vient donc une fois encore à s'inquiéter de la probable intégration d'une part conséquente des emplois-jeunes dans la fonction publique , d'autant plus que de très fortes pressions syndicales ne manqueront probablement pas de s'exercer en ce sens. Du reste, dans la fonction publique territoriale notamment, il est déjà prévu que les cadres d'emploi seront adaptés afin d'offrir un débouché statutaire aux emplois-jeunes, tandis que des concours spécifiques, dits de « troisième voie », seront organisés dans le même but.

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