C. ASSURANCE ET SOLIDARITÉ : LES DEUX PÔLES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Enfin, dernier principe fondamental qu'il convient de restaurer : la distinction entre les prestations relevant d'une logique d'assurance, financées par des cotisations, et celles obéissant à une logique de solidarité, financées, au nom de la solidarité nationale, par des recettes de nature fiscale.

Là encore, les circuits financiers imaginés par le précédent gouvernement ont mis à mal la cohérence de ce principe. Sa principale incarnation, à savoir le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), en a subi les conséquences les plus défavorables.

La restauration de ce principe passe donc, en priorité, par le rétablissement des bases financières du FSV.

1. Une distinction qui conserve toute sa pertinence

Dans les faits, et pour certaines prestations, la distinction entre assurance et solidarité peut être difficile à établir avec précision. Néanmoins, cette distinction conserve toute sa pertinence, comme l'atteste l'évaluation réalisée par la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2001.

a) Des « blocs » identifiables de prestations

Ainsi, selon la Cour des comptes :

« Les dépenses de prestations sociales peuvent être classées en fonction de plusieurs critères : un premier distingue les prestations en nature, c'est-à-dire la prise en charge des soins médicaux, des prestations monétaires ; un second oppose les prestations d'assurance, qui compensent la perte du revenu d'activité (les indemnités journalières pour la maladie ou les accidents du travail et les retraites), à celles qui sont versées à tout résident sur le sol français en fonction d'un certain nombre de critères indépendants des revenus d'activité (notamment prestations de soins et prestations familiales) ; enfin, un troisième permet de classer les prestations selon qu'elles sont subordonnées à une condition de ressources (cas d'un certain nombre de prestations familiales, du minimum vieillesse ou de l'allocation supplémentaire de retraite) ou non.

« Le premier critère ne présente pas d'intérêt particulier du point de vue du financement des prestations. (...). On ne retiendra donc que les deux derniers critères. Le croisement de ces deux critères conduit alors à classer les prestations en trois catégories :

« - les prestations d'assurance « perte ou absence de revenu » : indemnités journalières maladie, indemnités et rentes pour les accidents du travail et pensions de retraite, allocation compensant une inactivité professionnelle ;

« - les prestations « universelles », accordées en fait à l'ensemble de la population sans condition ni d'activité ni de ressources : prestations maladie en nature, prestations familiales répondant exclusivement à ces critères d'âge et de nombre d'enfants ;

« - les prestations « sous condition » dont le bénéfice pour les ménages est lié à l'existence d'une condition de ressources ou à une durée insuffisante de cotisation à des régimes de retraite : prestations familiales sous condition de ressources, minimum vieillesse et autres prestations vieillesse prises en charge par le FSV, allocation vieillesse des travailleurs salariés (AVTS), allocations supplémentaires et majoration de pension.

« Tout classement des différentes prestations dans l'une de ces trois catégories présente un caractère conventionnel. Il est ici rendu difficile par le fait que le système français de sécurité sociale est fortement marqué par la solidarité. Celle-ci n'est pas cantonnée à des prestations spécifiques, destinées à une catégorie particulière de la population -parents isolés, adultes handicapés, familles à faibles ressources. (...). Il apparaît clairement qu'elle est la marque générale du système. Ceci est vrai pour la couverture maladie et pour les prestations familiales. Mais la solidarité est aussi fortement présente au sein des prestations de type assurantiel comme les retraites. En dépit de ces difficultés, (la Cour) a procédé au classement de chaque prestation dans l'une ou l'autre des catégories précédentes, et les conventions paraissent s'imposer suffisamment, à une ou deux exceptions près, pour que le classement soit pertinent. (...)

« Rapportée à l'ensemble des prestations servies par le régime général, la structure selon ces trois grands types de prestations est relativement stable depuis vingt ans (tableau ci-dessous) : les prestations universelles restent prépondérantes avec près de la moitié du total (47 %), les prestations liées à la perte ou à l'absence de revenu ont légèrement progressé (de 33,4 à 36,6 %) et dépassent désormais le tiers du total des dépenses tandis que les prestations sous condition sont en diminution relative à 11,0 %. Evaluée à l'aune de la part respective des prestations, la sécurité sociale reste ainsi fondamentalement un système de base citoyenne, visant la couverture des soins et le remplacement de revenus et, seulement secondairement, l'aide aux personnes et familles à ressources faibles et moyennes. En ce sens, elle est demeurée à travers l'extension de son champ et les différentes réformes mises en oeuvre depuis vingt ans, fidèle à sa philosophie originelle. »

Structure des dépenses* et des ressources de la sécurité sociale

(en pourcentage)

1980

2000

Dépenses

Ressources

Dépenses

Ressources

Assurance « perte ou absence de revenus »

33,4

96,9

36,6

67,9

Prestations « universelles »

47,4

-

46,3

24,0

Prestations « sous condition »

11,4

1,4

11,0

4,5

Divers

7,7

1,7

6,1

3,6

Ensemble

100

100

100

100

Champ : Ensemble des branches du régime général.
Source : Cour des comptes

*La nomenclature des dépenses en ces quatre groupes, « perte ou absence de revenus », « universelles », « sous condition », « divers », est décrite ci-dessus et précisée dans l'annexe de cette section.

b) Des disparités selon les branches

Ce constat général doit néanmoins être nuancé selon les branches. En effet, toujours selon la Cour des comptes : « on constate de fortes différences de structure selon les branches : d'une part, une polarisation marquée entre le caractère quasi universel (93 %) des prestations maladie (hors aide sociale et gestion) et celui très largement assurantiel des prestations vieillesse (89 %) et accidents du travail (100 %) ; d'autre part, un partage des prestations familiales entre prestations universelles et prestations sous condition, alors que ces dernières sont, soit inexistantes dans la branche maladie et accidents du travail, soit représentent une part faible (11 %) dans la branche vieillesse. Ces structures ont très peu varié au cours des vingt dernières années, en dehors du déclin des indemnités journalières dans la branche maladie qui tombent de 9,1 % à 6,2 % du total des dépenses et du recul, dans la branche famille, de la part des prestations sous condition (de 44,2 % à 40,2 %) au profit de prestations qui compensent une perte ou une absence de revenus (de 3,5 % à 15,2 % en 2000) 13 ( * ) ».

2. Un principe à restaurer : le rétablissement des bases financières du Fonds de solidarité vieillesse

a) Un ensemble cohérent de recettes et de dépenses qui fut progressivement altéré

Dès sa création, le fonds de solidarité vieillesse (FSV) incarnait le principe visant à distinguer, au sein des prestations vieillesse, celles relevant du principe d'assurance et celles qui sont servies au titre de la solidarité.

Constitué initialement en 1993 sur la base d'une mission cohérente, à savoir le financement des prestations d'assurance vieillesse à caractère non contributif , et disposant de ressources propres affectées (fraction de la CSG, 100 % des droits sur les alcools et sur les boissons alcoolisées, contribution sociale de solidarité des sociétés -C3S-, taxe sur les contrats de prévoyance), le FSV a progressivement connu un « démembrement » de cette cohérence d'origine, qu'il s'agisse :

- de ses recettes : le FSV a ainsi perdu, au profit du FOREC, la totalité des droits sur les alcools et a également perdu, en 2002, la taxe de prévoyance. Parallèlement, la fraction de CSG dont il bénéficie a été réduite en 2001, d'abord au profit de la CNAMTS, puis une seconde fois au profit du fonds de financement de l'allocation d'aide personnalisée à l'autonomie. Enfin, le circuit pour le moins subtil de distribution du produit de la contribution sociale de solidarité des sociétés entre les régimes de sécurité sociale des professions indépendantes, le BAPSA et le FSV, réduit généralement ce dernier à la portion congrue ;

- de ses dépenses : deux mesures nouvelles ont, à partir de 2001, mis à mal la cohérence des interventions du FSV, à savoir, d'une part, l'extension de son champ d'action aux régimes de retraite complémentaires, par la mise à sa charge de la dette de l'Etat à l'égard de l'AGIRC et de l'ARRCO et, d'autre part, le transfert progressif à la CNAF du coût des majorations de pension pour enfants que le FSV finançait, au titre de la solidarité nationale depuis 1994.

b) Le rétablissement des bases financières du FSV

Le « dépeçage » du FSV a eu pour conséquence de « déstabiliser » ses bases financières. Conjugué à l'augmentation des prises en charge liée à la remontée du chômage, le changement du périmètre des recettes et des charges du fonds se traduit par une dégradation rapide de son résultat net. Le fonds devient ainsi déficitaire de 86 millions d'euros en 2001, et de 1,4 milliard d'euros en 2002. Avant mesures nouvelles, ce déficit devrait s'établir à 923 millions d'euros en 2003.

Le rétablissement de l'équilibre financier du FSV ne saurait plus être assuré par des mesures ponctuelles. Seule la restauration d'un périmètre cohérent de recettes et de dépenses, sur la base de celui qui avait été défini en 1993, devrait permettre de rétablir l'équilibre des comptes du FSV.

Là encore, le respect de quelques principes fondamentaux pourrait donc contribuer à assainir la situation financière de la sécurité sociale.

* 13 Cette augmentation est largement due à la cotisation d'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) qui est ici considérée comme une prestation d'assurance « perte ou absence de revenu ».

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