II. L'UTILITÉ D'UNE INTERVENTION INTERNATIONALE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DES AGENCES DE L'EAU

Les collectivités territoriales, leurs groupements et les agences de l'eau mènent depuis longtemps des actions de coopération internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement. La présente proposition de loi à pour objet de permettre le développement de ces actions en leur donnant une assise juridique plus solide. Approuvant la philosophie de ce texte, votre commission vous propose d'en préciser le contenu.

A. L'INTERVENTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DES AGENCES DE L'EAU : UNE RÉALITÉ

Les collectivités territoriales et les agences de l'eau apportent une contribution précieuse à la politique de coopération internationale de l'Etat, lorsqu'elles ne suppléent pas ses déficiences.

La consécration de la coopération décentralisée

Les principes de la coopération décentralisée ont été posés par la loi n° 92-12 du 6 février 1992 d'orientation pour l'administration territoriale de la République.

L'article L. 1114-1 du code général des collectivités territoriales ouvre ainsi aux collectivités territoriales françaises et à leurs groupements la possibilité de conclure des conventions avec leurs homologues étrangers « dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France . »

Aux termes des articles L. 1114-2 à L. 1114-4 du même code, cette coopération peut prendre des formes plus intégrées, lorsqu'elle concerne des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales d'Etats membres de l'Union européenne ou d'Etats frontaliers : les collectivités françaises peuvent créer des groupements d'intérêt public avec les premiers et participer à des organismes publics de droit étranger ou au capital de personnes morales de droit étranger avec les seconds.

Diverses raisons conduisent les collectivités locales et leurs groupements à s'engager dans la coopération décentralisée. Il peut s'agir de nouer des relations d'amitié ou de jumelage, de contribuer à promouvoir à l'extérieur l'activité économique ou culturelle des acteurs de leur territoire, de gérer des services publics d'intérêt commun, d'échanger des savoir-faire en matière de gestion publique locale. La coopération décentralisée peut également consister, dans un esprit de solidarité, à apporter une aide technique ou à intervenir dans un but humanitaire auprès de collectivités territoriales, établies ou en émergence, dans certains pays.

Les domaines de l'eau et de l'assainissement constituent d'ores et déjà un champ privilégié de la coopération. Dans un ouvrage sur l'eau en France paru récemment, notre collègue M. Jacques Oudin, président fondateur du Cercle français de l'eau, observe ainsi qu'« en prélevant 0,3 centimes d'euro sur chaque m 3 distribué, le Syndicat des Eaux d'Ile-de-France (SEDIF) participe depuis 1986 au Programme européen Solidarité-Eau. 8,6 millions d'euros ont ainsi été consacrés à des programmes d'aide au développement de réseaux hydrauliques dans des pays d'Afrique et d'Asie francophones. A ce jour, 1,6 millions de personnes ont bénéficié de cette aide, à travers 141 opérations réparties dans 16 pays 2 ( * ) . »

Les actions de coopération internationale des agences de l'eau

Les agences de l'eau françaises s'impliquent elles aussi à l'échelle internationale, par le biais de jumelages avec leurs homologues étrangers.

Ainsi, pour ne citer qu'elles, l'agence Adour Garonne a conclu des accords de coopération avec l'agence marocaine du bassin hydraulique de l'Oum Er Rbia et avec l'organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal. Pour sa part, l'agence Rhin-Meuse entretient des relations de coopération avec les organismes polonais de bassin de la baltique et du bassin aval de l'Oder.

Certaines agences réservent en outre une faible part de leur budget au financement d'actions relatives à l'eau potable et à l'assainissement dans des pays en voie de développement . L'action humanitaire qu'elles mènent se traduit par l'attribution d'aides sur dossier en faveur d'associations spécialisées, d'organisations non gouvernementales ou de collectivités territoriales pour les actions qu'elles conduisent sur le terrain.

L'Agence Seine-Normandie consacrait ainsi 1 %o de son budget depuis 1997 à des formations et à des micro-réalisations d'alimentation en eau potable et d'assainissement dans des pays en voie de développement. En décembre 2002, 84 projets étaient réalisés ou en cours de réalisation.

Faute d'une assise légale suffisamment solide, ces opérations ont dû être interrompues en 2003.

B. LA PROPOSITION DE LOI : DONNER UNE BASE LÉGALE À CES PRATIQUES

La présente proposition de loi vise à sécuriser les démarches des collectivités territoriales et des agences de l'eau « en leur offrant un cadre légal et cohérent avec les grandes ambitions affichées par la France dans le domaine de l'eau sur la scène internationale 3 ( * ) . »

Le cadre d'intervention des communes et des établissements publics de coopération intercommunale

L' article premier a pour objet d'insérer un article L. 2224-5-1 dans le code général des collectivités territoriales, afin :

- d' autoriser les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à entreprendre, dans les domaines de l'eau et de l'assainissement, non seulement des actions de coopération décentralisée dans le cadre des conventions conclues avec leurs homologues étrangers prévues par l'article L. 1114-1 du code général des collectivités territoriales mais également des actions d'aide d'urgence ou de solidarité internationale en étant exonérées de l'obligation de signer de telles conventions ;

- de permettre, la prise en charge des dépenses afférentes aux actions de coopération décentralisée, d'aide d'urgence ou de solidarité internationale, par les budgets des services publics de l'eau et de l'assainissement , dans la limite de 1 % des ressources qui leur sont affectées.

Le cadre d'intervention des agences de l'eau

L' article 2 a pour objet de compléter l'article L. 213-5 du code de l'environnement, afin de permettre aux agences de l'eau :

- d' intervenir dans le domaine de la coopération internationale , notamment dans celui de la solidarité, le cas échéant en mettant leurs agents à disposition du ministère des Affaires étrangères, d'organismes européens ou internationaux,

- à la triple condition de respecter les engagements internationaux de la France, de rester dans les limites de leurs compétences et de ne pas y consacrer plus de 1 % de leurs ressources .

C. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : ACCEPTER ET PRÉCISER LA PROPOSITION DE LOI

Votre commission considère que les dispositions de la présente proposition de loi répondent à un objectif légitime, posent une question de principe et soulèvent une difficulté juridique. Tout en les acceptant dans leur principe, elle vous propose, dans ses conclusions, de préciser leur contenu.

Des interrogations

L' intérêt de la coopération décentralisée n'est plus à démontrer. Lors d'un colloque organisé sur ce thème au Palais du Luxembourg le 22 octobre 2003, le président du Sénat, M. Christian Poncelet, soulignait ainsi qu'elle peut « encourager la gestion de proximité, facteur d'efficience, et promouvoir la démocratie locale, par un appui institutionnel à la décentralisation. Les partenariats entre collectivités locales peuvent aussi offrir la clé d'un développement intégré dans les pays qui attendent un soutien actif de notre part. Dans tous les cas, la coopération décentralisée contribue à soutenir nos échanges économiques, sociaux et culturels, à renforcer nos liens d'amitié, et donc à favoriser le rapprochement entre les peuples . »

La possibilité offerte aux agences de l'eau d'entreprendre des actions de coopération internationale et aux communes et établissements publics de coopération intercommunale de financer ces actions sur le budget des services publics de l'eau et de l'assainissement s'inscrit dans le droit fil du principe selon lequel « l'eau doit financer l'eau » . Il appartiendra aux responsables de ces collectivités et établissements de justifier l'emploi des crédits auprès de leurs redevables.

Sur le plan juridique, les redevances s'analysent comme la rémunération d'un service rendu au bénéfice exclusif de leurs redevables. L'affectation d'une part du produit des redevances perçues par les services publics de l'eau et de l'assainissement à des actions de coopération internationale est-elle de nature à leur faire perdre cette qualité et à en faire des impositions de toutes natures, à l'instar des redevances perçues par les agences de l'eau ? Votre commission ne le pense pas , compte tenu de l'objet des actions de coopération et du plafonnement des dépenses. Si tel était le cas, il conviendrait d'en tirer la conséquence en fixant dans la loi, et non plus par voie réglementaire, les règles d'assiette et de taux de ces redevances.

Le projet de loi portant réforme de la politique de l'eau , adopté en première lecture par l'Assemblée nationale sous la précédente législature, le 15 janvier 2002 , mais jamais inscrit à l'ordre du jour du Sénat, comportait un article 30 tendant à autoriser les collectivités ou établissements gérant des services publics de distribution d'eau et d'assainissement à participer à des actions de coopération décentralisée ou à des actions humanitaires dans les domaines de l'eau et de l'assainissement.

A l'époque, le Conseil d'Etat n'avait pas estimé que ces dispositions, analogues à celles de la présente proposition de loi, encourraient un risque de censure du Conseil constitutionnel.

La situation d' insécurité juridique dans laquelle se trouvent les collectivités territoriales et les agences de l'eau et les conséquences préjudiciables de l'interruption des actions coopération en cours , rendent nécessaire l'adoption de telles dispositions, sans attendre l'examen annoncé d'un nouveau projet de loi portant réforme de la politique de l'eau.

Préciser le cadre d'interventions des communes, des établissements publics de coopération intercommunale et des syndicats mixtes

Votre commission vous propose d' accepter les dispositions de l'article premier de la proposition de loi, sous réserve :

- de leur insertion dans la partie du code général des collectivités territoriales consacrée à la coopération décentralisée ;

- de l' extension aux syndicats mixtes des possibilités reconnues aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale , car ils jouent un grand rôle dans les domaines de l'eau et de l'assainissement ;

- de précisions rédactionnelles.

Préciser le cadre d'interventions des agences de l'eau

Votre commission vous propose également de reprendre l'article 2 de la proposition de loi, sous réserve :

- de les insérer dans l'article L. 213-6 plutôt que dans l'article L. 213-5 du code de l'environnement , car le premier a trait aux missions des agences de l'eau tandis que le second concerne leur organisation ;

- d'encadrer les interventions des agences en prévoyant qu'elles doivent faire l'objet de conventions soumises à l'avis de leur comité de bassin ;

- de préciser la nature et le champ des interventions des agences.

Votre rapporteur souligne, enfin, qu'il ne s'agira que d'une faculté offerte aux communes, à leurs groupements et aux agences de l'eau. Les interventions actuelles sont loin d'atteindre le plafond prévu par la proposition de loi puisque celles de l'agence Seine-Normandie, qui sont les plus importantes, représentent actuellement un pour mille de leur budget.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi dans la rédaction reproduite à la fin du présent rapport.

* 2 L'eau en France : quelle stratégie pour demain ? - Editions Johanet - 2004 - page 31.

* 3 Op. cit. page 32.

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